Chapitre 2 : enseignement et discipline.
Forteresse Alpine, 4 mois plus tard.
« Le réel pouvoir, le pouvoir pour lequel nous devons lutter jour et nuit, est le pouvoir non sur les choses, mais sur les hommes. » George Orwell
Hellvetica est un lieu de passage incontournable pour quiconque veut traverser les montagnes en sûreté. Emprunter sans aucun guide les passages et les cols mène souvent à un résultat désastreux. C’est pourquoi les Hellvétiques font payer des droits de douanes à tous ceux qui désirent traverser. Les revenus générés servent à l’entretien des bâtiments, du matériel et des soldats. Les denrées passent de main en main et cela vaut aussi pour les lettres de change. Cependant, cela n’est pas toujours suffisant. Maintenir de l’équipement à un niveau opérationnel coûte cher et il en va de même pour les hommes et les femmes maniant ces derniers. Pour contrebalancer cela, le haut-commandement de la forteresse envoie des escouades en tant que mercenaires afin de récolter des fonds. Rétablir l’ordre dans une ville, escorter des convois de marchandises et assurer la protection d’envoyés diplomatiques… Autant de missions qui permettent de remplir les caisses et de maintenir les finances à un niveau acceptable.
Cependant, pour combattre efficacement, deux choses sont essentielles. Connaitre le terrain et connaitre son ennemi. Pour les soldats en formation qui n’avaient guère pu connaitre du monde extérieur, il était primordial d’apprendre un minimum sur les forces en présence. Et bien sûr, Veronica et Reiss ne faisaient pas exception.
Dans un ancien bâtiment réaffecté à l’apprentissage et aux techniques de combats, les jeunes soldats apprenaient les bases des rouages du monde. Puis après des heures de cours que certains qualifieraient de barbantes, arrivait l’heure de l’entrainement au combat.
Dans une des salles de classe, Veronica observait l’horloge accrochée au mur. Juste en dessous se trouvait leur professeur, devant un tableau sur lequel étaient accrochées diverses cartes, des symboles et des photos.
Reiss, pour sa part, écoutait attentivement l’homme un peu bedonnant qui leur donnait cours. Ce dernier était tout le contraire du caporal Wicht. La voix parfois hésitante, des lunettes rondes et un teint très pâle. Des cheveux grisonnants et des yeux verts las. Bien que son physique ne corresponde pas aux standards des soldats, il y avait chez lui quelque chose de rassurant. Il connaissait le monde et avait visiblement eu le loisir de parcourir ce dernier. Qui plus est, il était toujours là pour en parler. Ce qui, à son âge de 50 ans, démontrait tout de même un certain talent.
Reiss fixa ses notes. Un récapitulatif de ce qu’il avait pu apprendre ces derniers mois. Les Hellvétiques géraient les régions territoriales I, II, III et IV qui se trouvaient au centre des Alpes. Une plaque tournante du commerce pour ainsi dire ainsi qu’un emplacement stratégique pour les mouvements de troupes. Au sud, le Purgare et l’Afrika. Au nord, la Borca. A l’ouest, la Franka et l’Hybrispanie. Et à l’est, les Balkhans et la Pollen.
Un nombre de territoires assez restreint mais avec une multitude de communautés. Et les communautés les plus importantes étaient appelés les cultes.
-Les Spitaliers : l’ancien monde avait les médecins, le nouveau avait les spitaliers. Aussi doués pour suturer les plaies que pour les ouvrir, ils sont aussi en perpétuel combat contre les spores. Ses notes étaient parcellaires, mais d’après ce qu’il avait compris, elles étaient liées aux météorites qui s’étaient écrasées sur Terre lors du grand cataclysme baptisé Eshaton.
-Les Chroniqueurs : maitres de la technologie et des restes du flux informatique. Bien que ce culte ait des allures pacifiques, le professeur avait grandement insisté sur la dangerosité de ce dernier. A de nombreuses reprises, des chroniqueurs avaient tentés de pénétrer dans les salles sécurisées de la forteresse pour obtenir des informations et surtout des précieux composants jalousement gardés par les Hellvétiques. Pas question de leur faire confiance, c’était le mot d’ordre qui avait été donné.
