Dianaël

Dianaël

Après tout ce qui s’était passé, Tan ne pouvait s’empêcher de redouter un imprévu qui les retiendrait dans un coin de ciel. Pourtant les quatre mois de voyage vers le système stellaire de Gienah du Cygne se déroulèrent sans encombre. Sur un itinéraire direct, le WOW aurait pu effectuer le trajet en trois mois, mais il fit escale sur cinq planètes où les hikers furent pris en charge grâce aux contacts de Max Angel et à l’entremise des autorités de la Communauté Galactique. De presque cinq cents passagers, la population du cargo retomba par étapes à environ soixante. Seuls Billie, Runner, ainsi que Vany et sa petite sœur Chan décidèrent de rester à bord. Les hors-mondes leur organisèrent une fête de bienvenue au cours de laquelle Darwin leur injecta de nouveaux implants identitaires. Comme Chan n’avait que quatorze ans, elle fut placée sous la responsabilité de sa sœur qui, comme Runner, était majeure. Quant à Billie, elle demanda très officiellement à Paddy s’il voulait bien être son tuteur, ce qu’il accepta avec les yeux humides et l’air d’avoir avalé une arête. 

Les effectifs fluctuants du WOW bouleversèrent quelque peu le système des corvées. Skull finit par se reposer sur le volontariat des uns et des autres en arguant qu’il serait toujours temps de reprendre les bonnes habitudes plus tard. Les parties de Walrus game se multiplièrent. Ulys prédisait que ce sport était voué à se propager à travers toute la galaxie tant il était génial. D’autant que beaucoup de hikers s’y étaient convertis dès que leur santé le leur avait permis et qu’ils comptaient bien continuer sur leurs planètes d’adoption. Entre les tournois, Tan passa beaucoup de temps avec Chan. Bien qu’ils aient vécu des existences très différentes — encore une fois, l’adolescent mesura à quel point avoir une famille et une vie stable était une chance —, c’était agréable de discuter avec quelqu’un de son âge. Et même s’il nia farouchement les soupçons des autres Sailor et de Billie, il s’était vite rendu compte qu’une fois propre et un peu reposée, Chan était très jolie.

Deux semaines avant la fin du voyage, ils reçurent un message de leurs parents dont les voix tremblaient d’impatience et d’émotion. Tout à coup, l’échéance des retrouvailles devint bien plus réelle, si bien que Tan eut du mal à penser à autre chose. Certes, la vie à bord du WOW était devenue très appréciable, mais la perspective de revoir ses parents, ses grands-parents et sa tante éclipsait tout le reste. En outre, ils avaient envoyé des numshots de leurs maisons sur Dianaël. En bordure d’une petite ville, les trois constructions étaient réparties sur un grand terrain arboré où de petites allées pavées séparaient des pelouses vert émeraude. Sans être démesurés, les bâtiments n’avaient rien en commun avec les minuscules appartements terriens où les Sailor avaient grandi. Ils se composaient d’enfilades de pièces chaleureuses avec d’immenses fenêtres qui donnaient sur un lac en contrebas.

Tan contempla longuement le numshot de sa future chambre sur l’écran de son mediacom. Il n’en revenait pas d’avoir tout cet espace pour lui ! A son grand étonnement, il éprouva un pincement de regret en songeant aux nombreuses fois où, dans leur cabine du WOW, Teddy l’avait réveillé en parlant dans son sommeil. Le visage apaisé de son petit frère lui avait souvent procuré du réconfort, finalement. Il était cependant certain que cette merveilleuse chambre lui ferait très vite oublier les excentricités nocturnes du petit garçon. Dianaël promettait l’existence dont les Sailor avaient rêvé.

Comme ils étaient presque arrivés, ils purent faire le bilan du décalage temporel. Le jour de l’atterrissage, les enfants auraient passé un peu plus de huit mois parmi les hors-mondes ; pour leurs parents, sept mois s’étaient écoulés. Tan était content que le temps relatif ait épargné un mois à sa famille. Quelque chose lui disait que l’attente avait dû être encore plus difficile pour eux qu’à bord du WOW.

