Serge ne comprenait à peu près rien de ce qui venait de se produire. Toute la brigade écoutait le témoignage quand une détonation avait ébranlé les murs, et qu'une fumée blanche avait envahi la pièce. De plus, leur témoin avait disparu et l'horloge indiquait plusieurs heures après le début du récit. Alors que l'inspecteur aurait juré que leur témoin en était encore à raconter toutes les informations qu'ils connaissaient déjà -son nom, son adresse...-, il ne parvenait pas à se rappeler des informations en question. Il avait l'impression que son cerveau était en grève, et il fut ramené à la réalité par un râle de douleur, qui provenait du sol. Il s'approcha et découvrit Georges se tordant de douleur par terre et qui saignait abondamment de la jambe. Jerôme se penchait également par dessus son épaule et faisait une moue indéchiffrable.
-Ça me rappelle la boucherie de mes parents...
-On pourrait se passer de ça pour l'instant ?
Georges leva faiblement la tête, et leur demanda d'un filet de voix :
-Dites... Dites à ma femme et mes gosses que je les aime.
Le cerveau de Serge refusait toujours de fonctionner, mais quelque chose lui semblait bizzare. Après quelques secondes de peu ou prou intense réflexion, il mit enfin le doigt sur ce qui clochait, Georges le lui avait dit lors de son introduction dans l'équipe :
-Je me permets de rappeler que tu es célibataire et que tu n'as jamais eu d'enfants, tu as une explication à fournir ?
-Merde... Pourtant, j'en étais sûr, tu vois...
Ses yeux se fermèrent et son souffle se fit de plus en plus irrégulier. Serge pria pour que l'un d'eux ait appelé les secours avant qu'il ne soit trop tard.Ses yeux se perdirent dans le vague deux secondes, et il avisa une lettre dans une enveloppe blanche avec un sceau de cire rouge. Il remua la tête, la décacheta, et fut horrifié par le contenu de la missive.
Ce qui est arrivé aujourd'hui n'est qu'un avertissement. Considérez-le pourtant comme un ultimatum et renoncez à l'enquête. Au cas où il vous viendrait l'idée de refuser cette proposition (presque) amicale, souvenez vous qu'il nous reste encore un bon paquet de ces grenades, autant de munitions et plus de détermination que jamais. Alors, Serge Chagot, quittez Aigreville tout de suite ou vous comprendrez le sens du mot "enfer". Car c'est bien une souffrance sans limite qui vous attend si vous continuez, vous sentirez la mort rôder, mais jamais Elle ne daignera s'approcher assez de vous pour achever vos tourments.
Il avait lu la lettre, en avait compris le sens mais pourtant ne pouvait retenir un sourire. Enfin un défi à la mesure de son ennui ! Une seconde explosion le fit changer d'avis.
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-Eh ben, on peut dire que vous avez eu de la chance, vous !
Le chirurgien avait déclaré cela d'un ton soulagé et même impressionné en examinant les balles qui trouaient Serge dans le dos. Peut-être que certaines étaient arrivées de face, mais celles-ci avaient dû le traverser et ressortir, puisqu'il n'en restait aucun trace autre que des trous de la taille d'un pouce. Par des réflexes surhumains de Serge ou une visée catastrophique du tireur, chaque balle était passée à trois centimètres au maximum d'un organe vital. Georges avait eu un peu moins de chance, en avait maintenant pour plusieurs mois d'hospitalisation et était plongé dans un coma pour une durée indéterminée. En effet, il n'avait pas seulement été touché à la jambe par un éclat de grenade mais avait aussi eu le malheur de se trouver sous un morceau de plafond qui s'était décroché à la suite de la deuxième explosion. Serge, de son côté, avait, à en juger par son apparence de gruyère, servi de bouclier humain au reste du groupe, qui était par ailleurs relativement intact. Il avait donc droit à la chambre d'hôpital adjacente à celle de Georges et était coincé ici depuis plusieurs jours déjà. Le bon côté des choses, pensait-il avec une certaine ironie, était qu'il n'aurait plus besoin de dormir hors de l'hôtel de police avant quelque temps et qu'il pouvait maintenant superviser les opérations depuis son lit. Il avait à ce sujet envoyé Lentier récupérer les enregistrements vidéos du jour de l'attaque, et celui-ci ne tarderait sûrement pas à revenir. Il était même en train de revenir.
-B'jour patron, vous prenez pas de congé maladie ?
-La rafale de balles n'est pas encore considérée comme une maladie et je me sens tout à fait presque bien. Alors, ces caméras ?
Jules alluma son ordinateur portable, y connecta un disque dur et farfouilla dans les enregistrements.
-Alors, il y a trois jours... Ah, voilà, je vous ai attendu pour les visionner.
Le résultat était incroyablement décevant, encore plus que ces fauteuils qui n'étaient pas aussi confortables que ceux d'Helène Poirant.
Il ne subsistait de l'attaque qu'un fichier rempli d'images brouillées par la fumée.