La grotte est au fond du sentier. Trou noir, gueule ouverte. Des crocs de stalactites déchirent l'entrée comme un rideau de foudre. Ici l'ambiance devient humide avec des relents de pourritures. Ça sent l'humus, ça sent les plantes visqueuses de décomposition et le champignon gangréneux. Fergus n'a pas peur mais comme une alerte glacée et constante dans la poitrine. Il est sur le qui-vive, un froissement de branche le fait sursauter. Sous ses bottes ferrées les pierres roulent et répercutent l'écho de leur chute contre la voûte obscure de la grotte ; ça fait comme un cri qui s'éteint en rugissement. Fergus ne sait pas ce qui peuple la grotte. Ça peut être rien, ça peut-être quelque chose de nouveau ou quelque chose qu'il connaît déjà. Ça peut-être une créature des êtres primordiaux, un golem de terre et de sang mêlés à qui elles auraient insufflé la vie. Ça pourrait être un Alpha réincarné qui erre et a trouvé dans les profondeurs de la terre une nouvelle matrice. Fergus n'en sait rien et se prépare à tout : dans le Plan Astral, rien n’est fixe. La seule certitude qu'il porte c'est de trouver au fond, sous les arches déchirées de la pierre humide, les plantes dont il a besoin pour composer des drogues, onéreuses à New york. Certains Passeurs ont mis leur don au service de l'exploitation, et le Plan s'en rend compte. Parfois, il punit.
Il y a des spores. De toutes petites étincelles de fleurs qui flottent dans l'air vicié avec la légèreté de lucioles insouciantes. Fergus rabat le masque à gaz sur son visage pour ne prendre aucun risque. Les spores passent sans s'infiltrer en lui. L'oreille aux aguets, il entend au loin des gouttes qui chutent et ça fait une espèce de bruit comme de l'eau sur un plat en fer. Il se demande d'où vient ce son étrange dans un lieu naturel comme celui-ci. Il sent contre sa hanche l'étui du couteau et celui du pistolet, ça le rassure. Il sait pourtant que si un être primordial décide de jouer avec lui, ils ne lui seront d'aucune utilité.
Au fond de la grotte, une impasse. Fergus discerne les ombres cauchemardesques fabriquées par les coins de roches déguisés en arêtes. Il les balaye de sa lampe frontale pour en créer de nouvelles. Ces tremblements d'onirisme font battre son cœur, cogner son sang dans les veines de sa nuque tendue. Un instant, la lumière se pose sur un parterre de mousse épaisse mouchetée de blanc et d'un bleu sombre. Fergus s'approche : c'est ça qu'il est venu chercher. Du bout du doigt, il passe le cuir de son gant sur la mousse. Une flopée de spores s'élève comme un nuage et se disperse en cherchant la brise charriée par l'extérieur. Fergus respire dans le masque. Lentement, il s'écarte de la colonie d’herbes et d'une sacoche qu'il a attachée à la ceinture, il sort une craie blanche.
Autour de lui Fergus cherche un terrain plan sans trop d'humidité pour y tracer un large cercle serti de motifs convexes qu'il charge d'autres formes. Le long de la courbe extérieure, il place des coupelles qu'il a trouvées dans son sac et qu'il remplit avec les fioles contenues dans un petit coffret de cuir. Chaque fiole contient une épice, qui vient allumer de ses pigments profonds la nacre des coupes. Puis il se place au centre de la figure. Avec son couteau, il sectionne une mèche de cheveux qu'il mélange dans la terre. Puis d'un geste sec il remonte sa manche et pose le fil du couteau sur la peau nue et tendre. Il incise. Sur son visage s'affiche la marque pâle d'une douleur vive mais ses traits restent immobiles. Le sang coule le long des doigts. Glisse sur les ongles. Plic, ploc, claquent contre le grès qui l'avale goulument. "Voici mon sang et mes cheveux pour la terre que vous me donnez." Fergus sort du cercle. Il marche jusqu'à la première coupelle auprès de laquelle il s'agenouille avant d'inciser à nouveau. L'hémoglobine goutte cette fois dans l'épice qui l’avale. "Voici mon sang et des épices en échange de ce que vous me laisserez emporter." Dans chaque coupe, il réitère sa lente scarification. Le sang prend dans la pénombre un étrange reflet d'enfer. Enfin, une à une, il verse les épices au centre du cercle, par-dessus la terre les cheveux et le sang, crée une colline de ce mélange qu'il laisse ainsi. L'air se charge d'odeurs piquantes et suaves que déchargent à terre les épices emmêlées.
