- Alors ?
- J'ai la lettre !
Marie le détaille, Yann a quelque chose de fragile dans sa façon de sourire, il est émouvant. Cette lettre c'est sa rédemption, tout comme la possibilité d'un futur avec celui qu'il aime. Enfin, la solution qu'il espérait depuis tant de mois.
- Tu vas pouvoir l'appeler maintenant.
- J'ai peur.
Il semble si ébranlé par la situation.
- Yann, il a eu le temps de se faire à l'idée, le temps de te pardonner aussi, et je te rappelle qu'il n'avait pas l'air mieux que toi lorsque je l'ai eu au téléphone. Cette bonne nouvelle mettra du baume sur la douleur d'avoir été trahis.
- Il a été si véhément, je sais que je suis fautif, mais je me sens déjà tellement mal, s'il me repousse...
Il ne termine pas sa phrase.
- S'il te repousse, je m'en occuperais, par mail ou en l'appelant moi, nous réussirons à lui faire entendre raison. Je sais qu'il t'aime toujours, il me l'a dit.
Yann pince ses lèvres, il ignore s'il est capable de supporter le cas échéant une nouvelle pluie de paroles acides.
Ses doigts tremblent en composant le numéro, combien de fois cela lui est déjà arrivé ? Trop sans doute déjà.
- ...
- ‘Jour z'êtes bien sur la messagerie d'Gabriel Carbonel, ch'uis indisponible pour l'moment, laissez-moi un message et j'vous rappell'rais au plus vite, merci.
- Qu'est-ce que je fais ?
- Tu as raccroché sans laisser de message !
- J'ai pas envie de discuter avec sa boite vocale.
- Alors rappelle !
- S'il a pas envie de répondre ça va l'énerver non ?
- Il a sans doute pas eu le temps de décrocher, tu sais pas. Ou il hésite.
- ...
- Va-y putain rappelle !
- ‘Jour z'êtes bien sur la messagerie d'Gabriel Carbonel, ch'uis indisponible ...
- Tu vois qu'il ne veut plus me parler.
- Bha laisse un message.
- Non.
- C'que t'es chiant. Va, fait pas cette tête là, il va sûrement rappeler et sinon je m'en occuperais ok ?
- ...
*
Gabriel ne crise même plus, il a abandonné tout espoir. Enfermé dans la salle de bain depuis bientôt une heure, il perd la notion du temps. Son esprit est vidé comme son corps. Il est complètement abattu.
L'eau qui coule sur sa peau est bouillante pourtant il frisonne, fiévreux. Cela fera quatre jours qu'il a eu le dernier appel de Marie, depuis plus rien. Il a attendu en espérant qu'elle les aide. Il regrette, il aurait dû lui demander carrément de dire à Yann qu'il l'aime, qu'il soufre, qu'il s'en veut. C'est trop tard. Après toute la haine qu'il a déversé sur son petit ami et même s'il trouve des excuses à sa propre réaction, jamais il n'arrivera à prendre sur lui de l'appeler. Il lui faudrait une excuse et il n'en trouve pas. Il a été trop loin, ses paroles ont largement dépassé sa pensée, la honte est la plus forte.
En ce moment les journées se suivent, se ressemblent, il a comme des œillères. Ce qui se passe autour de lui l'indiffère. Sa tête est dans le brouillard, son estomac est retourné, ses yeux gonflés à force d'avoir trop pleuré. Il ne joue plus de musique, évite tout contacte extérieur, ne parle plus que très rarement à sa sœur et Erwan. Il ne cherche pas à renouer le dialogue. Il ne se sent pas d'encaisser de nouveau leurs avis sur la question. Ses larmes coulent-t-elles encore ? Sous le jet du pommeau, il ne s'en rend plus compte.
On frappe à la porte, il lui faut quelques instants pour sortir de sa torpeur.
- Gabriel, qu'est-ce que tu fous ? Ça va faire une heure que tu es là dedans !
Sa sœur, il n'a pas envie de répondre, ne peut-on pas lui foutre la paix ?
- Ouais ça va, j'termine ! C'pas la peine de gueuler !
