Elka est la fille de la terrible sorcière Grabouilla, et en tant que telle grandi entourée de phénomènes étranges qu’elle essaie de tenir à distance de l’école, seul lieu au monde où elle a le droit de n’être qu’une petite fille. Le reste du temps, elle suit le chemin tout tracé que sa sorcière de mère à emprunté avant elle, et l’aide à perpétrer ses méfaits.
Et un soir, un étrange homme vêtu d’extravagants vêtements de général d’une époque révolu vient frapper à sa fenêtre, pourtant au deuxième étage de la maison. C’est Ole-Ferme-l’œil, ou du moins l’un des deux Ole qui vient réclamer son carnet. Evidemment cela ce fini en balade à l’arrière de son cheval, emplacement réservé aux mauvais enfants qui ont un mauvais carnet à cause de leurs mauvaises actions, et qui se retrouvent condamnés à entendre la mauvaise histoire, celle qui est pire que la mort. Sauf que lorsque Ole entame sa tirade, Elka le prend de court : l’histoire, elle la connait déjà. La fée laisse alors la fille de sorcière descendre du cheval et rentrer chez elle en lui prêtant toutefois une broche magique pour éclairer son chemin dans la forêt sombre. Broche qu’il reviendra bien entendu chercher le jour où il en aura besoin.
C’était sans compter sur l’affreuse mère d’Elka qui ne voit en l’objet qu’un appas idéal, et en la Ole une marchandise dont elle pourrait tirer un prix intéressant…
Début (Chapitre 1)
La nuit recouvrait de son voile sombre chaque coin de ruelle mal éclairé. Alors que les gendarmes cherchaient toujours activement le vieil Ernest, disparut depuis trois jours de sa maison, une barque glissait doucement sur les flots de l’étang, dans un vague murmure aqueux. La chouette hulula deux fois d’un air réprobateur. Elka lui renvoya un sifflement agacé.
-Ne dis pas n’importe quoi, vieille corneille, et laisse-moi travailler en paix ! Là. Ce sera assez profond, non ?
Pas de réponse. Elle prit ça pour un oui.
Après avoir rangé les rames, elle attrapa un bout du sac en toile de jute. Ce que c’était lourd, tout de même ! Il allait falloir faire attention à ne pas chavirer l’embarcation ! Elka fit contre-poids comme elle put, du haut de son mètre quarante filiforme. Elle n’arrivait pas à croire que ce vieux sac d’os puant puisse peser si lourd ! Mais en procédant méthodiquement, elle parvint à le jucher en équilibre sur le bord de la barque. Puis, d’un coup de pied rageur, elle l’envoya rejoindre le fond de l’étang, les poissons et les grenouilles. La barque soudainement libéré de plus de la moitié de son chargement se mit à tanguer violement et Elka perdit l’équilibre, tombant sur les fesses dans le fond du petit bateau.
-Rhaaaa ! Aïe ! s’énerva-t-elle en tenant le coude qu’elle venait de se cogner violemment contre le rebord de bois. Saloperie !
Au loin, la chouette se moqua allègrement.
-Mouais, tu feras moins le malin, sal pigeon, lorsque je t’aurais plumé pour le dîner, ronchonna-t-elle en reprenant les rames.
Maintenant que son devoir était rempli, elle allait pouvoir rentrer à la maison et enfin avoir la paix. Toutes ses corvées de la soirée étaient finies, il ne lui restait plus qu’à faire ses devoirs d’école. Quoique, non, elle avait la flemme. De toute façon l’école ne la mènerait jamais nulle part, alors autant ne pas trop s’en encombrer. Le temps où elle pensait encore à devenir vétérinaire ou chercheuse était révolu.
Pourtant, l’idée de rentrer à la maison ne lui donnait pas particulièrement envi de sauter de joie non plus -de toute façon Elka ne sautait jamais de joie. Au mieux elle arrêtait de bougonner-, pas plus que l’idée de reprendre le commerce douteux de sa mère.
Alors que les gendarmes cherchaient toujours Ernest, alertés par sa belle fille venue lui porter des galettes et un petit pot de beurre, Elka rangea sa barque dans les hautes herbes humides du bord de l’étang en faisant bien attention de recouper ses traces masquer au mieux son passage. Si sa mère avait accepté de lui donner un peu de poudre pousse-chemin, elle n’aurait pas eu besoin de faire tant de manières, mais puisque cette vieille bique refusait obstinément de lui allouer quelque fiole que ce soit en compensation pour le dur labeur qu’elle fournissait, Elka était obligée de ruser.
