Les jours suivants à Arcande défilèrent comme des nuages dans un ciel de tempête. Il y avait tant à découvrir !
Comme ses parents avaient de nombreuses affaires à gérer, Arthen fut pris en charge par sa grand-mère (qu'il avait illico cessé d'appeler « ma tante », devant son air mortifié). Il constata d'abord qu'il ne serait pas aussi libre de son temps qu'il le pensait.
- L'école, ici, est obligatoire et organisée par la ville, lui apprit Trisbée.
Devant son air dépité, elle ajouta :
- Ne te plains pas : pour les petits, l'école dure toute la journée ; toi, tu n'auras que la matinée.
- Est-ce qu'on apprend la technologie des Spatiaux, Triss ?
- Non, ça je ne crois, pas, non ! gloussa-t-elle, les yeux plissés d'amusement. Mais tu ne devrais pas trop t'ennuyer ; ils regroupent les élèves par niveau.
Arthen, curieux de nature et élevé par des parents cultivés, fut testé et mis dans un groupe où l'âge moyen approchait les seize ans. Un peu intimidant ! Heureusement, un autre dans le groupe avait sensiblement son âge. Il s'appelait Djéfen, il avait tout juste treize ans ; Il était bavard et curieux comme un chocard, ces corneilles des montagnes qui viennent épier les marcheurs et leur tiennent des discours d'oiseau sans fin. Il était petit encore, blond avec des yeux bleu délavé et un visage agréable. C'était le plus jeune fils de Tenzem, le chef de la sécurité de la ville ; il vivait avec sa famille dans la maison du nazgar. Rien que cela aurait comblé Arthen.
Djéfen se mit à côté de lui, et commença à le questionner à voix basse sur tout : ses montagnes, son village, sa famille, ses goûts, et un peu tout ce qui lui passait par la tête. Il fut impressionné par ses connaissances de la montagne et des chevaux, envieux quand Arthen lui expliqua qu'il se promenait tout seul en pleine montagne.
- Moi, je peux aller où je veux dans le périmètre de la ville, mais pas au-delà de la barrière protectrice.
- ...
- Mais ça fait déjà pas mal, ajouta Djéfen sans lui laisser le temps de commenter. Eh, tu fais quoi cet après-midi ? Si tu veux, je te fais visiter mon domaine : je connais la ville et les environs comme ma poche.
Les deux garçons s'entendirent tout de suite à merveille. De ce jour, ils ne se quittèrent plus. Ils partaient avec un pique-nique, aussitôt l'école finie, et vagabondaient un peu partout. Arthen s'émerveillait de ce que leurs parents les laissent faire, mais cela semblait faire partie des nouvelles règles ici. Oanell et Siohlann lui demandaient de rester en contact, mais ils le laissaient libre de faire ses propres expériences, tant qu'il travaillait en classe et restait disponible pour aider à l'auberge.
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En quelques jours, Arthen devint un familier d'Arcande, coulisses comprises. La ville n'avait plus de secrets pour lui, il savait s'y diriger de jour comme de nuit, en avait exploré les coins et recoins. La forêt bordant la ville au nord lui avait livré, elle aussi, ses sentiers cachés, à peine marqués, que seuls foulaient les animaux et les enfants. Il connaissait l'emplacement des clairières couvertes de fleurs en cette saison, des petits ruisseaux d'eau limpide et désaltérante. Depuis les belvédères surplombant la ville et toute la vallée, les deux enfants dominaient le monde, les fesses sur la pierre chaude, le vide sous leurs pieds.
Arthen fit avec Djéfen un inventaire sommaire de la multitude d'objets sortant des usines avoisinantes. Il contempla le barrage, à quelques kilomètres de la ville, qui lui fournissait son électricité. Il alla voir les fermes qui nourrissaient la ville. Sur le domaine d'Arcande, des exploitations mécanisées avaient été créées en même temps que la ville. Les Spatiaux avaient apporté les engins agricoles, de robustes machines qui fonctionnaient avec plusieurs combustibles. Plus loin, dans les collines, là où les reliefs obligeaient à travailler à la main, on avait mis en culture les surfaces à peu près planes, et rationalisé les rotations des plantations. Enfin, on avait construit des chemins larges et des routes pour relier le tout.