- C'est aussi pour toi que je dis ça, ton portable n'arrête pas de sonner !
- Quoi ?
- C'est Yann.
A-t-il bien entendu ? Son cœur rate un battement.
- Yann, qu'est-ce... qu'est-ce qu'il veut ?
- Qu'est-ce que j'en sais moi, je ne décroche pas ton téléphone, c'est bon je ne suis pas ta secrétaire et puis ça ne me regarde pas, aller sort de là !
- Mais il n'a pas laissé de message ?
- Mais j'en sais rien moi ! J'ai juste vu son nom s'afficher.
Dans sa tête c'est la panique, alors qu'il avait froid, le voilà avec une montée de sueur.
Il sort.
- Hééé ! Habille-toi quand tu sorts de la salle de bain, tu te crois où ? T'es plus un gamin merde !
- Il est où ?
- Quoi donc ?
- Bha mon téléphone.
- Je l'ai posé sur ton lit. Sèche-toi au moins les cheveux, regarde moi ça, tu dégoulines. Pour toute réponse, il lui ferme sa porte au nez.
Il mate de suite l'écran de son LG, c'est la vérité, Yann à appelé trois fois de suite. Il reste devant l'engin, interdit, espérant une nouvelle sonnerie. Il n'y a pas de message, pas de SMS, juste trois veines tentatives. Les secondes, puis les minutes s'écoulent mais le correspondant ne réitère pas l'appel. Assis, à moitié à poil et trempé sur son lit, Gabriel sent son estomac se nouer. Il ne va quand même pas rester bêtement à ne rien faire. A partir de cette réflexion, il échafaude une conversation.
- C'est lui qui a tenté de m'appeler, je peux juste lui demander ce qu'il voulait, genre : Oui alors tu as tenté de me joindre ? Et lui demander ce qu'il veut.
Il se lève, fait un tour sur lui-même, se rassoit, se tortille, soupire, réfléchi de nouveau.
- L'important c'est d'en dire le minimum, le laisser parler, ne surtout pas m'énerver.
La rage a fait place à la peine.
*
- C'est lui !
Yann est tellement étonné qu'il a fait un bon.
- Bha va y décroche !
- Allo ? Yann ?
- ...
Sa gorge se serre aussitôt, l'oreille collée au téléphone, les yeux exorbités, il cherche le soutient de sa meilleure amie.
- Qu'est-ce que t'attends ? Répond ! lui susurre-t-elle en battant des mains.
- Yann, t'as tenté d'me joindre ?
- Ou... Oui... Je...
Il renifle, un sanglot barre le passage de ses mots, la voix de Gabriel est douce, plus qu'il ne l'aurait imaginée.
- Qu'est-ce tu veux ? lui demande alors le goth un peu sèchement malgré lui.
Il s'en veut aussitôt.
- Putain je suis con, poser cette question ça fait vraiment : Tu me fais chier, qu'est-ce que t'as encore ?
Yann pleur sans rien pouvoir dire, il plaque son portable contre lui, comme s'il s'agissait d'un morceau de son petit ami.
- Arrête de pleurer, finit par deviner Gabriel qui n'entend que sa respiration agitée.
- Je... Je suis désolé...
- Je sais.
- ...
- Est-ce que tu voulais me dire quelque chose de particulier ? Le ton employé est indulgent, presque tendre.
- Je... t'aime.
Cette fois il craque à son tour. Tant de distance les sépare et pourtant, ils partagent à cet instant la même peine.
- Bébé, arrête de pleurer s'teuplait !
- J'veux pas te perdre, me quitte pas.
- Yaaann ! s'agite Marie à quelques centimètres de là.
- J'ai une super nouvelle, j'ai trouvé un job, renifle-t-il, c'est... c'est juste à côté de chez toi !
- C'est vrai ?
- C'est Paolo, il connait un type avec qui il a appris la cuisine, la même école je crois. Il m'a fait une lettre de recommandation, c'est presque sûr que je peux avoir la place, continue-t-il en hoquetant un peu..
- Woua, c'est génial ça, tu l'as contacté déjà ?
- Non, faut que tu ailles le voir de ma part, je vais t'envoyer la lettre par courrier, vaut mieux que ce soit l'original et au cas où je t'envoie aussi le scanne par mail.
