Dix heures avant l’éruption du mont Orda

Par Luvi

Grande plaine royale - Prairie d’Asphodèle

Le campement silencieux n’était éclairé que par des pierres de feux attachés à de hautes rambardes de bois. Se déplaçant sans le moindre bruit, le général Dassos et cinq de ses meilleurs hommes, avançaient prudemment dans la pénombre du boyau. Les odeurs de viandes grillées embaumaient l’air, et les gardes adossés contre les parois de pierre somnolaient, leurs armes posées à proximité. Le général se figea.  D’un geste, il invita ses hommes à se plaquer contre la pierre froide. Non loin d’eux, un ennemi se tenait, devant une lourde grille qui luisait sous la faible lumière des torches artificielles. Noyé sous la pénombre du promontoire au-dessus d’eux, ce qu’il semblait gardé se débattait pour se libérer de ses chaînes.

Avançant prudemment, Dassos asséna un coup de dague sec entre les omoplates du malheureux qui s’effondra. La chose se calma subitement, lorsque son gardien tomba tête la première entre les barreaux de sa prison. Le crissement de ses mandibules avant qu’elle ne déchire la chair tendre du crâne pour se repaître, effraya les soldats. Jamais leurs yeux ne s’étaient posés sur une telle abomination.

Des yeux rougeoyant, apposés sur une tête rectiligne, dont le sommet composé de fines antennes aussi lacérantes qu’un fouet, claquaient sur les murs de sa prison de pierre. Une gueule béante, ruisselante du sang de sa victime, laissait briller des mandibules capables de briser les os. Un cou démesurément long sur un corps triangulaire pataud, capable pourtant de parcourir de longues distances aussi rapidement que des chevaux sauvages. Des pattes repliées, aux extrémités griffues, lacérant les chairs telle le couteau aiguisé d’un boucher. Des ailes arrachées pour l’empêcher de s’envoler. L’immensité de la bête les stoppa dans leur élan. Sa couleur brunâtre, se fondant dans la paroi les aurait surpris, si son garde n’avait pas été le premier à succomber.

— Quelle monstruosité mon général ! Comment abattre cette créature ? Chuchota le second lieutenant.

— On y met le feu après les avoir massacrés ! Ne laissons aucunement leur maléfice nous atteindre. Cette chose est trop dangereuse pour être laissé en vie. Remettons-nous en marche. Cristin, fait le tour et débarrasse-nous du soldat devant l’entrée !

La créature émit soudainement un chant diurne, réveillant le campement. Les soldats ennemis se saisissent de leurs armes, lances de bois à l’extrémité brillante d’une pierre magique chargèrent. Les combats s’engagèrent dans le passage tortueux. Le général, son épée devenant rouge sang à chaque estocade se fraya un chemin entre les combattants jusqu’à la tente du capitaine ennemi.

Furetant, ses yeux se posèrent sur l’objet qu’il convoitait. Une carte ressemblant à s’y méprendre à de la chair humaine, détentrice des campements du clan des ombres apposé en rouge. Un soldat entra et abaissa sa lame. D’une pirouette, le général para le coup avant d’enfoncer sa propre épée dans l’abdomen de l’homme. Un sang noir s’échappa, venant arroser l’armure en céramique qui se mit à fondre. La chaleur provoquée le forçat à abandonner sa cuirasse qui tomba au sol dans un amas de matière bouillie. Ces hommes ennemis de leur peuple étaient ensorcelés, leur sang devenu acide.

N’ont-ils donc aucune considération pour leur propre vie ? Qu’est donc ce peuple, apte à sacrifier leur semblable ? Je commence à comprendre pourquoi l’Isis souhaitait tellement nous aider.

— Votre mort est proche, bientôt votre salope signera sa reddition ! Rends-toi ! L’homme surgit de l’ombre, une épée iridescente entre les mains.

— Cette arme est intrigante ! Je n’ai jamais vu d’épée luire avec autant d’insistance ! Qu’est-ce donc ? Il jeta sa propre épée, dont la lame fumait, rongé par l’acidité du sang qui la maculait. Se saisissant de ses dagues, il se prépara au combat.

— C’est une épée de matière noire venue du néant les plus obscur. Elle est capable de couper toute matière dans l’univers. Il fit tournoyer la garde de son épée, avant de la pointer sur le général.

— Intéressant, quelle beauté ! Mais dis-moi, tu m’as l’air assez important pour posséder une telle lame !

— Et toi, assez important pour me rapporter une belle richesse ! Je vais essayer de ne pas te tuer.

