Au même moment, à la réunion.
- Allo ? Yann ? Mais enfin ça fait quatre fois que je t'appelle, je laisse des messages et toi tu ne me rappelles même pas ! T'es chié quand même hein ! Je m'inquiète moi ! entame Marie de but en blanc sur un ton de reproche bien dans ses habitudes.
- Désolé ma belle, j'étais vraiment très occupé, ça va toi ?
- Heu... moi ? Oui, moi ça va. Mais et toi ? Tu tiens le coup ? Crystal m'a dit que ça se passe bien au bar ?
- Oui, oui tout va bien.
- Ha...
(Silence)
- Mais c'est tout ? Tu n'as pas de news de ta lettre au resto ? insiste-t-elle.
-Tu n'as rien à me raconter toi ?
- Moi ? Mais arrête de jouer au con !
- De quoi parles-tu ?
- Yann s'il te plait, si tu n'es pas bien, ou s'il se passe quelque chose, je peux comprendre ça, je suis ton amie, je me doute que te retrouver seul sans nouvelles, ça doit pas être terrible...
- Je vais bien haha ! Ne t'en fait pas, j'ai décidé de tirer un trais sur les quelques mois qui viennent de s'écouler, pouff à pu, ok ? J'arrête d'attendre pour rien, je passe à autre chose.
- Comme ça d'un coup ? Tu te fous de moi ? Et Gabriel, il s'est passé quelque chose ? Il a refusé de donner ton CV ? Il n'avait pas l'air très chaud...
- Bon écoute si nous allons tout les deux bien, j'en suis content, Gabriel c'est pas ton problème, c'est bien de moi que tu venais prendre des nouvelles non ? Alors pour moi c'est cool ok ? J'ai un bon job ici, tout se passe pour le mieux, je suis en pleine forme ! Par contre là je vais devoir te laisser, j'ai un après midi assez chargé. Je t'embrasse.
- Nan attend !
- Bisous, on s'rappelle ma biche !
- Yaaann !
*
- Crys toi qui le vois tout les jours, j'ai une question à te poser, comment le trouves-tu ? Je viens de l'avoir au téléphone, enfin et je sais ça va te sembler ridicule, parce que ses proches me disent qu'il a vraiment l'air bien ces derniers jours. Ils sont assez contents pour lui. Son cousin qui est aussi un ami m'a dit qu'enfin Yann prenait sa vie en main, qu'il semble en paix avec lui-même, tout ça. Le boulot avec toi à l'air de vraiment lui convenir. Mais enfin, il attendait bien de Gabriel qu'il fasse les démarches auprés du pote de Paolo non ? Il se passe quoi ? Ça n'est plus d'actualité ? Je trouve Yann bizarre, il s'est passé quelque chose ?
- Stop stop stop ! Déteeends-toi, allééé c'est normal que tu t'inquiètes pour lui voyons ! Raconte à tata Crys tout ce qui te passe par la tête, maiiiiiis caaaalmement ! Qu'est-ce qui te fait dire qu'il serait plusss bizzzarre que d'habitude ? Moi aussi je me pose des questions figures-toi.
- Je m'inquiète toujours pour lui, il a le don de se foutre dans des merdes noires. Tu le sais qu'il est assez sensible.
- C'est même un euphémisme ma douce. Mais à part l'absence de son Gabriel dans nos conversation ces derniers temps...
- Tu ne trouves pas que c'est déjà un élément suffisant pour comprendre qu'il va mal ?
- Ma chère au bout de cinq mois maintenant, il a dû se faire une raison voilà tout.
- Il semble que je sois parano alors. Est-ce que tu sais si Gabriel et lui sont encore en contacte ?
- Yann est très poli avec moi mais je suis son patron maintenant, normal qu'il y ait une certaine distance et qu'il ne me raconte plus tout.
- Vous êtes très amis déconne pas !
- Bha c'est pu trop le cas ma chère.
- Putain, là c'est vraiment pas normal, il t'adore.
- Il est toujours très gentil avec moi, ne t'inquiète pas, il y a juste une petite distance. Tu sais, il bosse pour moi maintenant.
- Oui... je vois et toi tu ne veux pas te mêler de sa vie.