Arcande était autosuffisante, venait-il d'apprendre à l'école ; elle fabriquait pour elle-même et échangeait ses surplus contre des produits agricoles ou des matériaux naturels, irriguant toute la région de ses réalisations technologiques, de la pompe à eau à l'ordinateur. Finalement l'école, quand ça parlait d'Arcande, ce n'était pas si désagréable !
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Djéfen l'emmena aussi visiter la villa du nazgar, d'une architecture sophistiquée, creusée pour partie dans la roche.
- Avant la construction de la ville, la villa était protégée par une illusion. On la voyait dressée sur un piton rocheux détaché de la falaise. Ça dissuadait les indésirables de tenter d'y pénétrer.
- Qui voudrait forcer la porte d'une villa nazgare ? demanda Arthen, interloqué.
- Qui sait ? Ceux qui l'ont construite avaient leur sécurité à cœur, en tout cas.
- Je croyais les nazgars invulnérables ? s'étonna le garçon.
- Aucun être de chair et de sang n'est invulnérable... Pourquoi tu ne demandes pas à ton oncle ? suggéra Djéfen énigmatiquement.
Comme Arthen ouvrait la bouche pour le questionner, il haussa les épaules d'un air contrit. Djéfen détestait ne pas tout savoir :
- J'ai juste entendu les types de la patrouille appeler ton oncle « tueur de nazgar », mais je n'en sais pas plus. Viens visiter la villa ! Je te fais la visite exhaustive de haut en bas, et crois-moi, tu crieras grâce avant d'avoir tout vu !
Arthen soupira : cela confirmait ce qu'il avait cru entendre il y a bien longtemps. Encore un mystère de plus à éclaircir avec ses parents... Et là, il n'avait pas promis de ne pas poser de questions !
Djéfen le fit entrer par une porte sur le côté, qui donnait sur la partie laissée libre par les autorités de la ville. Cela ne ressemblait en rien à l'idée qu'Arthen se faisait d'une maison, avec ses espaces clos et carrés, ses murs et son toit solides. Les pièces semblaient toutes se situer à des niveaux différents ; imbriquées selon un schéma complexe qui suivait la courbure de la falaise, elles étaient reliées par des plans inclinés et de rares escaliers aux marches d'une profondeur inhabituelle.
Certaines pièces donnaient sur le vide, par de grandes baies vitrées vertigineuses, laissant entrer le soleil ; des puits de lumière éclairaient celles en retrait. Avant de venir, Arthen avait imaginé des espaces sombres et inquiétants, mais la réalité était toute autre. Tout était clair et lumineux, d'une beauté qui lui apparaissait exotique, et même les fauteuils et canapés lui tiraient l'œil, par leurs formes et couleurs aguicheuses.
Ils visitèrent d'innombrables espaces, tous différents : chambres, salons, salles de bain dont le luxe parut inouï à Arthen, et même un bassin de nage. L'eau aux reflets verts débordait sur un lit de galets noir en cascadant et semblait se jeter ensuite dans le vide. Le clou de la visite était pourtant ailleurs. Tout en bas de la maison, en plein milieu de la falaise, il découvrit un hangar, salle immense dans toutes ses dimensions, fermée par des portes coulissantes gigantesques. À l'intérieur, un engin de forme élancée, d'un gris chatoyant, remplissait à peine le dixième du volume de la pièce.
- Ça vole, ce truc ? demanda Arthen en s'approchant avec circonspection.
- Ouais ; malheureusement, c'est inutilisable par les humains. Ça ne peut être commandé que par l'esprit d'un nazgar.
