Epilogue

— Mahaut ! appelle son père depuis la cuisine. Ton chat est encore sur la bibliothèque !

Incroyable comme ça devient son chat quand il fait des bêtises, et le leur quand il faut l’accueillir sur les genoux devant la télé.

Elle abandonne l’ordinateur à grands renforts de soupirs, se plante devant son père qui sort les feuilletés du four. Ça sent délicieusement bon.

— Et comment tu sais qu’il y est ?

— J’ai entendu un cactus se suicider.

En réponse, un raclement bien connu se fait entendre. Mahaut se précipite au salon, marche sur un gravier trop pointu et empêche in extremis le second cactus de suivre son frère dans sa chute.

— Venkman, descends de là, ordonne-t-elle.

Obéissant, le chat s’assoit et la fixe avec innocence. Il n’a rien fait, c’est évident. Cette première plante a choisi seule de s’élancer du haut de l’étagère pour répandre ses graviers sur le tapis, et le suivant bougeait tout seul.

Mahaut l’attrape par la peau du cou et fait taire ses plaintes d’un gros bisou sur la truffe. Avec la vitesse que confère l’habitude, elle nettoie les bêtises du chaton, le récupère avant qu’il ne retourne sur la bibliothèque et le pose sur son épaules avec l’ambition de poursuivre son chapitre, quand soudain la sonnette retentit. C’est fichu pour la séance d’écriture : si Sophie débarque, l’appartement sera trop vivant pour espérer s’isoler.

— Tu vas ouvrir ? demande inutilement son père.

— Oui, répond-t-elle aussitôt.

Elle sait son père un peu anxieux de ce repas d’anniversaire. C’est Mahaut elle-même qui lui a proposé de le fêter à la maison avec ses proches. Elle veut que son père passe le meilleur moment possible, et elle compte sur Sophie pour animer tout ça, si jamais Olivier et elle ne trouvent rien à se dire.

Olivier, qui se tient sur leur paillasson avec un air emprunté.

Ils ne s’attendaient pas à tomber l’un sur l’autre comme ça. Quand ils se voient, c’est avec beaucoup de préparatifs, chacun répétant manifestement son texte. Cette fois, ils doivent improviser.

— Venkman est devenu un perroquet ? demande Olivier.

— Ouais, je me lance dans la piraterie.

Ils se fixent quelques secondes. Le ridicule de la situation éclate aux yeux de Mahaut, et elle se marre en s’écartant.

— Papa est dans la cuisine.

Olivier enlève ses chaussures. C’est un grand échalas tout maigre, avec des lunettes quand il veut paraître sérieux et des lentilles quand il essaye de la jouer détendu. Ce jour-là, il n’y a rien entre ses yeux bleus et ceux de Mahaut.

— J’ai pris le gâteau.

— J’avais remarqué.

Il regarde la grosse boîte blanche entre ses mains et c’est à lui de pouffer.

— Oui, bon… On recommence, bonjour Mahaut !

— Bonjour, Olivier.

— Bonjour Veckie.

« Veckie » répond d’un roucoulement avant d’entreprendre une glissade sur le dos de Mahaut.

Dix minutes après, c’est Sophie qui arrive avec un plat de crudités et un bol de sauce. Le coup de sonnette suivant, juste avant qu’ils passent à table, les surprend tous.

— Votre voisine acariâtre ? suggère Sophie.

— Elle est sympa, défend mollement le père de Mahaut.

— Elle a dit que j’étais gourdasse la dernière fois, rappelle Sophie en levant un sourcil.

— Bon, je ne dis plus rien.

Il va ouvrir pendant qu’ils s’installent, avant d’appeler Mahaut à le rejoindre.

— C’est Romain, précise-t-il.

Olivier et Sophie s’arment d’un grand sourire qu’elle leur fait ravaler d’une réplique maladroite qui les fait glousser.

Son ami est en train de refuser l’invitation à entrer de son père. Il porte une tenue surprenante pour lui : pull sombre et col de chemise blanche qui dépasse.

— Je file chez ma tante, explique-t-il. Mes parents attendent en bas. J’ai ramené un truc à Mahaut.

— Je vous laisse, alors.

— Joyeux anniversaire, monsieur.

Pierre lui sourit, rassure sa fille en lui disant de prendre son temps et retourne à la cuisine.

— Tiens, dit Romain. J’ai tout lu cette nuit !

Il lui tend une vieille pochette à rabats, celle-là même dans laquelle Mahaut a imprimé et rangé les premiers chapitres de son roman. Ses joues la chauffent furieusement.

— Déjà ?

— C’était trop bien. À quand la suite ?

— Ben, je…

— J’ai trouvé des coquilles, je me suis dit que tu voudrais les corriger au plus vite.

— Merci beaucoup.

Elle tient la pochette contre elle, gênée et touchée. Ces quelques chapitres il n’y a que Romain et Lina qui ont posé les yeux dessus (et son père, peut-être, quand il ouvrira son cadeau). Elle les a rédigé avec émotion, faisant les cent pas pour chercher un mot récalcitrant, fixant la broche de sa mère posée sur sa table de chevet en cas de découragement.

Et Romain a déjà tout lu.

— Merci, répète-t-elle.

— Merci à toi.

Il se racle la gorge, s’excuse de devoir filer. Elle dit que ce n’est rien, qu’on l’attend pour manger de toute façon. Ils se regardent, se disent « à lundi », et Romain s’en va.

Elle ferme la porte mais ne rejoint pas tout de suite les adultes. Elle veut profiter encore un peu de ce sentiment de douceur et de fierté. Elle ouvre la pochette et relit ce début qu’elle connaît par cœur :

L’auberge sentait le lard et l’oignon – les composants principaux de la plupart des plats qu’on y servait. C’était un établissement trapu, avec un sol de terre battue et des petits carreaux donnant sur la place du château. La salle principale n’était pas bien grande, les clients s’y entassaient autour de tables en bois taché par le gras et les débordements de boissons, dos et coudes se rencontrant à chaque mouvement trop ambitieux.