Deux - Un, deux, trois... Soleil !

Notes de l’auteur : Le soleil est comme un grand sourire qui illumine nos jours.
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Les Gavillet firent une halte par leur maison avant d’arriver chez les Sherwood. Ils avaient décidé de manger des crêpes et des galettes, et il manquait quelques œufs pour faire la pâte. Ils se rendirent à pied chez leurs amis, dont la maison se trouvait à 500 mètres à peine.

La porte s’ouvrit avant même que Loïc n’ait pu lever la main pour frapper. Là-bas, pas de sonnette : Abu, leur bouvier bernois, donnait systématiquement l’alarme. Il avait été nommé par James, avec l’accord de toute la famille, en hommage au compagnon d’Aladdin. Ce chien avait exactement la même personnalité que le petit singe. Il adorait nier les innombrables bêtises qu’il faisait.

– Entrez, entrez ! les accueillit Lauren.

Les cinq Gavillet pénétrèrent dans l’entrée. Au mur, un puzzle de 2000 pièces représentant des coquillages. À terre, des chaussures éparpillées. Dans la penderie entrouverte, quelques vestes imperméables, des doudounes et des jaquettes légères. Sélène salua Abu, qui était venu quémander des caresses.

– Donne-moi seulement les œufs, je vais commencer la pâte.

– Attends, je vais t’aider, proposa Adeline.

Les deux mamans s’éclipsèrent dans la cuisine, et James offrit à boire aux nouveaux venus. Une bière pour les adultes, du jus de pomme pour les six enfants. Maëlys vint bientôt s’accrocher à sa grande sœur : elle s’ennuyait.

– Venez, je vais vous apprendre un nouveau jeu. Ça s’appelle le Zoo

Un rire provenant de la cuisine coupa James. Lauren leur cria qu’ils y avaient joué une fois à Nouvel An jusqu’à en avoir les cuisses vermillon. Intrigués, les enfants reportèrent leur attention sur le maître du jeu.

– Chacun de vous aura un animal. Par exemple, le requin. C’est comme ça.

Il mit sa main sur sa tête pour symboliser l’aileron.

– Il y a aussi le crocodile…

Il mima les mâchoires énormes avec ses bras tendus.

–… l’escargot… attention, celui-là, il ne faut pas inverser la coquille et son corps, hein !

Il avait levé deux doigts de sa main gauche pour les antennes et refermé le poing de sa main droite pour la coquille. Puis, il inversa les deux mains, ce qui ne ressemblait plus du tout à un escargot.

–… le serpent, la girafe et surtout, surtout, il y a l’éléphant et la puce.

Pour cette dernière, James plaça sa paume vers le ciel et y donna une pichenette, car la puce était si petite qu’elle devenait invisible. Puis James expliqua les règles[1] et la partie commença.

– La girafe, appelle, la puce.

– La puce, appelle, l’éléphant.

Sélène sortit de sa torpeur en entendant le nom de son animal.

– L’éléphant, appelle, la girafe.

Elle sursauta quand la voix de Léo s’éleva dans les claquements de mains.

– La girafe, appelle, l’éléphant.

Une lueur espiègle animait les yeux de l’adolescent, et Sélène réagit instinctivement.

– L’éléphant, appelle, la girafe.

La jeune fille essaya tant bien que mal de retenir son sourire, en vain. Léo l’interpela encore, et encore, et chaque fois, Sélène lui rendait la pareille. Coralie finit par les interrompre, brisant la petite bulle qui s’était créée autour d’eux.

Bientôt, Sélène perdit sa place de gagnante, et les deux mamans annoncèrent que le repas était prêt. Les enfants s’installèrent autour d’une crêpière, laissant l’autre bout de la table aux adultes. Les deux aînés se retrouvèrent côte à côte, condamnés à faire les crêpes pour leurs cadets. Un joyeux brouhaha s’éleva bientôt de la longue table.

– Tu veux quoi sur la tienne, Bruno ? demanda la jeune fille.

Pas de réponse ; le garçon était plongé dans ses pensées.

– Bruno ? insista son frère aîné. Je mets quoi dessus ?

– Hein, quoi ?

Sélène répéta encore une fois la question.

– Jambon et champignons, s’il te plaît, Sélène.

Elle tendit le bras vers le bol de viande au même moment que Léo. La crêpe commençait à brunir et dans la précipitation, il heurta le dos de sa main. Sélène la retira vivement, comme si elle s’était brûlée. Son pouls s’accéléra alors que Léo la dévisageait, perplexe. L’adolescente n’osa pas croiser son regard, pourtant insistant. A la place, elle s’empara maladroitement de la louche et fit s’écouler la pâte.

