Extrait du cours élémentaire standardisé : Chuoo, capitale fédérale
La Fédération est située dans une zone de l'espace à forte concentration d'astres habitables. Son centre névralgique, le satellite Chuoo, orbite autour d'une planète inhospitalière placée au croisement des routes commerciales principales de la Fédération. Les trente-trois planètes membres y envoient des représentants qui siègent au Sénat et votent pour l'élection d'un président de la Fédération, en poste pour six années standard.
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Chuoo était connu comme un haut lieu d'intrigues. N'abritait-il pas le sénat fédéral, ainsi que les ambassades de toutes les planètes ? Paradoxalement, cette propension aux conspirations et tractations secrètes en faisait l'endroit idéal pour des rencontres discrètes. Dans des temps anciens, des architectes y avaient déployé leur talent pour construire des maisons ou appartements truffés de pièces invisibles, d'escaliers dissimulés, d'entrées déportées.
Naelmo avait d'ailleurs lu qu'un passage dérobé avait sauvé Kaelán, petit garçon, lui permettant d'échapper aux hommes venus arrêter son père, membre du Sénat fédéral, lors d'un coup d'État. Rien de surprenant à ce que lui-même, homme à la vie publique intense, possède sur Chuoo l'une de ces ingénieuses demeures qui échappent à toute tentative de localisation.
Naelmo se dirigeait vers celle-ci, aux côtés d'une Talie affublée d'une perruque aux longs cheveux noirs et grimée en hôtesse de vaisseau commercial, uniforme gris chatoyant à l'appui. L'adolescente, elle, portait un badge indiquant qu'elle voyageait sur le Marsilfon, un appareil effectuant la navette entre Belquar et Chuoo.
À toute question, elle aurait répondu qu'elle venait rejoindre ses parents sur Chuoo. Cependant, elle n'eut pas à tester ses talents de comédienne : étant donnée la mine peu affable de Talie, personne ne leur demanda rien, ni sur les docks spatiaux ni dans les rues animées de Chuoo. Cela tombait bien, parce que l'air apeuré de Naelmo seyait mal à sa qualité de résidente de Chuoo. Le tumulte des esprits l'assourdissait après ces quelques semaines dans le silence de Kamojo.
- Talie, je ne vais jamais y arriver, il y a trop de monde, ici.
Elle parvenait à peine à parler, tant elle suffoquait d'angoisse. La panique montait, son territoire intime était envahi par des pensées étrangères parfaitement inintéressantes.
-... Pouah, trop de sucre dans ce pohi.
-... fera moins la fière, celle-là, quand elle aura mon âge.
-... Rentrer. Encore deux parties pour accéder au niveau neuf, Vic sera bien jalouse...
Talie fronça les sourcils en entendant sa voix entrecoupée de sanglots. Elle considéra l'adolescente agrippée à son bras avec sa moue excédée coutumière avant de rétablir la bulle de silence autour d'elle.
- Lâche-moi, enfin ! On n'est pas censées être intimes. Et arrête de pleurnicher comme un bébé, on a l'air de quoi, là ? Ce petit air hautain qui te caractérise, c'est maintenant qu'il faut l'afficher sur ton minois !
Naelmo baissa la tête en balayant du regard les gens autour d'eux. Personne ne les examinait particulièrement. Tous paraissaient absorbés dans leurs propres affaires, pressés, indifférents. Elle abandonna à regret le bras de Talie qui repartit aussitôt, avec sur le visage la même arrogance que les habitants de la capitale. Elle se hâta de la rattraper.
- Merci, Talie.
Une fois bien à l'abri dans le cocon tissé par sa protectrice, elle se détendit et marcha le nez levé, essayant de s'orienter dans ce décor où le haut et le bas semblaient avoir perdu leur signification. Dans cet espace largement ouvert, on discernait bien la courbure du satellite creux ; les immeubles élancés paraissaient pencher la tête l'un vers l'autre pour s'échanger des secrets entre voisins.