- Ma chérie je ne sais même pas si j'aurais vraiment quelque chose à dire surtout !
- Non mais je comprends...
- Laisses-moi finir ! Je lui poserais la question si tu veux, l'air de rien. Quand à ton inquiétude, pour tout t'avouer, la première réflexion que je me suis faite en voyant Yann souriant et tranquille sans arrêt, c'est qu'il avait l'air transparent. Comment dire, comme s'il était en train de disparaitre tu vois ? Et cette impression est présente depuis un petit moment déjà. Je dirais presque trois semaines maintenant. Comme toi, je m'inquiète beaucoup pour lui. Yann n'est pas une personne sereine, souriante et tranquille, ça n'est simplement pas dans la nature de ce petit. Il joue un rôle là, j'en suis presque persuadé.
- Quand je l'appelle tout va bien, tout va toujours bien, il me pose même des questions sur comment moi je vais, un comble venant de lui ! Il n'a plus rien à raconter en dehors de banalités. Il me fait vraiment flipper. C'est exactement ça, je ne le reconnais plus.
- Et c'est pas seulement qu'il fait semblant, ce que j'ai cru au début. C'est pire que ça ma chérie. Il est devenu comme ça. Il côtoie beaucoup de gens dernièrement avec nous, il sort, il travail, il vit sa vie, il n'est pas enfermé seul dans sa chambre. Son comportement est le même avec tout le monde. C'est un robot bien programmé. Il fait ce qu'on attend de lui, il ne réfléchi plus.
- Un robot oui c'est ça !
- Il est probable que Yann est persuadé d'aller mieux.
- Quand je l'ai au téléphone, j'ai l'impression de l'avoir perdu. Si je ne l'appelle pas pour prendre de ses nouvelles, il ne m'appelle pas non plus, en fait il ne m'appelle plus du tout.
- Tu as tenté d'appeler son copain ? Ou ex copain, je sais plus trop moi maintenant !
*
- Je ne veux plus parler de Gabriel, encore une fois, je te le répète je suis passé à autre chose, râle Yann.
- Vraiment ?
- Crys, je vais bien, j'ai encaissé, maintenant faut que j'avance, j'ai perdu presque sept mois de ma vie, c'est bon, ça suffit.
- Mais il s'est passé quelque chose ?
- Gabriel a déposé un CV au restaurant et il... Il a été pris, déclare Yann sans changer de ton.
- Lequel de resto ? Celui indiqué par le patron de la bodega ?
- Celui-là même.
Yann a beau feindre l'indifférence, sa fausse assurance est en train de s'effriter, il s'occupe du rangement du bar fébrilement et évite le plus possible le regard de son ami inquiet.
- Je ne saisi pas bien, quand tu dis qu'il a été pris, tu parles de ton CV ?
- Non, lui, Gabriel a été pris, c'est SON CV qu'il a donné.
- Heu... alors là, je comprends plus rien moi.
- Bienvenu au club...
- Mais attend mon chou, il te cherche du travail depuis des mois pour que tu viennes le rejoindre et quand enfin tu as une piste, il te pique la place ? C'est quoi la logique du truc là ?
- Écoute j'ai plus envie de parler de ça. Il fait ce qu'il veut, désormais c'est plus mon problème.
- Tu es vraiment sérieux ? Mais tu... Tu t'es fâché avec lui alors ?
Crystal est étonné, toutes les fois où Yann et Gabriel se sont pris la tête, il a retrouvé Yann en larmes mais là, rien de tout ça. Yann se contente de hausser les épaules d'un air faussement dégagé.
- Non, je n'attends juste plus rien de lui.
- Mais il t'a donné une explication au moins ?
- Il dit qu'en France, enfin à Paris, on ne loue pas à une personne avec un seul salaire, ou alors il faut un garant. Que sa sœur n'accepte de l'être que s'il peut lui garantir de payer à ma place si jamais je devais ne plus m'acquitter du loyer. Enfin tu vois ? Donc il a décidé tout seul de ne pas reprendre ses études et de partir bosser, pour soit disant rassurer sa sœur.