La lame fendit l’air, coupant la dague que le général avait brandie pour parer le coup. Reculant il assena un coup au flanc de l’homme qui surprit par la rapidité de son adversaire, n’eut pas le temps d’esquiver. La lame égratigna la chair, assez profondément pour laisser le sang maculer son uniforme noir. Une sombre tache se dessina.

— Voilà qui est grandement surprenant ! Ton sang n’est pas acidifié ! Dassos essuya le liquide vital, surveillant son ennemi du coin de l’œil.

— Seuls nos soldats de première zone sont envoyés ensorceler dans les batailles ! Je suis un capitaine, et entant que tel, ma puissance se suffit à elle-même. Répondit le capitaine en redressant fièrement la tête.

— Et orgueilleux avec ça ! Quelle cruauté de votre part de laisser vos hommes mourir de cette façon ! Il secoua la tête, un sourire amer sur ses lèvres.

— Ce n’est pas pour rien que les dieux nous ont toujours craints !

Le général le vit effectuer une révérence malsaine. L’aura du capitaine se para d’une lueur sinistre. Il apposa  ses yeux brillant d’une détermination froide sur le général qui recula.

— Tu m’en diras tant ! Notre reine sera ravie de t’interroger ! Dassos, sentit le danger imminent. Il se mit en garde, prêt à réagir à la moindre attaque.

— Ça n’arrivera pas ! La capitaine recula, les muscles tendus, il s’apprêta à attaquer

— C’est ce que nous verrons !

Région forestière - Forêt sacrée de Drya

— Mieux vaudrait rentrer, maintenant… C’te bosquet soi-disant sacré pour les habitants de ce monde, il m’dit rien qui vaille, conseilla Jarod sur un ton pressant. "Des heures qu’on marche et rien, Quelle plaie !

Empêtré dans sa zibeline de fourrure noire, le long manteau entravait ses jambes. Il tremblait de froid face aux assauts du vent glacial venant des hauteurs qui s’engouffraient entre les arbres. Ses bottes de cuir marron d’un bovidé à triple corne, renforcées par des plaques de métal, cliquetaient à chacun de ses pas. S’enfonçant dans le terreau gelé que constituait le sol, mélange de boue, de feuilles et d’aiguilles craquant sous ses pas, il tentait de ne pas chuter sous le poids de l’énorme besace qui l’accompagnait.  « Cte végétation est trop épaisse, et ce froid, c’est glacial, j’suis pas habitué, mon monde est chaud avec ses deux soleils !

— Quand t’aura fini de te plaindre tu nous l’diras gamin ! Arlan, la cinquantaine, les traits marqués de rides et le regard en alerte en avaient vu défiler des batailles depuis son plus jeune âge. Venant d’une petite planète désertique du cinquième Méros, troisième rejeton d’une famille de neuf enfants, il avait grandi à la dure sous les soleils cuisants et les mers de sable de son monde.  « C’est quand même rudement beau ici ! Regarde la falaise, la pierre est blanchie par quoi déjà ? Ah de la neige ! C’est froid ce machin, je préfère les étendues sableuses de mon désert ! L’homme ria à gorge déployée, fessant fi des paroles de son compagnon.

— N’empêche, on est perdus nan ? La nuit est tombée d"puis des heures, et l’bosquet est introuvable ! Puis on n’est pas seul, tu r’ssent pas, on dirait que les arbres s’parlent entre eux…

— Ton imagination te joue des tours mon garçon ! Les arbres ne parlent pas ! Le ton sec de Varlen se détachant d’un arbre lui ayant servi de pissotière de fortune fit sursauter Jarrod « Des arbres qui parlent ! Trente putains de longues années que je visite d’autres mondes et jamais j’ai vu du bois qui parle ! Ce sont des légendes gamin ! Le regard aussi noir que les veinules qui parcouraient son visage blafard se posa sur le jeune adolescent. Varlen détestait les mioches et les hommes, préférant la compagnie des Myriapodes géants de sa planète adoptive. « Avance maintenant, avant que je te fasse goûter de ma semelle !

— Eh ne fait pas peur au jeunot ! On est dans le même bateau ! Le trio censé mettre à genoux la grande Elysia ! C’est pas rien quand même ! Imagine la fortune et les honneurs qui nous attendent ! Debout sur un talus, Arlan se lança dans un beau discours sur la nécessité de travailler en équipe.

— Tu veux la fortune avec un mioche qui pisse de trouille à chaque feuille qui tombe ? Dit Varlen, l’index relevé vers Jarrod

— Il pissera moins au lit quand il rentrera ! C’est moi qui t’le garantie !

— J’pisse pas au lit le vieux !

— Pas encore gamin, mais attends qu’on raconte nos missions, t’verra rien de plus effroyable que celle qui s’déroule sur des planètes interdites.