Au bout d'un moment, elle fut prise de tournis et préféra regarder droit devant elle, à hauteur des passants qui arpentaient les rues en grand nombre. Elle oublia vite son inconfort en les détaillant : ils étaient habillés selon des modes très différentes et montraient une extrême variété de types physiques. Les plus trapus provenaient de planètes à forte gravité. Ceux-là marchaient de manière un peu précautionneuse, comme s'ils craignaient de s'envoler dans le satellite à la pesanteur artificielle un peu inférieure au standard. Beaucoup d'autres se trahissaient par leur teint blanchâtre, qui les marquait du statut de résidents, habitués à vivre en permanence sous les néons. Quant aux vêtements, ils étaient à l'avenant, des pardessus irisés dernière mode sur Chuoo aux vestes de fourrure exotique, en passant par tous les voilages et froufrous imaginables, probablement à la mode quelque part dans la Fédération. La température était stabilisée aux alentours de vingt-cinq degrés dans la journée, vingt la nuit. Cela donnait lieu à un mélange délirant de tenues légères découvrant davantage de peau qu'elles n'en cachaient, d'habits formels des employés des ambassades et d'uniformes de divers corps de métier comme celui emprunté par Talie.
Celle-ci se déplaçait comme si elle possédait l'endroit, avec assurance et morgue, n'hésitant pas à bousculer ceux qui se mettaient en travers de son chemin. Ils tournaient des visages outrés vers elle, mais pas un n'osa ouvrir la bouche. Naelmo aurait bien aimé acquérir elle aussi cette capacité à inspirer aux inconnus le respect, voire l'inquiétude.
La promenade parut trop courte, les menant en quelques rues vite enfilées devant une entrée d'immeuble anodine, dans le secteur central du satellite. Là, elles empruntèrent un couloir sombre, puis un ascenseur. Un ascenseur ? Un code, tapé par Talie, déclencha un mécanisme qui guida leur engin. Haut, bas, droite, gauche ? Une combinaison de tout cela? Quand la cabine s'arrêta, après l'avoir bringuebalée de gauche et de droite, Naelmo aurait été bien en peine de le dire. L'ouverture dévoila un palier. Juste devant elles, une porte, qui s'effaça à leur arrivée.
Kaelán se tenait devant elles, les bras grands ouverts.
- Bienvenue au centre de l'univers. Vous savez que c'est avec cette formule que les humbles habitants de Chuoo accueillent leurs visiteurs ?
Talie sourit avec dérision, mais Naelmo, encore impressionnée par ce qu'elle venait de contempler, pensa que cet endroit, même s'il manquait de modestie, méritait au moins le qualificatif d'extraordinaire.
La joie de revoir son père balaya en un instant les inquiétudes et la tristesse de Naelmo. Peut-être qu'il n'avait pas aimé sa mère, mais rien ne disait qu'il ne pourrait pas l'aimer, elle ; il ne lui témoignait pas, comme Talie, une sorte d'aversion moqueuse permanente. Il ne dégageait qu'une neutralité avenante, à son habitude.
- Merci, Talie, de m'avoir amené Naelmo, commença-t-il en embrassant la grande sur les deux joues.
- Salut, répliqua-t-elle avec désinvolture.
- Bonsoir, Naelmo, continua-t-il en se penchant vers elle.
Elle dut se hisser sur la pointe des pieds pour se laisser embrasser. Kaelán n'était pas petit, il dépassait le mètre quatre-vingt. Elle se demanda furtivement quelle taille mesurait sa mère et quelle taille elle atteindrait, elle, quand elle aurait fini de s'allonger. C'était si frustrant de ne rien savoir d'elle.
Il les mena dans le salon. D'immenses panneaux transparents y mettaient en scène le paysage de Chuoo. La nuit artificielle était tombée. La vue nocturne donnait encore plus le vertige : partout, les lumières des bureaux ou habitations et des éclairages de rues. En bas, et aussi en haut. Pas de ciel sur Chuoo, mais des immeubles au-dessus de leur tête comme à leurs pieds. Naelmo avait lu que Chuoo avait la forme d'un gigantesque cylindre dont l'espace central était évidé : la ville et ses constructions longilignes l'occupaient. Elle n'avait pas pris conscience alors qu'en guise de ciel, on contemplait les toits des bâtiments situés de l'autre côté. La sensation était... déplaisante. On pouvait presque se figurer voir les gens qui marchaient au pied des immeubles du haut, fourmis pendues la tête en bas. Une peur atavique d'être happée, de tomber cul par-dessus tête vers le non-haut non-bas crispa les mains de Naelmo sur le dossier du canapé derrière lequel elle s'était réfugiée.
