Epilogue

Épilogue

 

— Plusieurs années plus tard... —

 

Le Mangoin est haut dans le ciel quand Grenade se réveille.

— Debout ! Le petit-déj’ est prêt.

Elle se retourne puis cache sa tête sous l’oreiller en apercevant une silhouette qui ouvre en grand ses rideaux. Honorine l’observe avec un sourire en coin avant de s’agenouiller pour souffler dans son oreille :

— Il y a des pancakes, avec plein de sirop !

Ça fait émerger Grenade, qui jaillit de sous ses couvertures et attache ses cheveux noirs en queue de cheval ébouriffée. Elle suit Honorine dans l’escalier étroit avant d’arriver dans la cuisine où se trouvent déjà quatre personnes : deux femmes aux visages identiques et deux enfants.

— Oh, mais tu es stupide, Georgie ! C’est un b, pas un d !

— Ne parle pas comme ça à ton frère, Venkence, il est plus jeune que toi, répond Numéro 1 en passant ses doigts dans les courtes boucles blondes. Et finis d’apprendre ta poésie.

La préadolescente grogne, puis replonge sur sa feuille, tandis que Grenade tire sa chaise avant de s’affaler à côté du petit Georges, rehaussé sur un coussin.

— Salut.

Sur l’énorme poêle de fonte, Numéro 2 fait frire des pancakes, pendant qu’une odeur de beurre et de sucre emplit la pièce. Georges fait une grimace et Grenade se rapproche tandis que Numéro 2 pose devant elle une assiette fumante :

— Tu veux un peu d’aide ? Moi ça y est, je ne confonds plus les lettres.

— À ton âge, c’est normal quand même, dit Venkence avec un sourire insolent.

Grenade n’a pas le temps de répondre qu’Honorine passe derrière elle et lui ébouriffe les cheveux :

— Oh !

La punk sort sur le perron en souriant et allume une cigarette en regardant les rayons du soleil caresser la terre mauve des champs, la cour de la fabrique d’automates, les toits rouillés des camps, puis elle s’accoude contre le mur de cette maison qui est à présent la sienne depuis plusieurs années.

Autant dire que ça a été un fameux bazar :

En arrivant, ils avaient eu plus de mal à entrer dans la Machine que ce qu’ils croyaient, alors ils avaient d’abord jeté leur dévolu sur Héquinox. Autant dire qu’il avait fallu tout leur talent de persuasion pour la convaincre de ce qui s’était passé, mais la matriarche était difficile à contrôler. Héquinox avait finalement tué Cerf, toutefois ils avaient pu récupérer les enfants avant que Bebbe ne soit clonée et que Georges ne projette tout ce petit monde dans Limbo.

Héquinox avait été emprisonnée deux ans avant d’être relâchée en liberté conditionnelle et son aide avait été de nouveau nécessaire afin d’éloigner les troisièmes clones de Radje et Gyfu... et également pour offrir un petit pactole à cette jeune prostituée qui avait pu quitter le camp avec toute sa famille pour migrer vers Vérone — et ainsi ne jamais croiser Grenade.

Les enfants, Georges et Bebbe, avaient été renommés en Elidjah et Venkence le temps où leur mère avait été enfermée — alors que toute la ville était à leur recherche — et ils avaient dû s’exiler plus à l’Est, jusqu’à ce que cette histoire se tasse et qu'Héquinox sorte de prison avec un nouveau bébé dans les bras. Si Georges avait choisi de reprendre son prénom, Bebbe « génération 3 » était restée Venkence, ce qui convenait à tout le monde.

Beaucoup d’ennuis en perspective, mais finalement pas grand-chose en comparaison de ce qu’ils avaient enduré à Vérone.

Honorine savoure sa cigarette. Cette accalmie dans son existence mouvementée est la bienvenue ; de nouvelles aventures viendront en temps voulu.

Plus loin dans le jardin, assis autour d’une table, Andiberry est en pleine conversation avec une femme d’âge moyen, aux cheveux poivre et sel dont la cheville est entravée par un bracelet électronique. Le jeune homme hésite avant de poser cette question qui le taraude depuis longtemps :

— Mais alors... est-ce qu’il l’aimait ou non ? Est-ce que l’androïde aimait Lù ? Et ce vœu, le vœu de Taïriss...

Héquinox sourit avant de boire une gorgée de café.