Fergus se redresse. Il a bandé son bras et remis ses gants. Il marche à nouveau vers la mousse dont il prélève maintenant des amas qu'il met dans des fioles de verre qu’il scelle ensuite d'un joint orange. Il faut être sûr que rien ne peut en sortir, les toxines qui se répandent dans l'air lorsqu'on effleure la mousse est toxique pour l'organisme. Fergus craint qu'un jour elle évolue suffisamment pour contourner la barrière du masque qu'il porte et le tue sur le champ. Il en récolte beaucoup. Ses offrandes devraient lui garantir la paix ; il ignore comment les êtres primordiaux se nourrissent, mais elles raffolent des épices. Il ne sait pas s'ils les consomment vraiment, ou si la couleur, simplement, leur plaît. Il ne cherche pas à savoir, il donne et prend, c'est tout. En plus de la pulsation des coupures qu'il sent contre le tissu rêche et le mouillé du bandage où suppure le sang, Fergus ne peut s'empêcher de ressentir une alerte qui ne disparaît pas. Plus il cueille, plus la présence du Plan se précise. Plus elle est précise, plus il la sent s'élargir négative, comme l'ombre d'un rocher posé au-dessus de lui. Pourtant il cueille. Et plus il cueille, plus il remplit de mousse ces petites fioles hermétiques, plus son épiderme se dresse, plus sa peau se fait froide, plus une lancinante terreur glacée lui monte le long du dos. A tel point qu'enfin, il suspend son geste.
C'est à cet instant qu'en réponse explose dans la grotte un déchirement terrible.
Et merci pour le cliffhanger hahaha j’ai tenté !
Fergus, je suis déçu ! la drogue, c'est pas bien !
Blague à part, je ne suis pas étonné que quelque chose tourne mal, étant donné le nombre de chapitres et qu'il s'agit d'une histoire finie. Donc il faut bien précipiter les choses !
Et il faut bien contraster avec Constantine qui vit au paradis actuellement :')
(c'est pas mon com le plus utile, je l'admets)
Plein de bisous !
Et franchement je prends tous les commentaires hahaha (hop moi aussi je fais une réponse peu utile !)
La cérémonie d'offrande de sang et d'épices de Fergus à des divinités immémoriales était très bien décrite ! On sent l'importance qu'à le moment pour la narrateur, la solennité de cette cérémonie.
On apprend quelques éléments sur le Plan jusque là bien vague même si ça reste dur de se faire une idée précise^^
La chute est très bonne.
Mes remarques :
"gueule ouverte. Des crocs de stalactites" super jeu de mot (=
"mais elles raffolent des épices." ils ? (les êtres primordiaux)
Un plaisir,
A bientôt !
"Des crocs de stalactites déchirent l'entrée comme un rideau de foudre"
"Ces tremblements d'onirisme font battre son cœur, cogner son sang dans les veines de sa nuque tendue"
Ces deux passages mon littéralement donnés du plaisir !
bravo à toi
J'essaye d'éviter d'engloutir des histoires toutes entières, pour ne pas perdre en pertinence au fil de ma lecture et de mes commentaires, mais bilan des courses, parfois je me laisse distraire et j'oublie de m'y remettre. Mais me revoilà !
Deuxième chapitre du point de vue de Fergus. Toujours aussi équipé, toujours aussi mal disposé envers le Plan Astral. Encore une fois, pourquoi pas. Il semble avoir les éléments pour penser de cette manière, aussi bien par ouï-dire que par expérience personnelle, quelle que soit l'expérience de Constantine par ailleurs. À ce stade, il est impossible de donner raison ou tort à l'un ou à l'autre des personnages. Je pense que c'est un peu une victoire de ce récit, d'ailleurs, non ? Il est plus courant d'avoir un antagoniste qu'on n'essaye pas de comprendre, ou alors qui a nécessairement tort dans son raisonnement. Là, l'opposition existe sans être conflictuelle, c'est juste un choc des perceptions qui n'engage à rien. C'est intéressant.
On a un début de réponse quant à la raison du passage de Fergus par ici, malgré le danger. Il vient donc récolter une mousse toxique mais utile à certains procédés chimiques du monde disons réel. On se demande comment ça a été découvert, mais on peut se poser cette question pour pleins de choses sur Terre aussi, après tout. Je suis moyennement contente qu'il soit potentiellement être mêlé à du trafic de drogues (parce que c'est un sujet qui me rebute avec passion), mais je vais garder l'espoir que peut-être ce sont des drogues légales et médicales qu'il fabrique.
Son rituel pour "apaiser" les Être Primordiaux - toujours présumés les habitants principaux du Plan, à défaut de plus d'informations pour l'instant - a un petit côté Full Metal Alchemist, peut-être à cause du cercle à la craie avec les symboles. Je n'ai que de vagues notions de cette histoire, donc je suis potentiellement à côté de la plaque dans ma comparaison. Mais ça se veut laudatif de ma part. C'est à la fois un peu magique et en fait purement transactionnel. C'est un cérémonial, c'est juste que le rituel et les offrandes sont un peu particulières.
