Épilogue

Par Tizali
Notes de l’auteur : Bonjour ! Si vous êtes arrivé jusqu'ici, c'est qu'il ne vous reste que ce petit épilogue à lire. Je tiens à vous remercier de m'avoir lue jusqu'au bout, en espérant que ça vous ait apporté du plaisir.
Je sais combien c'est difficile de rédiger un commentaire, mais laissez-moi vous aider : peut-être pourriez-vous répondre à certaines questions ci-dessous ? Ne vous y sentez surtout pas obligé !
Le personnage de Gabin était-il (trop) détestable ? Avez-vous appris à l'apprécier ?
Avez-vous eu du mal à comprendre l’aspect temporel ? Était-ce gênant pour apprécier le reste de l'histoire ?
Y a-t-il une scène ou un chapitre qui vous a particulièrement déplu, gêné ou sorti de l'histoire ? Ou l'inverse ?
Enfin, parce que je ne suis pas maso, n'hésitez pas à me dire ce que vous avez aimé dans mon texte, ce qui vous a amusé, ému…
Tout avis est bon à prendre pour m'aider à m'améliorer dans le futur. Merci à vous et bonne journée !

2065

 

Iris avait voulu attendre la fin de la chronoénergie pour faire débuter notre histoire. C’était long. Et j’avais déjà attendu longtemps. Mais j’avais accepté, tout en regrettant à voix haute que tous les baisers qu’on avait échangés dans l’autre ligne de temps, pas si nombreux d’ailleurs, elle ne les avait pas réellement vécus. Alors elle s’était mise à inventer des compromis.

— D’accord, alors tu as le droit de m’embrasser autant de fois que tu l’as fait dans l’autre ligne de temps. Mais dose bien, avait-elle ajouté malicieusement. Si tu veux étaler sur sept ou huit mois.

Je suis honnête, je les ai comptés avec exactitude. Pas un de plus, pas un de moins. Les deux au bar. Ceux de notre nuit écourtée. Celui sur le banc. Et c’est à peu près tout. De mars à novembre, ça allait faire peu.

— Je veux le premier maintenant, avais-je déclaré pour voir comment elle réagirait.

Elle n’avait pas bronché. Mais moi aussi, je sais être malicieux. Je lui avais raconté les circonstances exactes de chaque baiser. Je l’avais mise au jus, mais je ne lui en avais offert qu’un. Et elle en voulait plus.

La règle avait sauté bien vite. Elle est comme ça, Iris. Impatiente.

Je trouve la rue de son école d’ingénieur et m’arrête en la voyant. La portière s’ouvre et elle s’assoit. Je redémarre, non sans avoir photographié mentalement son carré coupé long et sa frange emmêlée, ses yeux gris fixés sur moi, sa moue soulagée.

— Tu as été rapide, apprécie-t-elle.

Je redémarre tout en la sentant m’observer.

— Quoi ?

— Je ne m’y fais pas. L’uniforme de la brigade criminelle te va trop bien.

Je lâche un petit rire. C’est l’un des avantages du métier, l’autre étant que ça se rapproche un peu de ce qu’on faisait chez les agents du temps, et que je ne peux décidément pas faire comme elle et recommencer à zéro. Ce n’est pas que je n’en ai pas envie, mais c’est vraiment le genre de métiers fait pour moi. Iris, elle, regrettait probablement de s’être fait happer à la sortie du bac dans cette filière, juste par ignorance de ce qui existait. Elle a fait ses recherches, et elle est retournée aux études. Elle aussi, ça lui va bien. De savoir ce qu’elle veut faire dans la vie.

— Je te dépose chez toi et on y va ?

— Tu ne te changes pas ?

— J’ai apporté des vêtements.

Le temps d’un feu rouge, je me penche vers elle et lui quémande un baiser. Elle sourit et me l’octroie de bonne grâce.

— Ça se passe bien, au boulot ? me demande-t-elle lorsque je me redresse.

— Il faut encore que je fasse mes preuves, être un ancien agent du temps ne suffit pas, mais j’aime bien ce que je fais pour le moment. C’est rédiger les rapports des affaires non résolues de ces dernières années qui m’endort…

Et je ne parle pas de celles de la brigade criminelle, mais bien de celles des agents du temps. J’ai pour mission, grâce à mon statut particulier d’ancien agent du temps, de retrouver tous les criminels qui, dans une autre ligne de temps, sont passés à l’acte et ont été identifiés. Évidemment, je ne suis pas pris au mot, mais je suis censé constituer pendant les mois à venir une base de personnes fichées que la brigade criminelle devra surveiller afin d’anticiper tout accident. Je suis une mine d’informations, la seule qui existe en dehors de Jensen et Iris, qui doivent se plier à l’exercice également. Seulement, Iris a l’avantage de passer par moi, tandis que Jensen a des rendez-vous réguliers avec la brigade.

Chez Iris, j’emprunte la salle de bain et change ma tenue de policier de la crim’ pour un simple jean et t-shirt. Elle a opté pour un haut long uni et un pantalon moulant bariolé.

