De la différence entre les rituels nuptiaux de Tambarrès et de Dijon

La soirée est sympa sans plus. Je ne connais pas grand monde, ce qui fait que je me tiens collé à Antonin, et surtout, je bois ! Au bout de quelques heures, le mollusque que je suis se détache peu à peu du Langlade magnifique pour se fossiliser sur la Sphinge superbe. Entre deux éclairs de lucidité, je m’horrifie à l’idée d’être cette espèce de fardeau mondain, impossible ni à disperser ni à refourguer. Bourré et asocial, le tue-l’amour suprême. Mais ma Sphinge est bienveillante. D’ailleurs, je ne l’avais pas remarqué, ma main est dans la sienne ! Elle m’emmène d’une pièce à l’autre. Moi, je la suis. Que faire d’autre en terre étrangère ? Ce n’est pas que les Tambarrésiens soient hostiles – physiquement, moralement, je tiens à le dire, rien ne les distingue des autres français – mais bon, je reste un inconnu en incruste et sans camouflage. 

A la fin de la soirée, par je ne sais quel miracle, je me retrouve seul dans la chambre d’ami avec Sphinge. Elle s’est glissée sous la couverture. Elle tient un verre dans sa jolie main. Ses doigts et son poignet l’entourent dans un mouvement de plante grimpante. Je m’approche d’elle. « Tu veux t’allonger ? » me demande-t-elle joliment. Je m’asseois sur le rebord du lit en signe d’acquiescement. C’est tout ce que je peux faire. Les zygomatiques sont inondés. J’enlève mon pantalon – je n’ai à ce jour trouvé aucun moyen proprement sensuel d’enlever mon pantalon ; un jour peut-être la R&D portera-elle ses fruits ? Espérons…Mais pour l'heure, mes lèvres sont contre les siennes. Ma main glisse sur sa peau. Je pense que Baudelaire parle de médailles de bronze pour parler des seins. Croyez-moi, si Baudelaire avait bien voulu écrire cette nouvelle, je lui aurais volontiers laissé la plume, pour le plus grand bonheur de tous ! Sphinge m’interrompt. « Excuse-moi Mathias.

- Quoi ?

- Tu ne dois pas connaître, comme tu n’es pas de Tambarrès.

- Non en effet.

- Ça va te sembler bizarre, mais c’est vraiment quelque chose d’important ici, que les garçons, enfin les garçons bien, respectent.

- J’écoute.

- Bon, avant de coucher avec une fille, il faut demander l’autorisation à l’hôte de la maison. Si c’est une femme, tu n’as pas à la demander.

- Un peu patriarcal non ?

- Oui mais cela a son explication.

- L’hôte c’est le père de Moussa non ? Il n’est pas là.

- Dans ce cas-là, c’est au plus proche parent de donner son assentiment, à Moussa donc.

- D’accord.

- Ensuite, il faut que tu remplisses un verre d’eau et que tu fasses trois fois le tour du lit avec.

- Pour quoi faire ?

- Là aussi, question de coutume.

- Tu connais l’origine ? »

« Tu connais l’origine ». Nianiania…pff, depuis quand t’intéresses-tu à l’histoire Mathias ? Sphinge prend un instant dans mon esprit l’apparence de Laurent Deutsch. Ce ne fut qu’une impression fugace. Heureusement pour Laurent Deutsch, il n’eut pas à coucher avec moi ce soir-là.

- Oh, c’est de la superstition. On dit à Tambarrès qu’il existe des succubes qui rôdent autour des couches conjugales. Leur présenter de l’eau permet de les désaltérer, sinon quoi, assoiffées, elles boivent la semence des hommes, ce qui rend le couple infertile.

- Mais, je ne veux pas te faire de bébé…

- Non bien sûr, répond Sphinge dans un sourire, mais tout se passera mieux si tu suis nos coutumes.

- Ok.»

Dans les brumes de l’alcool je me lève, le sexe déçu. Que vaut cependant une déception quand l’avenir est si plein de promesses ! Je me fraye un passage parmi les invités. Je trouve Moussa dans sa cuisine. Il est assis sur le rebord de l’évier. De loin, on a l’impression que l’eau coule de ses fesses, sorte de triton versaillais qui nous aurait présenté son cul. « Je peux t’aider bro ?

- Oui, je voulais te demander l’autorisation de dormir avec Sphinge ».

Sans écouter sa réponse, je passe ma main derrière lui et remplis un verre d’eau. Je le renverse à mi-chemin, retourne à Moussa. « Bro, t’es dans le mal ? me demande-t-il.

- Non je gère ».

Le verre d’eau est bravement rempli pour la seconde fois. J’entre dans la chambre. Un gars est assis sur le rebord du lit. Non mais quel gros con ! Je le congédie d’une réplique bien sentie : « essaie d’abord d’aller chercher un verre d’eau, tu feras causette après beau gosse ». Il s’en va sans demander son reste. Mange ça, crétin. Eh oui, il faut savoir maîtriser les règles pour pouvoir jouer avec. C’est la base. Nous sommes de nouveau seuls dans la chambre. Sphinge a un beau sourire. Ses lèvres sont couleur sesterce neuf. Je tente de faire un premier tour du lit, mais celui-ci est contre le mur. Je fais donc trois allers-retours plus un pour compenser, la petite portion…les trois-quarts de lit que je n’ai pas parcourus…enfin je me comprends.

- Il faut faire quoi avec le verre d’eau ?

- A ton avis ?

- Je ne sais pas…si je le bois, c’est comme si je buvais mon sperme non ? Si j’ai bien compris.

Sphinge mange un bout de couverture pour ne pas rire. Je suis un peu navré qu’elle se moque d’une logique si bien huilée. Ensuite, elle ouvre ses bras. « Cette fois-ci tu peux me rejoindre ». Je me coule de nouveau contre elle. Pendant la nuit, je lui déclare que tout cette histoire de coutume tambarrésienne, c’est peut-être chiant, mais ça vaut le coup. « Mathias, c’était une blague ». Je tombe de haut.

- On est en France Mathias. C’est comme si je te parlais du rituel nuptial de Dijon, c’est aberrant. Tu as déjà entendu parler du rituel nuptial de Dijon ?

- Non.

- Pourtant, il est fameux.

- C’est vrai ?

- Dormons, tu es trop saoul.»

Sphinge me prend pour un débile. Mais est-ce bien de ma faute si je suis si naïf ? Cette ville me semble aussi irréelle que Narnia. Imagine-t-on que l’on fait tout comme chez les moldus à Narnia ? Certainement pas. Je me promets de profiter de l’aube pour lui faire entendre la raison de ma crédulité.

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robruelle
Posté le 16/12/2023
Elle est marrante, sa blague à la sylphide. Enfin, j'imagine qu'il était motivé, le jeune. Heureusement que c'était pas "boire le verre tête en bas en faisant le poirier", on aurait frôlé l'accident de travail
J'hésite à demander à l'IA fameuse si il y a un tel rite nuptial à dijon. J'imagine qu'il est à base de moutarde.
Zadarinho
Posté le 17/12/2023
Ahah, les pauvres dijonnais
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