Ce début septembre était décidément exécrable. Tandis que des trombes d’eau s’abattaient sur Bluebell Hill, Alice Edworth reprit son récit :
— Les rumeurs les plus folles ont commencé à circuler après la première disparition. Celle de Mary Odsey. C’était une jolie fille de vingt-six ans. Elle était employée à la bibliothèque de la ville, elle n’avait jamais eu d’ennuis avec personne. Tu lui aurais donné le bon Dieu en confession.
— Mais…
— Mais certains étaient convaincu qu’elle avait une liaison avec Ronald Masbrough. D’ailleurs, le frère de Mary, Samuel a essayé de mener sa propre enquête. Il est policier et il était persuadé que Ronald était lié à la disparition de sa sœur. Il a essayé à plusieurs reprises de s’introduire chez eux mais comme ils vivent dans une résidence sécurisée, il n’a jamais été autorisé à franchir le poste de garde. Et puis, du jour au lendemain, il a arrêté de brailler contre les Masbrough.
— Pourquoi ?
— Aucune idée. Enfin, si, j’ai quand même une hypothèse.
— Laquelle ?
— Je crois, et je ne suis pas la seule à le penser, que Samuel a reçu du fric des Masbrough.
— Hein ? s’exclama Leah.
— Ouais, ça peut te paraître dingue mais nous sommes beaucoup en ville à penser que Ronald n’est pas net dans cette histoire. Surtout qu’ensuite, c’est sa demi-sœur qui a disparu. Enfin, non, il y a d’abord eu la cousine du shérif Brunsdall. C’était l’épouse du proviseur Callhoway. Elle non plus n’était pas claire.
— Attends attends, on dirait que tu me racontes le scénario d’une mauvaise série télé.
— Si seulement ! Là encore ce ne sont que des rumeurs mais certains étaient convaincus qu’elle avait trompé son mari avec Jared Maidden.
— Le prof de biologie ? Je l’ai croisé ce matin. Quel boulet ! Je l’ai d’ailleurs gentiment envoyé balader, j’espère qu’il comprendra le message. Donc, si je résume, il y a cinq ans la maîtresse présumée de Ronald Masbrough, sa demi-sœur et la femme de Philip Callhoway ont disparu.
— C’est ça. Ainsi que deux touristes, une employée de chez Mister T, une femme de ménage du lycée et une étudiante de Harwich venue passer deux semaines chez son père. Le climat était devenu invivable. Plus personne n’osait sortir le soir. Tout le monde dévisageait son voisin avec méfiance.
— Tu m’étonnes !
— Deux mois après la dernière disparition, Brunsdall a estimé que la personne responsable avait quitté la ville.
— Et quoi, c’est tout ? Il a clôturé l’enquête ? s’indigna Leah.
— Oh non. Lui et ses hommes ont continué de chercher des indices, d’interroger des proches, des amis, des collègues des disparues. Puis…eh bien la vie a repris son cours. Les familles tentent toujours de découvrir des infos et cherchent des témoins mais cinq ans après les faits, beaucoup ont oublié ce qu’ils faisaient lors de chaque disparition.
Leah ferma les yeux un bref instant. Elle n’osait imaginer la douleur des proches. Comment continuer à vivre sans avoir de réponses ? C’était sans doute ça le plus terrible : l’absence de certitudes. En cas de décès, de meurtre, de suicide, les familles récupéraient le corps pour l’enterrer et pouvaient faire leur deuil. Mais une disparition ?
— Leah ?
La voix inquiète d’Alice sorti la jeune femme de sa torpeur :
— Oui, hum…désolé. Je…je me disais que ça doit être affreux pour les familles.
— C’est certain. Ils espèrent bien sûr recevoir un jour de bonnes nouvelles mais après cinq ans, c’est compliqué de rester optimiste.
— Quelle est ta théorie au sujet de ces disparitions ? Tu crois qu’elles sont liées ? s’enquit Leah.
— Je pense que oui. Même si…ha je ne sais pas, c’est tellement étrange tout cela. Mary Odsey, Erika Callhoway et Brianna Masbrough se connaissaient mais les cinq autres ? Je ne trouve aucun lien entre elles. S’il n’y avait eu que des femmes de Bluebell Hill, peut-être que l’enquête aurait évolué plus vite. À moins que les deux touristes soient des victimes collatérales.
— Du genre au mauvais endroit au mauvais moment ?
— Possible oui, admit Alice.
— Et où se situe Ashleigh Wadhurst ?
— Alors ça, je n’en ai aucune idée. Peut-être que ce n’est pas lié aux autres disparitions. Mais ce dont je suis certaine, c’est que les prochaines semaines seront loin d’être réjouissantes.
Les deux jeunes femmes passèrent le reste de la soirée à discuter de sujets plus légers. Cependant l’ambiance restait tendue. Et lorsqu’Alice rentra chez elle, Leah resta sur le pas de sa porte pour s’assurer qu’il n’arrivait rien de fâcheux à son amie.