En tous cas, je trouve que l'accent est correctement (à mon goût) mis sur le caractère équilibré de ce monde. Que prendre sans donner a des conséquences, et qu'il s'en garde en effectuant cette transaction, comme un troc, finalement, quelque chose d'assez commercial, simplement sous une forme un peu particulière. Ça fait un peu penser aux cultures natives américaines, qui de ce que j'en connais ont cette forte notion d'équilibre et de rendre lorsqu'on reçoit de la Nature. Et bien sûr, ça me fait aussi me demander si Constantine semble protégé, c'est parce qu'il apporte au Plan, ou en tous cas parce qu'il y vient sans intention d'en ramener quoi que ce soit.
Sinon, c'est peut-être un détail (ou non) mais j'ai noté que par deux fois tu parles des êtres primordiaux, puis utilises ensuite le féminin pour les désigner. C'est déroutant. Au début j'ai cru à une coquille de reformulation (quand on a le malheur de changer la paraphrase qui désigne un personnage, et qu'il faut tout ré-accorder ensuite ^^), mais que ça se produise deux fois me paraît suspect. Sachant que la phrase suivante on revient au masculin. Est-ce que c'est une volonté de semer la confusion à leur sujet ? Le masculin est le genre de l'indéterminé donc je ne vois pas trop la logique, ici. =/
Pour contexte, voici les deux phrases en question:
- "Ça peut-être une créature des êtres primordiaux, un golem de terre et de sang mêlés à qui elles auraient insufflé la vie."
- "il ignore comment les êtres primordiaux se nourrissent, mais elles raffolent des épices. Il ne sait pas s'ils les consomment vraiment, ou si la couleur, simplement, leur plaît"
Enfin, la chute est encore une fois en suspens, comme la dernière de Constantine. C'est sûr, c'est un moyen de faire le pont. C'est un solution efficace pour conclure un passage ou un chapitre. Après, là, vu que là tu alternes entre les personnages, ça a un côté frustrant. Mais je suis facilement frustrée, je l'admets. Disons que je ne ressens pas le besoin d'être tenue en haleine de manière aussi explicite au fil d'une histoire. Pour moi, ton univers semble suffisamment dense pour que tu n'aies pas besoin de rajouter de la tension. Mais c'est juste un avis, c'est très bien comme ça aussi. =D
Deux petites notes de forme de rien du tout :
- "peut-être" et "peut être" ne sont pas interchangeables. Il y a quelques endroits où le trait d'union s'est sournoisement glissé, dans ce chapitre. ^^
- Ça sonnait étrange à mon oreille, alors j'ai vérifié, et "suppurer" n'est pas adapté au sang. A priori c'est dédié au pus. "Suinter" serait peut-être plus adapté, pour la même sensation de moiteur due à l'humidité poisseuse qui s'infiltre ans le bandage ? Sinon, moi j'aime bien "perler", mais c'est sûr que l'ambiance n'est pas la même. Juste des suggestions, sachant que tu ne sembles jamais manquer de vocabulaire pour tes descriptions de toute manière. ;-)
Voilà pour moi pour cette fois. Au plaisir ! =)
- À ce stade, il est impossible de donner raison ou tort à l'un ou à l'autre des personnages. Je pense que c'est un peu une victoire de ce récit, d'ailleurs, non ? : tes premières remarques tombent tout à fait juste ! Je crois que dans mon écriture et la façon dont je construit mes personnages, j'ai une prédominance pour les personnages gris et je porte de l’intérêt, même lorsque leur moral ou leurs actes sont douteux, à comprendre ou tenter de cerner les valeurs ou les expériences qui les ont menés là où ils sont ! Du coup c'est bien le but ici, deux points de vus, et deux façons de se comporter avec leur plan, sans jugement de valeur au delà de l'exposition factuelle de ce qu'ils sont.
