Salut, Léo. Je n’aurais pas voulu l’apprendre comme ça, mais bon… Maintenant, on ne peut plus revenir en arrière. Ça m’a fait bizarre, de comprendre que tu m’as menti tout ce temps. Huit mois, c’est beaucoup, non ? Huit mois que tu n’oses plus me regarder dans les yeux, que je m’acharne à obtenir une réponse. Huit mois que je ne me doute de rien, et toi, tu ne me dis pas un mot, hormis « Il faut que je réfléchisse. » Tu es mon meilleur ami, Léo, et j’espère que tu le resteras peu importe la réponse. Mais malgré ta « trahison », je t’aime. Et j’ai besoin de comprendre.
Alors à la prochaine après-midi jeux, j’aimerais qu’on parle, toi et moi. S’il te plaît.
Sélène avait envoyé ce message à Léo, sitôt que Julien lui avait appris la vérité. Il ne lui avait encore rien répondu.
Une interminable attente commença. La prochaine fois que les Gavillet se réuniraient avec les Sherwood, ce serait dans plus de deux mois. Le 25 octobre… Trois mois avant les seize ans de Sélène. Alors qu’on venait d’entamer une nouvelle année scolaire. Elle barrait les jours dans son calendrier, mais ça ne suffisait pas. L’adolescente laissait à Léo le temps de réfléchir, ne précipitait pas les choses. Mais Dieu seul savait à quel point elle souffrait ! Quand elle en avait parlé à Chloé, celle-ci était restée silencieuse. Pourtant, Sélène sentait bien que son amie désirait la protéger. Mais de quoi ? De ses propres sentiments ?
Début septembre, Maïwenn remarqua que Sélène semblait différente. Sous son regard interrogateur, l’adolescente n’avait pas tenu très longtemps avant de lui avouer ce qui la tracassait :
– Je… J’aime un des gars, murmura-t-elle en cours de maths.
Maïwenn lui jeta un regard de travers, surprise. Ses cheveux noirs cachaient la moitié de son visage, mais Sélène aurait juré que ses sourcils s’étaient froncés.
– Qui ?
Voyant la jeune fille rester silencieuse, son amie continua :
– Attends… Déjà, c’est sûrement pas Léo…
La peau de Sélène se couvrit de rouge de la racine de ses cheveux à la pointe de ses orteils.
– Vraiment ?
Étonnement. Léo, l’ex de Norelia ? Norelia, sa meilleure amie ? Et pourtant, l’adolescente confirma d’un signe de tête, embarrassée. Heureusement qu’elle avait déjà tout avoué à Noli. Mais était-ce si surprenant qu’elle fût tombée amoureuse de l’aîné des Sherwood ? Sélène n’en savait rien ; pour elle, c’était une évidence.
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– Tu dois arrêter de l’aimer, bordel !
Chloé s’était emportée en cours d’art plastique. Un énième regard absent de Sélène l’avait mise hors d’elle, goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien rempli. Elle n’en pouvait plus de voir son amie échapper à la réalité, s’engourdir dans des rêves qui ne deviendraient peut-être jamais tangibles. Elle n’en pouvait plus de voir toutes les pensées de Sélène dirigées vers une seule personne. L’amour devenait passion.
Son éclat ramena l’amoureuse dans la réalité :
– Tu ne comprends donc pas ? Je l’aime, et je ne peux pas faire autrement ! Il est mon ange gardien, ma raison de vivre, ma moitié, mon âme-sœur. Ce n’est pas un choix !
– Bien sûr que si, tu as le choix. Et tu le sais très bien. Ce mec est en train de te détruire ! Tu ne vois pas à quel point Norelia et Maïwenn se sentent délaissées ? Es-tu seulement au courant de ce qu’ont fait Noli et Julien, cet été ? Non ! Tu ne vois que Léo. Ton amour pour lui transparaît dans ta voix, dans ton regard… Ne crois-tu pas que je ne remarque pas tous les coups d’œil que tu lui jettes ? Mais c’est déjà fini, Sélène ! Il t’aurait répondu depuis bien longtemps, s’il ressentait la même chose.
Au fur et à mesure de son discours enflammé, la voix de Chloé s’était brisée. Ça faisait terriblement mal à Sélène, de devoir admettre toutes ces choses qu’elle avait remarquées. Qu’elle aurait préféré garder pour elle. Faire comme si rien ne s’était passé. Et pourtant, Sélène avait bel et bien changé. Léo avait pris une place trop importante dans sa vie, elle ne respirait plus que pour le voir, encore et encore.