- Je vois, et il ne pouvait pas se démerder pour trouver un truc pour lui tout seul ? Enfin c'est vrai que c'est pour t'aider mais quand même.
- C'est pas du tout ce que je voulais. Je ne lui ai rien demandé de tel.
- Il a sans doute cru bien faire. Tu t'es encore énervé après lui je suppose ?
- Tu as cru qu'il m'avait doublé hein ? Alors comment tu crois que je l'ai pris ?
- J'avoue que c'était tendancieux quand même. Tu as du hurler au téléphone non ? Je t'imagine bien.
- C'est la première chose à laquelle j'ai pensé figure-toi. Mais le pire c'est qu'avec ce que j'ai fait la dernière fois, j'ai rien osé dire. Je me suis juste mis à chialer bêtement comme un imbécile. Et lui il n'arrêtait pas de me dire qu'il allait arranger les choses, qu'il faisait vraiment pour le mieux. Finalement j'ai réalisé que tout ce cirque ne servait plus à rien. Je me rends à l'évidence, je prends de la distance sans faire de vague, c'est tout.
- ...
- Quoi ? Tu penses que cinq mois c'est pas assez ? Attendre... tu vois ça un peu, attendre encore ? La vie ici n'est pas si mal, y'a des tas de types plutôt mignons qui passent chez toi en plus.
- Des touristes comme lui, oui.
- De toutes façons je ne suis pas prêt à tenter de construire de nouveau quelque chose.
- ...
- J'en pouvais plus tu sais.
- Pourquoi est-ce que tu n'as pas pris contacte avec le patron directement ?
- Je l'ai fait...
*
À Paris.
Dans le bureau, le patron fait le point avec Helen sur les embauches du mois. Le cas de Gabriel est étudié très sérieusement, il s'avère qu'un problème de taille noircit le tableau de ce nouvel employé modèle.
- Il a une bonne mémoire, il plaît aux clients autant qu'aux clientes, il se démerde bien en terrasse, il flippait un peu en salle mais il s'en sort bien, répond Helen à son employeur qui s'interroge sur ce serveur fraichement arrivé là, il y a moins de quatre semaines.
- Tu crois qu'il est gay ?
La question l'étonne un peu vu la situation, de plus elle n'en sait strictement rien.
- Je ne sais pas.
- ...
- En tout cas se faire draguer par un gars, que ce soit très lourdement par le commis ou plus subtilement par le chef de partie, n'a pas l'air de lui poser plus de problème que ça. Il a su rester aimable et même faire preuve d'humour.
- Ouais, il est gay ! J'en mettrais ma main au feu, avec son histoire de lettre, là, en plus. Pourquoi est-ce que je me retrouve avec un si gros pourcentage d'employés homosexuel ?
- Le drapeau de l'entrée ?
- Je ne suis pas un club spécial, j'ai juste signé la charte.
- Ça vous dérange tant que ça ?
- Non, mais je ne voudrais pas que l'on me taxe de discrimination dans l'autre sens.
- Je ne suis pas lesbienne.
- Un employé sur dix c'est une bonne moyenne, tu crois ?
- ...
- Et sinon avec le reste de l'équipe ça se passe comment ? Je n'ai pas envie d'avoir du fricotage !
Helen sourit, son employeur est un peu bourru mais elle le connait suffisamment pour savoir que ce genre d'histoire n'a jamais donné cours à un renvoie d'aucune sorte. Au contraire, n'est-ce pas ici que l'année dernière deux serveuses on pu fêter leur pacs en profitant gracieusement de la salle principale du restaurant ?
- Comme je vous l'ai déjà dit, en cuisine Adrian lui fait les yeux doux, Denis le regarde de travers et Jason l'ignore. En salle Ils sont plus cool, Joris et Juan se relient pour l'aider à la mise en place. Lidia a pris deux heures sur son temps de pause mardi après midi pour lui montrer comment ça se passe à la caisse.
- Tien parlons d'Adrian, ça à l'air de rouler non ?
- Il est impec, son embauche c'était vraiment une grande idée, par contre votre neveu, c'est une catastrophe.
Le patron se laisse lourdement tombé dans son fauteuil la mine morne.
