Crier - Scop ft Hatsune Miku

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Version avec une traduction française :
https://youtu.be/-qzFIxMEDp8

J’avais eu tout juste 17 ans, peu après Noël. Nous étions en couple à distance depuis plusieurs mois. Ce garçon arrivait des fraîches collines et monts volcaniques de l’Auvergne, et il étudiait durant l’année les corps et la médecine dans la Belgique Wallonne. Là où, personnellement, je vivais et demeurais perdu dans les étouffantes rues romaines des villes du sud de la France. Ainsi, depuis la rentrée des classes, plus de sept cents kilomètres nous séparaient, comme d’immenses nuages opaques nous dissociant de nos quotidiens. C’était donc seul que je découvrais le monstre en forme de lion qui allait hanter le reste de ma vie : un stress post-traumatique, qui remplaçait comme une ombre sangsue les cauchemars qui venaient de s’arrêter.

 

Malgré tout, il y avait beaucoup d’amour entre ces centaines de kilomètres. Les écrans d’ordinateur et les téléphones brillaient dans le noir, éclairant mes nuits d’enfer où se ranimait, sans que je le veuille, tout ce qui avait été d’une horreur sans voix. Des vidéos, des photos, des musiques, des décomptes… Nous échangions tout ceci, passant ainsi tous nos instants ensemble, malgré toutes les difficultés et le décalage que cela posait avec nos véritables existences qui pouvaient avancer sans nous. Nous mettions en place des rêves et des calendriers pour nos retrouvailles. Chaque vacance scolaire était un idéal d’une vie fantasmée, un objectif qui me donnait envie de vivre un temps de plus. Et ces vacances d’hiver devaient se dérouler chez lui, dans ses belles montagnes d’Auvergne dénudées de leurs herbes folles par le gel et le froid.

 

Ensemble, je me sentais complet. Mon cœur se ressoudait dans ses bras, je reprenais confiance et je ne doutais de rien. Mais le lion avait des griffes bien acérées, assez pour que la douleur de ses marques sur ma peau persiste malgré la présence de ce garçon. Je pleurai souvent, même s’il m’aimait et que je l’aimais. La peur, les cauchemars, l’avenir, tout ceci était des choses bien trop vastes pour pouvoir les toucher, même avec ses doigts de médecin. Alors, ne pouvant rien faire de plus, il me prenait dans ses bras en chuchotant à mon oreille. Il caressait ma peau meurtrie par les blessures du lion en effleurant mon avant-bras d’un geste régulier rappelant les vagues de la mer qui frôle le sable fin avec tendresse, avant de repartir dans un mouvement sans fin.

 

Nous passions notre temps enfermé dans sa chambre. Quand il ne dormait pas avec moi, il révisait ses partiels, avec simplement une petite lumière de bureau éclairant ses livres pour éviter de me faire mal aux yeux. Malgré cette légère distance, j’entendais son souffle, je sentais la chaleur de sa présence. Ça me suffisait pour éprouver un apaisement que je ne ressentais jamais ailleurs. J’ouvrais alors mon ordinateur pour m’occuper durant son temps de travail. Je continuais mon exploration musicale, que j’avais également commencée à la rentrée. Je découvrais avec joie et étonnement l’univers vocaloid, ces sons aux multiples compositeurs réunis par les mêmes synthétiseurs vocaux. J’allais ainsi, de coup de cœur en coup de cœur. Et c’est au cours de ces vacances que j’ai trouvé cette Musique Capsule, résonnant toujours pour moi des éclats d’après Noël, où les guirlandes hésitent à s’éteindre ou rester illuminées encore un peu, pour le reste des fêtes : Crier, de Scop.

 

« Chaque fois que je me sens gênée, les larmes coulent naturellement, et quand elles s’arrêtent, je tombe de sommeil, d’épuisement… ». Je me suis immédiatement reconnu dans les paroles qui s’affichaient sur mon écran d’ordinateur, alors que la vidéo me montrait des couleurs douces et ternes accompagnées de bulles d’eau voletant dans l’air. Moi qui pleurais tant, bien plus qu’à l’époque où j’aurais dû, j’eus l’impression de voir exprimé par cette voix robotique, pourtant fragile et émotive, ce que je pouvais penser sans en trouver les mots. Sans un bruit, j’ai débranché mon casque, laissant la musique vibrer dans la pièce. J’aperçus, pour un instant, sa tête se tourner un peu vers l’origine du son. Il n’allait sans doute pas comprendre, et peut-être que ça aurait pu le déranger, lui qui travaillait dur. Mais il n’a rien dit, plongeant à nouveau dans ses feuilles en se servant de son crayon comme d’une canne. Et la chanson a continué de résonner dans la chambre sombre et silencieuse.