- Ça ne posera pas de problème que ce soit moi ? Tu ne veux pas l'appeler d'abord ?
- Paolo m'a dit de faire un courrier pour expliquer ma situation, le gars à l'habitude de prendre du personnel venant d'ailleurs, du pays basque mais c'est pareil pour lui.
- Ok si tu le dis, ben si ça peut marcher ce serai génial mais...
- Suffit de lui dire que je vais être logé sur place.
- Heu, mais Yann c'pas l'cas, on a toujours pas...
- Je m'en fous, Gabriel, je me débrouillerais ! Je suis sûr, si j'ai le boulot tout ira bien, même si je dors à l'hôtel ou dehors,c'est pas grave.
- Yann réfléchis un peu, Laurianne voudra pas qu'tu squattes à la maison à part pour juste des vacances et les hôtels ici c'est méga cher. Tu peux attendre longtemps pour...
- Tu veux que je fasse comment ? Je veux ce job ! C'est notre chance ! Je peux pas avoir de logement sans travail hein !
- ...
- Je t'en prie, remet-lui la lettre de recommandation au moins.
- D'accord.
*
deux ans et demi plus tard.
- Arheuuuuuuuuuuu, Fais Arheu à tonton-Gabriel, mon bébé.
Il n'est que huit heures du matin, Uzu a beaucoup de mal à émerger, la nuit fut chaude mais courte. Il en a encore des frissons et sa bouche sourit toute seule. Il ignore encore la raison de ses larmes de l'avant-veille, il est rassuré de n'avoir pas remis ça cette nuit. L'autre jour, il s'est senti submergé tout à coût, il y a si longtemps qu'il n'avait plus pleuré.
- Espérons que Gabriel ne s'en fait pas trop pour ça.
Gabriel, parlons-en, deux heures qu'il est debout, Hugo a la varicelle, les boutons le grattent et l'empêche de bien dormir. Pourtant Uzu s'interroge, comment son mec peut-il être aussi en forme de si bon matin ? Et surtout avec une telle bonne humeur ? Il en serait lui-même bien incapable.
- Gabriel ?
- Humm ?
- Tu ne crois pas que tonton-Gabriel c'est trop long ? Pourquoi ne le laisserais-tu pas t'appeler papa ?
Gabriel se dandine derrière la table à langer, la question le gêne.
- Ch'uis pas son père, j'ai pas l'droit d'faire ça. Imagine la confusion dans son esprit après.
- Tu sais, Hugo est orphelin. Si tu l'adoptes, il deviendra ton fils comme n'importe quel petit adopté. Ça ne t'empêche pas de lui dire d'où il vient. Si ta sœur avait survécue, il est probable qu'elle aurait refait sa vie. Certainement Hugo en aurait appelé un autre papa.
- Tu crois ?
- Bien sûr. Pense à plus tard, à l'école. Il sera content de se venter d'avoir un papa plus meilleur que les autres ! Ne lui interdit pas ça.
- Déjà qu'il n'aura pas de maman...
- Il a déjà beaucoup de chance de t'avoir, déclare Uzu.
L'enfant a bien grandis, Uzu ressent parfois de la peur de perdre ce petit être qui pour lui n'est rien du tout aux yeux de la loi. Si pour Gabriel cette situation a toute les chances de changer, pour lui, ce sera toujours une épée de Damoclès au dessus de la tête. Il s'est pourtant déjà beaucoup investi. Il n'imagine plus une seule seconde quitter Gabriel, le perdre ce serait la fin du monde. En regardant ce petit enfant qui lui sourit, il comprend que la douleur serait double si par un mauvais hasard il venait à perdre son amour.
- L'adoption c'est pas pour maint'nant, reprend Gabriel, ch'ais même pas si j'vais pouvoir l'garder.
Le bébé dans les bras, il se dirige vers la cuisine, suivi de prés par le japonais.
- Arrête de t'en faire pour ça. Bon, faut que j'aille bosser, n'oublie pas de le déposer à dix heures chez la nounou.
- Ha nan là pas question, t'as rien avalé !