Elka se tourna vers l’étang et se frotta les mains pour en débarrasser toutes les crasses que le bois vermoulu des rames y avait laissé. Si elle les avait senties, elle leur aurait trouvé une odeur de pue-la-mort, mais comme elle savait bien que ce ne serait pas à son goût elle ne s’y risqua pas, et remonta sur le petit chemin de terre qui la ramènerait au village de Couvre-les-chapelles. Maintenant que le cadavre de ce sal cabot grincheux et croulant n’empestait plus la cave, elle allait pouvoir dormir rudement mieux. D’une part les mouches cesseraient de s’intéresser de trop près à la maison, d’autre part les voisins ne risquaient plus de remarquer quoique ce soit d’anormal. Non, elle retirait ce qu’elle venait de dire : ils trouvaient toujours un nouveau truc anormal à remarquer. Disons juste qu’ils ne sentiraient pas l’odeur de la viande crevée et n’auraient aucune raison de les accuser d’enfermer des enfants dans la cave pour les manger ensuite. Quelle bande d’ignares. Il fallait vraiment être bête pour penser que la jeune chaire était toujours la plus tendre ! Bien au contraire : elle se révélait souvent plus ferme et moins juteuse que celle cueillie dans la fleur de l’âge ! Elka, elle, le savait bien !
Sur le chemin de terre qui la ramenait à la maison, la fillette ne traina pas les pieds. Si le repas n’était pas prêt à temps ça allait encore grogner et Scarlet lui ferait la morale toute la soirée de sa voix aigrelette et nasillarde. De toute façon il n’y avait rien à voir sur ce chemin pourri, et la chouette commençait à sincèrement lui casser les pieds avec ses hululements de commère effarouchée. Parfois Elka regrettait amèrement de comprendre le langage des bestioles.
Au bout du chemin, la terre battue laissait place au goudron abimé et verdi par le temps, là où les lampadaires éloignaient l’obscurité de la nuit. Tout était silencieux, à l’exception de quelques grillons peu frileux qui avait décidé que les festivités étaient lancées. Les fenêtres des habituations étaient encore éclairées chez certains, chez d’autre seul les bribes d’une lumière fluctuante traversaient, indiquant que les occupants de la maison regardaient la télévision. Parfais, il n’y aurait personne pour voir une gamine tout de noir vêtu traverser les rues comme une âme en peine, seule à dix heures et demi du soir. Elka savait que la plupart de ses camarades de classe n’auraient jamais eut le droit d’en faire autant.
Mais alors qu’au détours d’une maison la jeune fille pensait à ses devoirs qu’elle ne ferait jamais, des bruits de pas la mirent sur le qui-vive. Un instant, elle hésita à se jeter dans le jardin de la maison attenante pour se cacher, mais après réflexion il lui paraissait bien improbable que qui que ce soit s’en prenne à elle. Cela ne l’empêcha pas d’avoir une sueur froide en croisant un homme, occupé à regarder son téléphone. Remarquant la gamine, il s’arrêta.
-Hey, toi !
Couvre-les-chapelles était un petit village calme et presque sans histoires. À part la disparition du vieil Ernest quelques que jours auparavant, cela faisait bien longtemps qu’on n’avait eut à déploré d’incident. Ce n’était pas pour autant que les enfants avaient le droit de se balader après la tombée de la nuit ! Surtout quand il y avait école le lendemain !
Elka s’arrêta, se retourna en prenant l’air le plus mal aimable possible. L’homme hésita un instant.
-Qu’est ce que tu fais toute seule dans la rue ? Tu sais l’heure qu’il est ?
Son ton était plus inquiet de désapprobateur.
-Ça ne vous regarde pas, répondit-elle froidement en le regardant droit dans les yeux.
Beaucoup d’adultes considéraient cela comme effronterie, mais elle s’en moquait. De toute manière elle se savait capable d’être effronté les yeux baissés.
-Tes parents doivent s’inquiéter ! D’autant plus qu’un homme a disparut il y a quelques jours ! Rien ne prouve qu’il ait été enlevé, mais il vaut mieux ne pas courir de risque, on ne sait jamais. Où est-ce que tu habites ?
