Épisode 7 : La fin du voyage - Trop de secrets

Épisode 7 : La fin du voyage

Trop de secrets

Les deux mille soldats de la Communauté Galactique débarquèrent sur Stadium une semaine plus tard. Oxan les trouva très impressionnants avec leurs uniformes et leur équipement de pointe. Ils annoncèrent que d’autres vaisseaux allaient suivre, car la planète faisait l’objet d’une mise sous tutelle de la CG, avec un programme de redressement complet en matière de civilisation et d’aménagement. Les militaires recueillirent les témoignages des hikers et des hors-mondes, puis organisèrent la détention des Stadiens et leurs interrogatoires. Il apparut rapidement que seul un groupe d’une centaine de dirigeants était à l’origine de l’exploitation des esclaves. La grande majorité des habitants de la planète ignorait la présence des hikers sur leur sol et jusqu’à l’existence des mines et des ateliers de production robotique.

– Ouais, c’est pratique, remarqua Oxan alors que les Sailor et Billie étaient rassemblés dans leur appartement du WOW. Ils se sont pas demandé comment leur gouvernement finançait leurs journées de sieste ! C’était facile de fermer les yeux puisque ça les arrangeait ! Je peux pas croire qu’aucun d’entre eux ne s’est aperçu de quoi que ce soit pendant plusieurs années.

– Ce pas qu’les seuls à s’taire, marmonna Billie en regardant par terre. J’rais dû parler d’suite à Skull.

– Ah non, Billie ! Tu vas pas te faire des reproches, après ce que tu as vécu, quand même !

– Tu sais, nous aussi on a mis longtemps à faire vraiment confiance aux hors-mondes, intervint Tan. Enfin… surtout moi. Tu pouvais pas deviner qu’ils étaient du genre à parcourir plusieurs centaines de parsecs pour aller sauver des enfants qu’ils ne connaissent même pas.

La hikeuse acquiesça avec un demi-sourire.

– Faut dire qu’l’en a pas trop, des comme eux ! Et ‘core moins d’comme vous ! s’écria-t-elle en décoiffant Oxan qui protesta en riant.

***

Quatre jours après l’arrivée des forces de la CG, le WOW s’apprêta à quitter Stadium. Soignés par Darwin et le médecin militaire, Paddy et les hors-mondes blessés lors du combat pouvaient à présent voyager sans danger et les hikers étaient impatients de laisser ce monde derrière eux.

De sa propre initiative, Karl se rendit aux soldats en leur relatant son rôle dans la mort de Blacky ; il serait enfermé dans une cellule de leur vaisseau en attendant son transfert vers la base fédérale où il serait jugé. Lorsqu’il partit entre deux gardes, il leva à peine les yeux vers Diego. Parce qu’il avait honte, pensa Oxan, mais ça n’empêcha pas Diego de se réfugier dans sa cabine jusqu’au soir. Quant à Calixt, il n’avait même pas voulu assister au départ de l’homme-tuyaux vers les geôles de la CG. Il s’était imaginé que la participation de Karl à la libération des hikers et son propre sauvetage sur Galatim avaient remis les compteurs à zéro et qu’il n’était plus coupable de rien. Oxan n’avait pas pu lui faire comprendre que ce n’était pas si simple. Blacky avait eu beau être une parfaite ordure, la mort qu’il avait eue n’avait rien à voir avec de la justice.

Victor Charque aussi était détenu dans les quartiers de haute-sécurité du vaisseau militaire. Le juge d’instruction qui accompagnait le bataillon était certain qu’il s’agissait de quelqu’un d’important dans la hiérarchie de la Sea Beast. Il essayait de rassembler des preuves, mais compte tenu des délais de communications intersystèmes, c’était un travail de longue haleine.

– Dire que nous l’avons tous trouvé immédiatement sympathique ! s’écria Bella lors du premier dîner après le décollage. Je ne l’ai pas soupçonné une seconde. Il était tellement gentil ! Et puis, son faux respirateur, son histoire de poumons fichus, c’était parfait pour inspirer la compassion.

– Pourtant c’était logique, souffla Max Angel. Son rôle de radio le plaçait aux premières loges pour transmettre tous ces messages.

