Épilogue - Acte I
« La vie, c'est comme les biscuits. Y'a que des miettes » (Ludivine Maël)
- Ah ce putain de gène CRS ! Le pire fléau qui soit ! Une chiantise pas possible ! Ah... Remarquez, on a tous déjà eu une amie flic dans son genre. Monsieur est connaisseur ? Je compatis, je compatis... Ah...votre femme... Et ben, moi c'est ma copine, la CRS. Mais c'est qu'elle vous arracherait les yeux, pardi !
Le prestidigitateur marqua une courte pause, dans laquelle certains spectateurs reprenaient leur respiration. Les neuf autres sketchs précédents avaient été hilarants, et il fallait conserver des poumons intacts pour retourner au bureau le lendemain.
- Aline... Ah, Aline !... Je la fréquente depuis le collège. Elle n'est pas devenue CRS par vocation, non... Elle est née CRS, et c'est bien ça le pire ! Malheur à vous si vous lui dites « Oh Aline, on dirait bien que t'as grossi du cul... »... Et hop ! Une couille en moins !
Cela faisait un mois que la salle se remplissait de plus en plus chaque soir. Mon ami Pierrot, tel était le nom du premier one-man show de Pierrick, qui commençait une lente ascension vers le monde des humoristes.
- Je n'ai plus peur de sortir seul la nuit, dans le noir, du moment que je suis en compagnie d'Aline... Si une racaille cherche à m'attaquer, Aline contre-attaque ! Si ma meuf me plaque, Aline la traque jusqu'à la fin de ses jours ! Et elle lui pète la gueule tous les douze du mois ! Elle est réglo, Aline.
Il avait commencé par faire des petites représentations dans des bars et restaurants. Et un producteur l'avait finalement remarqué au bout de deux ans, alors qu'il animait, en parallèle, une émission télévisée pour enfants.
- Ah mais faut la voir Aline, hein ! continua le jeune homme en secouant la main, comme s'il n'en revenait pas. Faut la voir quand elle s'acharne sur sa victime avec ses griffes ! Une vraie lionne, cette fille, faut s'en méfier, j'vous le dis, moi ! Oh con...heureusement que je suis son pote, hein, sinon je pisserais dans mon froc !
Les spectateurs éclatèrent de rire. Car pour Pierrick, c'était si simple de leur faire oublier les tracas du travail et les soucis de famille... Et le public l'aimait pour ça.
- C'est si bon de se sentir protégé... Ma copine CRS, ça fait dix ans qu'elle pratique. On aurait pu l'appeler Zorro. Elle protège tout le monde. Surtout mon meilleur pote. Par exemple, vous savez, Xavier Lusvardi... Ces deux-là, c'est Zorro et Tornado !
PIPOLE
L'ACTU DES PEOPLE !
Ludivine Maël : La dernière-née de la grande famille du cinéma
Elle n'a pas vingt ans et tout le monde se l'arrache ! Sollicitée par des réalisateurs reconnus, réclamée par des hordes de journalistes, Ludivine Maël n'a plus une minute à elle. Depuis sa première apparition au cinéma dans Charbon Rouge sous la direction d'Yvan Forestier, elle se dévoile peu à peu comme l'un des piliers d'une nouvelle génération de jeunes acteurs. Malgré un planning assez surprenant pour la nouvelle comédienne du cinéma français, elle a bien voulu accorder quelques minutes de son précieux temps à Pipole.
Elle se coiffait soigneusement face au miroir. Sa loge était bien plus grande que celle qu'elle avait connue en Section A et partagée avec Claire. C'était sa loge à elle, cette fois-ci. Son petit coin de paradis. Sa cachette secrète. Violée par Léonard qui, comme il savait bien le faire, l'observait sans indiscrétion depuis le pas de la porte.
- Fous le camp, grogna la jeune femme brune sans daigner lui accorder un seul regard.
- Mais naturellement. Je ne voudrais pas te froisser, Mademoiselle Aline.
Comme beaucoup, il avait vu le sketch de Pierrick et savait de quoi elle était capable. Mais s'énerver était une bien mauvaise tactique pour Aline, car plus elle explosait, plus Léo était fasciné. Au lieu d'obéir, il entra donc complètement dans la loge, et la main de la comédienne se crispa sur sa brosse à cheveux.
- Dégage Léo.
- Tiens, tu as rajouté de nouvelles photos ?
Aline vit le jeune homme s'approcher du miroir où était accrochée une dizaine de photos. Elle grinça des dents et s'apprêta à lancer une violente attaque sur l'ennemi. Cet imbécile de Léonard n'avait pas à s'incruster dans son petit coin à elle. Il n'avait pas non plus le droit de scruter aussi minutieusement les photos de ses amis, et en particulier celle de Xavier et elle sous la neige.
Aline l'avait très bien remarqué. Léonard était un excellent observateur. Il regardait tout, il mémorisait tout. Et il n'oubliait rien. Chaque chose gagnait sa part d'attention. Ses capacités d'analyse valaient bien celles de Xavier, mais elle doutait réellement que derrière un tel abruti se cachât un matheux animé par la folie des sciences. D'ailleurs, il avait été si absorbé par le théâtre qu'il n'avait même pas décroché son baccalauréat.
Les yeux dorés de Léonard s'étaient arrêtés sur une vieille photo, datant de l'époque où Xavier et Aline sortaient ensemble. Ils étaient bien jeunes, pensait amèrement le comédien en glissant une main dans son imposante et indomptable tignasse ambrée, et c'était d'autant plus gênant qu'ils se fréquentaient encore. Et puis...ce Xavier Lusvardi, il ne pouvait ne pas le connaître. Il avait vu tous ses films, bien qu'il n'en eût fait que deux ! Ceci dit, ces films avaient eu un si grand succès qu'il était impossible de ne pas avoir entendu parler de Xavier Lusvardi en France.
- Dis, Mademoiselle Aline, tu ne voudrais pas sortir avec moi un de ces soirs ?
- Mais bien sûr ! s'exclama la comédienne, faussement enthousiaste. Quand mon meilleur ami aura réussi à coucher avec Pénélope Cruz, d'accord ? Maintenant Léo, si tu veux bien me faire plaisir, casse-toi de ma loge et ne m'approche plus de dix mètres sans mon autorisation préalable, au risque de devenir stérile à 24 ans ! Ce serait dommage d'exterminer ta descendance de façon si brutale, non ?
- Ce serait surtout dommage pour toi, ma chérie.
Léonard évita aussitôt la brosse à cheveux qui lui était destiné, l'obligeant ainsi à s'exploser contre le mur de la loge. Avant que la comédienne ne l'attrape par la peau du cou pour l'étrangler, le galopin avait déjà détalé sans demander son reste.
Aline Pépino aurait bien aimé suivre Tristan et Claire à la Comédie Française, ou Simon et Mathilde à l'École Supérieure d'Art Dramatique de Paris (ou encore Grégoire au Conservatoire). Au lieu de ça, elle jouait au théâtre dans une pièce moderne aux côtés d'un charmant comédien... qu'elle haïssait. Léonard, dont elle ne cessait de se plaindre à Pierrick, puisque Xavier était parti en promotion depuis plusieurs semaines. Hélas, malgré l'insistance de son meilleur ami, elle refusait de faire plus connaissance avec le comédien, et Léo, mignon ou pas, se trouvait bien mal placé dans l'estime d'Aline. Plus elle lui plaisait, plus il s'accrochait, et plus elle s'énervait. Sa seule existence suffisait à anéantir la sienne.
Mais la situation se corsa un après-midi, lorsque Xavier Lusvardi, de retour de province, vint chercher sa meilleure amie à la fin de la répétition. Léonard ne l'avait pas raté. Il l'avait vu, ce grand garçon si souriant, ouvrir les bras à Aline, qui s'était jetée sur lui. Il les avait refermés, et avait ensuite enlacé si fort la comédienne que Léo avait pu s'en rendre compte du bout de la salle.
- Tu m'as manquée...murmura-t-elle à son meilleur ami, en se blottissant du mieux qu'elle le put contre lui.
- Excuse-moi. Ce n'était pas facile de revenir sur Paris. Comment tu vas ?
- Mieux, répondit Aline, au tac-au-tac.
- Hey ! Mais c'est pas lui, là-bas ?! s'exclama Xavier sans l'écouter.
- Qui ?
- Le fameux Léo dont Pierrick n'arrête pas de me parler ! Selon lui, tu lui casses les bonbons à force de t'en plaindre !
- Fais-moi penser à dire deux mots à Pierrot.
- Ne dis pas n'importe quoi, s'exclama le comédien en éclatant de rire. Va chercher tes affaires, va, on va aller promener.
