Contrat

Je me suis dirigé vers le recoin de la taverne qui m’avait été indiqué. Il était sombre et enfumé. Cependant je parvins à distinguer une silhouette attablé.

— C’est vous Angus ?

— Ce n’est pas ce à quoi vous vous attendiez, n'est-ce pas ?

Je ne savais pas quoi dire. Je ne voulais pas risquer de le vexer. Personne d’autre ne pouvait m’aider. Personne d’autre ne voulait m’aider.

— Ne faîtes pas cette tête ! Réagit-il en souriant, j’ai l’habitude, je sais que mon apparence ne correspond pas à ma réputation et je m’en moque, ça ne m’a pas empêché de décapiter le Jormungar.

— L’horreur chtonienne ? C’est vraiment arrivé ? Cela paraît tellement incroyable ! Certains exploits de sorcier sont déjà difficiles à admettre, mais ce que vous avez été capable de faire seulement à la force de l’épée…

— J’admets que j’ai eu quelques réussites plutôt jolies, mais c’est bien peu de choses, si vous aviez connu mon mentor Benar… Ah, le vieux Ben, c’est lui qui m’a tout appris… Pour le moment, je me contenterai de dire que je n’ai pas encore sauvé le monde aussi souvent que lui. Alors ? Qu’est ce qui vous amène ?

— Vous avez entendu parler du sorcier Surtur ?

— Quelques échos de ses méfaits sont arrivés jusqu’aux oreilles de mon groupe. Un sale type, du genre coriace. Vous avez de quoi payer ?

— C’est tout ? Ai-je réagi estomaqué, je veux dire, vous oseriez l’affronter ? Juste comme ça ?

J’eus encore une fois le droit à son sourire désarmant.

— Bien sûr ! Est-ce que je critique votre façon de vous amuser ? Non ! Alors ne critiquez pas la mienne sous prétexte que c’est aussi mon métier !

Cet homme au physique pourtant banal ne cessait de me déconcerter. En y repensant plus tard, j’ai réalisé que son absence de cicatrices prouvait, plus que son assurance, à quel point il était dangereux. Même en supposant que les trois quart des histoires circulant à son sujet était fausse, le fait qu’il n’ait jamais eu de blessures assez graves pour laisser la moindre trace sur lui était la preuve d’une virtuosité sans égale.

— Alors, si je vous paye c’est réglé ?

— Doucement les chevaux ! Visiblement, vous n’avez pas tout compris ma petite dame. Je vous refais un topo rapide. Si vous nous donnez l'acompte convenu, on s’attaque à votre «problème». Si on réussit à le «résoudre», vous devrez compléter pour atteindre le montant fixé. Si on échoue, disons que nos familles se consoleront grâce à l’acompte. Il faut que vous compreniez que dans ce genre de contrat, il n’y a aucune garantie de réussite, même avec des types expérimentés comme moi.

Malgré mon état de désespoir, j’ai trouvé amusante la façon qu’il a eu d’utiliser ses doigts pour ponctuer ses phrases de guillemets. Je connaissais le tarif. J’avais prévu ce qu’il fallait. J’ai sorti la bourse et l’ai déposée devant lui. Il a souri une fois de plus. Puis il s’est levé et a ramassé la bourse en passant près de moi, avant de se diriger vers la sortie. Mon seul regret par rapport à cet acte de foi ? Si je n’avais versé que l’acompte, j’aurais pu revoir son sourire.