Une fois la dernière crêpe préparée, les aînés se posèrent enfin pour discuter avec Mathéo et Coralie.

– Tu te souviens de cette fois-là, quand ils s’étaient perdus dans la forêt ?

– Oui ! rigola Coralie.

– Mais comment ils ont fait pour se paumer dans cette forêt ? Il y a à peine trois arbres qui se courent après !!!

Bruno interrompit la conversation, car il était trop jeune pour s’intéresser aux péripéties des adolescents. L’enfant s’était mis en tête qu’il était un navigateur de l’espace, et il devait absolument atteindre le soleil. Il expliqua son plan à Sélène, la seule qui l’écoutait encore.

– Tu dois te débrouiller pour me trouver un chemin !

– Et je fais comment, exactement ? répliqua la jeune fille, amusée.

Le benjamin adopta un ton très sérieux pour lui répondre, car c’était la partie la plus délicate de son exploration spatiale.

– On doit jouer à Un, deux, trois, soleil ![2] avec les autres. Toi, tu leur demandes, et moi, je gagne !

Un immense sourire se dessina sur ses lèvres quand Sélène accepta. Elle devenait faible quand c’était pour rendre des enfants heureux.

– Bruno, on va pas faire ça, il fait presque nuit ! s’offusqua Mathéo, qui les avait écoutés.

– S’il te plaît… supplia le petit navigateur de l’espace, se tournant vers son dernier espoir.

Léo soupira face aux désirs de son petit frère, et finit par se lever pour enfiler une vieille paire de chaussures. Les autres se plaignirent en chœur, mais se résignèrent à le suivre.

Il faisait froid dehors malgré les quelques faibles rayons du soleil qui persistaient. Sélène frissonna en se plaçant sur la ligne de départ. Sans demander l’avis des joueurs, Léo marcha jusqu’au bout opposé du jardin.

– Vous êtes prêts ? demanda-t-il après avoir fait taire Mathéo, qui voulait prendre sa place.

L’adolescent leur tourna le dos et commença le décompte.

– Un…

Les mots s’égrenaient dans le crépuscule. Sans attendre son reste, Sélène se précipita en avant.

– Deux…

Elle aperçut Bruno du coin de l’œil, plongé dans sa mission spatiale de la plus haute importance.

– Trois…

Mathéo, Coralie et Maëlys suivaient, leur morosité envolée grâce à l’adrénaline qu’offrait le jeu.

– Soleil !

Léo se retourna subitement. En un clin d’œil, tous les joueurs s’immobilisèrent. Mathéo vacilla et fut renvoyé au départ. L’aîné les scruta un par un. Un frisson parcourut Sélène quand il la fixa minutieusement avant de se retourner. Le même schéma se répéta deux fois encore.

– Un… Deux… Trois…

La jeune fille courut de toutes ses forces, emportée par le jeu. Désireuse de remporter la partie – et d’offrir sa victoire à Bruno pour son expédition vers le soleil.

– Soleil !

Elle s’immobilisa dans un souffle, à deux mètres de lui. Quand Léo tourna la tête dans la pénombre, son cœur accéléra. Elle l’avait trouvé. L’inconnu de ses rêves. Il avait enfin tourné la tête ; Sélène pouvait observer son visage. Ses cheveux en bataille. Ses yeux de la couleur des feuilles mortes. Ses traits délicats. Ses lèvres étirées en sourire quand il dit :

– Sélène ! T’as bougé ! Retourne au départ !

L’adolescente ne broncha pas. Les ombres s’étiraient sur l’herbe boueuse. Les derniers rayons du soleil illuminaient timidement la silhouette de Léo. L’inconnu de la balançoire était devant elle depuis tellement longtemps. Pourtant, Sélène avait l’impression de le contempler pour la première fois. Sa voix – si grave, si rassurante – la tira de sa rêverie.

– Sélène ?

– Oui ? réagit-elle enfin.

– Non, rien. Tu étais… ailleurs. Retourne au départ, conclut-il avec un clin d’œil.

L’adolescente était encore troublée de sa récente découverte. Elle perdit lamentablement, mais Bruno retourna à l’intérieur, un sourire fendant son visage : il avait réussi à atteindre le soleil. L’adolescente se frotta le dos de la main, se remémorant la proximité fugace de Léo. Son sourire taquin. L’intensité de son regard. Son inconscient savait depuis longtemps qui était cet inconnu.

 

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