La forêt était un espace tout à la fois fabuleux et terrifiant. Un territoire dont la réalité avait été longtemps controversée. Lorsque certains hommes de l’Ancien Monde accostèrent sur les rives du Nouveau Monde, quelque chose d’essentiel apparut. Une chose qui vint se pendre à l’autre bout du tangible en menaçant de tout faire chavirer.
Ce n’était pas seulement la végétation, d’un vert puissant, gonflée d’une sève hallucinogène. C’était la promesse de l’abondance pour celui qui aurait le courage d’y pénétrer. Des formes mystérieuses glissaient entre les arbres. Le feu crépitait sur l’eau. C’était peut-être de l’huile, tant le fleuve était rempli de poissons. Entrer dans la forêt et prendre le risque de confronter son désir à la possibilité de l’étouffement, tout le monde n’en était pas capable. Il y eu une sorte de pacte instinctif entre la forêt et les premiers hommes qui eurent le courage de s’y enfoncer : Accepter de sacrifier le lien rationnel du corps et de la tête et s’aliéner totalement à une terre si riche que l’on pouvait sombrer dans l’oubli de ses propres besoins. Prendre le risque de devenir fou.
Au fur et à mesure que les explorateurs issus du Monde Ancien défrichèrent cette terre sauvage, il apparut au Monde conscient que l’incertitude était désormais irréfutable et qu’il faudrait vivre avec. Ce qui, au départ, dans l’esprit de beaucoup de gens, n’était qu’une escroquerie devint une réalité économique. Les défricheurs revenaient de leurs voyages, il y avait des trésors, des récits, des rêves. Et, puisque tout le monde n’aurait jamais le courage, le temps ou les moyens de vérifier, il y avait des mensonges emmêlés aux vérités, des rumeurs. Les pouvoirs s’en trouvèrent déstabilisés. Comment se sortir indemne du ridicule d’avoir refusé à l’intangible la consistance d’une considération ? Le monde conscient trouva le moyen d’esquiver sa chute. Ce fut élégant et implacable, on décida de nommer la forêt : l’Hagatma. En langue ancienne cela signifiait « la possibilité de posséder » HAG et « la possibilité d’être » ATMA. Qu’elle fût ou qu’elle ne fût pas, sa réalité symbolique devenait incontestable. C’est de cette façon, que l’unité et la stabilité de l’Ancien Monde furent préservées. Et pendant ce temps, les défricheurs continuèrent de débroussailler l’Hagatma. Ils organisèrent l’exploitation des richesses tangibles qu’elle renfermait. Ils organisèrent aussi l’exploitation des fantasmes qu’elle inspirait et firent commerce de la brume, cette vapeur qui plongeait les êtres dans différents états de transe. Il y eu de faux voyages et de vraies arnaques. Les défricheurs devinrent le Peuple des Plaines et ils conquirent progressivement le droit à la reconnaissance du Monde Solide. Ainsi, tout le territoire dénudé, tout ce qui n’était plus la Forêt devint le Nouveau Monde.
Au fur et à mesure que le Monde Vague diminuait, le sentiment diffus d’avoir détruit quelque chose d’irremplaçable commença à germer dans certains esprits. Mais pour beaucoup de générations de défricheurs, l’Hagatma demeurait un espace aussi dangereux qu’inépuisable, une force féroce et sauvage. La viande que l’on avait chassée entre les arbres avait mutilé les ancêtres. Son équilibre exubérant suscitait l’épouvante au point qu’il n’était pas naturel de penser ce territoire comme indispensable et encore moins comme fragile. Maintenant que La Forêt était si petite, il subsistait une sorte d’effroi que l’on ne pouvait plus circonscrire à ses propres dimensions. La découverte du Monde Vague avait remis en cause l’équilibre du Monde Solide. Maintenant, l’imminence de sa disparition devenait une source d’inquiétude. Et en même temps la puissance grandissante du Monde Vague rebaptisé en Nouveau Monde sucitait la crainte et la jalousie. Au coeur du monde conscient, on se demanda si on ne pourrait pas trouver, à la source, dans la jungle elle-même, un remède, quelque chose qui permettrait de rétablir l'ordre ancien. On cherchait une forme concrète qui ne soit pas simplement matérielle.
Un être ?
Se posa alors la question de la souveraineté des territoires n’appartenant pas au Monde Solide. Des territoires qui, peut-être, étaient peuplés d’autres hommes. C’est à ce moment que l’on commença à parler des « étrangers du monde » et que des recherches furent menées pour prouver l’existence d’une « vie humaine autre » au cœur de la forêt. Des financements furent accordés et l’enthousiasme scientifique fut grand. Dans ce contexte un centre d’accueil fût ouvert et financé. C'est ainsi que le bâtiment fût placé dans "La Ruée" la ville la plus proche de l'haqatma, une ville qui n’était déjà plus que l’ombre d’elle-même.
Les financements furent aussi multiples que la thématique était à la mode : comprendre le Monde Vague. Les organismes publics et privés provenant des quatre coins du Monde Solide financèrent le projet et pour une large part, l’Empire des rives. Les années passèrent, il n’y eu pas d’étrangers, mais un appauvrissement croissant du Monde Solide et une désillusion quant à l’opportunité d’extraire de façon rentable des quantités de ressources équivalentes à celles déjà puisée dans l’Hagatma. Les financements s’envolèrent aussi vite que le territoire avait cessé d’être attractif. Le centre d’accueil et de recherche sur le Monde Vague se trouvait accueillir des hommes et des femmes exclus du Monde Solide, des migrants provenant des Rives, délogés de leurs territoires, noyés sous des eaux non potables. L’urgence écologique se trouvait maintenant aux portes du monde.
Je me demande juste si ça ne serait pas mieux d'espacer plus tes paragraphes afin d'aérer ton texte ?
Oui tu as parfaitement raison. D'ailleurs ce passage était plus aéré dans mon souvenir, certaines lignes méritent d'être sautées, je vais faire ça. ;)
Chapitre plus réflexif et qui demande un peu plus de "concentration de lecture" - il s'enchaîne bien au précédent, plus dans l'action avec les dialogues au présent et plus "léger" (enfin, selon ma lecture perso) ;)
J'aime beaucoup, et je suis contente d'en savoir plus sur cette forêt, même si elle garde du mystère (et c'est tant mieux).
Il y a l'une ou l'autre phrase (peu) un peu ardue. Ici je suis sur le téléphone, compliqué de faire des copié-collé, dsl, je resterai dc sur un retour d'impression générale positive :) .
De mémoire, le feu crépitait sur l'eau : j'adore !