(Malade !)

 

Un peu plus tard dans la nuit.

 

Le téléphone a réveillé Hugo, Uzu n'a pas décroché, le nom de sa mère était affiché.

- À deux heures du mat' on n'appelle pas les gens ! C'est quoi cette idée ? Ma mère bosse de nuit, elle a dû oublier qu'il y'en a qui dorment !

Son cœur est encore battant d'avoir sauté en bas du lit, il a l'impression d'avoir du sable dans les yeux, la marque du drap est imprimée sur son visage où l'exaspération côtoie la surprise.

Gabriel, lui, commence à s'inquiéter après le deuxième coup de fil, alors qu'il observe indécis Uzu se contenter de tout simplement débrancher l'appareil.

- C'est quand même zarb', elle a pas laissé d'message ?

- Nan, tu vas pas lui donner raison quand même ? l'interroge-t-il quand celui-ci prend le combiné. Tu la rappelles ?

- Ta mère est une emmerdeuse mais bon, c'est p't'êt' grave.

Il abandonne la salle à manger à son petit ami pour rejoindre la chambre du bébé, pas envie de parler à sa mère, pas envie de savoir ce qu'elle lui veut. Le fait que Gabriel prenne sur lui de la rappeler le vexe un peu. Ces derniers temps sa relation avec elle s'améliorait mais visiblement elle ne sait pas rester à sa place. Il remonte la boite à musique du mobile au dessus du lit et s'installe dans le rocking-chair. Bien callé dans ses bras, Hugo se rendort. Bercer l'enfant dans la pénombre, profiter de ce balancement léger, écouter son souffle tranquille, le calme un peu. Avant que le téléphone ne sonne Uzu rêvait, il y a bien longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Il n'a plus eu de songes agréables depuis plusieurs mois.

- Elle vient me faire chier jusque dans mon sommeil c'est quand même fou ! réalise-t-il.

L'enfant a les joues roses, le cheveu fin et le corps tiède, les doigts de l'asiatique caresse les trois. Comme il est doux de s'oublier dans la contemplation de ce petit être fragile et pourtant si confiant. Qu'il aimerait parfois être à la place de Gabriel et le faire un peu sien au moins en pensée. Il n'avait jamais eu de pareilles idées avant. Être père c'était tellement loin de lui.

- Tu peux rêver, murmure-t-il, je te promets qu'elle ne nous réveillera pas de nouveau.

- Elle répond pas, l'tel sonne occupé ou j'tombe sur la boîte vocale, annonce Gabriel tout bas en passant la tête par la porte de la chambre.

- Laisse tomber, au pire un membre de ma famille à qui je ne parle pas est mort, au mieux elle aura trouvé une raison de me harceler même quand je dors. Hugo s'est rendormi, je vais me recoucher, tu ferais bien d'en faire autant, murmure-t-il.                                                                                                                                                                                                                       

- Il est p't'être arrivé un truc à ton père !

- Et après, c'est la nuit pour nous, il est au Japon, qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Il fera jour demain.

La réaction de Uzu étonne Gabriel mais il n'insiste pas, le sujet « famille » est sensible, il le sait. Inquiet, il va quand même vérifier les appels en absence sur le portable de son amant mis en silencieux, comme toutes les nuits.

Uzu recouvre doucement l'enfant, lui dépose un baisé sur le front, éteint la veilleuse et quitte la chambre à pas de velours pour découvrir avec agacement son copain assis au milieu du lit, l'oreille collé à son téléphone.

- Qu'est-ce que tu fous ?

- Ils t'on laissé une tonne de messages p'tain ! annonce Gabriel visiblement alerté.

- Sur mon téléphone ? Parce que là tu te serre du tien.

- Oui ch'uis pas con merci, chais r'connaître mon tel, j'viens d'écouter l'tien, j'rappelle ac' le mien !

- En quoi ça te concerne ?

- C'est moi qu'ils essaient de joindre bordel !

- Hein ? Ils, qui ça ils ? Mon père aussi ?

- Mais nan couillon ton ex, Liam.

- Quoi ?

- C't'abruti d'Yann est à l'hosto ! Soit-disant y z'avaient pas mon numéro d'mobil et l'tien est en silencieux ! Ta mère est la seule qui connaissait l'fixe, Liam lui a d'mander d'nous joindre.