-Les Juges : en Borca, ils sont les maitres de lois. Ils jugent et prononcent les sentences. Armés de marteaux, ils sont envoyés dans les villes pour maintenir l’ordre en échange d’impôts. Ils sont très liés aux chroniqueurs, et avec ceux-ci, ils contrôlent la plus grande ville de Borca, Justitienne. La zone d’influence autour de cette dernière s’appelait le Protectorat.
-Les Clanistes : de nombreux clans existent à travers le monde. Ils n’appartiennent à aucun culte mais leur nombre est parfois si élevé qu’ils pourraient en former un à part entière. Certains sont belliqueux et d’autres pacifiques. La liste était si longue que leur professeur les avait déconseillés de tenter de tout retenir. Ce qu’ils avaient fait avec joie.
-Les Ferrailleurs : pour survivre, il était parfois nécessaire de s’adonner à des tâches ingrates. Les ferrailleurs gagnent leur vie en se déplaçant dans les désolations à la recherche d’artéfacts technologiques ou de ferraille de valeur. Ils échangent leurs trouvailles contre des lettres de change ou des dinars, la monnaie des africains.
-Les Africains : Reiss avait laissé son esprit vagabonder quelques instants, suivant les mimiques agacées de Veronica qui trouvait que le temps n’avançait pas assez vite. Cela lui avait coûté quelques informations sur ces cultes mais il avait tout de même pu noter qu’il en existait 3. Un culte de marchands, un culte de guerriers et un culte de prêtres.
-Les Jehammétans et les Anabaptistes : deux cultes religieux. Les premiers sont des nomades qui élèvent des animaux. Les seconds, des sédentaires travaillant la terre. Ils ont longtemps été opposés par des guerres sanglantes mais depuis quelques dizaines d’années, ils ont conclu une trêve. Dans les deux cas, des combattants à ne pas sous-estimer d’après ce que Reiss avait pu comprendre.
-Les Apocalyptiques : seigneurs du désir. C’était l’expression que, « le binoclard » comme l’appelait Veronica, avait utilisé pour décrire ce culte. Alcool, drogue, prostitution, jeux d’argent et tout le reste. Si vous en vouliez, ils pouvaient certainement vous le vendre. Un culte extrêmement dangereux dont il fallait se méfier sans condition.
-Les Hellvétiques… Reiss devait l’accorder à Veronica, un cours d’histoire sur leur nation, il s’en serait bien passé… Il s’était contenté de noter le strict minimum.
Plus on lui parlait du monde et plus il avait envie de l’explorer. Lui, les gens et si possible les spécialités culinaires locales. La nourriture de la cantine était au mieux nourrissante et fade…
Enfin, sous l’œil attentif de la camarade de Reiss, l’horloge venait d’arriver à l’heure attendue. Celle de la fin du cours. Une sonnerie retentit et Veronica se leva d’un bond en fixant Reiss avec un grand sourire pendant que le professeur tirait sa révérence.
-On se retrouve sur le terrain d’entrainement !
Reiss poussa un soupir et sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Non pas que le combat en général le repousse. Mais il avait toujours eu du mal à frapper les femmes, surtout Veronica. Heureusement, de ce côté-là, elle n’avait jamais eu ce problème. Au plus grand dam de Reiss.
Après avoir enfilé une tenue plus adéquate, il se dirigea vers le terrain d’entrainement. Des combats en un contre un. C’était le programme du jour. Alors que certains soldats s’étaient déjà mis en position et avaient commencé l’entrainement, Reiss était toujours en train de fixer la salle d’un air morne. Il surveillait sa partenaire du coin de l’œil, espérant que celle-ci, occupée à frapper dans un sac de sable, ne le repèrerait pas avant la fin du temps d’exercice. Cependant, son espérance fut de courte durée. À peine avait-il réussi à gagner 3 minutes que la demoiselle se tournait vers lui avec une moue réjouie sur le visage. Il aurait été si heureux, si seulement elle s’avançait vers lui avec autre chose qu’une envie épouvantable de se servir de lui comme punching-ball.
-He bien, tu en as mis du temps ! J’ai presque eu le temps de faire deux séries ici !