Léonard, tapi dans un coin de la salle pour observer le couple, avait intercepté le regard de Xavier. Pourtant, dès qu'Aline disparut pour se rendre à sa loge, c'est de lui-même qu'il s'avança jusqu'au jeune homme. L'acteur accomplit les trois derniers pas qui les séparaient.
- Hey, salut, lança Xavier, sans perdre son sourire chaleureux.
- Salut, répliqua Léo, réticent.
Il était prêt d'en découdre avec le comédien, quelque soit son nom, pour mériter la jeune femme. Mais ce qu'il ne savait pas, et ce qu'Aline ignorait aussi, c'est que Xavier Lusvardi avait changé de camp. S'il avait jusqu'à présent repoussé tous les prétendants d'Aline (même si cela ne l'empêchait jamais de s'envoyer en l'air avec des inconnus), il avait aujourd'hui décidé d'agir dans le sens contraire.
- C'est bien toi qui veut sortir avec Aline ?
- Oui, osa répondre Léonard.
- Te fatigue pas, tu n'y arriveras pas.
Léonard ne sut comment il devait interpréter les paroles du comédien. Défi ? Attaque personnelle ? Ou le début d'une menace qui pointerait bientôt son nez ? En tout cas, il sut garder son sang-froid et observa Xavier sortir un stylo et un morceau de feuille de sa poche, et y noter quelque chose.
- Appelle-moi, glissa le comédien en lui tendant son numéro de téléphone.
Aline venait juste d'arriver, rayonnante à l'idée d'une promenade avec son meilleur ami, et ne remarqua nullement l'échange entre Xavier et Léonard.
Aline le foudroyait du regard et lui piétinait en même temps les pieds, mais Xavier avait l'air de ne pas y prêter attention. Si elle s'y attendait ! Avoir rendez-vous dans un bar-restaurant très chaleureux avec ses amis, et découvrir une table pour cinq avec un intrus assis côté fenêtre !
- Ça ne va pas Aline ? On dirait que tu es légèrement en colère...se moqua Pierrick, tandis qu'elle se tenait raide sur la banquette, aux côtés de Léonard.
- Je pensais te faire plaisir, continua Xavier, en invitant ton copain à manger avec nous ce soir.
- Ce n'est pas mon copain ! rugit aussitôt la jeune femme, rouge de fureur. Et tu le sais très bien !
- Copain...petit-copain...on ne va pas chipoter pour si peu, hein ? se moqua le comédien.
- Ce n'est ni l'un, ni l'autre !
Son meilleur ami lui adressa un tendre sourire espiègle et jeta un coup d'œil à Léo, qui observait Aline d'un air pensif. Depuis qu'elle était arrivée, elle ne lui avait pas accordé un seul regard, fermement décidée à l'ignorer. Bien sûr, Léonard s'était bien douté qu'elle ne lui adresserait pas un mot de la soirée ; pourtant ce manque d'attention l'attristait un peu. Il avait très envie de mieux connaître Aline, mais Xavier lui avait bien expliqué au téléphone que c'était chose impossible pour le moment, et qu'il fallait se montrer patient. Aline était comme un animal : il fallait l'apprivoiser.
- Bon, je crève la dalle ! Quand est-ce qu'on mange ?! s'impatienta Pierrick, dans l'espoir de réduire la tension qui régnait autour de la table.
- On attend Ludivine, répliqua Xavier, lassé de répéter la même chose depuis une demi-heure.
- Qui est Ludivine ? demanda alors Léonard, en scrutant attentivement la place libre à côté du jeune homme.
- C'est ma chérie ! s'exclama l'intéressé, comme un gamin devant un sapin de Noël.
- Un peu de soutien féminin, ajouta alors Aline, en regardant Pierrick.
Le soutien féminin débarqua en trombe dans le bar-restaurant un quart d'heure plus tard. Tout en débitant mille et une excuses à ses amis, elle embrassa rapidement Xavier au bord des lèvres, et colla deux bisous humides à Aline et Pierrick. La petite blonde s'arrêta d'un air interrogateur devant Léonard puis, comprenant qu'il faisait partie du dîner, lui fit poliment la bise, les joues en feu, avant d'aller se recroqueviller contre Xavier.
- Elle est timide... expliqua le comédien.
Il ne put terminer sa phrase car le bras de Ludivine s'était brandi à la vitesse d'une catapulte, et elle hélait déjà le serveur, sans la moindre once de timidité.
- Garçon ! hurla la petite blonde, à la fois pressée et sérieuse. Garçon ! Une double assiette de spaghettis au saumon s'vous plait ! Et la surprise du chef en dessert ! Et avec ça, des cacahuètes ! Vite !
- Hey ! Attends ! rouspéta Pierrick. On n'a toujours pas commandé, nous !
- Et ben, qu'est-ce que vous attendez alors ? Dépêchez ! C'est moi qui offre ! Garçon ! Revenez ! Mes amis passent commande ! Et dépêchez, dépêchez !
Aline, Pierrick et Xavier paraissaient tout aussi surpris que Léonard, et ce n'était pourtant pas faute de ne pas connaître de Ludivine. Celle-ci lâcha un soupir de soulagement lorsque le serveur disparut en cuisine.
- Et bien Lulu...quelle autorité ! On peut dire que le cinéma a fait de toi une véritable femme d'affaires...remarqua Aline, en regardant le serveur repartir avec le diable à ses trousses.
- Au diable le cinéma ! grogna Ludivine. C'est du business ! Offrez-vous à un producteur pour un film, et vous finirez dans une séance-photo d'un magazine merdique qui durera toute une journée, durant laquelle vous sauterez le repas de midi ! Xavier ! J'ai rien avalé depuis le petit-déjeuner, et il est 21 heures ! J'ai même failli faire un malaise en venant ! Ramenez donc du fric aux gens en posant pour eux toute la journée pour faire la promo de votre boss... Ramenez donc du fric, et ne vous étonnez pas du peu de considération que vous aurez en retour ! Même pas un plat de pâtes à midi ! Même pas un sandwich !
- Tu t'attendais à quoi en allant chez Pipole ? ironisa le comédien en la blottissant contre lui.
- Au moins des cacahuètes...répondit tristement l'actrice d'une petite voix.
Pendant que Pierrick pouffait silencieusement de rire devant l'air affligé de Ludivine, Léonard paraissait sincèrement intéressé par le récit de la petite blonde.
- Finalement...lança le comédien pour la première fois de la soirée, je ne pensais pas que le cinéma était aussi difficile...
- Ce n'est pas le cinéma, répliquèrent Xavier et Ludivine à l'unisson. C'est la Promotion.
- Avec un P majuscule, attention ! ironisa Pierrick.
- La Promotion ? répéta Léonard, intrigué.
Xavier se servit un verre d'eau, et après en avoir bu une gorgée, il se racla la gorge et commença à raconter en quoi consistait la Promotion en long, en large, et en travers.
- Quand Yvan Forestier, notre premier réalisateur, nous a découverts, il a voulu faire connaître Ludivine, son « petit poussin » comme il disait. Les médias attendaient depuis plus de trois ans la sortie de Charbon Rouge, et ils ne pensaient pas à ce qu'il engage deux inconnus pour les rôles principaux, et nous ont sauté dessus dès qu'ils ont connu nos noms. Enfin...personnellement, je ne vais pas trop me plaindre... Les jeunes comédiens, surtout quand c'est des mecs, on s'en fout toujours un peu. J'ai donc assuré un minimum de promotion pour Yvan Forestier : les conférences de presse habituelles, les avant-premières, les plateaux-télés, les émissions-radios, et quelques interviews, tout ça dans le but de vendre le film (c'est ça la Promotion, et on est payé pour ça !)... En réalité, les médias se sont surtout acharnés sur Ludivine.
- Parce que les filles portent des robes de haute-couture, grogna l'intéressée, avec une mauvaise foi évidente.
- Et surtout parce que Yvan ne tarissait plus d'éloges sur toi. La presse t'a donc harcelée.
- Et je m'en serais bien passée... Ah, mes cacahuètes !
La petite blonde bondit sur la petite assiette que venait de poser le serveur devant elle, et qui lui assurait que les spaghettis au saumon n'allaient pas tarder à arriver, elles aussi.