– Pas étonnant qu’il ne soit pas arrivé à les décrypter quand Bella le lui a demandé, d’ailleurs, remarqua Tan. Il ne devait même pas essayer !

– Si j’avais déjà eu le niveau que j’ai acquis grâce ma formation sur Galatim, je m’en serais aperçue, regretta Oxan. Ce n’était pas si difficile, de craquer ces messages ; j’ai réussi en une heure.

Quelques secondes s’écoulèrent en silence puis soudain, Ulys s’exclama :

– Eh, mais on saura jamais ce qui s’est passé cette nuit-là, devant la salle radio ! On a vu Darwin, mais aussi deux personnes qui se bagarraient. Même que ça faisait un boucan pas possible contre la porte de notre cachette !

– On a entendu la voix de Victor, rappela Oxan. Enfin, on l’a pas reconnue à ce moment-là, mais maintenant on sait que c’était la sienne.

– Et l’autre ? Est-ce que c’était Blacky ? Pourtant, ils étaient complices, ils n’avaient aucune raison de se battre, si ?

Skull, qui mangeait à présent avec eux dès que ses tâches lui en laissaient l’occasion, s’éclaircit la gorge d’un air gêné.

– L’autre, c’était moi, marmonna-t-il. Je voulais débrouiller moi-même cette histoire de messages. En arrivant à la salle radio, j’ai vu quelqu’un en sortir. J’ai tenté de l’arrêter, mais il m’a jeté à terre. Le temps que je me relève et me lance à sa poursuite, il avait disparu dans les couloirs. Dans la pénombre et sans respirateur, je n’ai pas reconnu Victor. J’ai… j’ai préféré garder ces évènements pour moi.

Oxan sentit la moutarde qui lui montait au nez. Décidément, ça lui arrivait de plus en plus souvent, ces derniers temps.

– Ben voyons ! lança-t-elle bien fort sans regarder personne en particulier. Comme si c’était la peine de le préciser !

Toutes les fourchettes étaient restées bloquées à mi-chemin entre les assiettes et la bouche de leurs propriétaires qui dévisageaient l’adolescente avec perplexité. Skull dut se sentir visé — à raison, d’ailleurs — puisqu’il se dévoua pour demander :

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

Un flot de mots se précipita vers les lèvres d’Oxan. Pas vraiment des pensées qu’elle aurait ressassées depuis longtemps, mais qui devaient quand même se terrer quelque part dans son esprit pour lui venir aussi vite ! Quoi qu’il en soit, elle tenait une bonne occasion de s’exprimer, qu’elle n’allait pas laisser passer.

– Je veux dire qu’il faudrait peut-être arrêter avec votre petite culture du secret et de la discrétion, sur ce cargo ! Si vous vous disiez les choses un peu plus franchement, on aurait peut-être évité des problèmes. Et en plus, ça nous donne l’impression que vous nous prenez pour des idiots. Vous croyez qu’on comprend rien ?

Les poings sur les hanches, elle balaya l’assemblée du regard en s’attardant sur les adultes.

– Darwin, par exemple, qui déambule la nuit dans les couloirs avec des bouteilles… Vous pensiez vraiment qu’on ne devinerait pas qu’il a des problèmes d’alcool ? Beaucoup de hors-mondes sont mal à l’aise avec lui, mais personne n’en parle. Je ne suis pas sûre que vous lui rendiez service ! Vous auriez pu nous le dire plutôt que nous laisser avoir peur de lui et de ses crises de colère. Calixt a une cicatrice sur le bras parce qu’il n’a pas osé se faire soigner par lui. Et c’est à cause de ça qu’il n’a pas travaillé au dispensaire, sur Galatim ? Il n’a plus le droit d’exercer officiellement, c’est ça ? En plus, si ça se trouve, on aurait pu l’aider ! Je sais pas trop comment, mais il paraît qu’on a eu un effet particulier sur certains membres d’équipage, non ? Et du coup, personne n’a jugé bon de nous dire qu’il avait arrêté de boire depuis le premier passage sur Stadium, non plus !

