Lerme fut le premier roi assassiné en dehors du cadre de la guerre au court d’une bataille. L’auteur du régicide était un elfe fanatique embrigadé par l’ordre des vénérateurs de la guerre. L’outrage dépassant l’entendement, un châtiment exemplaire fut choisi. Depuis, l’auteur d’un régicide est puni par la crucifixion en sacrifice aux dragons. De plus, toute trace de son nom est effacé des documents officiels du royaume.
Le régicide
Traité sur les sociétés du bouclier-monde
du maître architecte Vinci
Les troupes elfes butèrent longtemps sur le blocus de la coalition des élémentaires et des nains. Puis un beau matin, la grande muraille de pierre s’affaissa et les armées adverses disparurent comme elles étaient apparues. Le champ libre, la bannière de Batum-Khal rejoignit Zulla à marche forcée. Les nouvelles de la capitale inquiétaient davantage chaque jour. La cité semblait avoir été saccagée par l’ennemi. Un autre élément angoissait le conseil du roi, c’était l’absence de message provenant de la forteresse des trois olpihants. En chemin, tous convinrent de diviser les forces en deux. Le général Ull avec le gros des troupes devait rejoindre Zulla tandis que la cour, accompagnée de la cavalerie devait retrouver le bon roi Roll dans son ultime refuge.
Ugmar menait le groupe pour affirmer sa supériorité. A l’approche du bastion imprenable, nul ne vint à leur rencontre. Constant que les portes restaient grandes ouvertes, le grand chambellan envoya un éclaireur. Le cavalier revint blanc comme un linge incapable de parler. Il hocha simplement la tête lorsqu’on lui demanda si le chemin était libre. Le grand baron manipulateur jubilait. Le plan avait marché. Il touchait au but. S’il manœuvrait correctement, il ceindrait bientôt la couronne de Batumia.
La troupe avança d’un pas anxieux dans l’enceinte. Tout n’était que mort et putréfaction. Le sang séché des soldats tombés au combat colorait le sable d’un rouge carmin. Au centre de la cour intérieure, deux mats étaient plantés. Ils portaient en guise d’étendards le roi Roll et son fils, le prince héritier Sirius. Tous deux pendaient inanimés au bout d’une corde. De solides lanières de cuir écartelaient un dernier né de Nunn en triste entre les deux funestes poteaux. Ugmar reconnut un certain sens de la mise en scène à Gal pour cette vision cauchemardesque.
Alors que les hussards s’activaient à descendre les souverains assassinés sous les directives du grand chambellan. Otto, le maire du palais se précipita et releva le visage du sacrifié en le tirant par les cheveux.
« Ome ! C’est Ome, le tribun de la plèbe ! C’est votre protégé, baron Ugmar ! Il respire encore ! Que s’est-il passé mon garçon ?!! »
Un des cavaliers passa derrière les mats pour récupérer le corps du bon roi Roll que ses camarades descendaient. Une chose étrange attira son regard.
« Son dos est scarifié ! Mais je connais pas cette langue ! »
« C’est de l’orcanien ! On lui a taillé le mot « traitre » au couteau ! » expliqua le maire du palais qui fut le prompt à réagir. « Ugmar, vous avez fait rentrer un traître au conseil du roi ! C’est toi qui a permis aux orcs d’éliminer toute la famille royale, chien !!! »
« Non ! …. Non ! Je... » répondit faiblement l’inculpé.
La stupeur accompagnait à présent l’horreur dans les rangs de la cour et du conseil. Le grand chambellan demeurait stoïque. Le temps n’était pas à la rage. Nul besoin de fiole de bromure aujourd’hui. Son plan se déroulait à la perfection. Cet imbécile d’Otto tirait les conclusions hâtives désirées sans même avoir besoin de l’y encourager.