- La Promotion, reprit Ludivine tout en croquant dans son apéritif, ça ne dure pas seulement pendant la période qui précède la sortie. La Promotion, ça te suit dans toute ta vie d'acteur. Partout où tu vas, et où la presse est susceptible d'y être, tu promus. Tu te promus toi-même. Si tu te promus, tu promus tes films aussi. Tu promus le réalisateur. Donc les gens te voient en tant qu'acteur, ils te voient en train de parler du film, et si tu t'en sors bien, ils vont le voir au cinéma ou ils achètent le DVD. On vend par l'image. Et toutes les productions comptent sur leurs acteurs pour la Promotion, donc il faut bien faire attention à ce qu'on dit, à ce qu'on fait, où on va...et à ce qu'on porte aussi, pour les filles. Pipole m'a déjà descendue une fois parce qu'ils avaient trouvé moche la robe que je portais pour l'avant-première de Charbon Rouge. Et pourtant, c'était du Versace. C'est terrible, la Promotion.
L'assiette de cacahuètes était à présent vide, et Ludivine se tourna vers Xavier pour avoir son avis à propos de la Promotion.
- Tu as bien résumé la chose, se contenta d'approuver le comédien. Je suis bien content que les médias me foutent la paix.
- Et ben...lâcha Léo. Et moi, je suis bien content de jouer dans une troupe de théâtre !
Xavier jeta un coup d'œil à Aline qui, visiblement, ne paraissait pas aussi heureuse de se trouver dans la même troupe que Léonard.
- Mais je ne vous comprends pas ! s'agita Pierrick. Moi, je n'attends que ça, que la presse vienne me coller aux basques ! Sans la presse, personne ne me connaît, et je ne gagne pas un rond !
- Ça va venir petit à petit Pierrot... Ils sont toujours sceptiques avec les nouveaux humoristes.
- Tu parles...
- Et puis, ce n'est pas comme si tu n'avais pas d'autres revenus... Pierrot et ses Choux, c'est quand même une émission qui cartonne !
- Seulement auprès des gosses.
- Jamais content...grogna Aline.
- J'attends juste que Xavier et Ludivine me fassent de la pub !
- Mais je t'en fais, moi, Pierrot ! remarqua la petite blonde. Je n'ai pas arrêté de parler de toi à Pipole aujourd'hui !
- Pipole n'est pas forcément une bonne référence...nota Léonard.
- Pas faux, admit l'actrice, mais Pipole fait beaucoup de ventes. Tout le monde achète Pipole. Mary-Lou a même un abonnement chez eux.
Les commandes des cinq amis finirent enfin par arriver, et permit aux comédiens de continuer leur conversation. Seule Aline restait silencieuse. Durant le repas, elle n'avait pu que constater que Léonard s'entendait bien avec tous ses amis, et qu'il se faisait d'ailleurs très apprécié par la petite bande. Qu'il s'emparât de leur amitié était bien la pire chose qui soit.
- T'étais dans quelle école ? demanda Pierrick au bout d'un moment.
- Conservatoire de Versailles.
- Ah... C'est super ça ! Mais laisse-moi penser que tu aurais été parfait pour la Section A. On aurait bien rigolé avec toi.
- Ça, c'est sûr ! Mais je ne pense pas qu'Aline aurait apprécié...
- Tu penses bien, rétorqua sèchement l'intéressée, s'attirant par la même occasion le regard meurtrier de Xavier.
- On revient ! interrompit ce dernier, en se levant brusquement de la table. Toi et moi, Aline, il faut qu'on discute !
Le jeune homme agrippa le poignet de la comédienne, et la força à le suivre à l'extérieur du bar-restaurant. Aline ne broncha même pas et se laissa entraîner, devant les mines inquiètes de Ludivine, Pierrick et Léonard.
- Bordel Aline, mais à quoi est-ce que tu joues ?!
- De quoi tu te mêles ? grogna-t-elle, en croisant les bras pour se protéger du froid parisien.
- Tu pourrais au moins faire preuve d'un peu de politesse ! Tu sais que tu nous gâches le repas ? Je n'ai pas invité Léo pour que tu fasses la gueule toute la soirée !
- Justement ! Tu n'avais pas à l'inviter ! Tu aurais dû me demander mon avis !
- Ton avis, ton avis... Je m'en fous, de ton avis. Mais tu veux le mien, d'avis ? Tu es asociale ! Tu es un glaçon !
- Arrête ! rugit Aline. Tu me pourris la vie !
La colère de Xavier retomba aussitôt et laissa place à la stupeur. Se disputer avec sa meilleure amie n'était pas ce qu'il préférait le plus, mais il n'aimait pas non plus l'entendre dire qu'il lui gâchait sa vie. Il n'en revenait pas. Lui, son meilleur ami, le seul homme qu'elle n'eut jamais aimé, lui pourrir la vie !
- Et toi, tu me pourris la mienne ! pesta le comédien. Tu crois que ça me fait plaisir que tu t'envoies en l'air avec plein d'inconnus ?!
- Occupe-toi de tes affaires !
- C'est aussi mon affaire ! T'es ma meilleure amie, je t'aime, et je n'ai pas envie que tu tombes au fond du trou ! Alors tu vas me faire le plaisir de te décoincer, et tu vas apprendre à connaitre Léo parce que c'est un gars bien !
- Léo ?! Certainement pas ! Je ne peux pas le blairer !
- Tu sais quoi ? demanda Xavier, soudainement calme. Je m'en fous. Je m'en fous, car de toute façon, il te plaît. Et là, ma fille, tu es foutue !
Il la fixa deux secondes dans les yeux et s'avança vers l'entrée du bar-restaurant.
- J'en ai fini avec toi pour le moment. Je retourne au chaud. Libre à toi de rester planter là dans le froid, à réfléchir aux choses de la vie, lança-t-il, moqueur.
Xavier pénétra à l'intérieur du bâtiment et elle le suivit, toujours sans rien dire, jusqu'à la table où les autres comédiens les attendaient. Ils s'assirent de façon synchronisée, l'un avec le sourire, l'autre avec un air démoralisé. Pierrick, Léonard et Ludivine ne disaient rien, gênés, mais un geste de Xavier leur fit comprendre de continuer la conversation en ignorant l'état d'Aline.
Ludivine piqua donc dans sa deuxième assiette de spaghettis au saumon, et les échanges reprirent de bon train. Aline ne participait pas et ne touchait pas à sa nourriture. Elle n'écoutait même pas la conversation animée entre Xavier et Léonard. Elle était plongée dans ses réflexions, et ces réflexions-là la fatiguaient.
- Et toi Aline ?
La jeune femme leva la tête, perturbée. Qui lui avait parlé ? Qui l'avait dérangée dans son mutisme ? Elle regarda autour d'elle et vit Xavier et Pierrick qui la scrutaient attentivement, Ludivine affichant une mine inquiète, et Léonard qui, visiblement, attendait une réponse. Se rendant compte qu'elle n'avait rien suivi de la conversation, il eut la bonté de reposer sa question devant l'air perdu d'Aline.
- Tu as des frères et des sœurs ?
- Non, répondit-elle après un silence.
- Moi aussi. Je suis fils unique.
- Grand bien te fasse ! s'exclamèrent Xavier et Pierrick à l'unisson.
- Roh...les frères et sœurs ne sont pas tous des cas sociaux, ne put s'empêcher de défendre Ludivine. Moi, mon frère, il est très gentil et très calme.
- C'est vrai, approuva Xavier. Quand il vient à la maison, il s'enferme dans la chambre d'ami, et on ne l'entend pas. Il passe ses journées sur les jeux-vidéos. Je te jure, dès fois, on a l'impression de n'avoir invité personne ! Mais bon, Ludivine, il n'a pas encore fait sa crise d'adolescence... Moi, quand j'avais son âge, je... Ah non, je confonds...je m'enfermais aussi dans ma chambre pour bosser mes maths... La folie des filles, ça m'est venu plus tard...
- Ta folie des filles, on s'en souviendra...grogna son meilleur ami, non sans jeter un regard lourd de sous-entendus à Aline. Putain, le mec à 14 ans, il avait déjà choisi la date de son mariage et le nombre de gosses qu'il aurait. Et il avait même décidé avec sa nana qu'ils auraient quatre enfants !
- Trois, rectifièrent Aline et Xavier d'une même voix.
- Ah oui, c'est vrai, trois gosses... Richard, Alfred et Bernadette, se souvint Pierrick.
- Non, s'écria Aline, retrouvant une soudaine vitalité, on avait dit Enzo et...et...
Tout en réfléchissant, ses ongles tapotaient le rebord de son verre d'eau, et Léonard qui la regardait du coin de l'œil, la trouvait particulièrement séduisante.
- Pas Enzo ! répliqua Xavier. Je déteste. On avait dit Élodie, Théo et...
- Quentin !
- Voilà, Quentin.
- Dieu que c'est pathétique, nota Pierrick avec amertume.
Malgré la courte participation d'Aline, qui avait fait penser aux autres qu'elle parlerait un peu plus, la jeune femme décida de s'en aller juste après son dessert.
