* * *
Au volant de la vieille voiture grise, David ne put cette fois-ci se retenir de rire franchement. Après avoir essuyé un regard noir de la part de son passager, il toussa pour tenter de masquer son amusement. Mais l'autre n'était pas dupe. Et la situation amusait vraiment le conducteur, malgré tous ses efforts pour le dissimuler.
Il était contre la nature du passager crispé de ne pas rétorquer avec une réplique piquante bien sentie. Cependant, il ne pouvait cacher sa nervosité et se cramponnait à son siège – avec dignité et discrétion espérait-il – tout en gardant un air stoïque qu'il escomptait neutre. C'était plus fort que lui : les nombreux bruits pétaradants de la vieille Cadillac que David avait emprunté à un habitant de Storybrooke le stressaient et il était impossible pour le conducteur de ne pas le remarquer.
Compatissant, celui-ci essaya néanmoins de rassurer son compagnon de route :
- Tu vas t'y habituer. Tu verras. Les voitures, ça change la vie ! C'est sûr que ça diffère du Jolly Roger, des abordages, de la piraterie, tout ça.
- Il y a beaucoup de choses pour lesquelles j'ai abandonné la piraterie, murmura Killian Jones du bout des lèvres (les virages et les ressauts l'avaient rendu malade mais il ne l'aurait avoué pour rien au monde). Mais ces engins... je suis sûr qu'on est moins secoué en combattant un dragon.
- Pas beaucoup plus, crois-moi, dit David avant d'éclater de rire.
Le reste du trajet s'effectua dans un silence gêné qu'aucun des deux ne s'aventura à briser. Les deux hommes pensaient tous deux à la même personne, et à ce qu'ils désiraient dire à l'autre à son sujet, mais chacun d'une manière différente.
Killian se résolu à ouvrir le débat alors que la voiture dépassait le panneau portant le nom de leur destination : la ville d'Evertown. Mais tandis qu'il se tournait vers David, un sourcil levé et un grand sourire sur les lèvres tant il était soulagé d'être enfin arrivé, il remarqua que celui-ci avait un air fâché. David pinçait les lèvres avec une petite grimace qui ne laissait présager rien de bon. Cela suffit à faire s'envoler les timides bribes de courage que le capitaine pirate avait rassemblé. Le sujet était bien trop important. Alors il s'éclaircit la gorge et demanda, l'air de rien :
- Un problème, camarade ?
- Le nom de cette ville m'est familier... Mais pas dans le bon sens du terme. J'ai un mauvais pressentiment.
David se gara dans un petit parking désert, coincé entre deux grandes bâtisses ternes qui semblaient à l'abandon. Pourtant, la commune n'avait rien d'une ville fantôme : les habitants déambulaient dans les rues, s'apostrophant, discutant, menant leur vie tranquillement, les immeubles semblaient bien entretenus et le trafic routier était normal. Pourtant...
- C'est moi, ou il n'y a que des personnes âgées, ici ? s'exclama Killian, surpris par le nombre de vieillards qui l'entouraient.
À vrai dire, il semblait réellement n'y avoir aux alentours personne en dessous de soixante-quinze ans.
- Eh bien au moins, on aura aucun mal à repérer quelqu'un de jeune et qui n'est pas du coin, grommela David. Commençons par le commissariat, dit-il à son compagnon tout en désignant le bâtiment en face de la rue où ils s'étaient garés.
Une heure plus tard, ils sortirent de leur confrontation avec les policiers, bredouilles. David, inquiet, se précipita immédiatement vers la voiture pour en sortir une pile de prospectus à distribuer et à coller un peu partout dans la ville. C'était la seule piste qu'ils avaient, avec celle de New-York, et il s'y accrochait avec désespoir, fou d'inquiétude pour sa famille. Il était déterminé à ratisser ce bourg de long en large, le temps qu'il faudrait !