C'est vrai qu'on ne voyait aucun panneau de commande, aucun voyant ou bouton. Ça ne ressemblait à rien de ce qu'Arthen connaissait. Les ailes d'un oiseau qui planait, peut-être, si on imaginait qu'un humain parvienne à se tenir sur le dos de l'oiseau. Arthen osa poser la main sur l'engin, mais le contact ne lui renvoya que la sensation impersonnelle du métal lisse et froid. Cela lui donnait un échantillon impressionnant de la technologie nazgare.
Ils remontèrent ensuite par les appartements de la famille de Djéfen. Ils comprenaient trois chambres spacieuses, pour ses parents, son frère de dix-huit ans et lui - les deux sœurs aînées de Djef ne vivaient plus avec eux. Une large pièce attenante était organisée en salon, salle à manger et cuisine. On pouvait s'y attabler en admirant une vue époustouflante.
La chambre de Djéfen, éclairée d'une lumière naturelle tombant du haut, venue d'on ne savait où, ressemblait à son propriétaire : encombrée, mais pourtant organisée, elle contenait tant de trésors que pas un pan de mur ne restait vacant. Mais ce qui impressionna le plus Arthen fut la salle de bain privée de son ami. Un luxe qu'il n'aurait pas cru possible à peine quelques jours plus tôt.
Un peu plus loin, Djéfen lui fit longer les appartements où vivait la famille du Begfarr Neilon, chef de la ville. Aucune autre famille ne résidait là ; « un vrai gaspillage de place », pensa Arthen.
Les deux enfants s'arrêtèrent finalement, les pieds et les mollets meurtris, dans un petit salon que Djéfen affectionnait. Les étagères aux murs étaient couvertes d'objets étonnants, vieux artefacts technologiques de toute sorte. Derrière une porte close, que Djéfen montra du doigt, commençait la partie réquisitionnée par les autorités pour y installer les organes de gestion de la ville et ses services de sécurité. On entendait d'ailleurs un bruit sourd d'activité humaine.
- Eh, Djéfen ! dit Arthen, en se jetant dans un sofa moelleux aux courbures généreuses. On dit bien que les nazgars vivent seuls dans leurs grands domaines ? Tu ne crois pas qu'il devait s'ennuyer dans cette immense maison, face au ciel bleu, sans personne pour lui tenir compagnie ? Comment les nazgars peuvent-ils vivre ainsi ?
Djéfen ne répondit pas tout de suite. Arthen le regarda, et le vit perdu dans ses pensées, les yeux dans le vague. Quand Djéfen s'aperçut que son ami le dévisageait, il haussa les épaules, comme si tout cela le dépassait.
- Qui sait ce que les nazgars pensent ? répliqua-t-il en reprenant la vieille formule. Peut-être qu'il s'ennuyait, en effet, c'est pour cela qu'il a fait venir tout le monde...
Djéfen semblait mal à l'aise. Est-ce que lui, qui vivait là, avait peur du nazgar ?
Ils se mirent tous les deux à contempler la vue. Par les ouvertures, on distinguait, loin en face, les silhouettes des montagnes natales d'Arthen. Beaucoup plus près, on apercevait un assemblage de huttes, nichées presque au pied de la falaise.
- Eh ! Qu'est-ce que c'est ? demanda le garçon.
- C'est le village des hommes oiseaux. Il existe depuis plus longtemps que la ville et il est habité par des alters ressemblant à des oiseaux. Le maître du domaine les a autorisés à s'y installer il y a plus de trente ans.
- On peut le visiter ?
- J'y suis allé une fois, avec mon père, mais on ne peut pas y pénétrer comme on veut. Si ça t'intéresse, la prochaine fois, je lui proposerai de t'emmener.
Les deux enfants se regardèrent en souriant. Des hommes oiseaux ? Arthen ne demandait pas mieux que de les découvrir.
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Le soir même, il réclama des précisions à sa mère. Elle lui expliqua que les primitifs vivaient là, en bonne intelligence avec les citadins d'Arcande. Mais en réalité, les deux communautés ne se fréquentaient pas : par crainte des incidents, les autorités limitaient les contacts. Des journées étaient organisées, une fois par trimestre, au village ou à la ville, pour que les habitants se rencontrent et échangent. Cela se passait bien, surtout avec les enfants, curieux des deux côtés, mais une certaine méfiance continuait à régner. Tenzem, le père de Djéfen, en tant que chef de la sécurité, pouvait y aller quand il voulait ; bien sûr, il ne s'y rendait pas par plaisir, mais pour vérifier que tout allait bien au village.
