Est-ce que tu t'es bien regardé ? À qui ressembles-tu dans ta famille ? Tu es différent, trop différente de ta propre sœur pour appartenir à la même famille. Tu te rends compte que même nous, on ignore de quel père tu es né ? Tu devrais vraiment poser la question à tes parents...
Marlène grandit avec le cœur lourd et la tête chargée de questions ou d'une question en particulier : "Qui suis-je" ? Ce jeu de société dans lequel elle est appelée à deviner sa propre identité ne lui plait pas. Pourtant, les autres joueurs qui semblent déjà connaître la réponse, s'amusent à parsemer son chemin d'indices révélateurs. Les questions qui s'accumulent au fil des jours dans son petit cerveau commencent à lui donner un mal de crâne sévère. Vers qui doit-on se tourner quand les choses vont mal ? Marlène se répète sans cesse cette question dans la tête afin de soulager ne serait-ce qu'un point du doute qui lui pèse sur le cœur. Mais elle ne sait pas. Personne ne l'écoute et quand, devant le miroir, elle se voit vraiment différente de son entourage, y compris de sa propre sœur, elle est en larmes. Mais même ses larmes n'apportent pas de solution et le problème reste d'actualités. Alors pour oublier, Marlène se tourne vers ce qu'elle sait faire de mieux : étudier. Parce que oui, Marlène a beau être différente, elle est intelligente et c'est sa force, mais elle ne s'en rend pas encore compte, submergée par cette question existentielle qui façonne son petit monde d'enfant.
Marlène aime aller à l'école. Là-bas, elle est aussi différente, mais dans un contexte plus positif, à son honneur. Elle travaille toujours bien, excelle dans toutes les matières et est aimée de tous les professeurs. L'école, c'est son monde à elle, son petit paradis, un monde qui lui reconnaît un angle de beauté que ses proches ne daignent pas voir. Pour la famille Hubert, du père comme de la mère, l'image extérieure compte plus que tout. Être beau, riche, reconnu, vu et aimé exige un physique accepté par autrui. Cette société juge qui se permet d'établir des critères de beauté indiscutables : cheveux lisses, nez rehaussé, menton fin, courbes arrondies, lèvres fines et que sais-je encore ? Marlène adore être à l'école. Les quatre murs qui clôturent son établissement scolaire est pour elle, une forteresse invincible qui l'élève au rang de princesse, au moins pour quelques heures et quelques jours de la semaine.
Le son de cloche en fin d'après-midi fait la joie de tous les élèves, sauf de Marlène. Dix ans qu'elle est sur terre, Marlène déteste rentrer chez elle. Pourquoi ? Quand la plupart ont hâte d'être à la maison, de se blottir dans les bras de leurs parents ou de raconter les merveilles de l'école, Marlène doute. Elle redoute surtout de découvrir, une fois de retour chez elle, sa véritable identité. Les mains dans ses poches, hiver comme été, la tête baissée, elle pousse un pied devant l'autre pour retarder autant que possible le moment du verdict. Mais une fois de plus, une autre journée est passée sans qu'elle ne reçoive aucune explication ni aucune réponse à sa question. Autour d'elle, les regards se multiplient, les moqueries s'accumulent, les comparaisons s'entassent, mais personne ne confirme, personne n'infirme. Un lourd silence s'installe, ce même silence qui ne prédit rien de bon. Personne n'écoute ses appels au secours. Elle est fatiguée. Elle ne veut plus lutter.
Marlène accepte. Voici son identité : elle n'est personne !