Déclamations

Après presque 48h de garde à vue, Arthur Zyka rayonnait. Ses yeux pétillaient - sans doute la hâte d'être à nouveau sous le feu des projecteurs de la salle d'interrogatoire - et son corps ne traduisait aucunement les nuits inconfortables qu'il venait de passer. Son entrée fut fracassante : 

- Rossini disait "Comme l'opéra serait merveilleux s'il n'y avait pas les chanteurs" et moi je dis "Comme la crimm' serait chaleureuse s'il n'y avait pas les flics". 

Il s'asseya en saluant Jo et Max de la tête, un sourire éblouissant sur ses lèvres.

- Ça commence bien ! Il me pète déjà le système avec ses citations à la con, confia Max à son collègue.

Tout en étouffant un rire, Jo commença l'interrogatoire en montrant une photocopie du mot retrouvé la veille : 

- On a trouvé ça dans tes affaires : "Fais-le ou je balance tout !!". Ça veut dire quoi ?

- Pas grand chose... Mais ce mot ne m'accuse pas, il m'innocente ! 

- Nous on pense l'inverse, continua Max. Pierre Lehias te file 500 balles pour que tu tues Elysa Lebon. Mais voyant que tu ne le fais pas, il te fait chanter. 

- Et je le tue aussi pour ne pas être accusé ? 

- C'est ça ! 

Arthur Zyka pencha sa tête de jouvenceau en arrière, un rire théâtral s'échappant de sa gorge déployée. 

- C'est n'importe quoi ! Et pourquoi Pierre m'aurait demandé ça à moi ? 

- Parce qu'il pensait t'acheter facilement avec de l'argent ? essaya Max

- Ou qu'il avait un bon moyen de te foutre la pression ? continua Jo. Qu'est-ce qu'il allait balancer ?

- Mon grand nombre de conquêtes ? La façon dont j'ai réussi à me faire un nom dans ce métier ? La taille de mon... succès ?

Des rayons d'arrogance ruisselaient de tout son être, inondant la petite salle d'un halo de mépris.

- Si c'est pas Pierre Lehias qui te l'a donné, c'est peut-être toi qui l'a écrit ? proposa Jo.

- Pourquoi ?

- Pour t'innocenter, comme tu l'as si bien dit ? renchérit Max.

- Et tu glisses ça dans tes affaires, bien en évidence pour qu'on le trouve.

-  Ça pourrait être pas mal comme scénario les gars, répliqua-t-il en grattant sa barbe aux reflets solaires. Mais ce n'est pas du tout mon écriture... Mes lettres sont bien plus... sauvages.

- Pour l'instant, tout est contre toi, le secoua Max. Va falloir nous donner un truc plus sérieux.

Arthur Zyka regarda Jo puis Max, l'un après l'autre. Il jouait avec eux et prenait un malin plaisir à faire durer le suspens. Il finit par avouer : 

- Ce mot n'a rien à voir avec les meurtres. Enfin peut-être mais pas vraiment.

Jo et Max lui lancèrent un regard impatient qui finit par décider le jeune metteur en scène à en dire plus : 

- Ce que je veux dire c'est que je l'ai reçu bien avant la mort d'Elysa et du photographe. Et ce n'était pas une commande de meurtre.

- C'est quoi alors ? Qui te l'a filé ?

La question, pourtant simple, sembla engendrer un noeud dans les réflexions du jeune homme, pour la première fois statique et silencieux depuis le début de l'interrogatoire. Arthur Zyka finit par capituler et accepta de raconter les faits à une condition :

- Ok les gars, je vous explique tout ça mais en vers !

- Oh putain ! Il nous fera chier jusqu'au bout lui, prononça Max en s'affalant dans sa chaise.

Athur Zyka ignora la réplique de Max, se racla la gorge et entonna son récit d'une voix chantante : 

- Un soir, par une personne je fus abordé

Embaucher deux femmes m'était recommandé

Ne prenant pas cette demande au sérieux

Je retournais à mes entrains merveilleux

La lettre était un rappel de mon dû

Je devais exécuter le serment

Sinon mon passé de tous serait su

Et ma carrière évanouie dans le vent

- Pas mal pour une impro ! Quel talent ! ironisa Max.

- La chance d'avoir du talent ne suffit pas, il faut encore le talent d'avoir la chance.*

- De la chance, tu vas en avoir besoin ! intervint Jo. Si je saisi bien, on t'a menacé de révéler des choses sur toi si tu n'embauchais pas deux femmes, c'est bien ça ?

- C'est exact !

- Pour faire quoi ?

- Pour réaliser des costumes. Ça tombait bien, je voulais moderniser ceux de Don Giovanni. Les anciens sont trop viellots et ne correspondent plus à l'endroit où je veux emmener les...

- Qui étaient ces femmes ? reprit Jo avant qu'Arthur Zyka n'entame un nouveau monologue.

- Elysa Lebon et son assistante, mes amis, répondit le metteur en scène sans s'offusquer de la coupure de parole qu'il venait de vivre.

- Quelle assistante ?

- Aucune idée.

- Tu allais embaucher quelqu'un que tu ne connaissais pas ?

- J'ai été menacé !

- Tu peux faire mieux...

Arthur Zyka posa ses deux mains à plat sur la table, fixa avec intensité les deux enquêteurs et murmura : 

- Un soir, quelqu'un m'a menacé de révéler certaines choses me concernant si je n'embauchais pas Elysa et son assistante. J'ai pas pris ça au sérieux, ça doit être pour ça que j'ai reçu ce mot quelques temps après.

- Qui te l'a donné ?

- Je ne sais point. Elle avait le visage masqué.

- Elle ?

- Oui, elle... Une voix grave et sensuelle. Si elle n'avait pas eu son couteau ce soir là...

Il leva ses yeux clairs vers le plafond, l'air rêveur. 

- Tu sais que c'est un peu mince comme indication ! le rappela Max à l'ordre.

Arthur Zyka cessa enfin de jouer et sembla prendre en considération cette énième menace d'être jugé coupable. Le Phébus d'un jour chercha son inspiration. Il se mit debout, porta le regard vers le mur derrière Jo et Max, leva la main droite sur le côté et déclama amoureusement : 

- Reine ou princesse échappée de la cité d'Ys

Mon nez frémissait sous son doux parfum de lys

*Hector Berlioz