— La question n’est pas de savoir s’il l’aimait ou pas. Les humains sont obsédés par les émotions des robots, mais on ne peut pas savoir si Taïriss possédait de véritables sentiments. Ce qui est important, c’est de ne pas oublier que les robots ne sont pas des humains. Peu importe leurs ressemblances, ils obéiront à des règles de robots et nous à des règles d’humains.

— Des règles humaines comme manger, dormir, vous reproduire, vous mettre en sécurité ?

— Correct. Et les règles du robot ?

— Je suppose que cela dépend du constructeur ?

— Correct, encore une fois. Connais-tu les règles de Taïriss ?

— Il me semble qu’on en avait parlé à un moment. La première était d’obéir aux membres de la Famille, principalement aux ordres de la matriarche. Il y en avait une autre, mais je ne m’en souviens pas.

— Protéger les êtres vivants. Il est venu un moment dans l’histoire de Lù — pendant le voyage qui s’est soldé par la mort de Tony — où elle a fait une erreur, elle a baissé sa garde et oublié qu’elle s’adressait à un robot. Elle a libéré son amant par légèreté. « Il y a longtemps que tu n’as plus de maître ! » lui a-t-elle dit.

— Je vois, libéré de sa première contrainte, Taïriss s’est entièrement dévoué à sa deuxième règle : protéger les êtres vivants. Et visiblement, il pensait que Lù était un danger — après tout, elle s’apprêtait peut-être à déclencher une guerre — puisqu’il a fait le souhait d’en être débarrassé. Et quand Radje lui a rendu sa mémoire, il s’est également souvenu qu’il était libre et il a alors pu commencer à mentir et désobéir aux membres de la Famille.

— Oui, dit Héquinox, pensivement. Et nous ne saurons jamais ce qu’il pensait de Lù en vérité, si ce sentiment était vrai ou artificiel ; car quel meilleur moyen de pacifier Lù et de la satisfaire que de s’occuper lui-même de son bonheur ? Une bonne stratégie pour mener conjointement ses deux contraintes les plus fortes.

Attiré par un bruit, Berry se retourne. Le clone du robot — le troisième ! — se trouve sous les ramures des orangers, avec une minuscule fillette sur les épaules qui cueille les fruits pour les jeter dans son tablier à carreaux.

Chaque jour, les cheveux blonds de cette enfant qui aurait dû être Adêve deviennent un peu plus sombres et sa peau pâle se brunit. Chaque heure qui passe transforme Adêve en Lù, jusqu’à ce qu’elle puisse redevenir complètement elle-même, le jour de ses quinze ans.

— Que vas-tu faire, Andiberry ? demande Héquinox.

Elle le fixe de ses grands yeux gris — les mêmes que ceux de son arrière-petite-fille.

— Que voulez-vous dire ?

— Il y aura bientôt ici une Changemonde et un Ver de rêves en pleine possession de leurs capacités, tout ce qu’il faut pour se rendre là où l’on veut aller.

Berry s’allonge un peu plus confortablement et croise ses mains sur son ventre tandis qu'Héquinox continue :

— Lù renonce difficilement à la vengeance et je sais que tu ne peux oublier Valta--imhir... et celui qui y réside...

— Nous ne savons pas encore ce que nous ferons de Lù une fois qu’elle aura retrouvé ses souvenirs.

— Il vaut mieux être l’allié d’un Pilier que son ennemi.

— Vous avez tué Cerf et tenté d’éliminer votre fils parce que vous croyiez que votre mari se réincarnerait en lui. Vous n’êtes pas vraiment un bon exemple.

Les yeux glacés de la femme le transpercent à présent :

— Tu sais ce que je veux dire : iras-tu chercher Isonima ?

— Accepterez-vous d’être mon guide à Valta--imhir ?

— Pourquoi pas ?

Andiberry contemple les nuages qui flânent doucement sur le ciel mauve et ferme finalement les yeux :

— Je ne sais pas, répond-il sincèrement.

Plus loin, parmi les arbres, une orange bleue se détache de sa tige et tombe en rebondissant sur le crâne de Taïriss l’automate avant de rouler dans l’herbe.

— Ouch ! La tête ! crie Lù que cela amuse beaucoup.

— Ouch ! répond Taïriss sur le même ton.

Le monde est très beau, très paisible.

Le robot qui voulait être vivant soulève l’enfant-monstre entre ses bras ; l’odeur des oranges et de l’herbe humide les submerge alors qu’il la fait tourner sur place dans une valse sans fin.

Ensemble, ils éclatent de rire.

 

Fin —

 

Car la suite est une autre histoire —

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