— On va être à l’heure ?

— Tout juste.

De retour à la voiture, je range mon uniforme dans le coffre et elle prend le volant. Le trajet n’est pas long. En quelques minutes, nous arrivons non loin du restaurant du Sablier et Iris trouve une place miraculeuse.

Lorsque nous nous plantons devant l’établissement, mes souvenirs remontent un peu vite et je fronce les sourcils. Je me revois hélé par ce type de la secte qui m’a appris comment serrer la main à leur manière, arpenter les couloirs de cet endroit, fouiller dans les tiroirs d’un bureau plongé dans l’obscurité. Je revois Manon avec cette lueur meurtrière dans le regard, avec ce besoin viscéral, que je ressentais pleinement, de me tuer, d’extraire de mon corps ses derniers instants de vie. Tout ça n’est plus. Le Sablier est juste un restaurant comme un autre, et un bon, avec ça. Tant et si bien que j’y retourne plus souvent qu’à celui du curry japonais.

— Ils sont là, me dit Iris. Viens.

Elle attrape ma main, machinalement pour elle, mais je sais que ça fait partie de ces petites choses qu’elle ne s’autorise que lorsque ça pourrait avoir une chance de passer inaperçu. Je la suis à l’intérieur et j’aperçois notre table. Jensen et sa femme, Robin et sa fiancée. Ils nous font signe et nous désignent nos sièges côte à côte.

La fatigue de la journée s’évapore et une nouvelle énergie s’empare de moi comme d’Iris. Ces instants de rencontre sont magiques, réparateurs. Sans le savoir, nos amis guérissent les blessures que j’ai en moi, celles qui ne se refermeront jamais, mais qui pourraient avec le temps cesser de faire si mal. Je sais que cette nuit, je dormirai bien. Et que demain, le combat pour oublier recommencera.

J’observe Robin et ses facilités d’élocution, ses grands gestes et ses sourires, et je pense à ces mots qu’il a prononcés et qui, sans que je le sache tout de suite, ont changé définitivement ma façon de penser. « Si j’avais le choix, je vivrais plutôt dans un monde où le voyage temporel est impossible ». Il ne le savait peut-être pas, mais Robin avait le choix, il l’a exprimé. Il avait autant le droit que nous de décider.

Jensen, toujours souriant, cognant parfois discrètement son épaule contre celle de sa femme avec complicité, nous couve de son regard protecteur. « Je vais rentrer chez moi, embrasser ma femme et mes enfants, et on ne saura pas ce que demain nous réserve ». Pour un type qui a envoyé paître David Sevestre et ses menaces lorsqu’il a hérité de l’agence française de Goff en 2054 et l’a piégé pour le faire emprisonner, Jensen a montré une drôle d’indifférence sur ce coup-là. C’est dire s’il nous faisait confiance.

L’émotion me gagne, mais je la réprime en avalant quelques gorgées d’eau pétillante. La cuisse d’Iris vient se caler contre la mienne, me faisait sourire à mon tour.

— Ça va ? chuchote-t-elle.

Je hoche la tête. Jensen et Robin me regardent, et la chaleur de leur soutien me calme. Quelle belle ligne de temps.

À la fin de la soirée, nous nous séparons dans les rires et les soupirs satisfaits. Iris et moi prenons la voiture et rentrons à mon appartement. Nous trébuchons de fatigue dans les escaliers jusqu’à arriver sur le palier de ma porte. Derrière nous, un bruit de pas nous fait nous retourner.

— Bonjour, monsieur Orsoni, me salue Manon avec un sourire gêné.

Elle détourne le regard pour ne pas nous dévisager et s’empresse de rentrer chez elle. Manon n’est plus celle qu’elle était dans l’autre ligne de temps. Je ne peux pas m’empêcher de vérifier qu’elle ne devienne pas un ange de la mort dans son nouveau métier d’infirmière à l’hôpital du quartier, mais tout porte à croire que le déclin de la secte suite à la disparition de la chronoénergie a… sauvé son âme, ou du moins l’a empêchée, pour le moment, de faire ressortir ses pulsions meurtrières, si elles existent encore.

Iris l’a à peine remarquée. Ses yeux sont plongés dans les miens, ses lèvres sont dans l’attente d’un baiser. Joueur, j’ouvre d’abord la porte et rentre. Elle me suit et ferme derrière elle.

L’atmosphère glaciale de cet endroit souvent vide, plongé dans la nuit, empli de solitude, enveloppe mon corps et me ramène à la réalité. Puis Iris caresse mon bras, me tire à elle, me forçant à me retourner, et pose ses deux mains sur mon visage envahi de chair de poule.

— Gabin Orsoni, arrête de réfléchir. Embrasse-moi.

Avant toute chose, je la serre contre moi, et la chaleur de son corps se transmet lentement au mien. Je ferme les yeux et je savoure le contact de ses lèvres sur les miennes. Cette nuit, elle restera dormir. Je m’en réjouis d’avance.

Oui, vraiment…

Quelle belle ligne de temps.

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