La vitre s'opacifia tout à coup et prit une teinte opaline, les enveloppant dans un cocon luminescent satiné. Naelmo souffla avec soulagement, tandis que Kaelán lui posait une main apaisante sur l'épaule.
- Cela fait le même effet à tout le monde ; ne t'inquiète pas, cela va passer.
- C'est beau, mais si étrange, murmura-t-elle avec regret.
- Ah, tu t'y habitueras. Moi, j'ai toujours trouvé que cela ne valait pas un vrai ciel. Comme tu le découvriras demain matin, l'appartement est situé au-dessus d'un grand jardin, la perspective vers le bas est beaucoup plus reposante.
Après quelques rafraîchissements, Kaelán entra sans tarder dans le vif du sujet.
- Je suis impressionné, Naelmo. Je ne sais si je dois blâmer ou louer Talie pour avoir réussi à te faire apprendre toutes les bases dont tu auras besoin en juste trois semaines. C'est son caractère, quand je lui dis quatre, elle comprend trois.
Naelmo vit Talie se rengorger. Pour quelqu'un qui se prétendait indépendant et mature, cela avait de quoi amuser. D'un autre côté, recevoir des compliments de Kaelán, même teintés de sarcasme, pouvait rendre vaniteux n'importe qui.
- Je te remercie, Talie, intervint-elle.
En cet instant, Naelmo était sincère. La grande lui en avait fait voir, cependant elle prenait conscience qu'elle lui devait beaucoup, en particulier sa présence sur Chuoo ce soir.
Talie retrouva sa dérision habituelle et répliqua de sa manière inimitable :
- Bon alors, puisque tout le monde est content, je te laisse le baby-sitting, mon très cher père, et je vais m'éclater en ville. Trois mesures de lait bien chaud pour le biberon, tu n'oublies pas le rot après.
Elle s'était déjà détournée et sortit en les saluant d'un ample geste théâtral. La porte claqua derrière elle.
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Dès le départ de Talie, une sorte de malaise s'insinua entre Kaelán et sa fille. Les questions de Naelmo lui restaient au fond de la gorge, elle ne parvenait pas à leur faire franchir le seuil de ses lèvres. En face d'elle, Kaelán paraissait avoir des choses à lui communiquer, mais il se contentait de la fixer pensivement.
Elle s'enfonça dans un fauteuil et s'absorba dans la contemplation d'une photo au mur, en mordillant l'ongle de son pouce. Un paysage de montagnes sous la pluie : de grandes falaises luisantes d'eau se découvraient au travers d'écharpes de brume. Seul au milieu de la paroi, un arbre rabougri et noueux s'accrochait à la vie en défiant la gravité.
Il suivit son regard :
- C'est un endroit que j'ai visité et que j'aime beaucoup. Il est possible aussi de le concevoir comme un paysage symbolique.
Dieu qu'il était difficile à saisir parfois ! L'adolescente scruta la photo, les yeux grands ouverts, jusqu'à ce qu'ils en pleurent. Cela ne lui donna pas l'illumination pour autant.
Enfin, il se décida :
- Ce qu'il te reste à apprendre, Naelmo, met en jeu des notions morales dont tu n'as pas eu à te préoccuper jusqu'ici. Quand on fait bouger des cailloux ou qu'on s'amuse à imiter les oiseaux en plein ciel, on ne se demande pas si c'est bien ou mal. En revanche, dès qu'on commence à écouter les pensées des autres, à s'immiscer dans leur intimité, qu'on l'ait fait exprès ou pas, on est obligé d'intégrer ce genre de considérations.
Naelmo acquiesça, tout ouïe, impatiente d'entendre ses conseils sur ces questions qui la perturbaient depuis des semaines, presque des mois maintenant :
- Tu as réfléchi, je n'en doute pas, aux enseignements de Théola sur le sujet. Je suis sûr qu'elle a posé des limites et indiqué ce qui était admissible et ce qui ne l'était pas. Comme je perçois aussi, à humer ce parfum de culpabilité qui embaume l'air autour de toi, que tu as tenté tes propres expériences et franchi ces limites à plusieurs reprises.
Il avait terminé avec un sourire indulgent, alors que Naelmo s'était sentie si mal que ses oreilles s'étaient mises à bourdonner. Qu'avait-il deviné ou lu en elle ?
