Comment Jasper a-t-il fait pour en arriver là ?
D’étudiant normal en BTS de commerce, il se retrouve maintenant (en un temps record !) à devoir gérer un hôtel dans la petite péninsule de Boreas.
Accueillir les clients, parler (souvent) anglais, gérer le personnel en charge du ménage et des cuisines (composée d’une seule personne), renouveler les stocks de savons et de nourriture, apprendre à réparer la tuyauterie et les problèmes d’électricité, empêcher le croupier kleptomane (qui est aussi le gardien du parc) de tricher, mais surtout, surtout, toujours surveiller la mer : voilà son lot quotidien. Certains jours, il se dit que sa vie ressemble à un mauvais film d’action, d’autre qu’il entrevoit les profondeurs de l’enfer. Qui arrive souvent par la mer.
Et souvent sous forme d’immondes raies géantes qui rampent au sol pour dévorer toute source d’énergie qui passerait à leur portée.
Début
Jasper Marvert, vingt-deux ans, regarde l’océan. Il faut toujours regarder l’océan. C’est même la première chose que lui a dit le Patron lorsqu’il est arrivé.
-Non non, jeune homme, vous ne regardez pas dans la bonne direction !
Jasper regardait l’hôtel dans lequel il allait passer quelques semaines pour perfectionner son anglais et mettre en pratique ce qu’il avait passé deux ans à apprendre en cours.
-C’est la mer qu’il faut regarder, mon gars. Toujours regarder la mer ! Elle est belle, n’est-ce pas ?
Sur le coup, il avait trouvé que oui, c’était plutôt joli, et que comme job d’été il y avait pire. Il c’était plutôt bien démerdé. L’eau ondulait au gré des vagues, doucement, dans des teintes azures de cartes postales. Sur la plage de sable fin, quelques palmiers poussaient, offrant de l’ombre aux quelques baigneurs qui ne profitaient pas des heures les plus chaudes pour dormir dans un hamac. Un kiosque à glace fermé pour le moment n’ouvrirait qu’à quatorze heures, personne ne s’agitait de part et d’autre des filets de volleyball. Haut dans le ciel, les mouettes volaient, scrutant les flots. Elles, elles avaient bien compris qu’il fallait toujours regarder la mer.
À présent, même si le soir nimbait la plage de rose et donnait à l’océan une teinte mauve surréaliste, Jasper ne pouvait s’empêcher de le trouver repoussant. Cette couleur venimeuse lui déplaisait tout à fait, et il ne voyait plus des vaguelettes qu’une texture gélatineuse prête à se précipiter sur lui. Foutu océan de mort. Et foutu job d’été de merde, aussi. Job d’été, pfff… ! Cela faisait NEUF MOIS qu’il était coincé dans cette saloperie de péninsule, enclavée entre l’océan et les falaises !! Il comprenait de moins en moins les cinglés de touristes qui venaient passer leurs vacances ici : lui voyait plutôt Boreas comme un tombeau. Son tombeau !
Après avoir jeté un coup d’œil irrité à son téléphone, il revint à l’océan. Ces heures du soir étaient les plus dangereuses. Après avoir passé l’après-midi à se gorger de soleil, ça n’aimait pas voir la nuit arriver. Plus d’énergie. Alors que les générateurs de l’hôtel, eux, ben ils en étaient constamment chargés. Foutu générateurs, aussi ! Le Patron lui avait laissé carte blanche pour s’occuper de l’hôtel, il avait longuement hésité à couper l’électricité et tout remplacer par du chauffage au bois, jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’à part la vingtaine de palmiers à la con qui poussaient dans le coin, il n’y avait que du gazon cramé. Et merde. Il aurait dû se douter aussi : sa mère lui avait bien dit qu’il s’engageait dans un truc louche. Et Maman avait toujours raison. Et lui, comme le jeune con qu’il était -qu’il est peut-être toujours, d’ailleurs- il s’était évidemment dit que la vieille balisait pour rien, qu’elle ne voulait juste pas le voir partir et que… Mais merde ! Il aurait carrément dû l’écouter. Bordel. En plus, ce n’était pas comme si la Providence n’avait pas prévenu !