- Déjà ?! s'écria Pierrick, dont l'esprit était un peu embué par le vin.
- Je suis fatiguée, se justifia Aline, lasse.
Elle se leva et commença à enfiler son manteau, tandis que Xavier lisait discrètement l'heure sur sa montre. 21h30.
- D'accord, lança le comédien, comme si de rien n'était. Léonard va te raccompagner.
Aline s'immobilisa dans la fermeture de sa veste trench noire et ouvrit des yeux ronds.
- Je t'aurais bien raccompagnée, s'expliqua Xavier, amusé devant l'air horrifié de sa meilleure amie, mais je n'ai pas fini de manger. Et tu sais que je n'aime pas te laisser seule dans Paris la nuit.
- Idem, fit Pierrick, la bouche pleine.
- Je suis une grande fille, t'en fais pas, essaya Aline.
- Léo te raccompagne, répéta Xavier. C'est tout.
- Aline ! Attends ! brailla Léonard, en sortant en courant du bar-restaurant.
Dans la nuit, Aline ne put s'empêcher de sourire légèrement. Bien sûr, elle n'avait pas attendu que Léo soit prêt pour s'en aller vers la première station de métro.
- Tu me laisses au métro, tenta-t-elle de négocier alors qu'il venait juste d'arriver à son hauteur.
- Non, je ne crois pas... Jusqu'à chez toi. C'est ce qu'a dit Xavier. Et il a raison. Jusqu'à chez toi, Aline, pas avant. Paris, la nuit, c'est dangereux. J'ai une cousine qui a déjà été agressée, et elle ne manquait pourtant pas de caractère !
La comédienne ne répondit pas. Léonard tourna la tête pour l'observer, et la découvrit en train de bâiller à s'en décrocher la mâchoire. Très vite, le silence retomba, car Aline n'avait pas envie de parler avec lui, et même si elle l'avait désiré, elle n'aurait su quoi lui dire. Leurs pas furent donc les seuls à converser sur les trottoirs parisiens.
- Quelle ligne ? demanda le comédien lorsque la bouche de métro apparut, éclairée par deux réverbères.
- 12. Terminus. Porte de la Chapelle.
Ils s'engouffrèrent dans le sous-sol et après avoir passé leur badge, ils se dépêchèrent d'atteindre le quai. Un bruit sourd les informa qu'une rame venait d'arriver dans la station. Hélas, même dans la soirée, le métro était bondé, et si Aline n'avait pas tiré Léonard dans la rame, ce dernier se serait fait coupé en deux par la porte automatique ou serait resté sur le quai.
Pas une place assise n'était libre. Même les barres d'appui n'étaient pas accessibles pour tous les usagers, mais Léonard réussit à en agripper une. De sa main libre, il attrapa Aline par la taille et l'attira contre lui. Trop fatiguée pour comprendre, elle s'était laissée faire et avait posé sa tête sur son épaule.
La rame dans laquelle ils se trouvaient était assourdissante : des jeunes filles gloussaient exagérément ; d'autres, hystériques, racontaient leurs rendez-vous avec des garçons ; des adolescents débitaient leur lexique de gros-mots pour savoir lequel en connaissait le plus ; un vieil homme jouait de l'accordéon pour arrondir ses fins de mois ; et enfin, deux messieurs parlaient politique d'une voix forte.
Après cinq minutes, Léonard entendit Aline gémir et reporta son attention sur elle. Les yeux fermés, elle essayait de gagner quelques minutes de sommeil, mais toute l'agitation du métro l'en empêchait. Le comédien lâcha alors la barre d'appui pour poser sa main sur l'oreille de la jeune femme.
- On va se vautrer...marmonna-t-elle, tandis que la rame de métro était sujette à des secousses, et que le couple essayait vainement de rester en équilibre.
Léo sourit mais ne répondit pas, profitant d'un nouveau tremblement pour serrer davantage Aline. Il n'eut pas l'occasion de sourire plus longtemps, car le métro venait de freiner brutalement, et ils se retrouvèrent projetés contre la paroi de la rame. Tous les regards se tournèrent vers eux.
- Je te l'avais dit...grogna Aline, avant de pouffer de rire.
Vingt minutes plus tard, ils se trouvaient devant l'appartement d'Aline. La jeune femme étant de meilleure humeur depuis le voyage en métro, mais toujours aussi fatiguée, n'eut pas le courage de refouler Léonard.
- T'as qu'à entrer boire un coup, proposa-t-elle en ouvrant la porte.
Le comédien s'introduisit donc dans l'appartement, gêné, et comme Aline l'aurait parié, il observa discrètement les lieux une fois à l'intérieur. C'était un endroit sobre. Le salon et la cuisine ne faisaient qu'un, ayant uniquement un passe-plat bordé de chaises hautes comme frontière. Les couleurs se résumaient à un beige en plusieurs tons. Enfin, un petit couloir donnait sur deux chambres, et aboutissait à la salle de bain.
- Tes parents ne sont pas là ? s'étonna Léo en suivant Aline jusqu'à la cuisine.
- Mes parents sont divorcés. Je vis avec mon père, précisa la jeune femme. Il doit être sûrement avec ses potes au PMU ou un truc dans le genre... Le week-end, il sort beaucoup.
Et le père d'Aline paraissait adorer la pêche et les chevaux, avait pu remarquer Léonard en découvrant les tableaux accrochés aux murs.
- Et ta mère ?
- Elle s'est trouvée quelqu'un d'autre.
- Tu n'as pas voulu vivre avec elle ?
- Non. Elle a toujours été indépendante. Et mon père avait trop besoin de moi. Tout seul, il ne pourrait pas s'assumer, raconta Aline en lui offrant un verre d'eau. Et toi, tu vis où ?
- À Saint-Germain-des-Prés.
- Ah Saint-Germain...c'est le quartier que convoite Xavier, tu sais... Il s'est mis en tête de vivre là-bas, cet idiot, mais à chaque fois qu'il tombe sur le prix des loyers, il devient fou !
- Y'a de quoi devenir chèvre c'est vrai...avoua Léonard. Si je n'étais pas en colocation, je serais déjà à la porte tu vois.
- Tu as un colocataire ?
La discussion poursuivit encore dix bonnes minutes. Léonard n'en revenait pas comme il était facile de parler avec Aline, bien que sa fatigue fût une aide précieuse. Il était presque certain que ses chances auraient été moindres si la même situation s'était déroulée le lendemain matin.
- Je vais y aller, décida Léonard au bout d'un moment. Merci pour le verre.
- Je t'en prie, rentre bien, fit Aline, dans un élan de politesse, en le raccompagnant jusqu'à la porte. Moi, je me démaquille en vitesse, et je file me coucher.
- Quoi ?!
Le comédien s'arrêta net, surpris. Aline, tout aussi étonnée par son attitude, l'interrogea du regard.
- Tu vas te démaquiller ?!
- Bah oui... Toutes les filles se démaquillent avant d'aller se coucher. Ne me dis pas que je t'apprends quelque chose Léonard.
- Je veux te voir démaquillée, dit alors le jeune homme.
- Et puis quoi encore ? répliqua la comédienne, dont la mauvaise humeur refaisait surface. Tu ne crois pas que c'est l'hôpital qui se fout de la charité ?!
- Allez, allez !
Tout en la suppliant du regard, il la poussait vers la salle de bain, pressée de découvrir la « vraie Aline ».
- Putain, qu'est-ce que tu peux être chiant quand tu t'y mets ! s'énerva la comédienne, ayant perdu toute trace de fatigue.
Comme Léonard ne laissait pas tomber son air buté, en plus de barrer l'entrée de la salle de bain, elle se résolut à lui obéir. D'un air exaspéré, elle saisit le démaquillant et un coton dans le petit placard, et entreprit de se démaquiller. L'opération dura bien cinq minutes. Léo restait perplexe devant une couche si épaisse de fard à paupières et de fond de teint. Petit à petit, le visage d'Aline devenait blanc crème. Le jeune homme avait même l'impression que ses yeux rétrécissaient au fur et à mesure qu'elle enlevait le noir profond sur ses paupières. De même, son visage, qui paraissait allongé, raccourcissait et Léo ne voyait plus qu'une petite bouille avec des fines lèvres toutes roses.
- Quoi ? s'étonna Aline, devant l'air stupéfait de Léonard.
- Ça, dit-il enfin, en la tournant face le miroir, ça, c'est la vraie Aline. La vraie Aline, c'est celle qu'on trouve sous trois tonnes de maquillage. Non mais t'as vu ça ? Il t'a fallu trois cotons pour y venir à bout ! La vraie Aline, que je ne connaissais pas jusqu'à présent, c'est celle qui est super gentille sous ses airs de lionne.