Il haussa les épaules :
- Bah ! On l'a tous fait, parce qu'il faut bien tester ; parce qu'à l'adolescence, les pouvoirs se renforcent et changent. Tout devient si confus.
Naelmo se tortilla dans son fauteuil, avec l'impression d'être assise sur un nid de fourmis d'Hevéla, de celles que le nenem lui ramenait dans sa fourrure et dont la morsure provoquait des démangeaisons intenses.
- Pour ce qui est de ce voyage avec Talie, je te donne carte blanche pour tenter tes expériences. À deux conditions : d'abord, tu ne dois faire de mal à personne, ni inciter une personne à faire quelque chose qu'elle pourrait regretter. Ensuite, je veux que tu ne me caches rien, qu'on parle ensemble de tout ce que tu auras découvert et de ce que tu en auras pensé.
Naelmo avala sa salive, surprise. Carte blanche ?
- Peut-être que je n'ai pas envie d'avoir carte blanche, s'insurgea-t-elle. Et s'il y a des choses que je regrette après ?
- L'une d'entre elles peut te sauver la vie un jour. Le monde n'est pas un endroit amical pour les télépathes, Naelmo. Ceux qui pratiquent les arts martiaux le savent : pour se défendre, il faut apprendre à attaquer. Pour ne pas se faire tuer, on doit être capable de tuer et s'y être entraîné.
Les sous-entendus derrière ses paroles glacèrent Naelmo.
- Toi, tu as déjà tué quelqu'un avec ton esprit ? osa-t-elle demander.
Il ne sauta pas au plafond et ne la regarda pas comme si elle dépassait les bornes. Il répondit simplement, le visage grave :
- Non. Mais il y a eu d'autres... choses dont je ne me sens pas particulièrement fier. Certaines personnes me haïraient pour cela, si elles en avaient conscience. Je sais pourquoi je l'ai fait ; ce n'était jamais pour défendre mes intérêts, mais pour des choses bien plus importantes.
Naelmo n'osa pas demander de quoi il retournait. Peut-être n'en avait-elle pas si envie que cela. Trop d'émotions, trop de fatigue ce soir... Elle se frotta les yeux, déjà embués de sommeil. Kaelán dut le sentir, car il ajouta :
- On en reparlera. Je vais te montrer ta chambre. Demain matin, pas de réveil ni de course sur la grève. Repos.
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Son père n'évoqua rien de tout cela, ni le lendemain ni le jour suivant. Naelmo vécut deux jours d'insouciance à explorer Chuoo avec Talie, qui jouait les guides de bonne grâce, étant donné que le parcours choisi passait par tous les endroits où elle souhaitait traîner.
Talie s'intéressait à tous les arts martiaux et connaissait apparemment tout sur eux ici : les lieux d'entraînement où elles allaient discrètement observer des duels, ainsi que les boutiques vendant du matériel de plusieurs planètes. Sans oublier les places publiques où des artistes, véritables danseurs-acrobates, exécutaient à plusieurs des combats chorégraphiés déchaînant l'enthousiasme de la foule.
Seule la nécessité de se dissimuler agaçait Talie. Elle aurait aimé engager les hostilités avec quelques-uns des champions qu'elle avait repérés. Aucun de ceux-ci n'était laid ni âgé de plus de vingt-cinq ans... curieusement.
Elles retrouvèrent Kaelán le second soir, pour un dîner animé, où les deux adultes monopolisèrent largement la conversation. Talie exposa ses projets de périple, centrés sur la perspective de découvrir des formes d'art martial inconnues et de livrer de beaux combats. Kaelán commenta le choix de telle ou telle planète et revit le séquencement pour qu'il convienne à l'apprentissage de Naelmo.
Entendre les descriptions des endroits inscrits dans la liste mettait l'eau à la bouche de celle-ci. Elle comprit que c'était la première fois que Talie prévoyait de s'éloigner de son père aussi longtemps ; pour elle, ce serait également une nouveauté.
Après le repas, Talie s'éclipsa de nouveau. Naelmo resta seule avec Kaelán, qui lui montra quelques exercices pour isoler son esprit. À bonne distance de la foule, comme maintenant, se retrancher en soi-même devenait aisé. Selon lui, elle devait considérer son sens télépathique comme des yeux ouverts sur une autre réalité. Il lui fallait apprendre à fermer ses paupières imaginaires pour les protéger de la surexposition. Et à les rouvrir à volonté.
