Désillusions

Madeleine se proposa de le ramener chez lui, comme elle le faisait d’habitude. Ils n’avaient pas long à marcher pour parvenir chez lui. Le trajet fut, pour une fois, assez silencieux. Axel ruminait. Tous ces après-midi passés au lit, leurs promenades au parc, leurs discussions, et surtout les écrits qu’il lui confiait régulièrement, tout se mélangeait dans son esprit. Madeleine lui jetait de petits regards inquiets.

– Quelque chose te préoccupe ? lui demanda-t-elle en montant les escaliers.

– Vous avez dit à vos parents que vous avez écrit ces articles.

Le vouvoiement lui était revenu. Si cela l'affecta, elle ne le montra pas. Il déverrouilla sa porte. Ils entrèrent dans l’appartement. Elle suspendit son chapeau et son manteau.

– Pas directement. Vous auriez pu en parler avec mon père, jugea-t-elle enfin, lui tournant le dos.

– Pas directement ?

– Je m’étais proposée pour les écrire. (Elle se retourna.) Vous m’avez prise de court. Qu’est-ce que cela change ? Votre nom est dans le journal.

– Un pseudonyme, rejeta-t-il. Cela pourrait être n’importe qui.

– C’est le principe, n’est-ce pas ?

Elle parlait d’une voix douce, comme à un cheval apeuré.

– Et à la rédactrice ? Que lui avez-vous dit ?

– Que j’avais un article pour elle. Enfin, Axel, que vous arrive-t-il ? La situation vous convenait parfaitement jusqu’à présent.

– Peut-être pas autant que vous le croyiez.

Il avait parlé plus sèchement qu’il ne le pensait. Elle eut un mouvement de recul.

– Pas autant ? répéta-t-elle. Et cet appartement ? Notre relation ?

– Vous avez décidé à ma place ! Vous avez choisi là où j’habitais et ce que je faisais.

– Vous ne m’aviez jamais dit que cela ne vous convenait pas. Je crois que vous étiez plutôt satisfait de pouvoir profiter de moi, non ?

– Profiter de vous ? Je ne profite pas de vous. Vous le vouliez aussi. Je dirais même que vous le vouliez davantage que moi.

Elle eut un rire froid.

– Comme vous y allez ! Vous mourriez d’envie de moi. Vous croyiez que je n’avais pas remarqué la manière dont vous me regardiez ? Votre transparence est assez touchante, même si vous êtes moins candide que vous n’en avez l’air.

Il rougit violemment.

– Ce n’est pas le sujet. Vous avez fait passer mes articles pour vôtres.

– Ne pouvez-vous pas cesser de récriminer ? Vos articles, mes articles, ils sont publiés, cela ne change rien.

– Cela change que vous profitez de mon travail ! Je vous les livre tels quels, vous n’y touchez pas et prétendez qu’ils sont de vous ! Et vous me tenez en laisse en m’entretenant, au lieu de me laisser la main sur la rétribution de mes efforts !

– Suffit, déclara-t-elle froidement. Vous ne savez plus ce que vous racontez.

– Bien sûr que si.

– Ne soyez donc pas ridicule. (Son ton se fit dur.) Imaginiez-vous une seconde que l’on vous laisserait la moindre chance ? Vous êtes un homme à demi étranger, complètement inconnu. Vous avez du charme, mais cela n’aurait pas fonctionné sur Madame de Malaterre. Elle ne vous aurait jamais reçu, jamais lu. Vous êtes lu par des milliers de personnes dans tout l’Empire ! Que vous faut-il de plus ?

– Vous m’avez utilisé pour faire croire que vous avez du talent. Vous m’avez volé le mien parce que vous ne voulez pas faire la même chose que votre mère.

– Et vous êtes partis à des centaines de kilomètres de la vôtre nourrir votre ambition dévorante. Je vous ai offert tout ce dont vous pouviez rêver.

– Je n’en veux pas, cracha-t-il. Je ne veux pas être votre jouet, votre projet philanthropique ou votre moyen d’accéder à une reconnaissance dont vous m’avez privé !

– Vraiment ? Réfléchissez-y. Je suis votre seul accès au journal. Je vous ai sorti de votre galetas. Je vous ai ouvert les portes de ma famille, et c’est comme ça que vous me remerciez ?

– Je n’ai pas à vous remercier parce que vous me laissez quelques miettes de ce qui devrait me revenir en totalité. Je connaissais votre père avant de faire votre connaissance.

– Vous êtes un ingrat, jugea-t-elle.

Elle reprit ses vêtements d’extérieur.

– Revenez me voir quand vous aurez réfléchi, et songez que si vous me repoussez, vous perdrez tout ce que vous avez.

– C’est tout réfléchi.

Elle le dévisagea un bref instant. Il ne lut pas la moindre trace d’affection dans son regard.

– Très bien. Adieu.

Elle claqua la porte. Il s’effondra dans son fauteuil et réfléchit longuement à la marche à suivre.

Le soir même, on introduisit chez lui la même agente que celle qui leur avait fait visiter l’appartement.

– Mademoiselle Langlois vous informe qu’elle a résilié votre bail. Vous devez quitter les lieux sous deux jours, ou je contacterai la police.

– Pour combien de temps avait-elle réglé le loyer ?

– La fin de la semaine.

– Je reprends le bail à mon nom. Je peux le faire, n’est-ce pas ?

Elle parut surprise.

– À condition que vous ayez de quoi payer le loyer la semaine prochaine.

– Je le ferai, promit-il.

– À quel nom dois-je établir le contrat ?

– Axel Dautrieux.

Elle le nota sans broncher.

– Je veux le loyer lundi prochain sans faute ou je vous ferai expulser. C’est bien entendu ?

– Oui, madame.

Après son départ, il se planta devant le petit autel aménagé dans un coin.

– Si ce coup-là réussit, je vous offrirai à boire de la vodka de chez moi, promit-il. Ça n’est pas réglementaire, mais je déteste le vin.

Il ne reçut pas le moindre signe que les dieux l’avaient entendu.

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