Chapitre 16.
Le choc fut des plus brutaux pour James. Il n’arrivait pas à comprendre ce qu’il se passait. Si Hateya était ici devant lui, sans Caleb, où était-il?
- Hateya? C’est toi? Mais attends, Caleb n’est pas avec toi? balbutia-t-il en lui faisant signe de rentrer.
- Oui, c’est bien moi. Ça fait bien longtemps maintenant, affirma la jeune femme en passant la porte. Pour répondre à l’autre question, non, il n’est pas avec moi. Et je crains d'être porteuse de mauvaises nouvelles.
L’homme referma la porte, sentant son cœur tambouriner dans sa poitrine. Il se passa les mains sur le visage avant de reprendre sur un ton qui se voulait compréhensif.
- J’ai eu quelques échos de ta venue à New-York. Je déplore tout de même que tu ne te sois pas donné la peine de venir me saluer tout de suite. Je sais que vous m’en voulez pour le départ de Nirvelli mais enfin. Quoi qu’il en soit, j’ai le sentiment que l’histoire se répète. Tout portait à croire que mon fils serait avec toi et si ce n’est pas le cas, alors où est-il? Quelles sont tes mauvaises nouvelles?
La jeune femme jaugeait l’intérieur de la demeure, pencha lentement la tête en apercevant une vieille photo de la petite famille. Les sourires de James et Nirvelli étaient rayonnants et le visage encore rondelé de Caleb arborait un sourire à l’image de ceux de ses parents.
- Waban avait déjà les traits de sa mère. C’était un bel enfant et c’est un jeune homme remarquable, déclara-t-elle d’un ton ému.
- Caleb, s’il te plaît Hateya. Il s’appelle Caleb. Pour ce qui est du reste je te l'accorde, mais ce n’est pas encore un jeune homme. C’est un enfant, c’est toujours un enfant. Pourquoi ne réponds-tu pas à mes questions?
- Comment répondre alors que tu te mens à toi-même? Il vient de fêter ses 15 ans et tu sais ce que cela signifie. Tadi n’est plus en mesure de le protéger, plus personne ne le peut. Les Grands Esprits n’étaient pas d'accord avec l’arrangement de Nirvelli, et elle le savait. Elle a pris sa décision en connaissance de cause.
- Elle savait que les Grands Esprits ne voulaient pas qu’elle ait une aide pour pouvoir…enfin tu sais. Elle s’est faite avoir par ce monstre de Gaagi mais il n’a aucun droit sur mon fils! Je le tuerai de mes mains s’il ne s’était pas planqué comme le rat qu’il est! tonna James en dardant sur elle son regard empreint de haine.
- Les rats n’ont rien à voir avec lui, chaque créature est bonne à sa manière. Mais je comprends ta colère. Les Grands Esprits savaient que votre enfant ne serait pas comme les autres. Il a un grand rôle à jouer pour chacun de nous, continua Hateya en l’interrogeant du regard pour pouvoir s’asseoir.
- Nirvelli ne souhaitait pas le mêler à tout ça! C’est pour ça que nous sommes venus vivre ici. Pour le tenir éloigner de ces soi-disant signes, de la “volonté” des Grands Esprits. C’est un enfant tout ce qu’il y a de plus normal, il n’a pas à subir quoi que ce soit, siffla hargneusement James, mais oui, oui bien sûr assieds toi, tu n’as pas besoin de me regarder comme ça!
- Nous avons tous conscience que Gaagi a dupé Nirvelli. Nous savons tous qu’il a usé de stratagèmes plus que douteux pour la faire tomber dans son piège. Mais tu le sais, mieux que quiconque, l’aide qu’il a apporté pour que ta femme ne puisse porter Waban et le mettre au monde avait un prix à payer et, si Waban reste introuvable, il n’y a qu’une seule raison à cela. Susurra-t-elle une fois assise.
- Gaagi? Tu crois qu’il m’a pris mon fils? hurla James en manquant de s’étouffer.
- James, je pense qu’il va falloir que tu te calmes. Ce que je vais te révéler ne va pas être plaisant et…je sais que les miens vont m’en vouloir pour ça, mais tu as le droit de savoir.