- J'ai plus le temps mon amour.
" Mon amour ", que ce mot sonne bien à son oreille, le goth en rougit d'aise.
- Tu vas le r'chercher à quelle heure ? lui demande-t-il avant que Uzu ne s'échappe.
- Vers treize heure trente. Tu repasses par ici dans l'aprem' ?
- Nan j'peux pas désolé, faut qu'je vois Steph, le concert c'est le weekend pro, on a encore à faire y manque du matos, répond le goth.
- Ok, tu m'appelles ?
- Ouais, hé, part pas sans mon bisou !
*Le bisou, la porte qui claque, l'ascenseur, le froid, la voiture et le voilà parti pour une nouvelle journée. Sa vie a tellement changée, est-ce ça le bonheur ? Même les habitudes le font sourire. Il va travailler jusqu'à midi, manger un truc sur le pouce et passer récupérer son fils... Non pas son fils. Il ne doit pas se dire ça. Pourtant, c'est bel et bien ce qu'il ressent. D'ailleurs la nounou les appelle papa tout les deux. Il se dit que sa voiture commence à être trop petite, il faudrait commencer à réfléchir à quelque chose de plus grand. La poussette que Gabriel utilise le matin pour amener son neveu à du mal à rentrer dans le coffre. L'étiquette bébé à bord et le siège auto habille la petite fiesta trois portes, d'une aura parentale inattendue.
Aujourd'hui comme souvent quand il n'y a pas répétition, il vient rechercher Hugo chez sa nounou en début d'après midi.
Et l'assistante maternelle, parlons-en. Le jour où elle les a vu débarquer pour l'entretien, elle a craqué littéralement pour ce couple là. Le nouveau né était adorable, l'oncle complètement gaga de son petit bébé et son compagnon suffisamment sérieux pour qu'elle n'ait pas à s'inquiéter du cadre de leur collaboration.
Ils l'ont jugé sur son CV sans regarder son excentricité, leur ouverture d'esprits lui a fait du bien. Myriam n'est pas ce que l'on pourrait appeler une nourrice typique. Elle porte un piercing à l'arcade, des dreadlocks* roses et s'habille en sweet lolita*. Mais son appartement est très propre, sa formation est sérieuse et son expérience en crèche les a motivés. Le quartier où elle est installée est calme, son appartement n'est pas très grand mais bien agencé. Elle passe des après-midi entiers à promener l'enfant au parc juste à côté. Elle est douce, attentive et compréhensive. Myriam vit en couple avec un ingénieur agronome tout ce qu'il y a de plus commun, le couple qu'ils forment est étrange mais il semble stable.
Gabriel et Uzu la font souvent rire, Uzu prend le rôle de la mère sans problème, inquiet, sérieux, instinctif, sensible au moindre changement, faisant passer le bébé devant tout le reste, il n'en reste pas moins un peu en retrait. Il prend les responsabilités et les devoirs sans en avoir les droits malheureusement.
Gabriel, quand à lui, pourrait avoir le rôle de grand frère s'étonnant d'un rien, très joueur, un peu dans la lune bien que toujours très présent. Cet enfant a deux papas mais en réalité, Myriam reste persuadée qu'il n'en a pas. Peut-être Uzu endossera-t-il le rôle un jour en plus de celui de la mère. Ou bien Gabriel réussira-t-il à murir un peu. Après tout elle a déjà vu des pères restant gamins toute leur vie. Pour autant Hugo est un nourrisson qui n'a pas de problème grave, un ou deux rhumes, quelques coliques, dans l'ensemble, ils ont de la chance. C'est un bébé éveillé qui se porte bien, gazouille, offre un regard vif et pétillant, perd ses cheveux de naissance et se couvre de boutons de varicelle. En bref, un enfant on ne peut plus classique, malgré son histoire et sa vie sociale hors normes.
Le rendez-vous avec les services sociaux est fixé dans moins d'une semaine, elle devra y assister. Myriam évalue mal les risques, elle est persuadé que tout dépend surtout du personnel PMI rencontré. Le dossier n'est pas très bon, pour cacher son homosexualité, Gabriel a beaucoup menti.