« Que dis-tu, sale vautour ?!! »
« Ah quoi bon écouter les balivernes d’un renégat ! Baillonez-moi cette langue de vipère ! » intervint Ugmar pour couper court à tout approfondissement à l’affaire. « Ce qui vient d’arriver est dramatique pour le royaume ! Cet homme mérite juste un châtiment exemplaire ! Je ne me doutais pas que j’avais fait rentrer un loup dans la bergerie, cher maire du palais ! Les derniers nés ne sont qu’à mordre la main qui les nourrit ! Notre bon roi Roll était un souverain respecté et son fils, le prince Sirius marchait déjà dans ses pas ! »
« Je comprends mieux votre aversion pour les derniers nés de Nunn, grand chambellan ! Nous devons ordre au général Ull de les exterminer jusqu’au dernier ! » proféra le baron Otto, rouge de colère.
« Il faut savoir raison garder, mon cher Otto ! C’est le tribun de la plèbe qui s’est montré fautif, pas l’ensemble de son peuple ! » tempéra Ugmar. « Il est connu que les orcs détestent les traîtres, baron Otto. S’ils ont gravé son crime dans sa chair ! C’est une preuve qu’ils le considèrent comme unique responsable ! Il a sans doute ouvert la porte aux ennemis pendant la nuit ! Dire qu’on lui avait donné toute notre confiance et la sécurité de notre bon roi ! »
« Je suis d’accord avec vous, baron Ugmar ! Mais cet évènement prouve qu’il faut se méfier de ses rats ! Il faut supprimer tous les privilèges concédés sous le règne du roi Roll ! Les légions humaines ! L’emploi des proscrits ! La concession de la cité des Sept Chemins ! Tout ! »
« Cela replongerait la neuvième caste des serviteurs dans la promiscuité, Maire du Palais Otto ! Les gens de peu s’opposeraient à toute initiative de ce genre ! » contesta l’intendante générale Célestine.
« Et nous ne pouvons plus nous passer de la main d’œuvre humaine ! Elle est trop bon marché ! Nous courions tous à la faillite ! » renchérit le maître questeur Anémo, représentant de la quatrième caste des gens du commerce.
« Une peine exemplaire du coupable, serait plus à propos. » proposa le grand prêtre Eliec, soucieux de soutenir son chef de parti. « Sacrifier le héros des hommes pour régicide permettrait de remettre de l’ordre et certainement d’inciter tous les incroyants dans le droit chemin ! »
« Il faut au moins reprendre la passe des montagnes noires aux humains ! Sinon, ils risquent d’en faire une proto-nation que tous les derniers nés de Nunn chercheront à rejoindre ! » maintint le maire du palais.
« La défense de la passe des montagnes noires nécessite des efforts constants, cher baron Otto ! Entre les raids orcs, les convoitises naines et les nouvelles incartades satyres et dryades la cité des Sept Chemins est impossible à défendre ! Laisser la passe aux hommes permettrait de « réguler » la démographie des « hommes », puisque c’est ainsi qu’ils désirent se prénommer. Et leur laisser les titres pour chaque forteresse risque plus de distiller la discorde dans leurs rangs ! »
« Je comprends votre point de vue, Grand Chambellan ! Par contre Barouf redevient tribun de la plèbe ! Ce lutin au moins savait rester à sa place. »
Tout le monde contredisait le maire du palais. Otto grattait pour obtenir un petit quelque chose et ne pas perdre la face.
« Les humains ne sont pas notre priorité, Otto ! Régler le problème de la vacance du trône ! Voilà notre priorité ! Tous les membres de la famille royale avaient été rapatriés à la forteresse des trois oliphants ! Nous ne pouvons pas laisser le royaume décapité ! »
Ugmar recadrait les débats sur son objectif principal, celui qui guidait son existence depuis sa naissance. Enfin, il touchait au but après tant d’années de luttes et de sacrifices. Il avait fait creuser la galerie par des nains dix mille ans avant que la forteresse des trois oliphants ne soit bâtie. Elga, son assassin secret avait mis cent siècles à éliminer tous les mineurs. Le grand chambellan avait ensuite passé un temps infini à convaincre le roi Roll de construire le bastion. Puis encore il avait encore missionné sa tueuse pour supprimer les ouvriers du chantier et il avait empoisonné lui-même Vitruve. Le maître architecte était son plus fidèle allié politique. Il avait volontiers participé à la manigance, mais le manipulateur Ugmar ne pouvait pas laisser quelqu’un détenir un tel secret compromettant sur lui. Comme Elga ignorait pourquoi elle avait tué, à présent, personne ne pouvait remonter jusqu’à lui ! A part Gal ! Voila pourquoi le baron réfléchissait déjà à un moyen d’éventuellement l’éliminer, même si au plus profond de lui, quelque chose l’incitait à renoncer à cette pulsion.
