Elle était une ombre sous sa cape. Une ombre silencieuse et pourtant mortelle, et sa proie le savait aussi bien qu'elle. Dans les rues d'Aigreville qu'elle avait mille fois arpentées, elle saurait se repérer les yeux fermés. C'est perdue dans ses pensées qu'elle rattrape l'homme qui essayait de lui échapper. D'un geste désinvolte, elle se jeta devant lui, se laissa tomber au sol, saisit sa cheville et remonta brusquement. Là où se tenait Étienne Meunier se dressait maintenant sa longue silhouette enveloppée de tissu. De même, là où était à l'instant d'avant le prédateur, haletait Étienne. Avec un petit rictus, elle posa son pied sur son torse pour parer à toute tentative de fuite désespérée. Pour faire bonne mesure, songea-t-elle, il serait peut-être bien de lui sectionner les jambes. Il lui serait alors encore plus compliqué de fuir. Quelle perte de temps ! Elle retenut un crachat et se recomposa un masque impassible sous sa cape.
-Étienne Meunier, commença-t-elle d'une voix qu'elle espérait menaçante, sais-tu pourquoi je te fais l'honneur de te poursuivre ?
-Non, et vous feriez mieux de me laisser partir tout de suite avant que je ne vous signale à la police.
Cette fois ci, elle ne put retenir un éclat de rire hystérique. La police ! Mais où se croyait-il ? Dans une ville normale ? La police ne faisait peur que là où elle ne régnait pas ! Elle respira profondément, se calma, eut un dernier gloussement et enfin reprit la parole.
-Mais enfin, je m'en fiche ! La police n'a pas ce que je cherche, mais toi si. Tu me suis ? Alors tu me le donnes bien gentiment, et sans histoire. Ces jambes sur lesquelles tu te traînait tout à l'heure m'ont l'air en pleine santé, il serait dommage que tu les perdes dans un accident mystérieux, n'est-ce pas ?
Étienne était terrorisé. Il n'y avait qu'une seule folle à Aigreville et il était tombé dessus. Ou plutôt, elle lui était tombée dessus pour le faire chuter. Ses idées commençaient à s'embrouiller, et ce fut alors qu'il remarqua qu'il saignait abondamment à l'arrière de la tête. La chute avait en effet été plutôt douloureuse, et il le sentait maintenant.
-Que voulez-vous ?
-C'est évident, que diable ! Soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. La liste de toutes les entrées enrgesitrées à Aigreville récemment. Juste ça, et on te laissera partir.
"On" se trouvait être la femme encapée, et deux truands qui sortirent de la pénombre en ricanant et en brandissant des barres de fer. Quand bien même il aurait été en meilleure forme, jamais Étienne n'aurait été de taille à résister. Il se releva donc péniblement, épousseta son pantalon et se redressa.
-Alors je vous emmène chez moi. C'est ici que je garde les enregistrements, s'empressa-t-il d'ajouter alors que la femme faisait craquer ses jointures des poings.
-Mmh. D'accord, mais tu n'essaies pas de me la faire à l'envers. Pas d'alerte à la police, pas de contre-attaque ou autre absurdité. Je suis sûre que ça te va, compléta-t-elle en souriant tandis que les yeux d'Étienne s'écarquillaient, j'ai prévenu un copain, et si je ne reviens pas bientôt donner un signal, et bien disons qu'il serait dommage que ta maison et ta famille partent en fumée suite à un incendie accidentel. À peu près aussi accidentel que ta naissance, tiens.
Étienne se résigna à obéir, et fut maussade tout du long du long trajet à pied jusqu'à sa maison. La folle avait bien insisté pour ne pas prendre de voiture, elle devait être écolo, pensait-il.
Au moment de s'effacer pour la laisser passer sa porte, il se précipita dans la rue en tentant de lui balayer les pieds. Sa réaction ne se fit pas attendre. Elle balança son pied dans le nez d'Étienne, le lui brisant au passage, se laissa tomber de tout son poids sur lui et lui tordit le bras. Ensuite, elle le saisit fermement et le redressa, avant de lui asséner un coup de poing dans l'arcade sourcilière, au son de "je te le rends avec des intêrets". Ce fut donc encore plus abattu qu'il alluma son ordinateur avant de copier tous les fichiers récents vers le disque dur qu'elle lui tendit. Une fois cela fait, il se leva de sa chaise et demanda si il avait fini de se faire exploiter.
-'Du tout, mon bonhomme. Tu oublies que tu me dois cinq mille euros, tout ce que tu sais sur nous, ton obéissance, et la liste continue ! Alors je prends ça comme de l'insolence, et je te dis non !
Elle dégaina de sa poche arrière un pistolet avec silencieux, Étienne se jeta sur le côté pour éviter l'inéluctable tir, mais ce ne fut pas suffisant. Quand la balle atteignit la poitrine de l'homme, elle savoura son visage stupéfait.
-Bon, ça c'est fait, il me reste plus que la mise en scène.
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Le lendemain, Serge Chagot, tout droit sorti de convalescence, et le reste de son équipe examinaient un cadavre qui avait manifestement servi de cible, et dont la bouche était obstruée par une feuille de papier. Dessus, marqué en lettres d'un noir comme la nuit, "Voilà ce qui arrive quand on ne respecte ni les ultimatums ni les délais. Tenté, Serge ?"