Yull sortit du centre en fanfaronnant suivi par toute sa bande à l'exception de Rippy. La docilité de Rippy dès qu'il était question d'Henriette le rendait hilare. Il évoquait "la femme" de façon vulgaire en mimant avec son bassin ce qui pouvait tout aussi bien ressembler à un coït qu'à un accouchement. Le fait qu'une femme arrivée à maturité puisse contraindre Rippy à lui obéir à elle plutôt qu'à lui surprenait le jeune homme et d'une certaine façon le mettait mal à l'aise.
- Rippy est sous le contrôle de "La Femme" ! Ne restez pas dans le centre les gars, elle va vous ensorceller vous aussi.
En passant, son regard glissa avec mépris sur le vieux Samir. Yull haïssait le vieux, et c’était un prétexte suffisant pour s’intéresser à tout ce que Samir semblait apprécier. Il regarda longuement Andrea. La jeune fille , elle aussi, semblait dévorer Yull des yeux. Elle souriait. Ce que Samir redoutait se produisit, Yull et Andrea se mirent à discuter. Il ne pouvait rien y faire. Il observait Matty, Nex et Oscar qui regardaient Andrea eux aussi. Des sales types, dangereux, toujours ensemble.
- Toi, tu as les yeux aussi sombre que la forêt ! Un soir je t’emmènerai ! Je m’occuperai de toi, personnellement.
En disant cela, Yull jeta un œil vers ses acolytes. Andrea répondit avec une pointe de défi :
- Je ne suis pas là pour la brume, je suis là pour la Forêt.
Yull rit :
- Si tu veux connaître la forêt, tu dois d'abord entrer dans une ruelle, et je te conseille de ne pas choisir la plus étroite. Les brumes sont plus concentrées dans les petites ruelles. Tu veux aller trop vite ! Il faut te préparer...
Yull sortit de sa poche une petite boîte pleine de perles nacrées.
- C'est une Ovise, cela vient de la Forêt mais c'est bien moins puissant que la brume.
Samir regarda Andréa avec insistance. Il se sentait accablé et impuissant tandis que le jeune homme déposait l'une des perles dans la paume de la jeune fille. Le désir donnait à la jeune fille une coloration nouvelle. Yull avait ce pouvoir. Samir ne voulait plus voir ça. Il s'éloigna profondément mécontent. Yull ponctua son départ :
- Les vieux ne comprennent rien, c'est désolant !
Andréa rangea la pilule dans la poche de son jean sans faire attention au depart du vieil homme. Elle demanda :
- Tu es allé dans la forêt ?
Yull sourit mistérieusement, il ne répondit pas. Andréa continua à l'interroger :
- On dit que les derniers défricheurs sont tous revenus fous de la dernière campagne. Et depuis plus personne n'est entré ?
- ça, c'est ce qu'on t'a appris à partir des vieux manuels de l'acien monde !
Nex et Matty dévoraient la fille des yeux. Ils semblaient habitués à ce scénario. Yull rabattait les filles avec une surprenante facilité. L'air était tiède et saturé d'hormones.
- Tu parlais d'une femme, est ce qu'elle venait de la Forêt ?
Yull fut surpris.
- Moi je ne parle jamais d’une femme en particulier, je ne parle que des femmes !
- Tu as dit « La Femme » ?
- Tu es déjà jalouse ?
- Non.
Andrea disait toujours la vérité. Oui, elle trouvait que le jeune homme était beau, non elle n’était pas jalouse. Elle fixait le dépliant que Yull tenait dans ses mains. Celui-ci s’en rendit compte et s’amusa à agiter le papier pour exciter la convoitise de la jeune fille. Andrea accepta volontiers de se soumettre à ce jeu. Yull finit par lui lâcher le dépliant. Elle s'en saisit avec avidité. Elle paraissait manifestement plus intéressée par le bout de papier que par la pilule qu'elle avait fourrée négligemment dans sa poche. Cela perturba le jeune homme. C'était inhabituel. Andréa scruta minutieusement le visage du garçon. Elle se saisit de tout ce qu’elle voulait savoir, sans qu’il ne dise rien. Simplement en l’observant, elle eut la certitude que, lui aussi, la nuit dernière, il l’avait vue entre les arbres, « La Femme » et qu’il en était fou. Yull se tourna vers ses potes, légèrement moins à l'aise.