Tout à coup la panique que Uzu lit dans les yeux de son copain est contagieuse. Que peut-il bien se passer pour que Yann ne soit pas capable de joindre lui-même directement Gabriel ?

*

Quatre heures que Liam patiente sous les néons blafards. Il est seul dans ce couloir d'hôpital. Il ne sait même pas, doit-il doit partir, rester, rappeler aux infirmières qu'il est toujours là ? Le distributeur automatique lui a déjà bouffé quatre euros, il s'est brûlé la langue avec un café sans sucre trop chaud. Ici personne ne lui dit ce qu'il se passe. Yann a été pris en charge immédiatement, du fait de sa perte de connaissance à l'arrivée. Deux internes sont venus à tour de rôle lui poser les mêmes questions sur les symptômes survenus cette semaine et sur le traitement pris, depuis plus rien. Infirmières et médecins pénètrent à présent avec des masques, dans la salle de consultation dont on lui interdit l'entrée.

Il a tenté de joindre Gabriel, mais impossible de trouver le LG de Yann, certainement oublié à l'appartement, du coup il n'a pas son numéro. Uzu ne répondant pas au téléphone, il s'est permis de déranger la mère de celui-ci, avec qui, il est toujours resté en contact. Malheureusement elle n'a visiblement pas eu plus de chance avec leur fixe. Liam aurait aimé prévenir les parents de Yann, Gabriel a sûrement leurs coordonnés.  

- Pourquoi personne ne répond ?

Cinq fois qu'il tente de joindre Marie ! Il désespère et angoisse. Il revoit encore son petit démon angélique pleurer de douleur dans la voiture pendant le trajet pour finalement s'évanouir dans le parking.

Les urgences, il refoule certains souvenirs personnels qui essaient de remonter à la surface.

- C'est pas le moment !

Mais cet endroit lui laisse toujours les mêmes impressions de malaise, de solitude et de désarroi. Il se lève pour sortir et ainsi tenter une nouvelle fois de joindre quelqu'un. À peine a-t-il remis en route son mobile qu'une série d'appels manqués s'affichent. Marie, un anonyme, un numéro de portable inconnu et finalement Uzu. Il n'a pas le temps d'écouter les messages ou de rappeler qui que ce soi que déjà l'anonyme s'affiche de nouveau.

- Liam ?

- Gabriel, enfin, souffle-t-il.

- P'tain qu'est-ce qui s'passe ? Il fout quoi encore c'con ? râle, plus inquiet que réellement mécontent, le goth en état d'alerte.

La réflexion crispe malgré tout Liam qui hésite un instant à répondre.

- Allo Liam ?

- Excuse-moi, j'avais besoin de renseignements. Les docteurs m'ont posé des questions personnelles sur son état de santé et je n'ai pas su leur répondre.

- Quoi comme questions ? Et qu'est-ce qui s'passe merde ?  Pourquoi z'êtes à l'hosto ? Son angine allait pas mieux ?

- Des informations personnelles sur un éventuel problème génétique, ils sont un peu dans le flou. En attendant les résultats d'examens, ils posent des questions générales. Je pense que c'est au cas où.

Il n'a pas terminé de répondre, qu'il se souvient de l'ignorance toute relative de Gabriel concernant la situation sexuelle ambigüe de son ex. 

- Un problème génétique ? Quel problème génétique ? Pourquoi ils lui d'mandent pas à lui ?

- Yann est inconscient ? réagit Uzu au côtés de Gabriel.

Avec un nouvel interlocuteur, la conversation menace de devenir compliquée, Liam tente de la recentrer.

- Il a perdu connaissance en arrivant, oui. J'ai juste besoin de pouvoir joindre ses parents au cas où.

- Gabriel te donnera le numéro par sms mais tu peux nous dire ce qu'il se passe ?

- Ouais y s'passe quoi bordel ?

- On aurait dû avoir les résultats de la prise de sang ce matin mais ils n'étaient pas prêts, le docteur voulait être certain qu'il ne s'agissait pas d'un virus. Du coup ici ils vont sûrement pas les attendre. Sans doute qu'ils vont lui en refaire une autre ainsi que des examens supplémentaires. Je n'en sais pas plus. Il s'est trouvé très mal hier soir après la répet', sa fièvre à beaucoup augmentée, il s'est couché dans un état second. Puis toute la journée ça s'est encore aggravé, il s'est plaint de migraines très douloureuses et d'aveuglement. Sa gorge avait tellement enflée qu'il n'arrivait même plus à avaler sa salive, ce soir j'ai un peu paniqué, j'ai préféré venir là.

