Deux fois 16 millimètres

Par Bruns

Sam Wallace, près de Tulsa 

31 mai 1921 

Quand l’homme en noir monte sur scène. 

* * *      51      * * * 

 Depuis l’origine de l’humanité le serpent est le créateur de l’univers, du monde, du temps, du ciel est de la terre. Il est l’énergie primitive et symbole de l’éternité́ . Il est notre Dieu rédempteur apportant la connaissance et l’intelligence aux hommes. Parfois Quetzalcóatl, premier Dieu-Serpent, il est le lien entre le monde des vivants et de morts. Il est la route qu’empruntent les divinités disparues pour se révéler aux hommes. Parfois Sisiutl, qui avait le pouvoir de vous changer en pierre si vous n’aviez pas le courage d’affronter vos peurs, il est le pouvoir divin et est le gardien du monde surnaturel. 

« La symbolique du serpent sur le continent américain »,  Mathilde Varin, Thèse 2008 

 

* * * 

 

Le train a quitté la gare. Sam sait que le danger est passé. Rien n’arrêtera ce train. Il se sent tout à coup fatigué. La journée a été bien longue et sa vieille carcasse lui demande du repos. Il décide de rentrer chez lui mais désire d’abord passer quelques minutes par son bureau pour y ranger quelques papiers. Il aime trouver un bureau propre quand il arrive le matin. Alors qu’il traverse le hall de la gare qui n’est plus éclairé, il est stoppé net par un cri. Un appel impossible à cette heure et à cet endroit. Une menace. 

 

– Yeh, Wallace !! 

 

Sam se retourne, mais ne voit rien, il fait trop sombre. Doucement, trois hommes, sortent de l’ombre. Sam se retrouve face à trois cagoules blanches.  

– Que faites-vous ici ? Vous n’avez rien à faire ici ! Tente de répondre Sam de sa voix la plus assurée possible. Il a déjà compris que ses tentatives seront vaines. Ces cagoules ne sont pas venues pour lui demander les horaires du prochain train. 

Sans un mot, les trois hommes cagoulés se déplacent pour former une ronde autour de Sam. Ils sont tous armés. Le plus menaçant a un fusil à la main et un revolver à la ceinture. Les deux autres ont des manches en bois certainement trouvés sur un des chantiers de la gare. 

– Alors grand-père ! On trafique du nègre ?  

– Tu en fais quoi de tes négros, tu les revends au marché noir ? 

– Il paraît qu’ils payent leur passage avec quelques faveurs ? 

– Hey Wallace, ne me dis pas que tu apprécies ces bamboulas ? 

Les insultes pleuvent et tournent autour de Sam, tournent dans sa tête. Les trois cagoules l’entourent et la ronde macabre ne lui laisse aucune échappatoire. Sam ne sait même pas s’il aura le temps de prendre et d’armer le fusil qui pend à son épaule. Il observe. Il encaisse. Il se concentre et attend le bon moment. 

« Ah, Hope ! Tu ne m’avais pas prévenu que ça se dit comme ça ! » Pense-t-il ! 

Brutalement, l’homme qui se trouve derrière Sam s’approche en un bond et attrape le vieux chef de gare en passant son bras autour de son cou. Sam sent cette étreinte se refermer sur lui et la douleur monte doucement dans sa gorge. Cette douleur est rapidement atténuée quand Sam commence à manquer d’air. Sa vision commence à se troubler et ses espoirs diminuent, disparaissent. Mais il n’a pas peur.  

– Arrête abruti, tu vas le tuer, dit l’homme au fusil. 

– T’inquiète ! Cette racaille, c’est increvable. Faut couper la tête à ce serpent visqueux pour que le corps arrête de bouger, se défend l’homme qui enserre Sam encore plus fort. 

Et puis l’étreinte se relâche. Sam a l’impression que son corps va le lâcher. Quand il reçoit un coup de manche en bois au milieu de la jambe, il sent son genou exploser. Avec un cri de mort et une douleur insupportable, Sam s’écrase au sol. Allongé, couché sur le dos, il sent son fusil lui tarauder le dos. Il ne lui servira plus à rien maintenant. Au moins, il lui aura payé une dernière balade. 

Sam est terrassé par la douleur dans sa jambe et par le pied qui vient écraser sa gorge à nouveau. Il se retrouve au sol et empêché de tout mouvement en l’espace de quelques secondes. De rage, il se maudit de ne pas avoir quelques années de moins pour avoir une chance de donner une leçon à ces salopards. 

Alors qu’un pied lui écrase toujours la gorge, Sam voit apparaître une cagoule blanche près de son visage. Il n’y a plus que cette cagoule qui compte. Cette cagoule et la douleur. Tout, autour de cette cagoule, n’est plus que ténèbres. 

– Maintenant, monsieur le chef de gare, tu vas tout nous dire. On connaît ton trafic et on veut tout savoir. Tu vas nous dire qui t’aide à organiser tout ça, ici et à Oklahoma City. 

Dans un râle qui ressemble à un dernier souffle, Sam répond : 

– Vous ne saurez rien.  

– On s’en doutait, vieux chnock que tu ferais le cabochard. Alors si tu ne veux rien nous dire, tu ne nous sers plus à rien. 

 

La cagoule blanche disparaît. Elle est rapidement remplacée par le bout d’un cylindre métallique, sans fond, sombre, qui semble immense aux yeux de Sam. Il sent encore la poudre. 

 

Dans un éclair lumineux, éblouissant, accompagné d’une explosion assourdissante, tout disparaît autour de Sam. L’intensité de l’éclair diminue peu à peu se laissant bouffer par les ténèbres. Dans un coin de son champ de vision Sam aperçoit un jeune homme noir, dans un beau costume et un beau chapeau posé de travers sur son visage souriant, avec une cigarette rougeoyante à la bouche. Cette fois il en est certain, il reconnaît son vieil ami Dude. Celui-ci s’accroupit pour être plus proche de Sam et lui adresse la parole. 

– C’est le moment Sam ! C’est le moment de me rejoindre. Tu verras, j’ai mis le feu Sam, j’ai mis le feu ! 

 

Et puis tout s’éteint. 

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