Ton parallèle avec Full Metal est très juste ! Je crois qu'on s'était nous même fais la réflexion quand j'avais écris ce passage de l'échange, c'est indéniablement un procédé d'échange équivalent, avec ce procédé de donner quelque chose en échange de quelque chose d'autre d'une valeur équitable. Plus la symbolique autours des dessins, le parallèle est bien fais : je suis assez fascinée par les rituels de manière générale, donc c'était une bonne occasion d'exploiter cet aspect de l'univers ésotérique
Et du coup à nouveau, ton analyse tombe pile poil, je suis super contente que tu ais compris cet aspect du texte que je pensais un peu obtus : effectivement, Constantine est protégé parce qu'il n'a pour le plan qu'un rapport d'exploration. Il respecte et se soumet au plan, il en reconnaît la puissance, ne cherche à s'en approprier ni le territoire, ni les ressources, simplement à le comprendre. Tandis que Fergus à une approche beaucoup plus matériel, il à besoins des ressources du plan pour ses propres ambitions, il fait parti d'une casque plus conquérante, qui dépouille le plan, à divers niveaux, de ce qu'il a à offrir. Même s'il procède à un échange, la réaction du plan face à ces deux personnages réside dans la différence d'état d'esprit avec lequel ils l'abordent.
Par rapport à l’ambiguïté de genre sur les êtres primordiaux je... C'est totalement un erreur de ma part, et je suis choquée de ne pas l'avoir remarqué (ni moi, ni les personnes qui ont déjà lu par ailleurs hahaha) mais non, ce n'était pas voulu, et l'accord devrait effectivement se faire au masculin dont merci de l'avoir relevé !
Ton retour sur le suspens de fin est interessant, je crois que comme le texte a ce côté très contemplatif, et qu'il y a ses points de vus alternés, j'ai crains que le lecteur ne se lasse ou n'ait pas envie de rattacher la partie du point vue laissé en plan s'il n'y avait pas un petit élément cliffhanger, donc ce serait pas mal de récolter d'autres avis pour ce point, histoire de voir jusqu'à quel point c'est nécessaire !
Merci aussi pour tes petits relevés, surtout pour le suppurer ! Je vais y réfléchir et je tacherai de corriger ça !
Et pour fini, je reviens sur les drogues de Fergus et........ Fergus n'est pas une bonne personne, c'est tout ce que je peux dire :X
Encore merci pour ce commentaire détaillé de tes impressions qui tombent très justes, et au plaisir de te lire à nouveau !
"ça fait comme un cri qui s'éteint en rugissement." -> J'ai du mal à associer cette image à des échos de pierres qui roulent
"Les spores passent sans s'infiltrer en lui. " Information redondante avec ce que tu dis juste avant :) on se doute que les spores ne passent pas
"les coins de roches déguisés en arêtes" -> Déguisés en arêtes ? Comment cela ? Ce sont des arêtes, non hahaha ?
"crée une colline de ce mélange qu'il laisse ainsi. " -> J'ai trouvé la phrase ptêt un poil bizarre, surtout qu'on partait du principe qu'il laissait le tas en place. Et colline fait un peu étrange peut-être ?
"elle évolue suffisamment pour contourner " comment une mousse peut évoluer pour passer la barrière du masque ?
Hello hello ! J'suis de retour hahaha pour compléter mes retours ! J'ai trouvé ce passage de Fergus très bien amené à nouveau, on apprend plein de choses sur le Plan et l'idée du rite est très amusante. On manque peut-être encore un peu de trajectoire générale d'histoire, on ne sait pas trop où vont les personnages ? C'est très visuel sinon et l'ambiance est très agréable. Puis j'aime beaucoup l'imprévisibilité du Plan qui réserve des surprises à chaque tournant
Merci du coup pour ce retour que j'ai aussi oublié de commenter moi-même go la prison. Et du coup on en a parlé moult au sujet de la trajectoire générale maiiiis je pense que le problème ne se réglera pas malgré la suite ! Merci de persévérer malgré tout du coup hahaha
Je reviens enfin, avec un peu plus de temps pour continuer mes lectures -
Quelques petites bricoles au fil de la lecture :
>> "Des crocs de stalactites déchirent l'entrée" Pour moi, crocs et stalactites sont un peu redondants, je pense qu'on comprend très bien l'image avec juste "des crocs"
>> "Sous ses bottes ferrées les pierres roulent et répercutent l'écho de leur chute contre la voûte obscure de la grotte ;" Période un peu longue, je mettrais une virgule après "ferrées"
>> "Ça peut-être une créature des êtres primordiaux" Autant le premier être est logique dans l'anaphore de "ça peut être" autant il y a éventuellement moyen d'alléger la phrase du deuxième "êtres" - "Une créature primitive" ou quelque chose du genre ?
>> "Voici mon sang et mes cheveux pour la terre que vous me donnez." Un retour à la ligne peut-être avant et après cette phrase ? Et puis ça aérerait le paragraphe
Sortie de ces deux trois chipotages, c'est toujours très agréable à lire, avec des descriptions soignées, détaillées et immersives comme je les aime. Pas mal de poésie, et de curiosité alors que Fergus mène son exploration. Quelques moments frissonnants bien menés, le rendu est visuel et prenant <3
Au plaisir ! =D