– Tu ne peux pas comprendre, Clo ! s’énerva Sélène. Tu n’as jamais aimé quelqu’un à ce point. Tu ne sais pas ce que ça fait que de…
– Pff. Laisse tomber. J’espère juste qu’il ne te brisera pas le cœur.
La cloche sonna, annonçant la fin des cours. Les deux amies rangèrent leur matériel dans un silence outré. Sélène n’aurait jamais pensé que Chloé pût arrêter de la soutenir, et pourtant. Malgré Félix, son adorable petit ami, elle ne pouvait pas comprendre. C’était la vie de Sélène, c’était son Léo Sherwood. Et rien ni personne n’y changerait quoi que ce soit.
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Les jours passèrent, interminables. C’était si long, d’attendre l’après-midi jeux. La nuit, Sélène voyait l’inconnu de la balançoire. Il ouvrait la bouche, prêt à parler… Mais jamais il n’avait prononcé un seul mot. Le reste ne changeait pas. Le soleil couchant, l’océan qui ne finit jamais. La balançoire et le garçon qui s’y trouve.
L’adolescente n’avait pas beaucoup reparlé à Chloé depuis leur grande discussion. Elle lui manquait, cette amie à qui tout confier, mais Sélène se débrouillait. La colère amère qui avait étreint son cœur s’était calmée au fil des semaines. Pourtant, le jeudi qui précédait l’après-midi jeux, Maïwenn raviva les sentiments de son amie.
– Sélène… Il faut quand même que je te dise un truc. Tu sais…
Elle soupira. Se demandait par où commencer. Mais elle devait le faire, pour son amie.
– Avec Noli, on a beaucoup discuté, et… Tu devrais laisser tomber, Sélène. Je suis désolée, mais… Il n’y a presque aucune chance. Ce serait te mentir si… si on croyait en une histoire entre toi et Léo. Je ne veux pas te blesser, mais on a aussi parlé avec Chloé… Elle est d’accord avec nous. Il faut que tu abandonnes. Ça ne mène à rien, et on n’a pas envie que tu aies le cœur brisé.
Ses mots se frayèrent lentement un chemin dans l’esprit de Sélène. Elle était touchée, agacée. Sans se l’avouer, elle était terrorisée par l’après-midi jeux qui se rapprochait à grands pas, préférant ne pas y penser.
Maïwenn semblait craindre la réaction de son amie. Elle savait ce qu’était devenue l’amitié que partageaient Sélène et Chloé ; heureusement, la jeune fille ne sembla pas trop se vexer.
–Ne t’inquiète pas, Maï. Ça va aller.
Dans sa tête, elle ajouta : « C’est le seul espoir qu’il me reste. » Mais Sélène se garda bien de prononcer son verdict, trop douloureux. Après un rapide au revoir de la main, l’adolescente tourna les talons pour se réfugier chez elle, près du piano. De toute façon, c’était la fin des cours, et Maïwenn devait rentrer, elle aussi. Plongée dans ses pensées, Sélène ne fit pas attention à la personne qui se tenait un peu plus loin, contrairement à Maïwenn…
– Tu fous quoi ici, Léo ?
Le garçon tourna vivement la tête, comme s’il s’attendait à être interpelé.
– Je… J’étais aux toilettes.
– Et j’imagine que t’as tout entendu… soupira-t-elle.
– Je… Ouais. Je voulais pas mais… Tu peux comprendre que j’ai tendu l’oreille quand j’ai entendu mon nom. Sympa, ta tirade, d’ailleurs.
– Ah, ça… Pff, laisse tomber, c’est pas important. Mais je suis quand même curieuse… Tu vas lui dire quoi, pour finir ? On a raison ? Et pas de mensonge, hein !
Léo
Je passe une main dans mes cheveux en soupirant. Pourquoi Maïwenn m’a-t-elle remarqué ? Mais non, comme toujours, le hasard fait mal les choses. Fichu karma. Et puis sa question… Dois-je lui répondre ? J’ai déjà pris ma décision, après tout. Mais n’est-ce pas à Sélène de savoir en premier ? Oh, et puis. Elle saura bien assez tôt. En plus, Maïwenn a un don pour persuader ses interlocuteurs de parler. Ou alors c’est juste moi.
