Embourbée

Six heures quarante-cinq, le réveil sonna. Comme tous les matins, Maïwenn devait se préparer. Après avoir à plusieurs reprises tenté d’éteindre le troubleur de sommeil, elle y était enfin parvenue. Sept heures dix, l'heure du café et des informations à la télé.

Le monde va mal... Rien de nouveau, pensa-t-elle.

Sept heures trente, elle fit son entrée dans la salle de bains et alluma la radio en espérant la chanson miracle qui lui donnerait du courage pour affronter sa journée.

Huit heures, sortie de douche. Elle sécha rapidement ses longs cheveux bruns bouclés, brossa ses dents et maquilla légèrement ses grands yeux verts. Huit heures vingt, habillée d'un jeans brut et d'un t-shirt noir sous un gilet de la même couleur, elle pouvait enfin partir... En retard... Comme d'habitude.

Brest n'était pas une grande métropole, deux cent mille habitants environ, mais il lui fallait un peu plus de vingt minutes pour rejoindre la zone d'activité où se situait son entreprise.

À vingt-quatre ans, son master de langues étrangères fraîchement en poche, elle s'était vite rendu compte que de trouver un emploi dans sa branche allait être plus compliqué que prévu. Il y a six mois, elle avait décroché un contrat en tant que secrétaire dans une grande entreprise et avait donc emménagé à Brest.

Ah tiens, il pleut... Pour changer, ironisa-t-elle, en sortant de son immeuble.

Elle se dépêcha de rejoindre sa voiture pour ne pas être trop mouillée et démarra en trombe.

« Bien le bonjour amis Brestois si vous nous rejoignez à l'instant. Courage, le mauvais temps sera bientôt loin ! » assura l'animateur radio.

Lorsqu’elle entra dans le hall de la Breizh Connection, Brigitte, l’agent d’accueil, la fusilla du regard.

— C'est à cette heure-ci qu'on arrive ? lui lança-t-elle.

— Encore des travaux au centre-ville. Comment ça va ?

Cette question, posée chaque matin, tenait davantage du réflexe que d'une réelle envie de savoir comment se portait celle qui avait toujours une petite remarque désagréable à son égard.

Maïwenn avait été engagée dans cette entreprise pour gérer le secrétariat courant du service ressources humaines le temps d’un arrêt maladie qui s’achevait dans une semaine. Dès son arrivée, ses responsables lui avaient fait comprendre que son poste n’avait rien de valorisant. C'est pourquoi on l'avait placée dans ce que Ludovic, son collègue de bureau, appelait « le bureau des reclus ».

Informaticien, webmaster et accessoirement réparateur de photocopieuse, Ludovic était au premier abord un homme froid et distant. Pourtant, au fil des mois, il s'était révélé être son meilleur allié dans cette ambiance hostile.

Ludo, pour les intimes, avait la trentaine. Il était très grand, mince et gardait constamment ses longs cheveux bruns attachés en queue-de-cheval. Lui aussi se heurtait aux membres de ce service, qu’il avait rebaptisé « la Hell Team ». Cette équipe, ou plutôt ce duo, était constitué de Vanessa, la responsable qui coiffait continuellement ses cheveux grisonnants d’un chignon strict et d’Amandine, une petite rousse frisée très sophistiquée. Bien qu'ils n'aient aucun lien hiérarchique, la « Hell team » n’avait pas non plus d’estime pour Ludo. La situation était devenue si pesante que Maïwenn se rendait quotidiennement au travail la boule au ventre.

Ce matin-là, elle remarqua tout de suite que Ludo avait l’air particulièrement fatigué.

— Bonjour. Tu es encore resté jouer en ligne jusqu'à pas d'heure ? demanda-t-elle tout en s'asseyant à son bureau.

— Tu ne te rends pas compte, je ne peux pas laisser ma guilde comme ça, en plus hier on a passé l'avant-dernier niveau ! s’insurgea son collègue.

— Effectivement, je ne me rends pas compte.

— Et toi, tu as fait quoi de ta soirée ?

Amandine entra alors dans le bureau, coupant court à la conversation. Elle ne prit pas la peine de regarder Maïwenn et se dirigea directement vers l’informaticien. Ils discutèrent d’un problème sur le site internet après quoi, elle prit la direction de la porte.

— Tu as une mine épouvantable toi, lâcha-t-elle à la jeune femme.

— Bonjour à toi aussi Amandine, bredouilla l’intéressée.

Sa supérieure avait déjà quitté les lieux.

— Ne fais pas attention. Plus tu leur montres que ça te touche, plus elles aiment. Pourquoi crois-tu que l’autre secrétaire soit en arrêt, pointa Ludo.

La complicité qui liait les deux collègues avait alimentée les bruits de couloir. Ses responsables auraient préféré qu'elle reste sous leur coupe et ainsi faire perdurer leur précieux adage : « Ce qui se passe dans le service RH reste dans le service RH ». Cette expression, digne des films mafieux, l’avait d'abord fait rire avant qu'elle ne réalise qu'elle était effectivement appliquée.

Désormais, Maïwenn faisait son travail tel un automate en attendant une seule chose :

Dix-huit heures, enfin !

Cinq minutes plus tard elle était prête à partir, hors de question de s’éterniser dans ces conditions.

La jeune femme habitait dans un immeuble très calme et s'entendait à merveille avec sa voisine de palier, Mylène, dit Mylie. Pas très grande, un peu rondelette et avec des cheveux auburn ondulés, c'était une personne dynamique et fantasque.

En rentrant chez elle ce soir-là, Maïwenn croisa justement cette dernière qui l’invita à dîner.

