Embarquement

Embarquement

Les Sailor déposèrent sacs, valises et boîte à chat autour d’un groupe de sièges pas trop cassés, non loin des portiques de transparticulage. Au signal de son père qui venait de vérifier le taux de polluants sur sa montre, Ulys ôta son atmomasque avec soulagement. Le comptoir d’enregistrement paraissait flambant neuf et totalement déplacé dans le décor vétuste. Il avait très probablement été monté tout récemment par la compagnie DianaSpace. Pour l’instant, il était désert.

Sly et Granpa consultèrent les écrans d’informations.

– Pas si mal ! dit Sly satisfait. Il nous reste quinze minutes avant l’ouverture des transparticuleurs à bagages. On peut souffler.

Oxan, Carla, Maty et Granma partirent à la recherche des toilettes pour femmes, tandis que Sly, Tancred, Teddy et Calixt formaient une seconde équipe vers celles des hommes. Granpa sortit son mediacom de sa poche et se mit à lire les nouvelles. Incapable de s’immobiliser, Ulys allait et venait devant lui, débordant d’excitation. Déjà en temps normal, il avait un mal fou à ne pas bouger, mais aujourd’hui, c’était vraiment impossible. Il n’y pouvait rien : ses muscles accumulaient l’énergie comme des bombes à retardement qui menaçaient d’exploser en l’absence de mouvement régulier. Même les épis châtain clair qui se dressaient sur sa tête paraissaient chargés d’électricité. Il enviait le calme de sa cousine. Oxan était capable de rester sagement assise et attentive pendant des heures sans se transformer en grenade. Il lui enviait aussi un peu sa taille ; six mois seulement les séparaient — lui n’avait pas encore fêté ses douze ans —, mais elle le dépassait d’une tête, aussi déliée qu’il était compact.

– Ulys, tu me donnes le tournis, marmonna Granpa. Essaye au moins de t’asseoir quelques minutes.

Le garçon s’accroupit devant la cage du chat pour lui parler doucement. Comme à l’accoutumée, l’animal produisit sur lui un effet apaisant ; tout son corps se décontracta. Il joua un moment avec le félin, passant le bout de son doigt dans les interstices de la grille pour qu’il puisse le sentir et le lécher. Il l’adorait — d’ailleurs c’était son chat, cadeau de ses parents pour son sixième anniversaire — et le voir enfermé le rendait malheureux. Mais il savait que s’il tentait de le prendre dans ses bras, le félin stressé s’enfuirait. Il irait se cacher dans un coin, si bien qu’ils n’auraient pas le temps de le rattraper avant le départ.

– Dragon, murmurait-il. Dragon, ne t’en fais pas, mon chat : dans la navette, il y a un endroit exprès pour les animaux. Dès qu’on sera installés à bord, tu pourras sortir de ta boîte. Je viendrai te voir très souvent.

Quel que soit l’angle sous lequel on le regardait, le félin ne ressemblait pas du tout à un dragon. C’était un gros chat noir et blanc aux yeux jaunes, avec un poil assez long pour s’y réchauffer les mains. Mais Ulys avait choisi ce nom cinq ans auparavant pendant la période où ces animaux imaginaires le passionnaient. S’il avait dû le baptiser maintenant, il lui trouverait un nom bien plus intéressant. Dianaël, par exemple, ou Firebird.

***

Quand leur paquetage — Dragon compris — fut pris en charge par DianaSpace, un véhicule de l’astroport les achemina vers la navette. Quelques minutes plus tard, les Sailor adultes et enfants découvraient avec des yeux ronds ce qui allait être leur logement pendant les trois mois de voyage. La compagnie DianaSpace mettait à la disposition des passagers de classe tourisme une cabine confortable, avec plusieurs chambres et salles de bains, un salon et même un petit gymnase. Celle qu’on leur avait attribuée était plus grande que leurs trois anciens appartements réunis. L’air y était plus pur que tout ce qu’ils avaient jamais respiré sur Terre. La sensation était un peu grisante et Ulys en avait la tête qui tournait.

– Je me demande comment sont les cabines de première classe, dit Maty en se laissant tomber dans l’un des sofas. Parce qu’en tourisme, on est déjà très bien !

Elle ouvrit les bras et fit un clin d’œil. Oxan et Calixt, répondant à ce signal convenu entre eux depuis toujours, vinrent se lover contre elle.

– Bonne idée, un câlin de nouvelle vie ! approuva Sly en étreignant un par un ses garçons malgré leurs protestations.

Depuis quelques minutes, les moteurs du Firebird ronronnaient en combustion jaune. Le départ approchait et l’excitation déversait de nouveau son courant d’énergie dans chaque muscle d’Ulys. Il fallait qu’il bouge, sous peine d’exploser.

– J’aimerais bien aller voir comment Dragon est installé à l’animalerie, dit-il. Je peux ?

– J’y vais avec lui, si vous voulez, plaida Tancred alors que sa mère hésitait. On en profitera pour visiter un peu le vaisseau. De toute façon, il y a des consoles d’informations partout. On peut pas se perdre.

Ulys lui concéda un regard reconnaissant. Il savait que ses parents faisaient confiance à leur aîné ; sa proposition pouvait faire pencher la balance.

– Moi aussi, je veux voir Dragon ! s’exclama Teddy en sautillant sur place.

– Moi aussi ! renchérit Calixt sur le même ton.

– Je viens avec vous pour jeter un œil ! ajouta Oxan. D’accord, Maman ?

Maty donna son assentiment avec les consignes habituelles, ânonnées comme un refrain :

– Ox, surveille ton frère. Cal, ne fais pas trop l’andouille et reste avec ta sœur.

– Pareil pour vous, ne vous séparez pas et comptez-vous, accorda Sly en se carrant dans un des fauteuils moelleux, son mediacom en main.

– Et ne faites pas trop de bruit dans les couloirs ! compléta Carla alors que les enfants sortaient. Nous avons probablement des voisins !

Comme pour régler tout de suite la question, Teddy claqua la porte avant de lever les bras au ciel en hurlant :

– On est partis !

Ulys hésita un instant entre la réprimande et les applaudissements, puis se joignit finalement au rire des autres. Quand ils se mirent en route, il perçut la voix faussement désespérée de Granma à travers le battant :

– Ils sont impossibles…