- Fais moi signe si tu te décides, ne vas pas toute seule vers la Forêt.
Andrea haussa les épaules en souriant. Elle balaya la place du regard jusqu'à localiser Samir et partit le rejoindre.
Rippy sortit du centre d’accueil. Il avait l’air presque sympathique, mais cela disparaissait à mesure qu’il se rapprochait des autres, il devenait d’autant plus gros et laid que Yull était fascinant. Une aura malfaisante entourait le groupe de jeunes.
Samir fut surpris de voir Andrea le rejoindre et soulagé de voir les cinq jeunes s'éloigner.
- Andrea, tu dois absolument te méfier d’eux.
- Cela ne sert à rien d’avoir peur. Mais, si cela te rassure, oui ils me font peur. Surtout quand ils sont tous ensemble.
Andrea incarnait tout à la fois l’innocence et la tentation. Ce qui était étrange c’est qu’elle semblait en être consciente. Cela faisait quelques mois que la jeune fille était arrivée dans la ville. Samir avait tout essayé pour la dissuader de rester. Mais maintenant que Yull avait vu Andrea, il l’avait flairée et il ne la lâcherait pas. Avec ce genre d’homme, il ne suffisait pas de savoir dire non. Dans ces circonstances, le centre d'accueil était peut être la moins mauvaise des solutions pour éloigner la jeune fille de l'influence de ces sales types.
- Je parlerai de toi à ma sœur, elle travaille au centre tu sais...
Andrea n’écoutait pas, elle était fixée sur autre chose.
- Samir, moi aussi je l’ai vue ! « La Femme ». Celle dont il parlait. Elle venait de la forêt !
- Tu te racontes des histoires, Andrea. Il n’y a pas de femme en particulier pour lui. Et toi tu as vu une femme, et alors ? Qu’est-ce qu’elle avait de particulier ? Elle venait des ruelles, comme toutes les autres...
- Non elle sortait vraiment de la Forêt. C’était une étrangère, elle venait du Monde Vague !
- Tu as de jolis yeux et tu te crées un monde. C’est beau, mais c’est dangereux de faire ça. La Forêt n’existe plus Andrea. Elle a été détruite, exploitée, cela fait plus d'un siècle. Et s’il y a eu un jour des êtres humains dedans ils ont été exterminés comme le reste.
- La nuit dernière le ciel a totalement disparut, une membrane recouvrait la nuit et j'ai vu une silhouette au bord de la ruelle. Une femme qui entrait dans la ville et quand elle m'a vue elle est retournée dans la forêt.
Samir pensait à tous les jeunes qu’il avait croisé. Ils hérissaient leurs sens pour se faire croire à eux-même que ce qu’ils vivaient, sortait de l’ordinaire. Cet appel à l’extase devenait répétitif.
- Elle a laissé quelque chose derrière elle. Retourne-toi, ne me regarde pas, je vais l’enfiler, tu vas voir.
Elle sortit de son sac un tissu coloré, pâle qui semblait recouvert de poussière. Samir se retourna, le temps que sa petite protégée exhibe en pleine rue son corps gracieux d’enfant femme, en lui demandant de ne pas regarder ce qu’elle offrait à la vue de tous.
- C’est bon tu peux te retourner !