- Tu as bien fait, le rassure Uzu.

- T'as dit qu'il s'était évanoui, insiste Gabriel que le comportement impersonnel et un peu secret de Liam, exaspère un peu.

- Oui, quand nous sommes arrivés aux urgences. Je n'en sais pas plus, ils l'ont emmené, je n'ai pas pu le revoir pour le moment.

*

La douleur s'atténue un peu, ils ont enfin compris qu'il fallait baisser la lumière.       

- S'il vous plait est-ce que je peux voir mon ami ? réclame Yann à une nouvelle infirmière pour la sixième fois.

- Votre ami ?

- La personne qui est arrivée avec moi.

- Je vais voir, ne vous levez pas, c'est interdit. Si vous avez besoin de quelque chose, il faut sonner.

- On m'a dit ça déjà.

Le voilà piqué, ponctionné, relié, couché, mine de rien son propre état le préoccupe. Ça n'est pas tant à cause des masques que porte le personnel qui s'occupe de lui à présent, que cette ponction lombaire imprévue. Il ne s'attendait pas à ça. Le souvenir de la décharge électrique reçu il y a quelques minutes dans le bas de son dos lui noue de nouveau l'estomac. Il a rarement eu aussi mal de sa vie. "Respirez un grand coup, nous avons endormi la zone vous ne sentirez rien. " Qu'ils lui ont assuré.

-Tu parles ! ressasse-t-il.

Il a une poche de glace sur la tête, une perfusion piquée dans son bras gauche, un gros pansement dans le milieu du dos et un thermomètre sous l'aisselle droite.

- Me voilà bien !

Sa tête est parcourue de lancinements, des paillettes dorées dansent devant ses yeux, il aimerait tenir une main consolatrice. Il se demande si Liam est resté, vu sa façon de se comporter la veille, rien n'est moins sûr. Quant en début de nuit d'avant, le blond est apparu dans sa chambre, averti de son état par Marie, Yann a eu envie de lui sauter au coup. Il l'aurait fait si sa condition physique le lui avait permis. Il a ensuite tenu le rôle d'infirmier, la nuit et la journée, jusqu'à ce que Yann finisse par ne plus avoir le choix et accepte enfin de se rendre aux urgences.

L'infirmière pénètre de nouveau, avec certainement l'intention de relever sa fièvre et prendre sa tension, un plateau médical à la main.

-S'il vous plait pour mon ami...

- Il va venir, on est allé le chercher.

- Merci, alors il n'était pas parti ?

- Non, ne vous inquiétez pas, je crois qu'il téléphonait à votre famille.

La phrase est tout juste terminée que Liam apparait dans l'encadrement de la porte. Yann se détend aussitôt, étrange comme ce visage amical, qui semble s'inquiéter pour lui, l'apaise. Une folle envie de ses bras rassurants l'envahie. Mais il n'en dira mot, préférant jouer la légèreté comme à son habitude.

- Vu ta tête, je ne dois pas être belle à voir, raille-t-il alors aussitôt, ajoutant à sa phrase un sourire de façade qui ne trompe personne.

Sa voix est feutrée, il a de la difficulté à parler à cause de sa gorge, la douleur se lit sur son  visage.

- Est-ce que ça va un peu mieux, tu sais ce que tu as ?

- On ne m'a rien dit. J'ai cru entendre parler de morphine, c'est sans doute pour ça que j'ai la tête dans le brouillard. On me drogue chéri !

- C'est pour la douleur, tu as très mal ?

- On m'a fait une ponction lombaire, la première de ma vie. Une horreur j'aurais aimé ne pas être seul.

- Quoi ? ! s'alarme Liam.

- J'en déduis qu'ils suspectent une méningite.

- Merde, on ne m'a pas prévenu, je serais resté avec toi. Ce qu'ils sont cons ! J'ignorais même que tu avais repris conscience.

Lorsque sa main vient prendre celle de Yann, une nouvelle décharge envahie l'androgyne, agréable celle-ci.

 - Si c'est contagieux ? Tu ne portes même pas de masque.

- S'il s'agit de la mononucléose, je l'ai déjà eu.

