Chapitre 15
Caleb écoutait les recommandations de sa cousine tout en pianotant sur son téléphone. Un message à Ted pour lui dire qu’il serait absent puis quelques recherches rapides pour savoir où prendre l’avion pour que ce soit plus simple pour eux. Il se tourna alors vers Hateya et souffla.
- On va prendre l’avion à LaGuardia ce sera plus simple. Mais, tu n’as pas de sac? Tes affaires sont où?
- Je n’avais pas prévu de repartir aussi vite, l’hôtel est payé et réservé pour deux semaines. J’aurais le temps de venir récupérer tout ça. Ne t’en fais donc pas pour moi.
- Comme tu veux, souffla l’adolescent en haussant les épaules avant d'interpeller un taxi.
Le trajet jusqu’à l’aéroport se fit dans le plus grand silence. A plusieurs reprises le chauffeur tenta de leur parler mais les réponses froides le dissuadèrent de chercher plus à discuter. L’adolescent paya pour la course, pénétra dans le hall et après une rapide lecture des tableaux se dirigea déterminé vers le guichet. Nul besoin de long discours, il paya les deux billets et retrouva Hateya quelques pas derrière lui avant de lui tendre le sien.
- L’avion part dans deux heures. Tu veux manger ou boire un truc? Je t’ai un peu réveillé non?
- Je ne peux pas…avant de prendre l’avion c’est compliqué pour moi. Mais c’est gentil de ta part de demander, répondit Hateya avec un sourire qui se voulait affectueux.
- Ok, d’accord. Mais t’as quoi depuis tout à l’heure! T’es bizarre! C’est le fait qu’on aille chez toi qui te met dans cet état? Répliqua Caleb en arquant un sourcil.
- C’est à peu près ça. Je suis à la fois stressée et impatiente. C’est très contradictoire je le sais bien. Es-tu certain de n’avoir aucun regret?
- Des regrets non, pas vraiment. Je suis juste un peu tendu mais, ça va aller. De toute façon, je n’ai plus vraiment le choix.
Sa réponse sembla satisfaire la jeune femme qui lui fit signe de la suivre. Elle s’asseya sur l’un des bancs, sortit son téléphone pour pianoter dessus et releva son regard vers Caleb.
- Dis moi Waban, je peux te poser une question?
- Ce n’est pas déjà ce que tu es en train de faire? ricana l’adolescent fier de lui.
- Très malin, soupira-t-elle. Mais plus sérieusement. Sais-tu ce que tu feras une fois que nous serons arrivés? Ou si les réponses que tu obtiens ne sont pas celles que tu attends?
- J’imagine que je verrais le moment venu, mais même si les réponses ne me conviennent pas, je n’aurais pas d’autres choix que de faire avec.
- Et pour Nirvelli? insista Hateya en le dévisageant.
- Jamais je n’abandonnerai. Pendant des années je me suis demandé pourquoi elle avait disparu, quand elle reviendrait et même si elle reviendrait. Je ne peux pas fermer les yeux plus longtemps. Je suis persuadé qu’elle est là, quelque part et je dois l’aider. Cet homme, lui a fait du mal et quoi qu’il m’en coûte, je la vengerai.
- Je me doutais que tu allais répondre ça. C’est en toi, c’est dans ton sang. Même si je veux croire en toi, je me fais quand même du souci. Tu n’as pas l’expérience, ni les connaissances. J’espère que tu sauras trouver l’aide dont tu auras besoin le moment venu.
Les paroles d’Hateya sonnèrent comme une mise en garde dans l’esprit de l’adolescent. Il hocha lentement la tête et le silence reprit sa place entre eux. Les minutes s’écoulaient bien trop lentement au goût de Caleb qui grimaça en entendant son portable sonner. Son père! Il avait sûrement eu un appel du lycée pour signifier son absence et dans un soupir le jeune homme coupa son téléphone. Ce n’était, à ses yeux, pas le moment de se prendre la tête avec son père, il se devait de rester focalisé sur sa mission, ne rien laisser l’en détourner.
Il se pencha un peu, appuyant ses coudes sur ses genoux il plaça sa tête entre ses mains et se mit à marmonner à voix basse.
- Et si je faisais une erreur? Si tout cela n’était qu’un piège?
- Tu m’as parlé, l’interrompit Hateya en le fixant.
- Non, je…je réfléchis. Dis moi, tu as eu l’air de savoir pas mal de choses sur ce Gaadgi. Tu ne veux pas m’en dire plus?
- Gaagi pas Gaadgi. C’est un chaman, ça tu l’as compris. Il a commencé à pratiquer ses premiers rituels très jeune. Ses parents n’avaient pas de dons, ce n’est pas quelque chose qui est héréditaire normalement, sauf dans notre famille il faut croire. Enfin, de ce qu’on raconte sur lui, il devait se fiancer avec ta mère mais elle a choisi ton père à la place et cette trahison l’a plongé d’une rage vengeresse. Je ne sais pas de quoi il en retourne exactement mais il paraît qu’il a axé ses rituels sur une forme ancestrale et malveillante. Il est capable de tout mais surtout du pire.