- C'est bon ? T'as fini ? T'es content ? Tu peux partir maintenant ?
- Absolument. Je m'en vais.
Satisfait, il quitta la pièce, suivie d'une Aline légèrement perturbée. Sur le pas de la porte, il se retourna vers elle et planta une bise sur sa joue qui sentait la crème démaquillante.
- On se voit lundi au théâtre ! lança Léonard joyeusement.
- Ouais...marmonna la comédienne.
- J'ai été ravi de rencontrer la vraie Aline.
- C'est ça, c'est ça... Allez, zou, vire de là, Léo...
- Et je t'aime comme tu es. À lundi.
Il avait plutôt pensé qu'elle reviendrait sur cette conversation le lundi suivant, au théâtre. Ou qu'elle parlerait de ses sentiments à Xavier, qui l'aurait appelé pour les lui révéler. Non. Aline n'avait rien fait de tout ça. Aline n'était pas patiente et n'aurait pas pu attendre jusqu'à lundi pour obtenir des explications. Aline avait juste agrippé le bras de Léonard et l'avait tiré violemment vers elle pour claquer la porte derrière lui. Elle l'avait embrassé comme une folle furieuse et poussé dans sa chambre. Léonard avait donc, pour ainsi dire, fini interdit sur le lit de la comédienne, avec l'impossibilité de fuir (mais cela n'était pas très important, puisqu'il n'en avait pas envie, de toute façon).
- Tu as dit quelque chose qu'il ne fallait pas dire, Léo, s'expliqua brièvement Aline, tout en déboutonnant sa chemise.
Ça, le comédien s'en doutait bien. Xavier Lusvardi n'avait pas passé son après-midi au téléphone à lui donner un mode d'emploi détaillé d'Aline pour qu'il échouât ce soir-là !
- Mais Aline...tu crois quoi là ? demanda alors Léonard en repoussant légèrement la comédienne, qui semblait faire une fixation sur ses grains de beauté.
- C'est-à-dire ? s'étonna l'intéressée, perdue entre le désir et la fatigue.
- Tu penses que je suis comme les autres, et qu'une nuit sera assez pour que je te laisse tranquille ? Ou tu veux seulement tirer ton coup et m'ignorer lundi ?
Aline donna la meilleure réponse qui fut : elle haussa les épaules, ne sachant que dire, ni que penser. Léonard, en revanche, sourit et s'assit en tailleur auprès d'elle.
- Non, non...contredit le jeune homme, doucereux à point. Tu ne coucheras pas avec moi sans en payer le prix. Moi, je ne te veux pas juste pour la nuit. Je te veux pour tout le temps.
Là encore, Aline resta silencieuse et lui jeta un regard douteux.
- Tu fais ce que tu veux Aline. Mais si tu décides de coucher avec moi, attends-toi à ce que je sois là demain. Et après-demain. Et tous les jours qui suivront. Je vais te coller aux basques pour qu'on recommence, Aline. Tu pourras supporter ça ? Tu en es sûre ?
Et pourtant, elle devait en avoir l'air d'être sûre, puisque Léo était bien là, le lendemain matin. Dans le lit d'Aline. Elle était même pelotonnée contre lui, et ils dormaient profondément. Et puis, sans crier gare, le téléphone de la comédienne hurla. Léonard et Aline se retournèrent dans leur sommeil, et firent la sourde oreille. L'appareil eut tôt fait de se taire.
Deux minutes plus tard, le téléphone vira à nouveau fou. Il semblait que l'appelant fût plutôt du genre borné. Au bout de la troisième tentative d'appel, Aline surgit comme un ressort hors de la couette et attrapa brusquement le téléphone.
- Allô...soupira-t-elle en retombant aux côtés de Léonard.
- Alooors ? s'impatientèrent Xavier et Pierrick d'une même voix excitée. C'était comment ?!!
Aline leur raccrocha au nez et poussa un cri de rage qu'elle étouffa dans son oreiller. Léonard ouvrit un œil ; tout ce boucan l'avait réveillé.
- Qui c'était ? grogna-t-il, endormi.
- Devine. Un intello et un idiot. Quoique...tout bien réfléchi, l'intello ne vaut pas mieux que l'idiot. Je les déteste !
Et pour illustrer ses dires, elle jeta rageusement son oreiller sur le sol de sa chambre. Cette fois, Léonard se redressa, parfaitement bien réveillé, et avec le même air fasciné qu'il prenait à chaque fois qu'il voyait Aline énervée.
- Dis donc, ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage !
- Mais si, je les aime tous les deux Léo...mais qu'est-ce qu'ils sont chiants quand ils s'y mettent ! Et il n'y en a pas un pour rattraper l'autre ! Enfin...jamais deux sans trois, n'est-ce pas ? Toi aussi, t'es bien placé pour m'emmerder...et pourtant...
- Pourtant...répéta le comédien, avec une lueur malicieuse dans les yeux.
- Ça m'énerve de te le dire mais...toi aussi, tu comptes beaucoup pour moi.
Un ange passa. Tout ce que désirait Aline maintenant, c'était disparaître. Ce n'était certes pas dans ses habitudes de déclarer ouvertement ses sentiments, et elle se serait bien passée de se confier de la sorte à Léo.
- Aline, tu es magnifique avec tout ce rouge sur les joues, se moqua le jeune homme. C'est si rare de te voir rougir de honte.
- Ne te fous pas de ma gueule !
- Je t'aime surtout quand tu es rouge de colère.
- C'est ça... Et toi, tu vas finir rouge sang ! Et puis merde, pourquoi je te ferais plaisir, hein ? Après tout, t'es maso, donc si je reste calme...tu ne le supporterais pas.
- Tu pourrais vraiment garder ton calme tout le temps ?
Leur amour vivrait de ces petits défis. Ceux qui surviendraient à la fin des disputes, et qui leur donneraient envie de continuer juste par envie de les relever pour se retrouver.
- T'as l'air d'avoir passé une sacrée nuit, toi...ironisa Aline en lorgnant la crinière de Léo plus que jamais en bataille.
- J'ai aussi le droit de passer une sacrée matinée ? demanda le comédien, en déposant un baiser sur son épaule.
Un peu plus tard, la porte s'ouvrit sur Albert, le père d'Aline, qui entra dans la chambre comme si de rien n'était. Le couple ne l'avait même pas entendu jusqu'à ce qu'il ne décidât d'ouvrir la bouche.
- Dis Aline, tu n'aurais pas vu le magazine télé ?
- Papa ! rugit la jeune femme, en faisant un bond de trois mètres.
L'esprit engourdi par leur activité, Léonard ne comprit pas pourquoi il s'était retrouvé brusquement compressé contre la poitrine d'Aline. Mais étrangement, le père de la comédienne nota à peine sa présence.
- Salut Xavier, comment ça va ?
- Papa...ce n'est pas Xavier. Et sors de là, s'il te plaît !
- Oh...excuse-moi Pierrick.
- Papa !
- Oui, oui, désolé, désolé...bredouilla le père d'Aline, en ressortant timidement de la chambre.
Une fois parti, Léonard se défit de l'étreinte de la comédienne, encore hébété par la scène qui venait de se produire sous ses yeux. La jeune femme en profita pour se lever nonchalamment et enfiler sa robe de chambre en soie mauve.
- Woah... Ton père, Aline...
- Ne lui en veux pas, soupira la comédienne. Il a toujours été comme ça.
- Pourquoi je lui en voudrais ? Il est super cool ton père !
- Il n'est pas cool Léo... Il est juste dans son monde. L'appartement brûlerait, il ne s'en rendrait même pas compte ! C'est parfois déprimant de vivre avec lui... Triste même... Dès fois, je crois qu'il ne voit pas et... Oublie.
À son plus grand soulagement, Léonard parut comprendre et n'émit aucun commentaire. Car si Aline adorait son père et s'occupait en permanence de lui, elle paraissant parfois souffrir de la bulle qu'il s'était lui-même construite.
- Allez, habille-toi Léo, que je te présente officiellement... Sinon, mon père pourrait très bien croire pendant longtemps que tu t'appelles Xavier !
Ludivine n'avait jamais autant aimé Paris depuis qu'elle aimait Xavier. Xavier et Paris se confondaient. Il savait la surprendre n'importe où dans la capitale, comme les fois où ils marchaient ensemble dans la rue et où elle sentait le bras du jeune homme l'arrêter et la pousser vers un petit coin à l'abri des regards.