- Je n'aurai rien à redire si Tenzem décide de t'emmener lors d'une prochaine visite, mais je t'interdis de le lui demander, déclara Oanell.
- Pourquoi, maman ?
- Les adultes ici ont bien autre chose à faire que de se promener avec des enfants.
Elle garda le silence un instant, puis ajouta, avec une pointe de malice :
- Mais s'il vous emmène, Djéfen et toi, je viendrai avec vous !
Arthen sentit son cœur bondir de joie. Il irait ! Il fallait juste trouver le bon moment. Il comptait sur Djéfen pour cela.
Bon ça vient ensuite, quand tu parles des usines etc. Mais côté habitations, j'ai du mal à voir si haut, si c'est dense, les rues remplies, si c'est vivant, bruyant etc.
Bon mais c'est tout ! Arthen reste sympathique et attachant !
Du coup, Djéfen habite la maison du nazgar, mais ceux qui sont dans le même cas que lui ne l'ont jamais rencontré ? Il a des quartiers réservés ? C'est intriguant tout ça et j'aimerais quand même bien le rencontrer à l'avenir... :)
Une petite remarque sur une expression que tu emploies à un moment : "et même les fauteuils et canapés lui tiraient l'œil, par leurs formes et couleurs aguicheuses." = tu ne voulais pas plutôt dire "lui attiraient l'oeil ?
J'aime toujours autant ce que je lis et j'ai toujours plus envie de connaître la suite !
Le nazgar, on ne sait pas trop où il vit, et personne ne sait qui il est, d'ailleurs Arthen suppose au chap précédent qu'il est probable qu'il n'habite plus dans sa villa, pour préserver son anonymat... Eh,eh, Arthen aussi aimerait bien le rencontrer à l'avenir...
Oui, pour les deux garçons, c'est le début d'une amitié et d'une complicité.
Pour l'expression, "tirer l'oeil" (ou les yeux) , c'est une (vieille ?) expression qui signifie "attirer l'attention" mais elle n'est peut-être pas si courante que ça... Personne n'avait relevé jusqu'ici... Ceci dit, c'est assez imagé, alors j'imagine que même sans connaître, on comprend...
Merci de ton enthousiasme ! (Tu as encore quelques chapitres devant toi !)
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Le nouvel ami d'Arthen me plait bien, mais j'ai l'impression qu'il sait plus de choses sur les nazgars qu'il ne veut bien le dire… La description de la villa était très sympa, on sent véritablement le contraste technologique et culturel qui existe entre le village natal d'Arthen et le monde étrange des nazgars. Du coup, je me prends à commencer à les imaginer comme des hommes très froids, très grands, très... aaah je ne sais pas ! Mais ça m'intrigue encore plus du coup.<br />
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Tu me parlais l'autre jour du rythme, eh bien je trouve que ton histoire a également un très bon rythme. On découvre toujours plus de choses petit à petit à travers les yeux du héros, et même si d'autres questions émergent, on ne reste pas fixé sur des acquis, l'histoire continue d'avancer sans qu'on ai envie de décrocher la lecture. C'est toujours aussi agréable de retrouver Arthen :) <br />
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À très bientôt !!!
Du coup, tant mieux si le rythme te parait bon, moi aussi je me pose pas mal de questions là dessus : j'ai peur quelquefois d'aller trop vite, mais je me dis que d'un autre côté, si c'est trop descriptif ou trop dans les "états d'âme" des personnages, ca peut vite être lassant, surtout pour de jeunes lecteurs.
Bon, zut, j'arrête mes commentaires "prise de tête" !!
Merci pour ton commentaire Luna x)
A bientôt !
Merci de ton passage, et à bientôt !