En bonne antiquaire, Mylie avait un intérieur qui lui ressemblait : mystique. Son salon se composait d'un grand canapé de faux cuir marron et d'une table basse en bois sombre sculpté, surmontée d’une plaque de verre. Le sol était recouvert d'un énorme tapis rouge moelleux et les murs, quant à eux, accueillaient des tentures en provenance d'Inde aux couleurs dorées et vives.

Ce soir-là, Brieuc, le compagnon de Maïwenn, était au centre des conversations. Ils s’étaient rencontrés peu de temps après son emménagement à Brest et avaient déjà de grosses divergences. D'après Mylie, elle méritait mieux, car il dégageait de mauvaises ondes. Sa voisine n’appréciait pas du tout le jeune homme, ce qui était d'ailleurs réciproque.

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Den ar vilin
Posté le 18/06/2024
Salud dit-te Portequigrince !
Ton écrit m'a interpellé rien que par le titre. Ça me fait toujours chaud au cœur de lire ma langue maternelle dans un environnement inattendu ahah.
En ce qui concerne le texte en lui-même, j'aime beaucoup le style. C'est très banal, pittoresque, on croirait presque y être. Ton personnage a l'air très intéressant, j'ai hâte de voir comment tu vas le faire évoluer.
À bientôt ^^
Portequigrince
Posté le 16/07/2024
Bonjour! merci pour ton commentaire.
C'était important pour moi que l'histoire commence en Bretagne moderne pour être ancrée dans la réalité. La banalité voir la monotonie du début est aussi voulue et je suis contente que tu l'aies relevé!
Cléooo
Posté le 09/04/2024
Bonjour Portequigrince !

Je viens découvrir ton écrit :)

Avant de te partager mes retours, je me permets de répondre à ta note :
Moi aussi, mon premier roman, j'ai eu un mal terrible à le montrer ! Il m'a fallu quatre ans, pendant lesquels je l'ai continuellement retravaillé, avant de me décider enfin à le faire lire. C'est terrible, le côté syndrome de l'imposteur, et aussi la peur qu'on trouve ça nul (pour moi c'était le cas en tout cas). Je suis bien contente que tu aies réussi à passer le cap de ce qui te bloquait !

Maintenant, sur le texte en lui-même : je trouve que c'est une jolie entrée en matière. Pour être complètement franche, ça m'a filé un sentiment de malaise très désagréable. Mais c'est une bonne chose pour ton texte, c'est justement que je l'ai trouvé si vivant que ça m'a rappelé ma routine dans une entreprise où j'ai détesté bosser ! C'est donc plutôt gage de réalisme ahah

J'aime bien la fin du chapitre aussi, qui s'ouvre sur la vie sentimentale de Maïwenn.

Ce n'est pas tout à fait mon genre de lecture habituel, cependant je trouve que c'est bien écrit.

Je te fais quelques remontées que j'ai noté au fil de ma lecture :

- "le secrétariat courant du service ressources humaines" -> je n'ai pas bien compris ce passage.

- "Ne faits pas attention." -> ne fais

- "Plus tu leur montre" -> montres

- "que l’autre secrétaire soit en arrêt" -> est en arrêt

- "avait alimenté" -> alimentée

- "en attendant qu'une seule chose" -> "une seule chose", sans le "qu' " allégerait la phrase je pense.

À bientôt :)
Portequigrince
Posté le 15/04/2024
Bonjour Cléooo!
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de commenter.
C'est vrai, j'ai du mal à laisser partir cette histoire parce qu'après...ce sera fini! (Ahah)
Ce début je l'ai voulu un peu malaisant parce que Maïwenn a une vie pas au top, je suis contente que tu l'ais remarqué. Après, ça peut rebuter certaines personnes aussi, chacun sa sensibilité.
Merci aussi pour les corrections, c'est mon gros point noir, je vais faire les modifications.
Bonne semaine à toi!
coeurfracassé
Posté le 06/04/2024
Salut !
J'ai tout d'abord été attirée par ton résumé, car il ressemble un peu à une histoire que j'ai écrite, et ça m'a intriguée.
Pour l'instant, ce n'est que le décor, mais ça me donne quand même envie de découvrir comment tu vas passer d'une routine tout ce qu'il y a de plus banal comme celle-là à une véritable épopée fantastique ! Je m'attendais en effet à ce que le rêve étrange dont tu parles dans le résumé soit déjà abordé, mais non, surprise... Ce n'est absolument par un reproche, au contraire, ça me pousse à continuer ma lecture !
Il y a une chose qui m'a frappée - je ne sais pas si c'est voulu ou pas - c'est la précision de sa routine matinale, avec toutes les heures qui sont indiquées. ça donne un effet stylistique réussi, mais attention à ce que ça ne revienne pas trop souvent, surtout si ça ne fait pas partie du caractère du personnage (par exemple, cette régularité peut s'expliquer par une personnalité maniaque). Si c'était le but, c'est parfaitement réussi ! Sinon, ça ne pose aucun problème à l'histoire, c'est juste un peu étrange...
Enfin voilà, j'espère que je ne t'ai pas fait peur avec mes remarques...
J'ai hâte de lire la suite <3
Portequigrince
Posté le 07/04/2024
Bonjour et merci pour ton commentaire!
Pour revenir sur la question des heures, c'était surtout pour marquer la routine de sa vie au début. J'essaie de faire venir l'étrange dans sa vie normale, petit à petit. Tes remarques m'aident, je vais être vigilante et j'espère que la suite te plaira!
coeurfracassé
Posté le 09/04/2024
Pour les heures, ça fonctionne très bien !
Et pas de soucis pour les commentaires, ça me fait aussi toujours très plaisir d'apporter mon aide <3
Portequigrince
Posté le 15/04/2024
Et bien merci encore, ton aide est appréciée!
A bientôt peut-être
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