Ou bien quand il l'obligeait à courir sur les passages piétons alors que le petit bonhomme lumineux était encore rouge et que les voitures n'étaient pas arrêtées. Il riait ; elle était plutôt effrayée. Et quand ils se trouvaient de l'autre côté de l'avenue, il la prenait dans ses bras pour la faire tourner, fier d'avoir réussi à traverser la route sans se faire écraser. Xavier se fichait bien d'être remarqué dans Paris. En plus, il avait pris l'habitude de se faire repérer sans forcément le vouloir depuis son adolescence, ce qui faisait qu'il ne calculait même plus les piétons qui le regardaient bizarrement.
Il y avait aussi les fois où il s'arrêtait brusquement en pleine rue, sous la neige ou sous la pluie, et voyant qu'elle était congelée, la serrait contre lui pour la réchauffer.
- Que c'est chaud, un amoureux, disait alors Ludivine, en nichant son nez glacé dans le cou du jeune homme.
- Que c'est froid, une amoureuse, taquinait Xavier, tout sourire.
Et ils reprenaient leur chemin vers une destination différente de celle de départ, car ils avaient oublié où est-ce qu'ils devaient se rendre à la base. Et Mathilde piquait une crise quand elle se rendait compte, une fois de plus, que Xavier et Ludivine lui avaient posé un lapin.
Ludivine Maël : le coup de cœur du 7ème Art monte les marches de Cannes
Hier, personne ne la connaissait. Aujourd'hui, au Festival de Cannes, tout le monde n'a vu qu'elle. La divine Maël révélée par Yvan Forestier s'est retrouvée sur le tapis rouge hier, aux côtés de son compagnon Xavier Lusvardi, pour la présentation du film Prête-moi ton pull, concourant pour la catégorie Un Certain Regard. L'actrice, qui a avoué être très émue par sa première montée des marches, portait une ravissante robe signée Versace [...].
Tout allait bien. C'était ce que pensait Ludivine, un balai à la main, alors qu'elle faisait le ménage de son appartement. Elle ne balayait pas de bon cœur, mais suite à une grosse dispute qu'elle avait eue avec Xavier deux ans auparavant, elle ne bronchait plus durant le ménage. Elle se souvenait encore de la colère du comédien quand il lui avait dit qu'il refusait de s'occuper du ménage, en plus de la cuisine, la vaisselle, le bricolage, les poubelles et les factures.
Ludivine balayait donc le couloir. D'une oreille distraite, elle écoutait Xavier accueillir un visiteur, qui avait sonné à leur porte quelques secondes plus tôt.
- Bonjour.
- Ah Xavier Lusvardi, je suis ravi de vous rencontrer.
Le balai de Ludivine poussa sèchement la porte entrebâillée de la chambre d'ami. La petite blonde jeta un œil à l'intérieur. Sur le lit, l'ordinateur portable de Xavier était allumé. Sur le bureau, des dizaines de livres de mathématiques et des centaines de feuilles d'exercices cachaient un ou deux scénarios. Désespéré par tout ce bazar, le balai de Ludivine préféra battre en retraite et fit demi-tour.
- Non, désolé. J'ai d'autres projets en ce moment.
Le cerveau de Ludivine sortit aussitôt de sa léthargie ménagère. Xavier était en train de refouler quelqu'un, probablement un professionnel, sans l'inviter à boire quelque chose ! Choquée, la petite blonde se précipita dans le salon et découvrit Christophe Honoré sur le pas de la porte, à qui Xavier était en train de serrer la main. Christophe Honoré, dans son salon ! Ludivine n'en revenait pas. Et cet idiot refusait une collaboration avec lui ?! Impensable !
- Bonjour ! s'écria la comédienne, accourant vers la porte. Mais entrez, Monsieur, entre donc ! Vous voulez boire ou grignoter quelque chose ?
- Non, Ludivine...répondit Xavier, dépité.
- C'est pas à toi que je parle, grogna la petite blonde.
Elle le foudroya du regard, tandis que le réalisateur ne pipait mot. Comment Xavier espérait-il décrocher un contrat s'il était si peu cordial avec les professionnels ?
- Non, répéta Xavier, en la fixant dans les yeux. Je suis désolé, j'ai d'autres projets.
Mais non, avait envie de hurler Ludivine, non, il n'avait aucun projet ! Pas à sa connaissance en tout cas ! Quel imbécile de refuser quelque chose avec Honoré !
Quand Xavier salua poliment son visiteur et quand la porte se referma sur ce dernier, Ludivine était d'humeur pour une prise de bec.
- J'en reviens pas ! J'en reviens pas !
- Ludivine, arrête de te mêler de mes affaires.
- Tu n'as pas de projets en ce moment, je le sais ! Pourquoi tu as refusé de parler avec lui ? C'était Christophe Honoré, en plus !
- Fous-moi la paix, lança le comédien, en se dirigeant vers la chambre d'ami. Ça ne regarde que moi.
- Non ! Ça me regarde aussi, je te signale ! Tu dois tout me dire ! C'est la base d'un couple !
Xavier aurait aimé se réfugier dans la pièce pour clore la discussion, mais la redoutable Ludivine ne l'entendait pas de cette oreille. Elle attrapa son balai, l'arme fatale, et se posta devant l'entrée de la chambre.
- Je préviens, si tu refuses de me dire la vérité, tu regretteras de m'avoir confié les tâches ménagères.
Pour appuyer ses dires, elle lui présenta la brosse du balai sous le nez. Vaincu, Xavier soupira et baissa les bras.
- Okay, okay...mais comme je te connais, tu ne vas pas t'en remettre. Il n'y a que ta mère qui est au courant.
- Et en plus, ma mère est au courant et pas moi ! rugit la petite blonde, et Xavier se retrouva avec le menton recouvert de poussières.
Il prit d'abord le temps de se dépoussiérer le menton, non sans lui adresser un regard empli de reproches.
- Je passe mon concours à la fin de l'année, dit-il finalement.
- Ton concours ? Quel concours ? s'étonna Ludivine, en baissant légèrement son arme.
Xavier hésita à répondre, puis lâcha le mot fatal, mot qui tomba comme une enclume sur la jeune actrice.
- Polytechnique.
Quand l'information arriva jusqu'au centre nerveux de Ludivine, elle lui asséna un grand coup de balai sur le crâne.
- Ouch, Ludivine !
- Quoi ?! Répète un peu ! Répète !
- Je passe mes oraux pour Polytechnique en juin. Que ça te plaise ou pas !
Elle ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes et laissa tomber le balai sur le carrelage. Voyant que les robinets de ses yeux menaçaient de s'ouvrir, Xavier ne put s'empêcher de vouloir la consoler.
- Lulu, je t'en prie...chuchota le comédien en la serrant contre lui.
- Je pensais que tu avais laissé tomber...que tu nous avais choisis...
« Nous », c'était bien sûr le théâtre, le cinéma, la Section A, les comédiens, les festivals... Bref, la Grande Famille dont ils faisaient tous partie.
- Ludivine, c'est ma dernière chance. Tu te souviens que c'était ce que je voulais vraiment faire ? L'année prochaine, je serai trop vieux. Après 22 ans, c'est foutu.
- Je ne veux pas ! Et comment on va vivre si tu arrêtes de travailler ?
- Ils rémunèrent les élèves là-bas, ce n'est pas un problème. Tu sais bien que je ne te laisserai pas dans la merde Ludivine. Mais je n'y suis pas encore, je suis même bien loin d'être à l'École, alors laisse-moi passer le concours s'il te plait Lulu... Si je le rate, j'essaierai d'entrer aux Mines. Et si je rate même les Mines, je reste au cinéma.
Le couloir tomba dans le silence. Il ne lui parlerait pas des détails. Il ne lui parlerait pas de ce qui pourrait l'affoler à l'École Polytechnique. Il ne lui parlerait pas du service militaire, de l'internat obligatoire. Il ne lui parlerait certainement pas de l'engagement qu'il devrait prendre...si toutefois il réussissait à être incorporé.
- D'accord, dit alors Ludivine, et un poids s'envola des épaules de Xavier.
C'était immense. Pour Xavier, qui était déjà venu ici, sur le campus de Polytechnique, le repérage n'était ni difficile, ni déstabilisant. Mais pour Ludivine, désireuse d'être présente pour les résultats des oraux, c'était une bien autre histoire. Surtout quand Xavier lui avait donné rendez-vous devant la « statue noire du Grand Hall ».
- Il ne pouvait pas faire mieux comme explication...grogna-t-elle pour elle-même.
Comment diable trouver une statue dans cette immensité ! Des bâtiments ici, des bâtiments là, des bâtiments devant, des bâtiments au fond...et rien, rien, absolument rien qui indiquait où se trouvait le Grand Hall et sa statue ! Tout semblait si imposant que Ludivine imaginait l'existence, non pas d'un Grand Hall, mais d'une dizaine d'endroits susceptibles d'y ressembler.
