– Je vais vous passer un extrait du film Harry Potter. Ce sera le prochain sujet du Carnet Créatif, donc soyez attentifs.
Lorsque Madame Gasser eut fini de parler, les haut-parleurs prirent le relais en grésillant. À l’écran, la célèbre musique de ce film accompagna Harry, le personnage principal, près d’un miroir. Il y voyait ses parents, décédés tous les deux plusieurs années auparavant. Sélène connaissait déjà cette scène, car elle l’avait vue ou lue de nombreuses fois. Le Miroir du Riséd. Du désir. Au projecteur, Albus Dumbledore, le plus grand sorcier de son temps, apparut pour confirmer ce que la jeune fille savait déjà : ce miroir très spécial permet à celui qui s’y regarde de voir son rêve le plus cher.
– Le thème de cette rédaction sera le Miroir du Riséd, expliqua Madame Gasser pour ceux qui ne connaissaient pas Harry Potter. Vous devrez commencer votre texte par cette phrase : « La pièce était extrêmement obscure mais je ne pus m’empêcher d’approcher… » Ensuite, vous décrivez ce que vous voyez dans le miroir. C’est clair pour tout le monde ?
Interprétant le silence général comme un oui, la prof de français exhorta ses élèves à se mettre au travail. Sélène n’avait pas la moindre idée de son vœux le plus cher, alors elle laissa son regard dériver par la fenêtre. Le ciel était gris, les arbres ne semblaient même plus se préoccuper des feuilles qu’ils avaient perdues par dizaines durant l’automne. Le concierge essayait d’accrocher une guirlande lumineuse aux branches brunâtres.
Sélène n’avait pas vu le temps glisser, on était déjà début décembre. Noël se profilait à l’horizon, l’adolescente avait hâte d’être en vacances pour profiter de l’ambiance chaleureuse qu’annonçaient les fêtes de fin d’année. Pourtant, elle ne voyait pas encore le bout de cette période d’avent qui semblait durer une éternité.
Un brouhaha étouffé ramena Sélène à la réalité. Dehors, la classe de Léo était sortie pour elle ne savait trop quoi. « Peut-être aider le concierge, tiens » se dit-elle en voyant certains élèves transporter une échelle.
Sélène réalisa que ce qu’elle devait écrire était une évidence. C’était tellement facile qu’elle n’y avait même pas pensé.
Léo.
C’était être à ses côtés pour l’éternité. C’était avoir une place dans le monde.
Son amour était assez puissant pour être assumé pleinement, dorénavant. Sélène regrettait ce qu’elle lui avait dit lors de son baptême, mais elle ne pouvait revenir sur le passé. À moins que… Sans prendre le temps de penser plus avant à son texte, l’adolescente commença à noircir des lignes et des lignes de papier quadrillé, directement dans son Carnet Créatif.
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La pièce était extrêmement obscure, mais je ne pus m’empêcher d’approcher… Ce que je vis à l’intérieur du miroir, cela restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Il faisait beau, le ciel était limpide, sans un nuage à l’horizon. Je portais un pull trop grand qui ne m’appartenait pas – je souffrais peut-être du froid. Mon regard dérivait sur la baie. Les vagues se faisaient discrètes, le vent ne dérangeait pas mes cheveux miel cascadant le long de mes épaules. Baissant les yeux, je m’aperçus que la semelle de mes bottines était couverte de sable humide.
Face à l’océan, je paraissais minuscule, malgré le calme dont il faisait preuve. Mes traits semblaient apaisés en le contemplant. C’était comme si je retrouvais un vieil ami. Pour une fois, il n’était ni imprévisible, ni ravageur. Mon regard se perdait au loin, au-delà. Je n’apercevais aucune voile blanche ; pas un souffle n’aurait pu les gonfler. Les vaguelettes déposaient des coquillages un peu plus loin, je voyais leurs reflets scintiller.
Pourtant, l’océan semblait secondaire dans mon esprit. Mon attention était accaparée par l’homme qui entourait ma taille de ses bras puissants.
Instinctivement, je savais que c’était mon âme sœur. L’homme de ma vie. Si grand qu’il aurait pu caresser les étoiles, il avait des cheveux foncés qui tiraient sur le noir. Son regard m’ensorcelait dans un tourbillon de feuilles mortes. Ses bras étaient dénudés, il avait la chair de poule mais n’y prêtait aucune attention. J’en déduisis que le pull que je portais lui appartenait.
Peut-être qu’un inconnu aurait pensé à une personne froide. Mais tout le monde se trompait, car sinon, il n’aurait pas réussi à conquérir mon cœur. À mes yeux, il était le plus attentionné, le plus beau, le plus protecteur, intelligent, galant, courageux, gentil de toutes les personnes que je connaissais. Aucun mot n’aurait pu le décrire vraiment, tant il était particulier. Parfait.
Tant je l’aimais.
Il m’avait guidée sans le savoir pendant bien plus d’une année. Je l’avais aimé dans l’ombre, personne ne le savait. Pas même lui.
Il était des fous rires lors d’une après-midi pluvieuse. Des caresses qui effaçaient mes larmes. Il était la force qui me permettait d’avancer, la personne pour qui je me levais le matin. Il était une balade sur la plage, une balançoire qui surplombait l’océan. Il était toute ma vie.
Quand j’étais avec lui, le monde devenait plus brillant. J’y avais enfin ma place. Il avait toujours été à mes côtés. Il me protégeait.
