Snakeheart, Stackolee City
Quelque part en 2023, un petit matin.
* * * 50 * * *
Le chef avait une fille, et le serpent en tomba amoureux. Il souhaita alors devenir un homme pour pouvoir l’épouser. Il pria et jeûna jusqu’à̀ disparaitre. Le vieux sorcier Mo’kiya eut pitié́ de lui et décida d’intercéder en sa faveur auprès de Nato’Se, le Soleil. Celui-ci l’écouta attentivement, et accepta de transformer le serpent en homme. Mo’kiya, sous les conseils de Nato’Se, dressa alors un bucher et l’enflamma. Il y mit une poignée d’herbe douce, puis y déposa délicatement le serpent. Lorsque les flammes s’éteignirent, le serpent s’était mué en homme. Le chef du village, trop heureux d’avoir un gendre ainsi béni des dieux, lui donna sans hésiter sa fille en mariage. Et c’est de leur descendance qu’est née la tribu des Snakes, également appelés Shoshones.
Légende des indiens du Wyoming,
du Nevada et de l’Utah
« La symbolique du serpent sur le continent américain », Mathilde Varin, Thèse 2008
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Après avoir raccroché le téléphone, Snakeheart ressentit une fatigue intense. Ce contrat avait été exécuté facilement. Une traque prévisible, un combat déséquilibré. Mais il se demanda pourquoi il avait accepté ce contrat. Ces jeunes, amoureux, n’avaient eu le tort que d’avoir froissé un second couteau de la mafia de Chicago. Il était perturbé par l’attachement mutuel de ce couple et de leur détachement à la vie. Leur amour avait compté plus que leur propre vie. Harry, qui se pensait à nouveau avec ce prénom, ne comprenait pas cet amour. Lui pensait qu’il fallait vivre coûte que coûte, quelles que soient les circonstances, quelles que soient les souffrances, il fallait continuer à vivre. Il avait croisé la mort à de nombreuses reprises, il avait évité la sienne bien des fois et l’avait souvent offerte. Il pensait bien la connaître, mais aujourd’hui il avait la sensation de ne pas avoir donné le mort, de ne pas avoir terminé une histoire. Il y avait une petite étincelle qui disait qu’il avait offert l’éternité à Betty et à Joe.
Il s’assit sur le lit et regarda Betty une dernière fois. Même dans la mort elle était belle, semblait encore vivante, sa rose tatouée plus rouge que jamais. Il la recouvrit du drap pour qu’elle garde sa dignité quand on découvrirait les corps.
Soudain, le regard de Snakeheart fut attiré par une ombre mouvante, comme celle d’un serpent noir qui se serait glissé sous la porte de la chambre. Snakeheart comprit qu’il s’était suffisamment laissé aller et décida de quitter les lieux. Il nettoya le téléphone, ramassa les deux douilles, se dirigea vers la porte et empoigna la poignée. Il se retourna et jeta un dernier coup d’œil pour vérifier qu’il ne laissait aucun trace derrière lui.
Quand il ouvrit la porte, Il se retrouva nez-à-nez avec deux blacks mastards qui visiblement l’attendaient. Ils se postaient de part et d’autre de la porte ne lui laissant le choix que d’avancer, dans un corridor de costumes noirs. Au bout de ce corridor humain, Snakeheart vit une Cadillac Sedan Deville modèle 1959 qui l’attendait, porte arrière ouverte. Snakeheart connaissait cette voiture, mais ce modèle datait de plus de soixante-dix ans et paraissait neuve. La voiture semblait tout droit sortie d’un garage de tuning. Sa peinture noire immaculée renvoyait les rayons du soleil levant. Des flammes flamboyantes étaient peintes sur les ailerons arrière de la Deville. Le moteur tournait et Snakeheart pouvait entendre les 325 chevaux murmurer comme le roulement du tonnerre qui approche. De la porte ouverte, Snakeheart pouvait entendre une musique forte, électrique et rythmée. Il reconnut le blues puissant des ZZ Top, mais il y avait quelque chose de différent. La musique était plus habitée. Il faisait sombre à l’intérieur du véhicule et la seule lumière qui en sortait semblait venir d’un néon bleu, du genre de ceux qu’on trouve dans les clubs de nuit. Cette lumière bleue brillait dans les volutes de fumées de cigarettes qui s’enfuyaient par l’ouverture.