Elka grogna. Evidemment qu’elle savait que ce vieux croulant avait disparu. D’ailleurs elle n’y était pas tout à fait pour rien ! Et de quoi se mêlait cet homme ? Personne ne lui avait rien demandé ! Et puis… Elka n’avait pas forcément envi que des étrangers s’approchent de sa maison. Ses pensés allèrent au sac de toile qu’elle venait de balancer dans l’étang. Ou plutôt à son contenu. Voilà comment finissaient les curieux… !
-Je n’ai pas besoin de votre aide, je sais encore rentrer chez moi toute seule. Bonne soirée.
Sans un mot de plus elle reprit son chemin. L’autre, derrière elle, était resté bêtement sur place, scotché par le manque de respect de cette gamine. La mine ahurie, il considéra la silhouette noire qui s’éloignait à petits pas décidés. Après tout, cela ne le concernait pas, ce que les autres laissaient leurs gamins faire. Lui, les siens l’attendaient. Madeleine les aurait sûrement déjà couchés, mais c’était sans compter sur ces petits diables qui quitteraient leurs draps aussitôt qu’ils entendraient la porte claquer. Il devrait s’excuser de rentrer si tard, encore une fois, mais l’enquête sur la disparition du vieil Ernest lui prenait un tel temps ! Plus les jours passaient plus les chances de le retrouver s’amenuisaient. Au départ, tous avaient pensés que le vieux était parti en promenade, s’était perdu ou était tombé, mais on avait beau avoir lâché les chiens, personne ne l’avait retrouvé. Un véritable mystère ! Ils avaient même réussi à perdre le vieux dogue de l’adjudant ! Un animal grincheux et agaçant, mais qui n’avait pas son pareil pour la traque !
Chapitre 2
Elka se posta devant le portillon de sa maison. Là, tordue sur sa petite colline, au milieu des saules pleureurs puisant toutes leurs larmes dans le marais d’à côté, sa maison. Des murs de planches vermoulues et autrefois peintes en blanc, des fenêtres hautes et étroites couvertes de l’intérieur par d’épais rideaux, des piles de livres, des fioles, des herbes séchant sur leur reposoir. Des jardinières s’échappaient pâtissons et potimarrons, une foule de plante dont seule Elka et sa mère connaissaient les intérêts. Le toit, haut et pointu, était couvert de très vieilles ardoises partiellement décrochées. Parfois il arrivait que certaines d’entre elles s’envolent avec le vent, et on pouvait en retrouver un peu partout dans le jardin, entre la balançoire effondrée, le banc cassé et recouvert de lierre, et les deux vélos pourris de rouilles qui disparaissaient année après année dans la terre. Avec un soupir, la fillette poussa le portillon après l’avoir gratifié d’un « Fernegrince ». Cela n’empêcha pas les gonds de réclamer de l’huile. Encore ? Elka ne lui prêta pas la moindre attention ; ce n’était rien qu’un vilain menteur !
Elle longea le chemin de terre jusqu’à la porte de bois, frappée d’un croissant si blanc qu’il semblait briller dans le noir. Une simple impression. Elle entra.
Silence.
La maison était plongée dans l’ombre, à l’exception d’une partie du salon, éclairée par la cheminée. Sa mère devait être à la cave, son atelier. D’un pas lourd, Elka prit le chemin de la cuisine, slalomant entre les flaques de lune qui arrivaient à passer les fenêtres encombrées et les petits ilots de champignons qui venaient chercher la tiédeur et l’humidité de la maison. Il allait encore falloir qu’elle les chasse de là, avant que la maison ne prenne des allures de sous-bois. Même le lambris pâle des murs recommençait à pousser, et bientôt le plafond s’éloignerai de quelques centimètres et des brindilles viendrait encombrer le passage ! Fichue bicoque.
La cuisine était une cuisine tout ce qu’il y avait de plus normale : des étagères surchargées de pots aux tailles et contenus divers -câpres, tomates séchées à l’huile, miettes de thon, pois, haricots secs, riz, terrine de lapin, …ect-, de nombreux livres de cuisines que personne n’ouvrait jamais, à l’exception d’un antique volume à la couverture blanche rayée de rouge dans lequel Elka puisait toutes ses recettes, des ustensile divers et variés accrochés au mur ou dans des tiroirs. Qu’est-ce que vous imaginiez ? Des chaudrons ? Des conserves d’ailes de chauve-souris et bave de crapaud ? Pfff, vous êtes ridicules. Honnêtement : qui irait mettre ces trucs dégeu dans sa cuisine ??