- Si c'est autre chose ?

- Yann si vraiment tu es contagieux, toi et moi avons passé l'après midi d'avant hier l'un contre l'autre. Puis on ne m'as rien dit.

 - Avant hier ?

- Il est presque trois heures du matin donc oui c'était avant hier à présent.

- Je suis désolé de mon comportement de l'autre soir, je ne sais pas ce qui m'a pris. Tu es tellement gentil.

- Oui, trop sans doute hein ? Je commence à avoir l'habitude va.

- Il ne faut pas.

- Je regrette de t'avoir frappé, se repend Liam dont le regard se pose instinctivement sur la joue de son colocataire.

- Si on reste ensemble je vais continuer à être méchante, je ne peux pas m'en empêcher. À présent nous nous sommes rapprochés et j'espérais que ça changerait mais c'est pire encore.

- Qu'essaies-tu de me dire ? Je suis certain que tu n'es pas foncièrement agressif. Il y a forcément des raisons. Ne me repousse pas.

- Te repousser ? Ha non ça n'est pas ce que je souhaite, même si j'en ai marre d'avoir le mauvais rôle. J'ai... j'ai besoin de toi, admet enfin Yann sans pouvoir le regarder dans les yeux.

- Alors quoi ?

- Je ne vois pas pourquoi je suis comme ça mais c'est le cas, tu m'énerves, et la plus part du temps, je ne sais même pas pour quelles raisons. J'avais juste dans l'idée de te prévenir.

- Hééé, encore une fois, je commence à te connaitre hein !

- J'ai peur...

*

Un peu plus d'an plus tôt.

Cela fera bientôt quatre semaines que Gabriel a commencé a travailler à "La Fourchette", son expérience à la Bodega lui a permis de réussir jusque là à blouser le patron avec la lettre de recommandation qui avait été faite à la base pour profiter à Yann. Bien sûr il n'a pas inventé son CV ou donné celui de Yann à la place, impossible de rivaliser avec le BTS de son petit ami, sans compter son expérience. Il a dû tronquer un peu la lettre en plus d'avoir remplacé le nom de Yann par le sien, il remercie d'ailleurs son beau frère pour l'avoir aidé à se servir de photoshop pour le faire. Pas facile comme logiciel même pour une simple  tricherie. En tout cas, il n'est pas mécontent, l'ambiance du lieu lui a plu de suite, le courant est même très bien passé avec sa collègue Helen, sommelière et chef de rang. Un caractère énergique, un professionnalisme qui rappelle celui de Yann, cette nana là l'impressionne. Pourtant tout en simplicité et en gentillesse. Elle n'hésite pas à lui donner de son temps, à lui réexpliquer les choses, à le mettre à l'aise, en bref, il compte une nouvelle fille sympa dans sa vie. Le patron qu'il nome déjà Charles fait figure de capitaine de ce navire, qui est bien loin de couler, l'endroit étant plein presque tous les soirs de la semaine. Cet ancien chef, plutôt compréhensif de ce qu'il en a vu et qui ne manque pas d'humour, semble moins souvent derrière les cuisinières que derrière son bureau l'oreille collé à son téléphone. Il est un homme occupé. La Fourchette est assez fortement différente d' El pueblo, de par sa taille déjà, alors qu'un ou deux cuistots se cognaient dans la petite cuisine du resto basque pour un nombre assez limité de couverts, c'est une brigade entière qui s'entrecroise, se mélange, se rencontre et se heurte chaque midi et chaque soir. Gabriel y prend à peine ses marques et il a encore du chemin à faire pour être vraiment à l'aise professionnellement parlant. Il n'y a que deux semaines et demie qu'il a avoué à son amant du bout du monde avoir osé lui prendre sa place. Étrangement Yann n'a que très peu objecté ce soir là, Gabriel se souvient encore de son silence. Il a bien cru l'entendre pleurer mais tout cela est devenu pour le goth tellement quotidien qu'il n'y fait même plus attention.

Il avait jusqu'alors l'impression que tout se déroulerait sans anicroche, cependant ce matin il a surpris des regards étranges de la part d'Helen et une question de son patron l'a quelque peu alerté.

- Tu connaissais bien Paolo ? Une telle lettre de lui pour n'y avoir travaillé que 1 mois et demi...

La phrase resté en suspend le perturbe.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez