Disparition

Par deb3083

Richard Brunsdall n’était pas homme à tourner autour du pot. Lorsque Leah eut refermé la porte derrière elle, il ne la laissa même pas s’assoir sur une chaise.

— Que vous ont dit les élèves, mademoiselle… ?

— Leah Stanwell. Je suis la nouvelle professeur de photographie. Je suis arrivée à Bluebell Hill il y a trois jours.

— Oh, je vois.

— Je me suis rendu compte qu’ils étaient dissipés et…anxieux. Puis, Aisha m’a indiqué qu’Ashleigh les prévenait toujours en cas d’absence.  Ensuite, elle…

— Oui ?

— Eh bien, je me peux tromper mais j’ai eu le sentiment qu’elle voulait me confier quelque chose avant de se raviser. Elle semblait gênée ensuite.

— Mademoiselle Stanwell, puisque vous êtes arrivée récemment, vous ignorez manifestement certains faits, que les étudiants…

— Richard, jusqu’à preuve du contraire, la disparition d’Ashleigh n’est peut-être qu’une fugue ! protesta le proviseur Callhoway.

— Vous savez très bien que c’est peu probable Philip. Ashleigh Wadhurst n’a pas le profil d’une fugueuse.

 

Leah leva la main pour attirer l’attention des deux hommes :

— Excusez-moi mais…vous pourriez m’expliquer ? Ashleigh a…a vraiment disparu ?

 

Le proviseur secoua la tête et soupira :

— Nous ne pouvons pas encore parler de disparition. Elle a peut-être fugué. Quant au reste…tôt ou tard, vous l’auriez appris de toute façon. Richard ne me contredira pas, si les élèves sont aussi inquiets, comme vous l’avez souligné, c’est parce qu’il y a cinq ans, plusieurs femmes de Bluebell Hill, ainsi que deux touristes de passage, ont disparu et personne ne les a jamais revues. L’enquête  n’est pas vraiment clôturée mais les hommes de Richard n’ont jamais trouvé le moindre indice permettant d’expliquer ces disparitions.

 

Le shérif hocha la tête puis, il s’adresse à nouveau à Leah :

— Mademoiselle Stanwell, si jamais les étudiants vous confient certaines…choses, prévenez-moi immédiatement. Les gosses n’aiment pas la police. Ils se sentiront peut-être plus en confiance avec vous.

— Je viens juste d’arriver, je ne sais pas…

— C’est très important. N’importe quel détail, même celui qui vous semblera le plus insignifiant peut nous aider. Essayer de les faire parler, essayer de discuter avec eux.

—Très bien, je ferai mon possible.

 

Leah s’apprêtait à quitter le bureau lorsque le proviseur laissa échapper un juron. La jeune femme le dévisagea, inquiète. L’homme tendit son smartphone au shérif en maugréant :

— Ils ne vous ont pas écouté. Ils ont publié une vidéo pour l’éventuel ravisseur et demandent qu’il leur rende leur fille. Il y a déjà trois cents partages. Dans deux heures, la ville sera envahie par la presse. Leah, je vais envoyer un mail à tout le personnel. Vous ne devez pas parler aux journalistes.

 

Dix minutes plus tard, alors qu’elle devait assurer un cours à des Sophomores[1], Leah comprit qu’il serait inutile de discuter photographie avec eux. Chacun avait sa propre théorie quant à la disparition d’Ashleigh Wadhurst : trop de stress lié à sa dernière année de lycée ou au remplissage de ses dossiers de candidature pour les universités qu’elle avait choisi, dispute avec ses parents ou son petit ami…

Et dans ce cas, elle réapparaîtrait bientôt en s’excusant d’avoir fichu la trouille à toute la ville. Du moins, c’est ce qu’ils espéraient.

 

Lorsque Leah quitta le lycée en fin d’après-midi, elle exigea qu’Alice l’accompagne chez elle.

Elles s’installèrent dans le salon et s’observèrent quelques secondes en silence. Puis, la secrétaire fit mine de contempler ses chaussures tout en se mordillant les lèvres.

— Bluebell Hill n’est pas si ennuyante que cela apparemment…murmura Leah.

 

Son amie releva la tête et ne chercha pas à dissimuler son embarras :

— J’avais prévu de t’en parler un jour, de ces disparitions.

— Tu avais peur que je renonce à venir ?

— Je n’en sais rien. Oui, peut-être. Huit disparitions de femmes sur une période de dix mois dans une petite ville comme la nôtre, ce n’est pas comparable à Los Angeles. Je suis étonnée que tu n’en saches rien. Je veux dire…tu ne t’étais pas renseignée sur Bluebell Hill avant ton départ ?

— Pas spécialement. En tout cas pas au sujet des crimes commis dans la région. Qui étaient ces femmes ? On ne les a jamais retrouvées ?

— Non, aucune. Et je crois bien qu’ils n’ont jamais eu la moindre piste sérieuse. Sans compter que…

— Que ?

 

Alice jeta un rapide coup d’œil vers la fenêtre, comme si elle guettait quelqu’un. Et Leah comprit qu’elle n’allait sans doute pas aimer la suite des confidences de son amie.

 

 

 

[1] Grade 10 du système scolaire américain, les élèves ont 15/16 ans

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Charlie_Arkizs
Posté le 11/01/2023
Je trouve qu'il y a une certaine finesse dans la description psychologique des personnages qui, entre autres éléments de narration, nous tient particulièrement attentifs. Le style rapide et les chapitres courts dus à la mise en forme pour Fyctia ne me dérange pas, au contraire. Beaucoup de romans policiers "feuilletons" adoptent cette formule courte, ceux d'Edogawa Rampo par exemple.
ClementNobrad
Posté le 29/11/2022
Toutes ces disparitions.... Très intriguant. Après, même remarque que dans les chapitres précédents. Très "rapide". C'est une succession de dialogues qui laisse de côté les descriptions. C'est un style singulier et appréciable également hein :).

Tout ça se lit super bien !

Petite coquille : "les universités qu’elle avait choisi" j'aurais mis "choisies" pour accorder avec le COD placé avant.
deb3083
Posté le 07/01/2023
promis, ce sera plus détaillé dans la version corrigée ;-)
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