- Je sais. Si seulement j'y pouvais quelque chose. J'en ai encore pour quelques semaines.
- Votre bon cœur vous perdra.
- Ho la, il n'est pas du tout question de ça.
- Si vous le dites.
Elle réprime un sourire. Il réfléchit un instant avant de poursuivre la conversation.
- Dis à Gabriel de ne pas rentrer dans le laboratoire, si Denis est aussi tendu c'est sûrement qu'il a peur qu'on envahisse son espace. Tu sais comme il est spécial et j'ai vu le nouveau y roder plusieurs fois en plein service.
- C'est vrai que Gabriel a eu du mal à comprendre les règles de la cuisine, quand les plats n'arrivent pas assez vite, il débarque là dedans ! J'ai dû le rappeler à l'ordre plusieurs fois.
- Il a appris dans une petite structure, on ne fonctionne pas de la même manière, il faut juste qu'il s'y fasse. Et de ton côté, tu lui a montré l'inventaire de la cave ?
- J'ai pas encore pris le temps, désolé, il faut que je le fasse.
- En plus ça te déchargerait un peu.
- Oui je sais, promis cette semaine je le garde avec moi.
- Cette affaire m'embête, honnêtement il me plait bien ce petit.
- Vous ne m'avez pas expliqué d'ailleurs, quel est le problème ?
- Paolo aurait écrite cette recommandation pour cet autre jeune, avance-t-il en lui sortant un nouveau CV de son tiroir. Ça m'ennuie j'hésite à lui en parler.
- Un autre, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
- C'est assez confus, ce garçon qui vit à la réunion m'a envoyé cette simple lettre de motivation assez bien rédigée, accompagnée de son CV qui est d'ailleurs plutôt impressionnant, un BTS hôtelier et restauration avec des options supplémentaires en art culinaire et arts de la table et du service. Il n'a jamais fait mention de rien concernant une quelconque recommandation. Ce jeune homme a une expérience en cuisine de plusieurs mois dans un grand hôtel de Maurice en tant que chef de partie et entremétiers, des stages de première et deuxième année en cuisine au restaurant de l'aéroport à saint Anne, tu te rends compte ? Vois-ça, regarde.
- Hé bien....
- Il a ensuite travaillé à saint Denis comme serveur là, tu as vu le nombre d'étoiles ? Puis y est passé directement remplaçant maitre d'hôtel. Tout ça pour finir chez Paolo c'est assez...étrange.
- Vous pensez qu'il ment ?
- Ha mais non pas du tout, je me suis renseigné que crois-tu ? Non comptant tout est vrai mais en plus tous se souviennent agréablement de lui. Et cette lettre, affirme-t-il en lui faisant danser devant le nez le courrier sortant tout juste du dossier de Gabriel, aurait été rédigé de la part de Paolo pour lui. Ce Yann n'a rien dénoncé, c'est Paolo qui me l'a sortie sans savoir pour lequel des deux j'appelais.
- Gabriel aurait volé cette lettre ?
- Il semblerait. D'après Paolo ces deux là fricotaient ensemble et ce serait même pour rejoindre notre Gabriel que ce garçon aurait demandé la lettre de recommandation. Ce jeune gars a alterné toutes les casquettes chez lui et pour un salaire qui ne lui correspond certainement pas. Et ça n'est pas non plus ici qu'il pourra prétendre à plus, je ne cherche plus personne en cuisine moi. Alors pour postuler ici, il faut qu'il ait une bonne raison.
- Pourquoi Gabriel aurait-il fait une chose pareille ? Lui faire croire... Et tout ça pour du travail ?
Elle est étonnée, ce nouveau serveur lui semblait pourtant assez agréable même carrément charmant et bien élevé. Helen a du mal à l'imaginer draguer un gars uniquement pour le manipuler afin de se faire embaucher à sa place, mais après tout elle le connaît depuis à peine quatre semaines, qui sait. Il cache peut-être bien son jeu.
- Nous allons lui poser directement la question, nous y verrons plus clair.
- Et ci l'escroquerie se révèle être vraie ?
- Quoi qu'il arrive, il faut rendre a César ce qui est à César, je vais tacher de régler ça.
Et l'homme a tenu parole.