Avec de la pratique, se dit-elle, cela ne paraissait pas si impossible.
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Le matin du départ arriva vite, après deux jours bien remplis sur Chuoo. À demi réveillée, Naelmo partageait avec Talie de délicieux gâteaux empilés sur la table du petit déjeuner. Spécialités de Chuoo. Sa main chargée n'atteignit pas sa bouche, stoppée en plein mouvement par une question soudaine :
- On va où en premier ?
Kaelán et Talie avaient discuté si longtemps, la veille, que Naelmo était partie se coucher avant qu'ils tranchent sur leur destination initiale.
- On prend nos quartiers sur Relwann, hors Fédération, jeta négligemment Talie.
- Eh ! Ce n'est pas là où se trouve ce merveilleux tatoueur ?
Talie ne releva pas la moquerie et acquiesça d'un hochement de tête. Elle haussa les épaules avant de poursuivre :
- C'est un endroit tranquille pour les télépathes. On n'a pas l'intention de se faire remarquer, alors vu ton inexpérience, un lieu bourré de détecteurs est à éviter.
En contact avec ses voisines fédérales, Relwann servait de plaque tournante à quantités de trafics plus ou moins légaux. Les formalités y étaient très réduites et la discrétion de mise.
Tout en narrant les particularités de leur destination avec enthousiasme, Talie souriait à Naelmo. Elle allait peut-être se détendre, si elle s'amusait...
Elles iraient avec un Yotto, prêté par Kaelán, un de ces appareils de la flotte fédérale transformés en puce hyperspatiale. Cette reconversion d'un petit chasseur, modèle fabriqué à des milliers d'exemplaires, était une idée ingénieuse de plus à porter au crédit de Kaelán. Ce moucheron de l'espace était devenu un moyen commode de transport pour des officiels des gouvernements, de l'armée fédérale ou de la Fondation Eckarn qui gérait le programme hyperespace. Il emportait un pilote et deux passagers, à condition de ne pas s'encombrer de trop de bagages.
La facilité de la décision et de l'exécution laissa Naelmo rêveuse : quel touriste, même fortuné, voyageait avec leur aisance, sautant d'une planète à l'autre ? Seuls quelques rares privilégiés pouvaient utiliser un vaisseau hyperspatial pour leur usage personnel.
En amenant ses affaires dans l'entrée de l'appartement, un peu plus tard, Naelmo fut surprise par la quantité de sacs déjà amassés là. Talie n'avait-elle pas dit que leur petit engin était limité en volume aussi bien qu'en poids ?
Elle-même était peu chargée, elle ne possédait pas grand-chose de toute façon, malgré quelques achats effectués sur Chuoo à son intention par une Talie survoltée. En lui offrant des tenues colorées et excentriques, celle-ci avait oublié qu'elle avait autrefois critiqué la dégaine « à la mode » de l'adolescente. Les séances d'essayage avaient été l'occasion de fous rires partagés : sa grande sœur se révélait de bonne compagnie lorsqu'elle s'abstenait d'endosser son rôle de prof acariâtre.
Talie, elle, n'était pas tant encombrée de vêtements que de sacs remplis d'équipement pour ses combats, en nombre encore plus important qu'à leur arrivée, étant donné sa razzia dans les magasins de Chuoo.
- Tu déménages ? ironisa Naelmo. Je serais curieuse de savoir ce que Kaelán aurait pensé de tout ton attirail, lui qui est parti sans rien.
Il les avait quittées dans la nuit, pour une nouvelle planète, de nouveaux rendez-vous...
- Il triche, il a tout à bord du Matka III.
Elle mit dans les mains de Naelmo la poignée d'un petit chariot antigrav, surchargé par ses affaires :
- Tiens, pousse ça et boucle-la.
- Comment tu vas faire entrer tout ça dans le vaisseau ? Je pensais qu'il y avait juste la place pour nous deux, avec le pilote.
- Quel pilote ? bougonna Talie en recomptant ses sacs.
Elle releva la tête en balançant un grand sourire à Naelmo.
- Qu'est-ce que tu crois, mon vermisseau adoré, je n'ai besoin de personne pour piloter ce moustique de l'espace.