Cependant, il ne laisserait ce poste à personne d’autre. C’était un peu étrange, mais il n’avait pas envie de voir quelqu’un d’autre lui faire du mal. Elle aurait pu sans problème mettre n’importe lequel des autres soldats ici présents au tapis. D’ailleurs, elle avait déjà une certaine réputation. Reiss était le sacrifié du groupe en quelque sorte, et il avait accepté ce rôle à bras le corps.
-Désolé, j’étais fasciné par la manière dont tu dérouillais ce sac de sable. J’ai même cru pendant quelques instants qu’il allait encore éclater…
-C’est arrivé une seule fois ! Ce n’est pas ma faute si un sac défectueux s’est glissé dans le stock !
Le jeune homme poussa un soupir silencieux. Argumenter là-dessus ne servirait qu’à mettre la jeune fille en colère et lui causer des bleus encore pires. Il se contenta de simplement hausser les épaules et d’accompagner Veronica jusqu’au centre d’une des zones de combat.
Veronica s’avança alors, et avec un sourire élégant, elle lui décocha un coup en direction de la mâchoire. Reiss recula pour l’éviter de justesse avant de bloquer avec difficulté un coup de pied visant son abdomen. La jeune fille haussa un sourcil en reprenant sa position de garde. Elle semblait se demander si elle avait fait une erreur de timing ou si le garçon commençait à la connaitre un peu. Pas le temps d’épiloguer là-dessus, il s’était avancé pour tenter de la balayer. Elle sauta par-dessus la jambe de Reiss que ce dernier retira immédiatement pour éviter la tentative de Veronica d’écraser cette dernière. Le match continua ainsi pendant quelques minutes… Reiss essayant autant que possible de résister aux assauts de sa partenaire tout en ripostant du mieux qu’il le pouvait. Mais là où ses réserves d’énergies fondaient rapidement, celles de Ver semblaient inépuisables. Il manqua un timing de parade et se retrouva un peu trop proche d’elle. Pendant une seconde, il ne put détacher son regard de son visage. Ses traits fins contrastaient avec l’expression de guerrière qu’elle affichait à cet instant précis. Prenant une courte inspiration, il put sentir l’odeur du shampoing réglementaire qu’elle utilisait pour laver ses cheveux. Si Reiss avait pu prolonger cet instant, il l’aurait fait avec toute la ferveur du monde. Ce petit bout de paradis, c’était sa seule récompense pour toute la douleur de l’entrainement. Paradis assez proche de l’enfer cependant. Veronica bloqua ses bras alors que le jeune homme essayait de s’éloigner et lui donna un violent coup de genou entre les jambes. L’effet fut immédiat. Le passage du paradis à l’enfer aussi. Reiss s’effondra à genoux, la respiration haletante et une douleur inimaginable au niveau des parties.
-J’ai gagné !
S’exclama Veronica, avec une candeur qui lui était propre. Les autres combattants s’étaient arrêtés un instant devant cette scène et certains n’avaient pu réprimer une grimace lorsque Reiss s’était effondré. Tous les hommes de la salle adressèrent une prière muette à leur bouc émissaire avant de reprendre l’entrainement.
Reiss passa quelques minutes à savourer la douceur du parquet avant de trouver la force d’accepter la main tendue de son bourreau. Il l’accompagna jusqu’au vestiaire en boitillant, son visage tordu par une expression de lassitude et de douleur.
-Tu ne dois pas laisser des ouvertures pareilles dans ta garde. Je fais ça pour ton bien tu sais ! Quand je ne tape pas assez fort, tu as tendance à oublier !
Hochant la tête de bas en haut pour marquer son accord, il s’adossa à son casier pour respirer. La jeune fille se dirigea vers le sien, situé dans la pièce adjacente, et revint quelques minutes plus tard. Reiss retrouva alors le sourire, fixant le cou de la demoiselle. Plus précisément, il fixait le collier en métal qui trônait à cet endroit, à côté de sa plaque d’identification. Il lui avait promis après tout. Promis qu’elle aurait bien mieux comme cadeau d’anniversaire.
-Reiss et Veronica. Le caporal vous cherche. Il veut que vous le rejoigniez dans son bureau.