- C’est super encourageant. Mais ôte moi d’un doute. Quand tu dis qu’il devait se fiancer avec ma mère ça veut dire qu’ils étaient ensemble avant qu’elle ne rencontre mon père?
Le silence d’Hateya fut bien plus éloquent qu’elle n’aurait pu l’imaginer. Devant l’expression de son cousin, elle haussa simplement les épaules avant de s’autoriser à répondre.
- Tu sais, ce sont des coutumes chez nous, les mariages peuvent être arrangés très tôt. Mais en général, il y a plusieurs rencontres entre les deux principaux intéressés. De préférence au printemps et en automne, tout dépend de nos déplacements respectifs. Ce n’est en rien étrange, cela permet aux tribus d’avoir des alliances, des accords et ça maintient une certaine forme de paix!
- Ouai, mais non désolé, c’est vraiment archaïque comme procédé. Toi ça ne te choque pas parce que tu y es habituée mais…tu m’as dit que tu étais marié non? Tu as choisis ton mari ou il t’a été imposé?
- Ce n’est pas vraiment le sujet, s’agaça la jeune femme sans répondre à la question. Et est-ce vraiment tout ce que tu retiens de ce que je t’ai expliqué?
- Je retiens que ce type à un sérieux problème et je comprends que ma mère ait préféré le fuir pour épouser mon père! Je retiens aussi que comme tu me l’as si bien dit, j’ai ça dans le sang et même si je vais au devant de très gros ennuis, je ne reculerai pas. Pas par fierté ou quoi que ce soit mais parce qu’il s’agit de ma mère et que ce gars à vraiment besoin qu’on lui mette les points sur les i.
- Je ne sais pas si je dois admirer ta fougue ou te trouver bien présomptueux, finit par ricaner Hateya en levant les yeux au ciel.
Caleb, pour toute réponse, haussa les épaules avant de soupirer. Il ne se trouvait pas présomptueux, simplement en colère et frustré. Il avait fini par mettre le doigt sur la raison de l’absence de sa mère durant toutes ces années et, bien qu’il eut conscience qu’il y aurait sûrement eu des hauts et des bas, regrettait amèrement de ne pas avoir pu passer plus de temps à ses côtés. Et pire encore, d’en avoir été privé!
Le temps s’écoula malgré tout, les deux jeunes gens étaient restés assis sans ajouter un mot de plus jusqu’à l’embarquement. Les pas de Caleb devenaient presque mécaniques et lorsqu’enfin il put voir la ville s’étendre sous ses yeux il tira son calepin de son sac et entama la rédaction d’une lettre à l’attention de son père. Ses mots étaient simples, concis. Il le remerciait pour son amour, pour son soutien, pour ses nuits blanches, pour tout ce qu’il avait fait pour lui pendant plus de dix ans. Il s’excusait aussi, à sa manière, pour son caractère pas toujours facile, pour ses secrets et ses non-dits. Il s’excusait pour les ennuis qu’il lui avait causé, pour son manque de communication et pour ces moments où il avait réagi comme le parfait petit ingrat qu’il pouvait être.
Ses derniers mots le firent déglutir malgré lui. Il lui écrivait que s’il voyait cette lettre, cela voudrait probablement dire qu’il avait échoué et s’en excusait. Il expliquait avoir agit de son plein gré et ce, pour espérer avoir des réponses que lui, n’avait jamais semblé être en mesure de lui donner.
- Et bien, c’est presque une lettre d’adieu ça, lui murmura Hateya à l’oreille.
- Si…Si jamais l’autre chaman me tue. Tu pourras donner ça à mon père? répondit-il en fermant les yeux.
- D’accord, mais tu as l’air de partir perdant, c’est jamais bon, ajouta-t-elle en lui relevant le menton pour planter son regard dans le sien.
- Je ne me fais pas d’illusion, avec ce que tu m’as dit. J’imagine que je cours droit vers ma mort. répliqua Caleb en dérobant son regard vers le hublot.
******
Lorsque James avait reçu le coup de téléphone de la proviseure de son fils, sa colère avait été sans appel mais le soir venu et sans nouvelles de ce dernier, il rentra chez-lui harassé et énervé. Il fit claquer la porte de la maison, monta l’escalier quatre à quatre persuadé qu’il trouverait son rebelle d’adolescent dans sa chambre mais rien! Personne!
Son esprit confronté à un véritable yoyo émotionnel, il redescendit aussi vite et entreprit, contre toute attente de la chercher dans le quartier, chez ses propres parents, et se dirigea finalement vers le lycée où la directrice s’apprêtait à quitter les lieux.
- Madame Grant? Madame Grant? Excusez-moi! Hurla-t-il en lui coupant le passage sur le parking.
- Monsieur Tryniski, glissa-t-elle d’un air agacé, que me vaut ce plaisir?
- Je ne sais pas où est Caleb! Il n’a jamais répondu au téléphone. Je pensais qu’il était resté à la maison mais il n’y est pas! J’ai cherché partout. Je voudrais l’adresse de son ami, Ted. Euh, Ted Barrett!