- C'est pas une école ça... C'est un cap... C'est un cap, que dis-je, c'est une péninsule ! Non, c'est pas une école ça !
Se sentant d'humeur vaillante, elle traversa donc le parc (180 hectares dans les papattes), et revint sur ses pas quand elle se retrouva nez-à-nez avec un immense lac, qui l'empêchait d'aller plus loin. Elle traversa une cour en traînant des pieds, sans se douter que sur ce sol, on ne traînait pas des pieds : on marchait au pas.
Elle arrêta sa randonnée aux côtés d'un bâtiment qui exhibait sur sa façade une grande Marylin Monroe, qui hébergeait une partie des chambres des étudiants. Elle était essoufflée...et n'avait toujours pas mis la main sur ce Grand Hall, et encore moins sur cette fichue statue.
Finalement, elle préféra intercepter deux polytechniciens pour les supplier de la guider sur le campus. Elle se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt : ceux-ci acceptèrent gentiment de l'escorter jusqu'au Grand Hall.
- En fait, c'est juste le grand bâtiment derrière toi, dit le premier étudiant.
- Mais il faut marcher un peu, accorda le second.
- On t'accompagne.
- Tu passes le concours ?
- Non, répondit Ludivine.
- Qu'est-ce que tu fais là alors ?
- J'attends mon copain. Il l'a passé, lui.
- Quelle spécialité il vise ?
- Euh... Faut pas trop m'en demander, hein...
Fort heureusement, Ludivine avait à faire à deux polytechniciens qui n'avaient pas souvent le loisir d'aller au cinéma, et aucun des deux ne la reconnut. Tandis qu'ils l'escortaient, ils lui parlaient de leur école, et la petite blonde disait « d'accord » à chacune de leur phrase. Elle ne comprenait rien du tout, mais par politesse, elle faisait mine d'être intéressée.
- Ici, c'est chez Magnan. On y mange bien pour pas cher.
- D'accord.
- Et en face, c'est le Bôbar. Parfait pour un Kâwa.
- D'accord...
- Derrière toi, il y a notre salle de spectacle, le Bataclan.
- D'accord.
- Et puis bon, on te passe les vingtaines de labos présents sur le campus, et Thalès et IOTA qui ne font pas partie de l'École mais qui sont rattachés au campus.
- Thalès ? IOTA ? ne put s'empêcher de s'étonner la petite blonde.
- Thalès, c'est une entreprise qui a foutu sa recherche dans notre coin, comme Danone. IOTA, c'est l'École Supérieure d'Optique.
- Ah. D'accord.
Le chemin lui parut long. À force de s'entendre parler de la « Kès », des « binets », de « tangente collée à la bande », « passation du drapeau », « incorporation », « X », « Y », « P5 », « électron », « chouffe », « antique », « constante » et d'autres mots dans ce genre-là, Ludivine ne souhaitait plus que deux choses : que Xavier ne rentrât jamais dans cette école de dingues, et qu'il restât une aspirine dans l'armoire à pharmacie chez elle.
Très vite, ils arrivèrent à leur destination : collé à Magnan et l'Hôtel, le Grand Hall était, sans surprise, le plus grand bâtiment du campus. De l'extérieur, il semblait carré, mais Ludivine croyait voir un énorme cylindre qui dépassait du centre.
- On aime la géométrie, par ici, s'exclamèrent les guides de la petite blonde, tout sourire. C'est notre plus grand amphithéâtre, Poincaré. Si un jour tu as l'occasion d'y entrer, ça risque de te surprendre. Nous-mêmes on a encore du mal à s'y habituer...et ça fait pourtant trois ans qu'on est là !
En dignes gentlemen, les deux polytechniciens ouvrirent la grande porte vitrée, et laissèrent entrer Ludivine à l'intérieur du Grand Hall. Elle fit trois pas et s'arrêta net.
- Alors, comment tu trouves ?
- Vide, répondit franchement la comédienne.
C'en était déstabilisant. Malgré les longues baies vitrées qui recouvraient les murs et qui rendaient l'endroit spacieux et lumineux, le Grand Hall, bien plus immense que l'imagination de Ludivine ne l'avait cru, lui donnait froid en ce mois de juin. La modernité de l'espace n'arrangeait pas ce sentiment : une mezzanine recouvrait la moitié de la superficie, dont les pas des élèves résonnaient bruyamment sur le sol brillant, et elle était suspendue par des tiges d'aluminium. Sous la plateforme, se dressait au fond un minibar, un point d'information, et au milieu, seule, isolée, la fameuse statue noire qui, du point de vue de Ludivine, ne ressemblait à rien du tout. En haut, enfin, des énormes panneaux électroniques affichaient les dernières nouvelles et les résultats du concours.
- C'est très...euh...scientifique, reprit la jeune femme, après réflexion.
- Rassure-toi, ce n'est pas toujours comme ça... L'année, c'est toujours très animé ici. On organise la nuit des chercheurs ouverte au public dans ce Grand Hall, des tournois d'escrime, des petits spectacles, les nuits du Styx, la semaine du développement durable, des forums interentreprises, pas mal d'expositions... Bref, tu vois. Ça bouge toujours ici.
Ludivine ne trouva pas le temps de répondre car elle venait de repérer Xavier qui descendait tranquillement de la mezzanine, les mains dans la poche. Après avoir salué en vitesse ses deux guides, elle partit en trombe se jeter dans ses bras.
- Dis-moi que tu ne l'as pas ! supplia-t-elle, tandis qu'il éclatait de rire.
- Charmant soutien ! Ludivine, tu n'as pas lu le tableau ? Les résultats y étaient affichés à midi.
- Le tableau ?
La comédienne jeta un œil sur les panneaux électroniques, éteints, et conclut qu'elle était arrivée (très) en retard pour l'affichage des résultats.
- Non, j'ai pas vu, avoua-t-elle, rouge pivoine.
- Ma pauvre Lulu, je suis désolé pour toi... Tu vas me faire vivre un enfer cet été.
- Oh non... Tu l'as !
- Je l'ai, répéta Xavier, serein.
- Évidemment que tu l'as ! Mon Xavier, c'est le plus intelligent ! Mais quand même...ça m'embête que tu l'ais réussi...
- Ben voyons !
Alors qu'ils prenaient la direction de la sortie, il l'observa du coin de l'œil. Partagée entre la joie et la déception, Ludivine ne savait pas quelle attitude adopter.
- Si j'étais toi, je ne sauterais pas dans tous les sens...
- Et pourquoi ?
- Hum...tu penses que je vais te le dire ? Tu vas me tuer, Lulu, me tuer pour de bon !
- Xavier...prévint la petite blonde d'un ton menaçant. Maintenant que tu as dit que je vais te tuer, dis-moi pourquoi, que je puisse aller jusqu'au bout de mes actes !
DÉPÊCHE AFP - il y a 29 minutes
Le comédien Xavier Lusvardi a annoncé dans une conférence de presse ce matin qu'il arrêtait le cinéma. En effet, le jeune espoir masculin de l'année prétend reprendre ses études à l'École Polytechnique de Palaiseau.
Xavier avait bien fait attention à ce que Ludivine fût bien assise quand la situation l'avait obligé à lui révéler certains détails oubliés. D'abord, l'internat. La petite blonde avait éclaté en sanglots quand elle avait appris que l'internat était obligatoire, et qu'elle ne verrait Xavier plus que le vendredi soir, samedi et dimanche. Et puis, ce foutu service militaire qui enverrait le jeune polytechnicien deux mois à Barcelonnette, sans l'espoir d'un retour sur Paris durant cette période.
- Tu ne pouvais pas réfléchir deux fois avant de passer ce putain de concours ?! avait braillé Ludivine, rouge de fureur et le visage ruisselant.
L'été 2010 n'avait, en conséquence, pas été l'un des plus joyeux qu'avaient connu Xavier et Ludivine. Le désespoir de la petite blonde avait terrassé le moral du jeune homme, et même Pierrick n'arrivait pas à leur changer les idées. Et enfin, le premier septembre marqua la rentrée de Xavier, et l'adieu définitif au théâtre et au cinéma.
La première semaine de Xavier à l'École Polytechnique était communément appelée Incorporation. Quand Ludivine, pensant qu'il s'agissait d'une matière enseignée, lui avait demandé de quoi il était question, il n'avait pu que répondre la stricte vérité.
- Signature de contrat. Papiers à remplir. Essayage des grands uniformes. Et peut-être la marche au pas aussi. Qui sait ? Cette année Ludivine, je ne ferai pas de sciences.
- Pas de sciences ? Hey ! Ils t'ont arnaqué là !
