Effacer

Par Mayo
Notes de l’auteur : Je te lis cette histoire, juste là :
https://youtu.be/QffEj00DTPM

Non, non ! C'est mauvais. J'efface tout et je recommence. Je marque quelques mots, je les lis, je souffle, je me lève, marche un peu jusqu'au frigo. Je  l'ouvre, scrute les étages, rien de bien fou mais je reste dans cette position un moment. Mon regard se voile. Je reviens à moi un peu après. Je referme la porte. Il faut que je reste concentrée.Je retourne m'asseoir. Je relis. C'est très mauvais. Je me crispe. Et j'efface. Encore. Mon visage se défait. J'observe cette page, si blanche. Et le curseur qui clignote inlassablement au début du document. Depuis combien de temps est-il ouvert ? 15 minutes ? 30 ? Peut-être une heure ? Ou deux ? Quelle importance si j'efface tout ce que j'écris ? Concentration. Je recommence, je ne me relis pas. Je ne m'arrête même pas sur les mots, sur les fautes ou pour voir si tout ça a un sens. J'écris. Je doute une seconde. Trop tard, j'ai arrêté d'écrire et je relis. Une grande panique s'empare de moi. Une chaleur fugace me parcourt. Ce n’est vraiment pas terrible. J'hésite à tout effacer de nouveau.J'enregistre un brouillon sous un nom qui n'a de signification que pour moi et j'ouvre un nouveau document. Je contemple à nouveau la blancheur de la page. Elle me terrifie. Mes yeux sont rivés dessus. Elle m’hypnotise pendant de longues minutes. Les contours deviennent flous. Je ne distingue plus le début de la fin, le haut du bas, la droite de la gauche. Tout se confond. Ma conscience s’envole. Elle m'échappe. Je finis par penser à autre chose.La page. Elle m'aspire. Tout mon esprit plonge sans résister dedans. Je tremble. J'ai froid. Le blanc m'entoure. Comme de la neige, il est partout, m'enveloppe, me contamine. Il me vide. Il m'efface doucement. J'essaie d'ouvrir la bouche et de parler mais aucun son n'en sort. Du moins, je n'entends rien. Je suis seule. Il n'y a plus rien autour de moi. Que du blanc immaculé. Je tends une main devant moi. Elle disparaît au fur et à mesure qu'elle s’éloigne. J'ouvre des yeux ronds. Mon cœur s'emballe. Je ramène rapidement ma main vers moi. Elle est là, entière, avec tous ses doigts et elle fonctionne. Je suis soulagée. Je regarde autour, je regarde mes pieds. Je ne sais plus où je suis ni où j'étais il y a quelques minutes. Était-ce seulement des minutes ? Comment suis-je arrivée ici ? Je cherche à me déplacer. J'avance. Je ne sais pas comment je m'y prends mais j'avance. J'avance dans le blanc cotonneux, épais, silencieux. Je ne sais pas où je vais. Ni même ce que je dois faire. Tout est incertain. Qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi ai-je atterri ici déjà ? Je ne vois pas plus loin que mes pieds et mes mains étendues. Perdue dans ce coton que je ne peux toucher. J'essaie de regarder loin, le plus loin possible. Mais mes yeux ne saisissent que du blanc. J'ai chaud tout à coup. Ce n'est pas très amusant. Comment sort-on d'ici ? Je continue d'avancer. Plus vite. Avec un peu de chance, peut-être que je trouverai une sortie. Au loin je vois une petite forme foncée. Elle détonne complètement avec le blanc. Je me rapproche. Ça ne bouge pas. C'est fin. Ce n'est pas très grand. Je me rapproche encore. C'est un stylo. Ce n'est pas un crayon mais bien un stylo. Il n'est pas bleu, ni rouge. Il est noir. Un simple stylo noir. Le genre de stylo indélébile. Je le prends. Que faire avec ça ? Qu'est-ce qu'il fait ici ? Il n'y a pas de feuille. Je dois m'en servir pour sortir ? Ce n'est pas une clé. Et il n’y a aucune serrure. Que du blanc, à perte de vue. Tant pis, je l'ouvre. Rien ne se passe. Je le secoue. Rien. Je me penche et promène sa pointe à mes pieds. Toujours rien. Je réfléchis. Je tends ma main devant moi. Elle disparaît encore mais je n'ai pas peur cette fois, je sais qu'elle est là. J'imagine qu'il y a un mur. Je touche quelque chose du bout des doigts. Je ne vois toujours rien d’autre que cette brume cotonneuse. Je m'approche, ma main toujours devant moi. Je n'en finis pas d'avancer. Je ne trouve jamais vraiment le mur. Mes doigts l'effleurent toujours. Je tends le stylo vers lui et trace un trait. Je ne vois rien. Que du blanc. J'attends, je réfléchis. J'écris « bonjour » sur le mur, la première chose qui me vient à l'esprit. Il se marque. Il s'efface. Ça ne fonctionne pas. Je ne comprends pas. C'est un stylo pourtant ! Un indélébile. Je fronce les sourcils. Ca m'agace. Je regarde le stylo. Noir. Il devrait se voir ! Je me penche à nouveau et écris « Bonjour » à mes pieds. Il se marque. Il s'efface. Je reste incrédule. Ce n'est pas le support le problème. Le sang me monte aux joues. Je jette le stylo avec rage. Il rebondit au loin. Sur quel sol ? Je le regarde de travers. Stupide stylo noir. Avec une encre qui s'efface ! Un moment s’écoule. Je me sens un peu ridicule. Je m'agace encore plus. Je boude. Un autre instant passe. Je finis par me calmer. Je souffle et vais chercher le stylo. Je le regarde, j'hésite. J'imagine à nouveau un mur, plus près de moi. Je ne le vois toujours pas mais j'écris « Il était une fois » en repensant à quelque chose. Ça se marque. J'attends. Ca ne s'efface pas. Un souvenir me revient en mémoire. Je l'écris d'une traite sur le mur. Mon souvenir ne s'efface pas. J'hésite. Je continue d'écrire. Tout ce qui me passe par la tête. Je brode. J'invente. J'écris partout. Je déborde du mur. Partout où il y a du blanc, j'écris. Je noircis tout. Au bout d'un moment il n'y a plus de place pour écrire. Il n'y a plus de blanc. Que des mots, des phrases, une histoire. Je recule. De l'encre noir. Je regarde. Je suis au milieu de tous les mots. Je ferme les yeux. J'inspire profondément. Je souris. J'enregistre le document. Cette fois, je n'ai rien effacé.

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