- Oh je sais qui est Ted, ne vous en faites pas. Mais je ne suis pas autorisée à divulguer ce genre d'informations. Puis-je vous suggérer d’en référer aux autorités compétentes?
- Aux autorités compétentes? Aux autorités compétentes? Hurla-t-il de nouveau avant de s’éloigner pour revenir vers elle fou de rage. Je vous jure que s’il lui arrive quoi que ce soit, je vous en tiendrais pour responsable.
- Dans ce cas, espérons, vous et moi, qu’il n’ait rien fait de stupide. Affirma la proviseure en hochant la tête.
James s’apprêtait à répliquer quand son téléphone se mit à sonner. Fébrile il décrocha aussi rapidement que possible et fronça les sourcils avant de s’éloigner précipitamment. Simon et Maddy, après sa venue, s’étaient dirigés vers le lac en sachant que les adolescents avaient tendance à s’y retrouver. Surpris de croiser le petit groupe d’amis de Caleb, ils avaient interrogé ces derniers et Ted, présent, leur avait confirmé avoir reçu un message de leur petit-fils le matin même et depuis, silence radio. Le petit groupe d’amis avait espéré le retrouver là, mais avait dû se rendre à l’évidence qu’il n’y était pas en trouvant leur coin vide.
L’angoisse du père monta d’un cran sous ces révélations. Il demanda à ses parents de rester auprès des jeunes, grimpa en voiture et traversa la ville à toute allure. Sa culpabilité omniprésente en ressassant sa conversation du matin avec Caleb, il pila de justesse devant un feu qui passait au rouge et frappa sur son volant en hurlant dans l’habitacle de sa voiture.
- Mais merde, merde, MERDE, quel con!
En attendant de voir arriver James, Ted et ses amis essayèrent à plusieurs reprises de joindre leur ami mais tous en arrivèrent au même constat, son téléphone était éteint.
- Vous ne pensez pas sérieusement qu’il a fugué? interrogea Zoey en les dévisageant un à un.
- J’vois pas pourquoi il aurait fait ça, assura Blaise en croisant les bras.
- Ce n’est quand même pas à cause d’hier? Vous savez, sa retenue? marmonna de nouveau Zoey.
- Mais arrêtez de dire des conneries, Cal’ n’est pas comme ça, c’est pas son genre! Mais.., commença Ted avant de retenir ses paroles, créant un brouhaha parmi ses camarades.
- Quoi? Mais quoi? Le poussa à parler Camille en lui pinçant le bras. Si tu sais des choses dis le!
Malgré les questions des autres, Ted resta pourtant silencieux jusqu’à l’arrivée du père de son ami. A peine ce dernier eut-il le temps de descendre de sa voiture que le jeune homme arriva à sa hauteur et lâcha d’une traite.
- Monsieur Tryniski, personne ne sait où est Caleb mais, j’ai peut-être une idée. Y’avait une nana avec lui hier. Elle l’avait attendu à la sortie des cours. J’ai aucune idée de qui elle est, il a refusé de me dire quoi que ce soit. Elle était grande, plutôt pas mal, une vingtaine d’années je crois, brune, le teint un peu…
- Hateya, sa cousine, je suis au courant. Tu crois qu’il est avec elle en ce moment? Tu sais où ils auraient pu aller?
L’adolescent fut d’abord surpris, après un petit non de la tête, il retourna auprès de ses amis et tenta de les rassurer. Si James savait qui était avec son fils hier, nul doute qu’il le retrouverait vite. Simon et Maddy proposèrent naturellement à leur fils de le raccompagner chez lui mais l’homme refusa, avançant qu’ils se devaient d’être chez-eux au cas où, Caleb ne viendrait frapper à leur porte.
En son fort intérieur, tout allait de travers. Après avoir vu sa femme dispaître il y avait de cela 10ans, il redoutait par dessus tout qu’aujourd’hui, ce ne fusse le tour de son fils. La peur le tiraillait mais il remontait en voiture pour rebrousser chemin. Peut-être qu'entre-temps, son fils était rentré. Il était toujours permis de rêver après tout!
Il venait à peine d’arriver chez-lui quand la nuit commença à tomber. Hormis la lumière de l’entrée qu’il avait activée, aucune autre n’était allumée. Caleb n’était donc pas rentré. Un juron plus tard l’homme se délesta de ses chaussures et s’apprêta à se laisser tomber dans son fauteuil quand il entendit la sonnerie de sa porte d’entrée. Il se précipita sans demander son reste et se figea stupéfait une fois ladite porte ouverte.
- An…Angeni?
- Non, je suis Hateya, sa fille.
Une autre Hateya ! Laquelle est la vraie ? XD J'ai ma petite idée mais je me la garde pour le chapitre suivant :)
Excellent chapitre en tout cas !
Je me doute qu'il n'est pas difficile de savoir qui est la vraie mais oui quoi qu'il en soit, tu le sauras bien assez vite !