Mais Killian – bien qu'autant impliqué que lui dans cette recherche – tout en l'aidant ne put s'empêcher de lui faire part de ses dernières et étranges observations :
- Attends une minute. C'est très étrange. Tu as vu ? Au commissariat. Là encore, que des personnes âgées...
- Mais ça devient une obsession, Crochet ! Est-ce que ça vient de cette légende selon laquelle les pirates se débarrassent des matelots trop vieux pour ne pas être encombrés ?
Silence.
- Excuse-moi, soupira David. Ça fait trois jours... Je suis tellement inquiet. Il pourrait lui arriver n'importe quoi.
- Elle connaît bien New-York, répondit tout-de-go Killian. Elle est avec Mary-Margaret. Rien de mauvais ne peut se produire. Les sorcières, les failles temporelles, les conflits... c'est du passé tout ça désormais.
- Je parlais de Henry.
- Ah.
De nouveau, un ange passa. Killian se mordit les lèvres. Bien sûr, Henry. Ils étaient là pour Henry, l'ex-capitaine pirate ne l'avait pas oublié et il ferait tout son possible pour le retrouver ; mais il pensait à elle. Constamment. C'était juste plus fort que lui, il s'agissait encore et toujours d'elle, tout le temps, tout le temps il pensait à elle...
Killian chercha une pirouette spirituelle pour se rattraper, mais à la mention de sa fille et au ton soucieux que son comparse avait pris, David s'était radoucit. Il creva l'abcès qui les titillait depuis le début.
- Tu tiens vraiment à elle, n'est-ce pas ? Tout pirate que tu sois. Que tu fus, pardon. À moins que tu ne préfères que je t'appelle systématiquement « Prince Charles » maintenant ?
- Je préférerais éviter, répondit Killian. Mon aura d'ancien pirate (il insista bien sur le « ancien ») bourré de charme et d'intelligence a dû pas mal jouer en ma faveur. Je n'y peux rien, je suis irrésistible. Mais en collants, je perdrais toute ma crédibilité.
Le père de sa belle retint un rire amusé pour lui adresser un petit sourire en coin, un sourire qui disait « mouais, je t'ai quand même à l’œil ! ». Cependant, David avait pleinement conscience de tout ce que l'« ancien » pirate avait fait pour sa fille. Tout ce qu'il avait fait... pour tout son peuple, également. Il refusait peut-être le nom de prince, mais il en avait l'âme. Et il l'avait prouvé à maintes reprises. L’antipathie qu'il éprouvait autrefois à son égard était définitivement morte et enterrée.
- Vous avez ma bénédiction, déclara-t-il au bout d'un moment.
Devant le regard surpris mais empli de respect du nouvel amant de sa fille, il ajouta d'un ton penaud :
- J'ai l'impression que je dis ça avec plusieurs années de retard. Je m'excuse de ne pas t'avoir fait confiance avant.
- Pour moi, ça ne fait que trois jours. Ça reste dans les temps.
Les deux hommes ponctuèrent leur discussion d'un viril hochement de tête qui finit de clore le débat.
C'est alors qu'un petit homme, recourbé sur lui-même pas le poids du temps, s'approcha vivement d'eux :
- Bonjour messieurs, dit-il d'une voix tenue et chevrotante qui contrastait avec l'intensité de ses yeux marron délavés. Je suis le maire de cette ville. Puis-je vous aider ?
- Euh... oui, concéda David qui ne pouvait s'empêcher de se demander comment un être qui paraissait aussi fragile, aussi éprouvé par la vie, pouvait se déplacer aussi rapidement. Nous cherchons mon petit-fils, Henry, qui a fugué il y a trois jours (il lui tendit l'un des prospectus qu'ils affichaient). C'est lui sur ce portrait. Il nous a laissé une lettre... vraiment très étrange, dans laquelle il mentionnait avec insistance le nom de votre ville. Nous avons pensé qu'il pouvait se trouver ici.
- Votre... Votre Majesté ? Vous ne me reconnaissez donc pas ? demanda le petit vieux d'une voix implorante. (Le visage interloqué de David répondit pour lui). Je suis le roi Uther. Du royaume de Camelot. Nos deux pays sont alliés depuis des années...