Sans pouvoir un seul instant retrouver son calme, l’homme se mit à faire les cent pas dans son salon. Il pouvait sentir sur lui le regard de la nièce de sa femme et attrappa son téléphone pour composer le numéro de Caleb. Avant même d’entendre la moindre sonnerie il tomba sur le répondeur de ce dernier et laissa pour tout message “Écoute fiston, je ne suis pas en colère contre toi. J’ai besoin que tu me rappelles, que tu me dises que tout va bien et surtout où tu es. Je t’en prie, appelle-moi, je suis mort d'inquiétude."
Hateya s’était levée avec toute la grâce qui la caractérisait. Venant prendre les mains de James dans les siennes elle souffla d’un simple hochement de tête.
- Les Grands Esprits parlent au moins autant que nous autres. Depuis des années, différentes histoires nous sont venues aux oreilles. Elles se racontent tard dans la nuit, quand les enfants ne peuvent les entendre mais nous autres, nous savons. Gaagi est très puissant, peut-être même trop pour être totalement honnête. Bien sûr, ce ne sera pas une surprise pour toi que d’apprendre qu’il n’a jamais pardonné l’affront que lui a fait Nirvelli en t’épousant. Mais derrière ses sourires se cachaient bien une haine sans nom et un besoin de vengeance. Quand elle est venue pour dire à Tadi qu’elle ne parvenait pas à enfanter, il lui a dit que c’était un signe, qu’elle ne devait cela qu’à sa trahison. Mais Gaagi, rôdait, il savait. C’est pourquoi il lui a proposé son aide. Nous savons qu’elle a d’abord refusé, mais son désir d’être mère a pris le dessus. “Un service en vaut un autre” lui avait -il seulement dit.
- Ce n’est pas ce qu’elle m’a raconté, le coupa alors James les larmes au bord des yeux. Elle s’était éloignée du village pour se calmer après que Tadi lui ai fait comprendre qu’il lui en voulait toujours pour son départ avec moi. Elle pleurait. Un homme s’était approché d’elle, lui avait parlé comme un ami, un allié même. Il lui avait dis que sa femme avait du prendre un breuvage pour l’aider à concevoir un enfant et lui avait proposé d’en boire également. Au départ elle a refusé mais cette idée de devenir mère ne la quittait pas et elle a cédé. A la dernière gorgée, elle a vu l’homme changer de visage et s’est retrouvée face à Gaagi!
- Quoi? Alors il pouvait déjà le faire? hoqueta la jeune femme.
- Je ne sais pas de quoi tu parles. Tout ce que je sais, c’est qu’ensuite ils ont longuement discuté et il lui a juré sur la terre de ces ancêtres qu’il ne voulait que son bonheur mais lui a malgré tout dit qu’un jour, il aimerait qu’elle lui rende service en retour.
- James, ne comprends-tu pas? Nous étions tous persuadés que Gaagi n’avait réussi à devenir un skinwalker que récemment. C’est un processus très long et nous pensions que sa capacité se limitait aux animaux! Aurais-tu un téléphone à me prêter? J’ai égaré le mien je ne sais quand et j’étais persuadée de l’avoir hier soir!
- Un skinwalker? Qu’est-ce donc? répondit-il sans comprendre.
- C’est un chaman qui a la capacité à prendre possession d’un corps, humain ou animal ou même à changer d’apparence pour devenir cet humain ou cet animal. C’est de très mauvais augure.
- Qu’est-ce qui me dit que tu es vraiment Hateya dans ce cas? souffla James en reculant soudainement d’un pas.
- Vraiment James? Tu doutes de moi? s’offusqua alors la jeune femme en croisant les bras sur sa poitrine. Pose-moi une question dont moi seule pourrais avoir la réponse!
- Et bien, commença le père de Caleb un poil sceptique, dis moi par exemple quels ont été les premiers ressentis de Nirvelli à son arrivée à New-York?
- J’étais encore bien jeune à l’époque mais je sais qu’elle en avait parlé avec ma mère. Elle nous avait dit qu’elle était heureuse bien que terrifié. Le manque de verdure, de nature, la technologie omniprésente. Mais elle voulait vivre cette vie, pour toi, pour l’avenir qu’elle voyait entre vous. Elle ne regrettait rien.
La voix si assurée d’Hateya se brisait sous l’émotion. Elle recula d’un pas, puis d’un autre avant de se diriger vers la fenêtre pour observer les lumières des lampadaires et souffla.
- Je me pose malgré tout une question. Si je me réfère aux photos qu’elle nous avait envoyées à l’époque, vous n’avez jamais déménagé même après sa disparition. Pourquoi?