Jarrod boudeur, continua sa route dans le vent glacial, la forêt noyée dans le crépuscule mourant. Ses compagnons dont l’hilarité avait provoqué sa bouderie le suivirent en silence.

Varlen capuche rabattu, garda pour lui son analyse et s’engouffra entre les arbres les laissant seul.

Îlot militaire – Caserne Hoplite

Les couloirs sombres et humides de la caserne bouillonnaient d’homme et de femme venus des différents bataillons de Elysia. Enseveli sous la colère de soldats, qui attendaient ordres et  nouvelles de leurs compagnons partis en première ligne, le bâtiment tremblait. Les unités parées au combat dans leurs armures aux couleurs de leurs maisons respectives, tentaient de calmer les peurs des jeunes réquisitionnés en faisant taire la hargne de leur cœur.

L’unité hoplite se chargeait de distribuer les armes. Lances d’or et de céramique à la magie primaire et épées courtes de métal et de bois forgé sommairement mais au tranchant redoutable complétant les boucliers d’argent aux bordures teintées de rouge. Forgés pour aveugler les adversaires en reflétant les rayons solaires, ils n’en seraient guère d’usage sous la clarté lunaire.

Chaque général avait choisi avec soin ses meilleurs guerriers et une dizaine d’archi-mages formés aux sortilèges défensifs et d’attaque. Mais la présence des apprentis dérangeait les guerriers accomplis. Ces enfants n’étant pas encore entrés dans la fleur de l’âge, leur donnaient un désavantage considérable.

La colère grondait dans les rangs. La rumeur persistance de la présence de l’Isis de neuf Royaumes et le refus de forger une alliance avec elle par leur reine, confrontaient les soldats à leur propre loyauté. La royauté les envoyait vers l’inconnue le plus absolue.

L’unité du général Fotia, s’avança au milieu du brouhaha, prête à marcher sur le volcan. Les peltas, soldat légèrement équipé, connu pour leur excellente condition physique devaient ouvrir le passage dans la nuit pour les archi-mages de la marine. Opposé le feu du volcan aux sortilèges marins des magiciens était leur seul espoir de calmer les golems stagnant sur les flancs de la montagne de feu. Mais la encore, le contingent attendait anxieux, l’incompréhension suite aux actions de leur reine emplissant leur esprit.

Palais royal – salle du trône

Les braséros peinaient à réchauffer l’air humide de la salle du trône. Les derniers généraux encore présents, faisaient face à la colère égoïste de leur reine. Se confortant dans ses idéaux, dont la dangerosité mettait à mal son autorité, la reine campait sur ses positions, malgré le début de la bataille nocturne qui se jouait dans la plaine royale. Son entrevue avec Lostris s’était terminée par des menaces de la divinité et la certitude qu’elle n’interviendrait pas dans la guerre. Mais les généraux n’étant pas de cet avis, tentaient tant bien que mal de faire changer leur reine d’avis.

— Ce n’est que pur folie ma reine ! Accepter l’aide de l’Isis ! Le général Foïnix, désigné pour la protection des îlots aériens serra ses poings avant de baisser sa tête, ses paroles impuissantes face aux déferlements de colère de la reine.

Morgiane le regard sévère, se braqua à l’entente de cette demande et d’un geste, envoya valser sa coupe de vin sur l’uniforme du soldat.

— Ne prenez pas ces airs avec moi ! Comment osez-vous quémander une telle chose ? ! N’avez-vous point d’honneur à laisser l’avenir de notre monde dans les mains d’une divinité étrangère ? Elle se leva, et ses cris résonnèrent dans tout le palais. Son regard émeraude reflétait toute la haine qu’elle vouait aux dieux. Son visage se contracta faisant ressortir ses veines et les légères ridules qui commençaient à apparaître avec l’âge. « Quelle contrepartie va-t-elle nous réclamer pour son aide ? Nous ne deviendrons pas une colonie Asgardienne ! Nous ne deviendrons pas esclaves de son désir de vengeance ! Sa voix se chargea subitement d’une agressivité qui fit frissonner les généraux. Ses gestes saccadés alors qu’elle tentait de contenir sa magie et son expression hors de contrôle achevèrent sa patience. « La guerre qui fait rage dans l’univers, ne nous concerne pas ! Pas plus qu’elle ne concerne l’Isis des neuf royaumes ! Je ne deviendrais pas un vassal des neuf royaumes ! Je n’enverrais pas notre peuple se battre pour libérer des mondes qui nous sont étrangers !

Le général Ackua prit subitement la parole, conscient que son intervention risquait de lui coûter cher. « Alors pourquoi avoir accédé à sa demande ?