C’était un vêtement vert de gris, poudré et manifestement il avait été taillé pour une autre femme, plus grande et plus musclée que la jeune fille. Andrea ressemblait à une grande sauterelle dans cet accoutrement, mais Samir connaissait trop bien les jeunes pour se risquer à la moindre remarque. Il n’avait jamais vu une telle matière, il lui semblait que l’autre femme habitait encore dans son vêtement. Samir n’avait jamais cru aux « étrangers du monde ». Pour lui, le peuple de la Forêt était une invention politique de l’Empire des Rives. Une façon de culpabiliser le nouveau monde pour l'empêcher de s'enrichir davantage : "Arrêtez-tout ! il y a peut être des gens là-dedans ! C'est un crime !".
Un vêtement, si étrange soit-il, ne suffisait pas à convaincre le vieil enseigant de l’existence de tout un peuple. Mais en regardant Andrea, une chose lui apparaissait maintenant avec certitude : La Forêt n’était pas en train de disparaître, elle était en train d’arriver. Samir essayait de regarder en face ce réel dans lequel il avait fait tant d’expériences, cette réalité qu’il n’aimait pas tellement mais à laquelle il était habitué. Il devenait peu à peu hésitant devant la femme sauterelle qui se tenait devant lui. Cette jeune fille qui n'avait pas suivi Yull, comme toutes les autres. Elle était revenue vers lui, avec une idée fixe dans sa tête pleine de questions.
- Oui, Andrea, je crois que, d’une certaine manière, tu as raison.
Que le vieux Samir se trouve dire à cette jeunesse qu’il croyait perdue « tu as raison » c’était un vrai changement. Le vieux acceptait d’abandonner son monde à lui. Maintenant, ce serait le sien, à elle. Dans cet abandon, il y avait de l’espoir, en quelque sorte.
Je me demande bien qui est cette "La Femme" 🧐
Comme je m'en doutais, la subtilité de ton univers va devenir de plus en plus limpide 😁
"Un vieux fou qui prétendait être le roi de la forêt" Pourquoi je ris ? 🤣🤣
"cette idée "d'accueillr": accueillir*
"Yull sourit mistérieusement": mystérieusement*
"des vieux manuels de l'acien monde" : ancien monde*
"Un vêtement, si étrange soit-il, ne suffisait pas à convaincre le vieil enseigant" : enseignant*
A nouveau merci pour ton retour ;)
je suis en train de reprendre mon début de roman, je vais sans doute débuter par ce chapitre que je vais diviser en 2 parties et simplifier...
merci pour tes corrections !
C'est très poétique, ça se lit tout seul. J'ai trouvé ce chapitre très frais, profond et savoureux. Il met aussi en lumière l'entrée un peu plus compliquée dans le chapitre 1, où j'avais été un peu perdue (surtout avec le centre et son but).
Très très jolie plume que la tienne :)
J'aime énormément ta manière de dépeindre les gens.
Et ta couverture prend de plus en plus sens à mes yeux.
Je suis fan d'Andrea.
À bientôt :)
^^
Voici quelques corrections de ponctuation :) :
- Je me sens bien avec toi Samir. -> , Samir (virgule pour séparer le prénom - à corriger ailleurs) :)
Yull haïssait le vieux, et c’était un prétexte suffisant pour s’intéresser à tout ce que Samir semblait apprécier. -> J'adore
C’était devenu un rituel entre eux, un engrenage. -> Ici, j'ai un doute : habitude avec Samir ou avec Andréa ?
Mais, si cela te rassure, oui ils me font peur. -> ,oui,
- Samir, moi aussi je l’ai vue -> , moi aussi,
- Non Samir tu te trompes -> , Samir,
Elle hérissait tous ses sens pour se faire croire à elle-même que ce qu’elle vivait, sortait de l’ordinaire. -> j'enlèverais la virgule ici
Elle sortit de son sac un tissu coloré, pâle qui semblait recouvert de poussière. -> , pâle,
- C’est bon tu peux te retourner ! -> C'est bon, tu
Ce n’était pas Yull -> enlever la majuscule au ce qui suit les :
Merci beaucoup pour tes conseils de ponctuation !
à bientôt - j'ai vu que tu avais publier un autre chapitre ;)