Sally réfléchissait. Devait-elle se confier à son mari ? La seule figure qui lui avait laissé une empreinte durable à sa mémoire ?
Elle y renonça pour le moment. Elle voulait d’abord en savoir davantage avant de prononcer son verdict sur la fiabilité de M. Lockheart… et de Jeanine.
Elle tenta de jouer la carte de la vulnérabilité.
" Pour en revenir à M. Padwell… disons que j’ai une très mauvaise impression depuis mon réveil. Je ne me sens pas très rassurée… mais je serais incapable de définir pourquoi... ni quoique ce soit d’autre… "
"Très chère Sally, veuillez me croire sur parole, vous ne risquez rien tant que je serais là."
“Réflection inutile : je suis bien à l’hôpital aujourd’hui, non ? " , songea-t-elle avec amertume.
M. Lockheart l’oberva et lui tendit un objet. “Tenez, ceci vous appartiens et je sais que vous y teniez beaucoup.” Il s’agissait d’un pendentif sphérique en verre.
Elle regarda l’objet sans vraiment le voir, perdue dans ses pensées “Une pendentif ?”.
Gêné, M. Lockheart posa l’objet sur la table de chevet de Sally.
Elle savait que ses pensées étaient injustes (si tant est que le témoignage de son "mari" était exact). De ce fait, elle prit parti de réprimer sa rage.
Après tout, la réplique partait d’un bon sentiment et paraissait réellement sincère.
Néanmoins quelque chose clochait...
Elle ne le connaissait que depuis quelques jours seulement, mais l’opinion qu’elle s’était forgée sur son mari n’était pas bonne. Le caractère de M. Lockheart lui semblait fade, insipide. Ainsi, il lui paraissait improbable qu’elle aie pu développer des sentiments pour cet homme-là.
Certes, elle n’avait plus de mémoire.
Et l’amour a ses raisons que la raison ne connait pas. C’est pourquoi le doute subsistait.
Cependant, elle ne pouvait s’empêcher de se demander quels étaient les liens qui l'unissaient à cet homme. Car pour l’heure, elle ne se voyait pas redevenir sa femme.
Elle lui sorti son plus beau sourire et annonça : "Vous avez raison. Je m’inquiète pour rien. Mes pensées devraient se tourner intégralement à ma remise en forme…"
Les yeux de M. Lockheart brillaient.
Elle ajouta : " Pour Lucy."
"Ah, oui. Pour Lucy."
La déception se lisait dans son visage. Et Sally se demandait à quoi pouvait bien songer M. Lockheart.
Le regard de M. Lockheart était étrangement serein à l’évocation de Lucy. Son regard se faisait plus lointain. Comme si leur fille n’avait pas d’importance...
En revanche, en l’écoutant raconter sa vie, les propos de M. Lockheart corroboraient ceux de Jeanine. Ainsi pensa-t-elle que "peut-être" Jeanine Ledoux était digne de confiance.
Elle décida d’en savoir plus : "M. Lockheart, pouvez-vous m’en dire plus à propos de…"
Elle se stoppa net. M. Lockheart ne l’écoutait plus. Il fixait une lueur au loin. Il s’agissait de la même brume bleue qui lui avait rendu visite plus tôt. Le temps d’apercevoir sa présence, elle disparaissait déjà au loin.
Elle se retourna vers son mari, l’air de rien. “Vous avez vu quelque chose ?”
M. Lockheart affichait une expression indéchiffrable : stupeur ? Haine ? Crainte ? Elle n’aurait su le dire. Mais il n’arrivait plus à dévier son regard.
"M. Lockheart ? Tout va bien ?"
Il sembla revenir à lui. " Hmmm ? Ah oui. Ne vous inquiétez pas. Je me suis simplement rappelé d’une affaire urgente… Je vous prie de m’excuser."
Des secrets. Son mari ne lui disait pas tout. Cette volonté de lui cacher des choses ne lui plaisait pas du tout. Vraiment pas.