- Le roi Uther... est à peine plus âgé que moi, affirma doucement David, ne sachant comment réagir face à la stupeur pétrifiante qui l'envahissait. (En réalité, cet homme ressemble réellement au roi ! D'une façon troublante et particulièrement... malsaine...). Et surtout il est dans un tout autre... monde... que... Excusez-moi, monsieur, je ne voulais pas dire ça. Je pense que vous faites erreur, vous vous trompez de toute évidence de personne.
- Nous avons été maudits, gémit le maire/roi, qui se mit à trembler, au bord des larmes. Nous avons appris pour la malédiction qui vous a frappé, et ensuite... (Il toussa grassement). Et ensuite est venu notre tour...
Il sortit un petit objet de sa poche qu'il montra à David. Celui-ci pâlit en reconnaissant la relique qui ne pouvait être détenue que par l'un des Pendragon. Le vieil homme disait donc vrai.
Bouleversé, il prit son ami à bout de souffle dans ses bras.
- Le Graal... Le Saint-Graal... C'est donc vrai. Roi Uther, que s'est-il passé ?
- La malédiction, pleurait maintenant le vieillard, à bout de force. La malédiction nous a rendu ainsi, faibles, et si fatigués. Et chaque jour, Il nous met à l'épreuve... Chaque jour, une énigme apparaît à chacun, une énigme ou un défi... Et ceux qui ne le relèvent pas...
Il se mit à frissonner et, prit d'une nouvelle quinte de toux, ne put terminer sa phrase.
- Qui vous a fait ça, Uther ? l'interrogea David, reprit du mauvais pressentiment fulgurant d'une magie noire en approche. QUI ?
Le roi n'eut pas le temps de lui répondre. La lumière – pourtant vive en cette belle après-midi ensoleillée – chuta tout à coup. Le monde se distordit et parut se replier sur lui-même, embrumé de souffrance et englué dans une essence de moite servitude qui contaminait et asservissait les esprits. Elle frôlait le libre-arbitre et torturait la volonté, et quand elle parvint au paroxysme de ce qui était humainement supportable, le rire de celui qui tirait les ficelles de cette macabre entrée en scène – un rire brut et crispant – résonna près d'eux, tout près d'eux, jusqu'à ce qu'il emplissent les oreilles et les pensées des trois hommes terrifiés...
Et puis tout redevint normal ; seule la terreur demeura. La terreur qui s'incarnait désormais en une silhouette verdâtre immense, dégingandée, dont on aurait dit que la chair partait en lambeaux. Mais ce n'était pas le cas. Le maître vaudou contrôlait tout, y compris son apparence : il avait beau ressembler à un zombie, la cruauté de son regard ne laissait aucun doute sur l'étendue de son intelligence morbide et vivace. Le roi Uther, le visage noyé de larmes, s'inclina douloureusement devant celui qu'il salua du bout des lèvres :
- Mes hommages, Mister Hyde.
Pas de chance pour le pauvre Killian, qui a le mal des transports :P
J’ai bien aimé cette idée d’une autre malédiction avec des personnages vieillis et affaiblis (un sort encore plus cruel que celui que réservait Régina aux habitants de Storybrook, selon moi ^^). Ainsi, le grand méchant est mister Hyde…Avec l’apparition de Frankenstein dans la série, cela ne m’étonnerait pas que le docteur Jekyll et son alter ego fassent aussi partie de cet univers (ce qui est bien avec once, c’est que n’importe quel scenario est possible ^^).
Je suppose que comme pour la Reine des neiges, il n’y aura pas de suite…Snif, je suis une lectrice frustrée qui, maintenant, se demande comment ils vont s’en sortir =( C’est horrible les fins ouvertes, ça laisse tellement de possibilités…
En tout cas, j’aime beaucoup ton écriture et je serai ravie de découvrir un nouveau défi !!! Vivement le prochain =)