Aujourd’hui devait être le jour de son avènement. Le grand chambellan possédait de longue date la majorité au conseil. L’élection n’aurait dû être qu’une formalité. L’exclusion de la troisième caste des militaires et du tribun de la plébe rendait néanmoins le vote incertain. Ugmar possédait l’appui indéfectible du grand prêtre Eliec, du maître questeur Anémo et de la nouvelle amirale cheffe Jolly. De son côté, Otto, le maire du palais disposait du soutien du maître agronome Sully et de l’intendante générale Célestine. Le vote du maître architecte Vinci restait incertain. Le chef de la sixième caste des gens de la manufacture venait de basculer récemment dans le camp du grand chambellan, mais comment être certain du vote d’une telle girouette politique ? Le prétendant au trône avait besoin de certitudes pour ne pas gâcher sur un coup de dés l’occasion de ceindre la couronne. Alors il saisit sa chance devant toute l’assemblée de la cour et du conseil du roi réunis.
« Baron Otto ! Je n’irai pas par sept chemins ! Si nous organisons des élections, le vote se jouera entre vous et moi. Sans unanimité, le nouveau souverain risque d’être contesté par une partie du peuple elfique, même si les chefs de toutes les castes invitent à la concorde. »
« C’est fort probable, baron Ugmar. Vous connaissant, vous désirez me proposer une solution alternative. »
« Mieux que cela, cher baron Otto ! Je vous propose une alliance entre nos deux familles ! Ma fille, Victoire était promise au défunt prince héritier Sirius. Une union avec votre fils solutionnerait peut-être cette situation inextricable. Par un mariage, votre fils entrerait dans la première caste de la noblesse des gens de sang. »
« Ceci à condition que je renonce à toute candidature, je suppose, baron Ugmar ! …Cette proposition est inattendue. Permettez-moi un temps de réflexion je vous pris. »
Ugmar acquiesça du menton. Il avait gagné. Cet imbécile d’Otto désirait plus que tout faire entrer sa descendance dans la noblesse de sang. Il faisait mine d’hésiter mais sa décision était prise. Il allait certainement chercher à tirer quelque autre avantage. Le grand chambellan tira une dernière carte de sa manche pour lui couper l’herbe sous le pied.
« Bien entendu, si votre fils Uwe briguait le mandat de chef de la première caste, j’intercéderai en sa faveur ! »
« Eh bien je crois que nous pouvons organiser l’élection du nouveau roi des elfes, baron Ugmar ! Où et quand voulez-vous procéder ? »
« Pourquoi pas ici et maintenant ?!! Le conseil est au complet et le général Ull se trouve à Zulla. De plus, le royaume a besoinau plus vite d’un nouveau souverain en ces temps troublés ! »
Ugmar, le traître à sa propre nation devint ainsi le nouveau roi des elfes dans une ambiance feutrée. Personne au sein de la cour ou du conseil n’osa postuler face à sa candidature et il fut élu à mains levées. Sous les vivats de la foule il nettoya la couronne ensanglantée qu’on lui amena avant de la mettre à son front. Sa première mesure fut de demander au maire du palais l’organisation de funérailles nationales pour son prédécesseur ainsi que toute sa famille, tombés sous l’attaque fourbe des orcs. Puis il se dirigea vers Ome. L’ex-tribun de la plèbe n’était plus qu’une chancelante créature écartelée qu’un souffle suffirait à occire. Avec toute la cruauté du bouclier-monde, le nouveau roi proclama sa sentence.
« Retapez-moi ce traître ! C’est un régicide ! Je veux qu’il meure le cœur arracher par un dragon ! Et je veux que partout dans l’empire on soit au courant de sa peine exemplaire ! S’il décède pendant son trajet jusqu’à Limitium, ses geôliers en répondront ! »
Ugmar est plus manipulateur que jamais. Le voilà enfin roi cette fripouille ! Mais que va-t-il faire, alors qu'ils sont au bord de la défaite ?