Snakeheart comprit qu’il n’avait rien à craindre. Les blacks mastards qui l’entouraient n’étaient pas armés et rien dans leur attitude n’était menaçant. Comme il hésitait encore, King, le mastard de droite, lui fit un signe du bras pour l’inviter à monter dans le véhicule.
Snakeheart se décida et s’avança vers la porte ouverte. Il s’attendait à ce qu’on lui demande son arme, mais visiblement ça n’intéressait pas les mastards. Snakeheart baissa la tête et entra dans la Deville. Il fut surpris de l’espace dans la voiture. Elle semblait beaucoup plus grande que de l’extérieur. L’espace arrière était composé de deux banquettes qui se faisaient face et qui auraient pu accueillir au moins trois personnes chacune. Entre les deux banquettes, une petite table bar contenait un réfrigérateur et un espace avec quelques verres et trois bouteilles de whisky.
Au fond de la banquette qui faisait face à la route, un vieil homme noir était installé. Avec son costume noir à rayures, il se confondait avec le cuir noir de la baquette. Snakeheart fut surpris et amusé de voir que les chaussettes et la cravate de son hôte étaient assorties, noires avec des étoiles blanches. Enfin, le vieil homme était coiffé d’un chapeau Hambourg et tenait déjà un verre de whisky à la main. Le soleil venait seulement de se lever !
– Bonjour Harry, dit le vieil homme.
Harry fut surpris d’être appelé par son prénom. Ce n’était plus arrivé depuis ses dix-sept ans quand il avait fui sa famille.
– Qui êtes-vous ? demanda Harry.
– Tu me connais Harry. Je suis le Dieu Serpent ! Tu m’as déjà vu sous différentes formes.
– Ce matin, sur le bras de cette jeune fille par exemple ?
– Exactement. Tu vois ? Nos chemins se sont déjà croisés, Harry, oui il se sont déjà croisés.
Le vieil homme rit d’un rire malicieux.
– Ok, soit ! Mais quel est votre nom et que me voulez-vous ?
– J’ai beaucoup de noms, mais on m’appelle souvent Hope.
– Ouaip, classique comme nom ! Et je vous répète ma question : que me voulez-vous ?
Snakeheart était habitué aux négociations difficiles et gardait toujours un ton froid et direct pendant ces discussions. Il n’avait pas encore comprit que cette discussion allait changer sa vie.
– Ce que je veux, c’est ton âme Harry, le salut de ton âme.
Cette phrase tomba comme une sentence, une menace, et Snakeheart faillit tendre la main vers son arme, planquée dans sa ceinture. Mais il se retint.
– Et oui Harry, je vais sauver ton âme. C’est ce que tu attends depuis que tu es gamin. Je te surveille depuis tout ce temps et je sais que tu n’es pas fait pour assassiner, pour prendre la vie.
Harry regardait le vieil homme sans broncher, sans bouger.
– Ta destinée, Harry, est de faire rêver les gens. Tu as un don et je pense que tu es enfin prêt à l’assumer.
– Je ne comprends pas ce que vous dites ! Je suis un tueur et je tue depuis tant d’années que je pourrai jamais faire autre chose.
– Tu le crois vraiment Harry ? N’as-tu pas vu cette fille offrir sa vie par amour ? N’as-tu pas vu son regard quand elle a perdu la vie ? Ne crois-tu pas qu’il y existe quelque chose de plus important que la vie, ou la mort ?
Les deux hommes restèrent en silence quelques minutes. Jaha Lenna reprit la parole.
– Je sais que le doute est en toi, Harry, oui je le sais. Et je sais aussi que tu es prêt pour gérer cette colère en toi autrement que par les armes.
Encore quelques secondes de silence. Jaha Lenna se resservit un nouveau verre.
– Harry, je connais un lieu et un homme qui peuvent sauver ton âme et te montrer un autre chemin. Je te propose un carrefour et là-bas tu choisiras.
Harry ne dit rien, mais accepta le verre de whisky que Jaha Lenna lui tendait. La porte de la Deville se referma, les mastards montèrent à l’avant, BOBY au volant et King côté passager et la Deville démarra dans un grondement de tonnerre.