" Ne vous inquiétez pas pour moi. Allez-y le coeur serein." Dit-elle.
Il l’observa plus attentivement avant de lui conseiller : "Les nuits sont fraîches en ce moment. Je vous conseille de fermer vos fenêtres pour ce soir. Je ne voudrais pas que vous preniez froid…"
"C’est entendu " dit-elle en joignant le geste à la parole.
Du haut de sa fenêtre, elle le suivit du regard emprunter la même direction que la brume bleue. Décidément, il se passait des choses réellement étranges.
Elle ne savait pas qui de M. Lockheart ou de Jeannine elle avait le moins confiance. Et sa mémoire qui ne revenait pas !
Elle choisit de se préparer à sortir une nouvelle fois. Puisqu’elle avait réussi à convaincre Jeanine qu’elle ne ferait plus d’escapade, elle avait le champs libre jusqu’au matin.
Elle enroula une couverture autour de ses épaule et noua une cape trouvée dans la chambre de sa fille. Cela constituait une courte capeline à son échelle. Mais elle pouvait dissimuler intégralement le blanc de sa tenue qui aurait attiré l’attention.
Ainsi, elle atteint la sortie avec facilité.
Elle marcha silencieusement dans la direction de son mari et de la brume bleue. Ils s’étaient éloignés vers un petit espace couvert. Elle y retrouva effectivement M.Lockheart, seul.
Devant plusieurs bassins d’eau, il semblait appeler désespérément quelqu’un.
"Lully ? Je sais que tu es là ! Sors de ta cachette ! Allez ! Viens ici ! Lully ?... " Mais ses paroles ne provoquaient aucun effet.
“Lully ? songea Sally. Qui était Lully ? Leur fille s’appelait Lucy. Et Lucy était toujours à l'hôpital.”
Dissimulée derrière les plantes, Sally s’évertuait à comprendre tout en fixant la direction vers laquelle M. Lockheart parlait. Mais lui-même ne savait pas vraiment où s’adresser ni s’il parlait à quelqu’un.
Puis, quelques minutes plus tard, des vigiles vinrent chercher M. Lockheart. "Monsieur, je suis désolé, mais l’heure des visite est terminée, nous allons fermer l’enceinte de l'hôpital. Pourriez-vous s’il vous plait vous diriger vers la sortie ?"
"Oui, bien sûr. Je comprends."
Il quitta les lieux à regret. Escorté par les deux vigiles.
Sally examina les lieux et chercha à son tour. En silence. Elle observa partout : les fourrées, l’abri de jardin, sous les bancs, sur la passerelle, au creux d’une barque… Puis, au milieu d’un puit plus loin, elle la vit enfin. La brume bleue s’y tassait au fond dans un mouvement continu comme si elle se lovait sur elle même.
Sally réfléchit : si M. Lockheart lui avait parlé, la brume ne devait pas être dangereuse, contrairement à ce que déclarait Jeanine. Elle tenta un appel : “Lully ?”
La brume se mua en un mouvement rapide mais timide vers la sortie. Elle semblait examiner la figure de Sally un moment, avant de bondir au dehors et s’enrouler autour de son cou dans un geste affectueux.
Cela fit sourire et rigoler Sally, qui essayait de s’en dépêtrer gentiment. Elle reconnaissait cette présence sans pouvoir la définir.
Elle l’observa un instant : la brume était un mélange de gaz et de poussière qui gravitait autour d’un cristal. Et il lui semblait parfois qu’elle revêtait la forme d’un être lorsqu’elle se mouvait. Mais la silhouette s’évanouissait dans l’espace laissant place à la brume informe.
Ce qui était certain c’était qu’une sensation chaleureuse l’enveloppait.
Elle profita quelques instants d’être seule avec la brume. Mais Jeanine interrompit ce moment d’intimité. “Encore toi ?!” Pars d’ici, maudite !”
Et la brume s’évapora sans laisser de trace.