Skull, Paddy, Diego et Bella contemplaient leurs assiettes comme des enfants pris en faute. Les Sailors hésitaient entre gêne et acquiescement. Quant à Billie et Livingstone, ils trouvaient apparemment la scène très divertissante. Oxan continua sur sa lancée :

– Paddy, pourquoi ne pas nous avoir raconté tout de suite que tu avais été hiker ? C’est pas une honte ! Si on l’avait su plus tôt, Billie n’aurait peut-être pas attendu un mois pour parler des hikers !

Elle pointa le doigt sur le capitaine.

– Skull, si tu nous avais dit tout simplement que notre présence à bord était stressante pour toi au lieu d’être désagréable avec nous, on t’aurait fait confiance plus vite. Tan t’aurait peut-être fait part des soi-disant soupçons de Blacky et on en aurait déduit qu’il était pas net. Et l’histoire de la salle radio ? Tu aurais pu m’écouter et me dire que tu voulais trouver toi-même le traître ! Pourquoi m’envoyer balader ?

Les visages tournés vers elle étaient de plus en plus mal à l’aise, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de continuer.

– Arrêtez de croire que votre passé est honteux ou que personne ne peut comprendre ce que vous avez vécu ! Tous les occupants du vaisseau ont traversé des périodes affreuses, alors vous êtes bien placés pour vous écouter ! Diego, les pointes, le cuir, les optiques ? Il y a une raison ? Ça m’étonnerait que ce soit pour tenir les autres à distance, parce que ça te ressemble pas du tout !

Rouge brique, le géant ouvrit la bouche, puis la referma en une moue peinée. Oxan se demanda vaguement si elle avait été trop loin. Tant pis.

– Bella, tu ne dis jamais rien de toi non plus. Je t’aime vraiment beaucoup, mais je ne te connais pas. C’est quand même dommage ! Quant à Skull… je suis sûre que tu ne cherches qu’à bien faire, mais tu ne peux pas tout gérer tout seul ! Ni tout garder pour toi. Tout le monde se doute qu…

– Qu’il y a quelqu’un dans sa cabine ! interrompit Teddy. Je l’ai entendu crier, une fois, quand je courais après Dragon !

Cette fois, tous les regards se braquèrent sur le capitaine. Oxan se laissa retomber sur son siège. Qu’avait-elle déclenché ?

– J’allais juste dire que tout le monde se doutait que Max et toi, vous étiez ensemble… marmonna-t-elle.

Un silence pesant s’abattit sur la tablée, contrastant avec les rires et les conversations des groupes de hikers voisins. Au bout d’un moment, Skull afficha un sourire triste.

– Il n’y a personne dans ma cabine. Mais ça m’arrive parfois de regarder des vieux numscreens de ma femme et de ma fille. Sur l’un d’eux, ma fille imite le cri du loup qu’elle avait étudié en classe. C’est ce que Teddy a entendu.

Vu la tête des hors-mondes, le capitaine n’avait jamais fait la moindre allusion à sa famille devant aucun d’eux auparavant. Oxan pressentait qu’un drame avait eu lieu, mais elle se garda bien de poser des questions ; elle en avait déjà beaucoup trop fait. Aux côtés de Skull, Max se tortillait sur sa chaise en attendant la suite.

– Tu as une femme et une fille ? demanda Livingstone avec son enthousiasme habituel.

– Elles sont mortes il y a quinze ans dans un accident industriel sur ma planète d’origine. C’est pour cette raison que j’ai acheté le WOW en passe d’être vendu comme épave ; j’avais... besoin de changer d’air. Je l’ai fait rénover et je suis parti.

– Pardon, souffla Oxan alors que les hors-mondes étaient encore figés par la surprise, je n’aurais pas dû déclencher cette discussion.

– Ne t’excuse pas, je pense que tu as raison. On devrait se faire plus de confidences. Et puis, quelque chose me dit qu’à partir de maintenant, mon passé me pèsera moins qu’avant, ajouta le capitaine en prenant la main de Max Angel. Vous êtes décidément très perspicaces, les Sailor.

– C’est pas de la perspicacité, déclara Tan. Vous vous embrassez au milieu d’une foule en vous imaginant que personne ne vous voit, alors forcément…

– Peut-être qu’inconsciemment, je voulais en finir avec les secrets, répondit Skull.

Paddy tapota l’épaule d’Oxan en levant les yeux au ciel.

– Encore le mystérieux effet Sailor…