Le renard d’eau
Les trois jeunes filles s’étaient échappées après la fin du service de Rheyn. Elles avaient marché au gré de leurs envies à travers la ville. Elles avaient fini par dénicher un petit établissement charmant, dissimulé dans une des traboules du vieux quartier.
Le décor du Saint-James était entièrement composé de bois où des tonneaux faisaient office de table. Des plantes lumineuses poussaient par endroit donnant au bar une ambiance intimiste. Mizu n’avait jamais mis les pieds dans ce genre d’établissement et se sentait quelque peu mal à l’aise.
Elle ne savait pas quoi choisir parmis les nombreuses boissons alcoolisées du menu proposées.
Elle arrêta son choix sur un simple verre d’eau tandis qu’elle relachait l’amas de poussière et de temps qui gesticulait sous ses doigts.
Les deux autres jeunes filles qui avaient déjà choisi depuis longtemps, parurent surprises.
"Tu ne bois pas d’alcool ?
Mizu fit timidement non de la tête.
C’est ta religion qui t’en empêche ? Ou c’est par choix ?
Je n’aime pas ça… et puis, je n’ai pas encore l’âge pour ça.
Tu es encore mineure ? Je voyais bien que tu étais jeune.... mais pas à ce point ! Tu as quel âge ?
17 ans.
Wahou ! C’est rare de voir une apprentie aussi jeune ! Si ça se trouve, tu es même la plus jeune de la promotion cette année !
Mizu rougit, gênée.
Et du coup, tu es une aquatempusienne. Tu peux donner "vie" aux créations ! C’est génial ! Vraiment impressionnant !
Oui, mais seulement si j’en ai la matière. Les aquatempusiens peuvent créer des formes inconsistantes et mouvantes à l’infini. Mais cela reste des créations éphémères… régies par nos pensées. Elles n’ont pas de volonté propre. C’est comme si le temps dévoilait toutes nos pensées. C’est parfois très gênant...
Oh. Dur, dit Rheyn
Et donc, le temps qui s’est échappé de toi… a littéralement pris vie ?
Oui, répondit Mizu, gênée. Mais c’est la première fois que ça m’arrive… Parce qu’à Aquatempus, la matière n’existe pas. Tout n’est que flux et temps.
J’ai vraiment du mal à imaginer… mais ça doit être sympa à visiter !
C’est… différent.
Ça ! C’est sûr ! Ça doit te changer d’être ici, non ?
Mizu répondit par la positive d’un hochement de tête.
Je me sens un peu perdue, avoua-t-elle.
T’inquiètes, Mizu ! Si besoin est, Rheyn et moi, on est là !
Elodie reporta son attention sur le petit être qui venait de naître.
Et du coup, qu’est-ce que tu vas faire de ta "création" ?
Je ne sais pas. J’ignore sa quantité de temps et la masse de matière qu’elle a emmagasiné… du coup, je peux difficilement jauger son espérance de vie.
Si ça se trouve, elle n’a même pas de volonté, intervient Rheyn.
Ça, ça m’étonnerait, vu sa réaction face à la bouteille, lui rétorqua Didi.
Les trois jeunes filles se sourirent au souvenir de l’aspect récalcitrant de la créature face à la "menace" de la fiole.
La créature scruta les environs de la table affichant des réactions de crainte et de curiosité avant de courir se réfugier dans le cou de Mizu et se lover, épuisée.
On dirait un animal de compagnie. Un loup ou un chien observa Rheyn. Je dirais même un chihuahua papillon.
J'aurais dit un "renard d’eau", moi. Juste pour la blague, plaisanta Didi.
Tu rigoles, mais "renardeau", ça lui va bien, je trouve. C’est même plutôt classe comme espèce.
Vous avez l’air de grandement vous y connaître en animaux terrestre, indiqua Mizu.
C’est naturel chez Rheyn. Elle adore tous les animaux. Moi, pas plus que ça. Mais je trouve ça choupi comme terme ! "renardeau". Pas toi ?
Si, avoua Mizu en rougissant.
Quoiqu’il en soit, on ne peut pas la laisser comme ça… renardeau, chihuahua ou quoi que ce soit. Quand ça vous arrive, qu’est-ce que vous faites généralement ?
Habituellement, nous défaisons nos créations… pour qu’elles retournent au flux. Mais certains les gardent comme animaux de compagnies. C’est généralement très mal vu…
Ah bon ? Pourquoi ?
Parce que ça signifie que tu n’as pas un contrôle total sur ton flux. C’est synonyme de manque de volonté… ou de richesse, pour ceux qui peuvent se permettre de gaspiller leur temps.
Tu vas quand même pas la buter ? S’indigna Rheyn, qui couvait la créature des yeux.
Mizu resta interdite, le regard triste.
Normalement, je devrais… l’annihiler. Mais, c’est ma toute première création concrète. Et même s’il s’agit du fruit du hasard, je crois que je m’attache à elle. Je n’ai absolument pas le cœur à la…
Elle laissa sa phrase en suspend.
Eh bien garde-la ! Tu t’en fiche de ce que te disent les autres ! Répondit Rheyn.
Oui, fais ce dont tu as envie. Toi, tu es toi. Vois et pense le monde à ta façon !
Mizu regarda ses amies, reconnaissantes.
Vous avez raison.
Maintenant que tu compte la garder, il va falloir lui donner un nom !
Pourquoi pas Gévodant ? Comme la grosse bête ?
Laisse-la choisir, Rheyn ! C’est sa "fille" après tout ! Rigola Didi.
Lully ! Elle s’appellera Lully !
Oh c’est mimi, Lully ! Mais pourquoi ?
Oh, ça, c’est une longue histoire ! Souria Mizu.