Malgré l’impatience des cinq enfants, leurs visages s’allongeaient à mesure qu’ils approchaient de leur destination. Les adieux n’étaient pourtant pas imminents puisque Skull avait trouvé un chantier sur Dianaël, non loin de chez les Sailor. L’équipage resterait environ un mois sur place. Cependant, Oxan et Billie ne se déplaçaient plus l’une sans l’autre, Calixt jetait constamment des regards anxieux à Diego qui l’installait sur ses épaules ou le prenait dans ses bras pour un oui ou un non. Peu après la diatribe d’Oxan sur les secrets du WOW, le géant était apparu un matin sans ses clous sur les bras. Il n’avait conservé que ceux qui émergeaient de son crâne et encore, pas tous. Avec un air d’excuses, il expliqua à Oxan que sur sa planète d’origine, ces ornements constituaient un symbole de force et de courage sans lequel on n’était rien. Il sentait bien qu’il n’avait plus besoin de ça, mais il lui faudrait encore un peu de temps pour enlever les derniers. Quant à ses optiques, il était désolé de l’impression qu’elles produisaient, mais elle n’avait pour but que de protéger ses yeux brûlés par des radiations. Oxan, cramoisie, lui avait simplement touché le bras.

– Tu as raison, tu n’as besoin d’aucun symbole pour être fort et courageux.

Tan trouva la remarque un peu mièvre, mais en voyant le géant adresser à sa cousine un sourire tremblotant, il dut bien reconnaître qu’elle avait trouvé les bons mots.

Teddy émit l’idée que ses parents pourraient adopter Livingstone. Quant à Ulys, il prêchait les mérites de Dianaël auprès des hors-mondes pour les convaincre de tous s’y installer. Tan ne l’encouragea pas dans cette utopie, mais se mit à espérer en secret qu’elle se réalise.

***

Enfin, ils atteignirent l’orbite administrative de la planète. Max Angel leur montra plusieurs articles qui parlaient d’eux. Les démarches de leurs parents avaient interpellé quelques journalistes qui avaient raconté leur histoire ; ou du moins des versions très imaginatives basées sur des hypothèses soit dramatiques, soit proches du conte de fée.

– Ne t’inquiète pas, dit Ulys à Max Angel, on te réserve l’exclusivité !

Les publications les ayant rendus célèbres sur Dianaël, un véritable comité d’accueil les attendait à l’astroport. Tandis qu’il rassemblait ses quelques possessions, Tan en était très contrarié ; ce n’était pas vraiment ce qu’il avait imaginé pour les retrouvailles avec ses parents. Il cherchait encore comment échapper à une arrivée officielle quand le vaisseau quitta l’orbite pour se poser sur la piste.

Pourtant, lorsque l’ascenseur de la passerelle s’ouvrit sur le fusioasphalte de sa nouvelle planète sous une musique tonitruante et les applaudissements d’une foule, il ne vit que les cinq personnes qui se tenaient en face. Les enfants lâchèrent leurs sacs et leur boîte à chat pour se précipiter vers elles. Avant même que les bras de ses parents se referment sur lui et sur ses frères, Tan versait des larmes qu’il n’avait pas senti venir. Rien ne lui avait jamais semblé meilleur que cette étreinte. Il aurait voulu qu’elle dure toujours. Le nez dans son cou, Carla lui parlait de sa taille, mais il n’entendait pas grand-chose ; à côté, Maty sanglotait en serrant Oxan et Calixt contre elle. Tan sentait les caresses de Granma sur ses joues et percevait les bougonnements humides de Granpa qui lui tapotait le dos. Un peu plus tard, entre les embrassades de ses grands-parents, il entendit son père remercier Skull, puis convier l’équipage chez eux le lendemain. Les Sailor au complet adressèrent de grands signes aux hors-mondes.

Et tandis qu’ils se dirigeaient vers les véhicules familiaux sans s’occuper des reporters qui les poursuivaient, Tan se jura que plus jamais il ne quitterait sa famille, même pour des millions d’étoiles.

FIN