- Parce que nous avons toujours vécu ici. Parce que tous nos souvenirs de famille sont ici et que je me suis toujours dis que si elle réapparaissait un jour, c’est ici qu’elle viendrait et si Caleb et moi partions, elle ne saurait pas où nous trouver et penserait sûrement que nous l’avons abandonné et oublié et ce n’est pas envisageable.
Hateya avait ramené son regard vers lui, embué par les larmes. Elle hocha doucement la tête, osa un pas dans sa direction avant de se figer et ajouta à mi-voix.
- Tadi m’a dit qu’elle était vivante, son esprit est quelque part mais il lui a toujours été impossible de savoir où elle se trouvait exactement. C’est comme si elle était prisonnière. Je sais que tu t’en fais pour elle, mais pour l’instant, il nous faut retrouver Waban. Il est en danger, je ne sais pas comment l’expliquer mais je le ressens. C’est comme si un nuage noir planait!
- Un nuage noir? Comme ceux des orages?
- Vous avez un réel souci avec les orages dans votre famille non? Caleb m’a parlé de ces orages qui le poursuivait, et de l’oiseau qu’il a vu hier. Il n’allait vraiment pas bien quand nous nous sommes quittés.
- Qui voulais-tu appeler quand tu m’as demandé mon téléphone? Souffla James en évitant soigneusement ses questions.
- Paco, mon époux. Je souhaiterais qu’il prévienne Tadi de l’absence de Waban et qu’il me dise si jamais les Grands Esprits ne leur révèlent des informations ou s’il se rend compte de quelque chose qui pourrait nous mettre sur la voie.
- Mais tu penses que Gaagi est derrière tout ça?
Pour toute réponse Hateya acquiesça. Elle n’avait pas compris tout de suite en rencontrant Waban mais maintenant, plus aucun doute n’était possible. Son humeur aussi changeante que la direction du vent, ses éclairs de rage dans les yeux, se sentiment d’être au cœur d’un tourbillon, se voile noir qui s’était levé entre eux la veille. Ces signes auraient dû l’alerter plus vite, si Tadi avait été là, s’il l’avait vécu lui-même, sans nul doute possible qu’il n’aurait pas laissé l’adolescent sans surveillance. Et maintenant qu’elle y pensait, dans son rêve la nuit dernière, elle avait perçu une menace, comme un murmure qui lui avait dit qu’elle n’aurait pas dû faire quelque chose, c’était flou, abstrait mais la jeune femme attrapa le téléphone qui lui était tendu et remercia son hôte d’un petit signe de tête.
Pour James, entendre la langue d’origine de sa femme était à la fois touchant et perturbant. Une partie de lui regrettait que Nirvelli n’ait jamais forcé leur fils à parler les deux langues mais c’était encore une fois, un moyen de le tenir loin de tout ça, loin des menaces et obligations qui auraient pu peser sur lui. Il attendit de longues minutes avant de voir Hateya raccrocher et fut surpris par les paroles de cette dernière.
- Tadi…Tadi est incapable de se lever. Il est très mal en point. Il ne cesse de répéter le prénom de Waban. Paco me dit que les Grands Esprits sont auprès de lui, la fin est proche. James, nous devons nous rendre à son chevet, et retrouver Waban pour, enfin tu sais bien.
La stupeur et la peine frappaient de plein fouet le père de famille. Sans un mot il monta à l’étage pour prendre un sac, glissa papiers et passeport dedans avant de froncer les sourcils. De la chambre de son fils, il appela Hateya qui monta sans la moindre précipitation, trop intimidé.
- Caleb a laissé son sac de cours, mais il manque bien trop de choses. Je crois qu’il est déjà en route. Je ne sais pas s’il est vraiment parti seul ou non mais tout ce que je sais c’est que ce matin il m’a posé des questions sur Gaagi, je lui ai dit que nous en parlerions ce soir. Rappelle Paco, dis lui de se rendre à l’aéroport le plus proche de chez-vous. J’imagine qu’il le reconnaîtra malgré tout.
Et contente que son père passe outre son inquiétude/colère et décide directement de le suivre.
J'ai hâte de savoir comment ça va se passer pour Caleb, il a l'air dans de beaux draps !
Mais oui, littéralement Caleb est dans un sacré pétrin!