Elle se laissa tomber sur son siège. Respirant lentement, et fit taire les violents battements qui tambourinaient dans sa poitrine.

— C’était le seul moyen pour qu’elle accepte de ne pas intervenir ! Lui laisser la possibilité de stopper cette bombe humaine nous offrait la liberté d’agir comme bon nous semble ! Maintenant que cela est fait, nous pouvons mettre en place nos unités ! Avons-nous des nouvelles d’Ixion ?

— Les centaures surveillent l’ennemi de loin. Lorsqu’ils seront arrivés au bosquet sacré, alors ils les décimeront. Ils ne veulent pas meurtrir la forêt en y faisant couler le sang de ces étrangers. Le général Foïnix, un rouleau entre les mains, prenait connaissance d’un message fraîchement arrivé.

— Bien, revoyons notre stratégie une dernière fois Messieurs…

Grande plaine royale

Le silence leur avait fait perdre la notion du temps. Depuis combien d’heures marchaient-ils sous la lumière lunaire qui éclairait faiblement la grande plaine ? Le vent qui soufflait sur leur visage, apportait les odeurs naturelles des longues tiges d’herbe tendre et de terre fraîchement retournée. Plus rien ne vivait à cette heure avancé de la nuit. Comme si la faune locale avait pressenti les futures horreurs qui se déchaîneraient sur leur fief sauvage.

Fermant la marche de la compagnie, Marlin, apprentie en troisième année de l’école de magie, frissonnait, envahie par la peur. C’était sa première guerre, et en tant que simple apprentie, sa place n’était pas ici. Par manque de mage au sein des bataillons, les étudiants avaient été réquisitionnés et la voilà, éperdument seule dans ses pensées, avec une responsabilité qui ne lui convenait pas. Sa famille, déjà évacuée, lui manquait cruellement, et les pleurs de sa mère à l’entente de sa réquisition, raisonnait dans ses pensées. L’archi-mage responsable de leur unité s’arrêta subitement. Leur signalant d’un geste l’énorme roche sur leur gauche, il les invita dans le silence à grimper.

— Je sais que vous avez peur les enfants, c’est pourquoi nous allons diviser l’unité en deux.

Que ceux qui le peuvent montent sur la falaise lorsque nous aurons atteint le carrefour. Les autres suivez-moi, nous resterons le plus proche possible collé à la paroi.

— C’est une mauvaise idée, ce sont des gosses encore à l’école ! Que pourrions-nous faire si l’ennemi nous attaque en pleine nuit ?

— Nous n’avons pas le temps de discuter les ordres ! Nous devons apporter un soutien au général Dassos ! Quand vous arriverez près de la prairie, montez le campement, et préparez vos sortilèges de soins.

— Mais n’allons-nous pas être des cibles faciles en hauteur ? Il n’y a rien pour nous cacher sur le haut de la falaise ? Le jeune garçon, apprentie de seconde année, s’accrochait désespérément à son camarade.

— Une forêt borde la falaise. Nous pourrons toujours monter dans les arbres et nous cacher entre les branches. Marlin tenta de le rassurer. Il n’était que quatre apprenties au milieu d’une dizaine d’archi-mages de tout niveau, et pourtant la peur les envahissait tous.

— Bien petite ! L’archi-mage Kachi, de niveau quatre, spécialisé dans les magies défensives, posa sa main dans un signe de réconfort sur l’épaule de la jeune fille. « Ne laisse pas ta peur t’envahir, la peur est une faiblesse et la faiblesse se ressentira dans tes sorts. Vous avez tous vos boucliers ? Nous les activerons lorsque nous nous séparerons. Quant aux autres, continuez à scander mentalement le sortilège de dissimulation ! Nous devons trouver ce qu’ils ont caché aux abords de la plaine et le détruire. Allons-y !

A suivre

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Plume de Poney
Posté le 18/06/2025
Bonjour à toi!

Le compte à rebours commence et les troupes se bougent, on place ses pièces avant le grand jeu.
Elysia va bien vite se couvrir de sang, qu'il soit acide ou non, avant que le volcan ne brûle tout ça! Si l'Isis des Neufs Royaumes ne fait pas quelque chose pour ça entretemps ou empire les choses qui sait?

Beau suspense qui monte en flèche!

Bonne journée
Luvi
Posté le 18/06/2025
Bien le bonjour👋,
Lostris ne sera ni alliée, ni ennemie. Mais sa ballade sera bienveillante, avant que le monde ne se recouvre de flamme.
Ah le suspense, j'ai retravailler cette guerre durant des semaines pour en extraire le bonjour rythme et lui trouver une fin digne de Lostris. Mais trêve de spoil, bonne ballade guerrière.
A bientôt
Vous lisez