Sur cette petite plage paisible, il réchauffait mon cœur autant que mes mains bleuies par le froid. Du feu parcourait mes veines, me brûlait agréablement. Je me sentais en sécurité. Tant qu’il serait avec moi, le monde ne pourrait pas s’effondrer.
Parce qu’on s’aimait.
Ce miroir était indubitablement magique, mais aussi dangereux. Il me montra non seulement mon désir le plus cher, mais aussi tout ce que je ressentais sur cette plage. C’était comme si, tant que je contemplais ce miroir, je pourrais être à la place de la Sélène qui s’y tenait. Je voulais rester, parce que se sentir heureux n’a pas de prix.
Avec toute la volonté dont j’étais capable, je m’arrachai à l’observation du miroir, parce que j’entendais des voix dans le couloir. Parce que cet objet avait le pouvoir de me faire sombrer dans la folie.
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Extrait du carnet créatif de Sélène,
Miroir du Riséd, écrit pour Léo
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Sélène releva la tête. Les autres élèves discutaient joyeusement durant l’intercours. Se massant le poignet parce qu’elle avait écrit trop vite, l’adolescente rejoignit Norelia et Maïwenn.
– Ah, enfin, Sélène ! C’est pas trop tôt ! s’exclama sa meilleure amie.
– On n’a pas osé te déranger, ajouta Maïwenn.
En jetant un coup d’œil au cahier de la jeune fille, Sélène remarqua que seules deux ou trois phrases avaient été griffonnées. À la place, le portrait d’une fille penchée sur un bureau prenait toute la page. Ses cheveux cachaient son visage.
– C’est moi ? réalisa Sélène à haute voix.
– Ouais. Je n’avais rien d’autre à faire, se justifia Maïwenn.
– Incroyable.
– Merci. Tu veux le garder ?
– Non, non, c’est bon.
Pourtant, Sélène observa le dessin un long moment après que ses amies eurent repris leur conversation. Elle décelait chez cette fille griffonnée une aura qu’elle n’était pas habituée à percevoir dans les dessins de Maïwenn. Cette fille-là semblait en attente. Mais de quoi ? En plus, son amie n’était absolument pas au courant de l’amour qu’elle portait à Léo. Alors, quoi ? L’attitude de Sélène était-elle si claire que ça ?
L’adolescente retourna à sa place quand la cloche retentit pour signifier la fin de l’intercours. En relisant son texte, Sélène se rendit compte qu’elle avait pris goût à l’écriture, même si elle détestait ça, avant. Petit à petit, mot après mot, la jeune fille comprenait que le fait d’écrire l’aidait à cerner ses sentiments, surtout l’amour.
En attente. En même temps qu’elle suivait plus ou moins la deuxième heure de français de la journée, consacrée à la grammaire, ces mots se frayèrent un chemin dans son esprit. Sélène rêvait d’un monde où elle aurait une place. D’un monde où elle serait aimée. Et il n’y avait qu’une solution pour l’obtenir.
Sélène l’avait trouvée.
L’adolescente avait déniché le moyen de montrer à Léo à quel point elle l’aimait.
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Étonnamment, les fêtes de fin d’année passèrent très vite. Comme un avant-goût, les trois semaines qui séparaient Sélène des vacances s’effilochèrent sans qu’elle ne les vît. Il y avait tellement d’évaluations, les élèves étaient submergés par la masse de travail. Par miracle, l’adolescente ne tomba pas malade, contrairement à la plupart de ses camarades.
– Il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnez, musettes…
La famille Gavillet était réunie autour du sapin décoré et chantait révérencieusement. Sélène adorait le calme qui émanait du 25 décembre au matin. Ils se réveillaient, chantaient, s’offraient des cadeaux. La jeune fille observa l’enchevêtrement des guirlandes et des boules de Noël qui ornaient l’arbre. C’était chaotique, c’était multicolore. Il était un des meilleurs souvenirs de son enfance.
– Mily ? Viens par là. J’ai un cadeau pour toi, révéla Sélène.
– Ouiii ! réagit sa petite sœur. C’est quoi ?
Bientôt, le papier cadeau fut déchiqueté en lambeaux. C’était une boîte à musique entourée de coquillages peints finement. L’aînée l’avait dénichée dans un marché de Noël alors qu’elle arpentait les rues de la ville d’à côté. Sélène offrit à Coralie un bonnet bleu clair à pompon beige. Toute la journée, sa sœur le garda fidèlement sur la tête.
Le nouvel an fut agréablement calme aussi. On célébra en famille la joie de la nouvelle année, devant un bon film et des popcorns, comme la tradition des Gavillet l’exigeait. Ils regardèrent quelques feux d’artifice illuminer la mer, et partirent se coucher peu après.
Durant toute cette période, Sélène mit un plan sur pied. Elle était prête à retourner à l’école. Mieux encore : elle en avait hâte. Une impatience grandissante se nichait au creux de son ventre. Dans quelques semaines, quelques jours, Léo saurait enfin.
Rien à redire, toujours aussi fluide et on avance, Sélène à l'air prête à avouer ses sentiments et j' ai hâte de lire la suite 😉
Merci beaucoup pour tes commentaires ! (Même si je me répète à chaque fois, je te promets que c'est sincère ;-)
Le prochain chapitre devrait bientôt arriver, j'ai pris une petite pause vacances mais je reviens enfin sur PA =)