Tout ce que j’ai traversé depuis que cette enveloppe a atterri dans mon bureau… Je n’ai jamais vécu un amour aussi fort que celui de Sélène, mais j’imagine bien ce qu’elle peut ressentir. Ou alors, pas du tout. Peut-être qu’au final, je suis bien loin du compte.
Quand j’ai terminé la lecture de son texte, un milliard de questions m’ont traversé l’esprit. Pourquoi ? Mais au fil des jours, des après-midis jeux, des coups d’œil indiscrets, des messages… J’ai compris. Elle se cache derrière ses livres, sa plume, parce que la réalité lui fait trop peur. Même si c’est la première à vouloir l’affronter. À vouloir m’affronter.
J’ai tellement réfléchi. Est-ce que je l’aime ? Question idiote. Oui, bien sûr. Mais pas comme elle le souhaite. Je l’aime comme une sœur. Je dois la protéger à n’importe quel prix… surtout de moi-même. Elle ne m’attire pas plus qu’il y a dix mois, et il faudra bien le lui avouer.
– Léoooo ? T’es là ?
Maïwenn passe une main devant mes yeux pour me ramener à la réalité.
– Euh… Déso, j’étais dans mes pensées.
– Je vois ça. Et tu réponds quand à ma question ?
Elle dégage nerveusement une mèche de cheveux qui s’était coincée entre ses lèvres. Je soupire intérieurement.
– Pas un mot à Sélène, hein ?
Ça ne me dérangerait pas vraiment qu’elle lui parle à ma place, mais j’ai un minimum de dignité pour mon amie d’enfance.
– Promis.
– Bon…
Je respire un grand coup.
– … Vous avez raison.
Son visage se décompose. Elle s’y attendait, mais… Je ne sais pas. Peut-être qu’elle avait encore un espoir, même infime, pour son amie.
– Oh, je… Fais attention, Léo. Elle risque vraiment de souffrir. Essaie d’y aller mollo.
– C’est promis, soufflé-je en baissant la tête.
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Le lendemain, Sélène envoya un énième message à Léo.
Léo. J’ai murmuré ce nom si souvent. Tu n’imagines même pas ce que j’ai traversé depuis début janvier. J’ai fait preuve d’une grande patience, tu ne trouves pas ? Mais maintenant, j’ai besoin de réponses. Dimanche, je veux entendre toute l’histoire.
C’était simple, et tellement complexe. Sélène détestait ces phrases qui semblaient trop bien tournées. Elle détestait que l’inconnu de la balançoire restât muet. Elle détestait le frisson d’appréhension qui emplissait son cœur. Et toute la journée, aucune réponse.
Alors qu’elle n’y croyait plus, la voix de Léo la rattrapa en sortant des cours.
– Je serai là dimanche.
Et sans rien ajouter d’autre, le garçon de ses songes continua son chemin comme s’il n’avait rien prononcé, laissant le cœur de Sélène en vrac. Ses mains tremblaient fort, trop fort.
Au moins, elle était sûre, dorénavant, de recevoir une réponse. Mais à quel prix ? Il avait lu ses messages, sans toutefois y répondre. Pourquoi ? Idem pour son texte, en janvier. Tout ce temps, déjà ? Au fond d’elle-même, Sélène savait ce que ça signifiait, mais elle refusait de perdre espoir. Chaque minute passée la rapprochait de la vérité. Chaque seconde était la promesse d’un amour fou ou de la folie amoureuse. De l’euphorie ou de la tristesse.
En revanche, une chose ne pouvait pas changer : son cœur continuerait de battre à l’unisson de celui de Léo.
oh j'ai trop mal au coeur pour Sélène et en même temps, je comprend la position difficile dans laquelle se trouve Léo. Je trouve les deux "voix" très bien menées, on ressent bien les émotions des deux personnages. On est tiraillé entre les deux. J'ai hâte, tout en redoutant de lire la suite ^^.
Je suis contente de te revoir =)
Je ne veux pas spoiler la suite, mais... Bon, j'imagine qu'on peut aisément comprendre que ça va être difficile pour Sélène. Mais, promis, promis, promis, ça finit bien ;-)
Je suis contente qu'on ressente les émotions des deux personnages, parce que je voulais vraiment qu'on comprenne ET LÉO, ET SÉLÈNE. J'arrive bientôt avec la suite !
À bientôt <3