Un des soldats qui participaient à l’entrainement, un certain Strauss, venait de passer la tête dans le vestiaire pour les appeler. Malgré ses traits quelconques, ses cheveux blonds et son visage inexpressif, il était parmi les meilleures recrues de l’unité. Sa désinvolture disparaissait complètement au combat à tel point, que des rumeurs circulaient sur son état mental. Cependant, il s’était toujours conduit avec courtoisie envers le duo, et ne leur avait jamais causé de tort. C’était lui qui, pour une raison inconnue, était généralement chargé de faire les communications aux autres cadets.
Le duo observa Strauss pendant quelques secondes, puis ce dernier s’éclipsa. Ils échangèrent un regard, se demandant en quel honneur ils pouvaient bien être convoqués ainsi, puis se dirigèrent vers le bureau en quête de réponses.
C'est malin d'avoir utiliser la relecture des notes de Reiss pour découvrir les différents clans.
Le passage de l'entraînement est très chouette. Bien fluide. L'occasion rêvé de découvrir l’attirance de Reiss pour Ver. Je ne sais pas si le récit est décentré du coup ? Je veux dire, je pensais que Ver était l'héroïne et là je ne sais plus trop. A voir au chapitre 3.
Quelques petites choses :
"Maintenir de l’équipement à un niveau opérationnel coûte cher et il en va de même pour les hommes et les femmes maniant ces derniers." : j'ai un doute sur cette phrase même si je vois bien ce que tu veux dire mais est-ce que l'on maintient des hommes à un niveau opérationnel ? A voir... Je pose juste la question ;)
"Pour les soldats en formation qui n’avaient guère pu connaitre du monde extérieur" : du ?
"Ce qui, à son âge de 50 ans, démontrait tout de même un certain talent." : tu as fait un mix de deux tournures, non ?
"Argumenter là-dessus ne servirait qu’à mettre la jeune fille en colère et lui causer des bleus encore pires." : à qui ?
"Tous les hommes de la salle adressèrent une prière muette à leur bouc émissaire avant de reprendre l’entrainement." : j'avoue ne pas comprendre, c'est un truc militaire ?
A plus ;)
Merci de continuer à me lire! Je n'étais pas certain du résultat avec les notes. Ravi que ça passe aussi bien^^
Pauvre Reiss, il douille pas mal^^ mais oui, les réponses viendront au prochain chapitre! Néanmoins, j'aime bien donné le point de vue de plusieurs personnages. C'est plus stimulant.
Techniquement, je crois qu'on peut se demander si une escouade, si des soldats sont opérationnels. Dans le language militaire (des livres que j'ai lu) c'était souvent utilisé. Mais après, je trouve aussi que cela peut faire tiquer.
"Le" aurait été préférable, je vais le changer!
Etant donné qu'il s'agit d'un monde post-apo, l'espérance de vie est plus courte. Je ne voulais pas non plus excessivement insister sur le fait que dans ce monde 50 ans c'était vénérable mais je ne voulais pas non plus le faire passer inaperçu. J'ai donc trouvé ce compromis.
Qui recevra le plus de bleus si Ver est en colère? ^^
Et non pas du tout. Je faisais référence plus haut au fait que les autres recrues préféraient éviter de s'entrainer avec Veronica car elle mettait un peu trop de coeur à l'ouvrage. Le bouc émissaire faire référence à Reiss qui est la personne du groupe qui se sacrifie, et la prière muette, c'est pour les hommes qui ont tous connu un jour la douleur d'un violent coup de genou dans les parties, et qui ne souhaitent ça à personne!
.
.
.
Je blague ;) Il est très bien, ce chapitre. Il faut d'abord qu'on s'attache aux personnages, sinon ça ne fera pas mal quand le malheur s'abattra sur eux ^^.
En plus les infos sur le monde passent bien avec ces notes de cours, et j'ai bien ressenti la douleur de Reiss... La scène est super ^^.
Je me demande à combien de coups de genoux bien placés l'amour peut survivre...
Tu as plutôt bien saisi le principe XD plus dure sera la chute.
De mon expérience personnelle, pour les coups de genoux, 1 seul.
Merci du soutien !