 

« Je pleure, je pleure, mais je ne peux rien changer. La misère pure, mais même en étant anxieuse, je ne peux pas aider… Je ne possède rien, mais j’aimerai juste que quelqu’un prenne mes yeux, ce cœur, et l’emmène loin de moi… »

Il s’inquiétait très souvent lorsqu’il comprenait ce que j’écoutais. Beaucoup de musiques vocaloid parlent de thèmes très durs. Il avait du mal à saisir quel attrait je pouvais trouver à des paroles si tristes et aurait préféré que je me tourne vers des morceaux légers et innocents. Mais comme il ne voyait pas et qu’il ne pouvait pas réaliser tout ce que tout ceci renfermait, il apprécia sans le dire, d’un subtil mouvement de tête, la guitare mélodieuse et le piano d’une douceur intimiste. Toute la chanson reflétait les éclats d’un cœur cassé, mais qui avait encore de quoi battre. Ainsi, en me balançant au rythme des sons, je regardais mon écran devenir plus lumineux, les teintes bleues se laissant effacer pour un jaune clair avec un air qui osait se convaincre à une hauteur espérée et une bonne fin à son histoire.
 

« Je ne possède rien, mais de temps à autre je m’arrête de pleurer. Demain arrive, donc pour le jour à venir, je pense que je suis heureuse d’être en vie… »
 

Comme il n’écoutait pas vraiment, je remis le morceau à son début. Et les notes de la boîte à musique reprirent comme si jamais rien n’avait eu lieu. Je m’allongeai sur le lit, regardant son visage concentré, à peine illuminé par la lampe de son bureau. Et alors que les dernières paroles résonnaient dans ma tête et que mon cœur cessait de me faire mal, je priai pour qu’il puisse m’aimer jusqu’à la fin des temps. Pour que, plus jamais dans ma vie, je ne me retrouve seul.

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Ewen
Posté le 12/06/2021
Salut Pouiny, de retour dans les coms de tes musiques Capsules ;)

"effleurant mon avant-bras d’un geste régulier rappelant les vagues de la mer qui frôle le sable fin avec tendresse, avant de repartir dans un mouvement sans fin."
--> tu as décrit à la perfection le sentiment d'apaisement que ce geste peut procurer, bravo et profond respect!

Les paroles de la chanson de Scop & Hatsune Miku font écho à beaucoup de choses chez moi aussi ; je pense en fait que toute personne ayant été sujette à des angoisses - peu importe la raison - peuvent s'y reconnaître (mon correcteur automatique voulait mettre "pleuvent" au lieu de "peuvent"... c'est de circonstance tiens)

Je me suis souvenu, en visionnant le clip, d'un coup où une copine - qui était plutôt mal dans sa peau à l'époque - avait voulu me partager un morceau de vocaloid qui l'avait bcp touchée. Je n'ai pas regardé la vidéo plus de 20 secondes, et lui ai répondu que ce n'était pas du tout mon style (entendre, à l'époque : "je trouve ça grave chelou voire gênant")...
On est donc passés par un autre médium que la musique pour discuter de ce qui n'allait pas.
Là où je veux en venir, c'est qu'en te lisant, des années plus tard, j'arrive à beaucoup mieux me mettre à la place de cette amie (et d'autres, d'ailleurs), même si ces musiques-là ne me plaisent pas davantage à l'écoute. Les textes et sujets abordés dans certaines chansons méritent clairement attention, et je comprends qu'ils puissent aider des tas de gens au quotidien. On entre là dans l'essence de la musique, s'il faut lui trouver "un but".
Pouiny
Posté le 12/06/2021
Merci beaucoup ^^ Après, je comprends parfaitement ceux qui n'accrochent pas à l'esthétique d'une musique ^^ mais je trouve vraiment le vocaloid très riche, que ce soit en terme de texte qu'en terme de musique et d'expérimentation ! ^^
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