- C'est l'armée. Tu t'étonnes encore ?
Le Grand Hall, situé à proximité de la Direction, était plein à craquer. Toute la promotion X2010 s'y trouvait, soit une file d'attente d'environ 450 élèves. Les polytechniciens attendaient de se faire appeler par ordre alphabétique et Xavier bénissait son père de lui avoir transmis un nom de famille figurant au milieu de la liste. Car une signature de contrat pour un engagement dans l'armée, c'était plutôt long, surtout pour ceux dont les noms commençaient par Z.
- Lusvardi Xavier !
Certains élèves se retournèrent et le scrutèrent minutieusement, et Xavier accourut vers la femme en tenue de militaire qui l'avait appelé, ses sacs encombrants suspendus aux mains. On le conduisit dans une salle, où plusieurs tables avaient été placées côte à côte. Quelques polytechniciens attendaient leur tour, profitant de ce moment pour discuter à voix basse entre eux. Personne n'adressa la parole à Xavier.
Quand son tour arriva, il posa ses sacs à côté d'une table, et s'installa face à un militaire qui épluchait d'ores et déjà son dossier.
- Lusvardi Xavier Guillaume... Né le 3 janvier 1988 à Paris ?
- Oui.
- Prépa S spécialité Maths-Physique, c'est bien ça ?
- Oui.
- Nationalité française. Vous avez bien réalisé votre journée d'appel à la préparation de la défense, constata le militaire avant de s'arrêter sur la rubrique « professions ultérieures » que le jeune homme avait remplie quelques mois auparavant. Professions ultérieures : autres ? Votre métier n'était pas dans la liste ?
- Mon métier ne figure jamais dans les listes des professions.
- Qu'est-ce que vous faisiez ?
- Acteur. Ou comédien de cinéma, comme vous préférez.
Si, quelques années auparavant, un prof de théâtre avait été surpris par son parcours scientifique durant une simulation d'entretien, le militaire, en revanche, réagissait de la même façon que lui...mais dans le sens contraire. À voir son expression, on aurait dit que celui-ci croyait à une blague mais il se ravisa devant le sérieux du comédien. De son côté, Xavier entendait les autres polytechniciens chuchoter dans son dos. En effet, parmi eux, deux jeunes filles murmuraient furieusement à son propos.
- Mais si, Sarah ! Je te dis que c'est lui ! s'exclama la première, aux cheveux blonds frisés, qui secouait frénétiquement le bras de son amie.
- Non, Typhaine, ce n'est pas lui, répliqua la seconde polytechnicienne, brune, qui portait des lunettes aux épaisses montures noires.
- Mais puisque je te le dis ! C'est Xavier Lusvardi ! J'en suis certaine ! J'ai vu Charbon Rouge et Matris deux cent fois !
- Tu délires. Depuis quand les acteurs sont polytechniciens ? C'est tout bonnement illogique, fit Sarah d'un ton catégorique. Les comédiens ne sont pas polytechniciens. C'est la nature qui veut ça. Les comédiens ne sont pas polytechniciens, pas plus que toi et moi sommes nulles en mathématiques.
Et Xavier qui pensait passer inaperçu... Il espérait vraiment que Polytechnique ne comptât pas parmi ses effectifs des cinéphiles passionnés...ou des fans, comme la dénommée Typhaine qui ne croyait pas une seconde les propos de son amie Sarah. Le militaire qui l'enregistrait en tant qu'élève-officier le ramena sur terre.
- Vous avez pris connaissance du contrat ? Oui ? Alors, faites-moi un bel autographe ici, un autre ici, et un dernier ici.
Xavier ne releva pas l'air moqueur de son supérieur hiérarchique et signa aux endroits indiqués sans rechigner. Une fois la tâche accomplie, le militaire lui donna la clé et le numéro de téléphone de sa casert (casert remplaçant le terme chambre individuelle), ainsi qu'une feuille d'information sur la formation militaire devant débuter à Barcelonnette la semaine suivante.
Papiers et sacs en main, Xavier quitta la salle, de même que la Grand Hall. Il ne souhaitait pas se mêler à ses nouveaux camarades. À l'extérieur, un vent léger vint à sa rencontre. Il posa ses sacs sur le sol et s'appuya contre le bâtiment et voulut réfléchir à sa nouvelle vie.
- Hey toi ! appela une voix.
L'ex-comédien releva la tête et son regard rencontra celui d'un polytechnicien, probablement plus jeune que lui, qui s'approchait à grands pas. Ses cheveux blonds étaient coupés courts et il portait une paire de lunettes carrées sur un visage sortant à peine d'une acné coriace. Assurément, ce garçon quittait à peine l'adolescence et affichait encore un appareil dentaire, comme Xavier put le constater quand il lui adressa à nouveau la parole.
- T'as pas d'amis ?
- Je ne connais encore personne, avoua le jeune homme, mal à l'aise.
- Tant mieux ! Je suis moi-même sans amis, et je recueille tous les sans-amis du campus pour m'en faire...un groupe d'amis. J'en ai déjà dégoté trois. Tu veux te joindre à nous ?
Xavier trouva le personnage et le principe tellement superbes qu'il accepta aussitôt. Une fois de plus, il avait choisi l'originalité et ne s'en plaignait pas.
- Moi, c'est Bastien, s'exclama son jeune camarade, qui lui rappelait un peu Ludivine à cause de son âge. Et toi ?
- Xavier, répondit prudemment l'ex-comédien en lui serrant la main.
- Ravi de faire ta connaissance ! C'est dur de se faire des amis ici... Il y a trop de monde sur ce campus. Enfin, on ne va pas se plaindre hein ?! Je suis bien content d'être là ! C'était la deuxième fois que je passais mon concours ! Je l'avais raté d'un point la première fois !
- D'un point ?! Tu devais avoir le moral à zéro mon pauvre ! Quoique, pour ma part, j'ai passé aussi le concours deux fois, sauf que je l'ai décroché aux deux coups. Mais j'ai franchement plus galéré cette fois-ci que...
- Bastien ! Gros con que tu es ! Recule, pauvre insouciant ! hurla une nouvelle voix.
Les deux camarades se retournèrent précipitamment pour voir arriver en courant un second polytechnicien, visiblement furieux.
- Ah Bayan ! s'exclama naïvement Bastien. Viens voir, je viens de recruter un nouveau pote !
- J'ai vu, j'ai vu, grogna le dénommé Bayan. Mais tu sais qui c'est au moins, abruti ? Est-ce que tu t'en es au moins rendu compte ?!
- Hein ? De quoi ? De qui ?
- C'est Xavier Lusvardi, pauvre idiot !
Mi-gêné, mi-amusé, Xavier observa Bastien nager en pleine incompréhension et Bayan s'énerver devant son air penaud. À première vue, Bayan s'exprimait très bien en français, mais l'ex-comédien doutait de ses origines. En réalité, avec sa peau mâte et ses épais sourcils bruns, Bayan était un Libanais qui avait quitté son pays pour étudier à l'École Polytechnique.
- Xavier Lusvardi ? répéta Bastien, sans comprendre.
- Ah, est-il possible que je rêve ? se lamenta le Libanais d'un ton tragique. Putain, le gars, il est Français, et il est incapable de reconnaître les acteurs de son pays ! Je passe pour quoi, moi, hein ? Moi qui me suis fait chier à obtenir une carte de séjour, et qui connais pourtant Xavier Lusvardi !
En tout cas, pour un Libanais, Xavier trouvait qu'il possédait un riche vocabulaire (et une connaissance poussée des gros mots français). Bayan délaissa Bastien et s'approcha de l'objet de sa crise pour le saluer aimablement.
- Xavier Lusvardi, mon frère, je suis enchanté de te rencontrer. Permets-moi de m'excuser de m'être emporté ainsi mais...Bastien a tendance à m'exaspérer...et ça ne fait que deux heures que je le connais ! Toute l'École ne parle que de toi : de notre promotion à nos aînés, les X2007, des élèves en Doctorat à ceux du programme international, des serveurs du BôBar à la Direction, et de la salle des profs à la Kès !
- Et bien...bafouilla Xavier. Je suis touché et...
- Mais t'es comédien ? s'étonna Bastien, qui réalisait à peine.
Bayan s'excusa d'avance auprès de Xavier et administra une calotte à l'arrière du crâne de Bastien. De joyeux rires fusèrent, parmi lesquels se trouvaient ceux de deux autres jeunes hommes que Xavier ne connaissait pas. Il ne les avait pas vu arriver, mais il semblait tout évident qu'ils faisaient partie, eux aussi, du fameux groupe d'amis sans-amis de Bastien.
- Xavier, mon frère, dit alors Bayan, toujours aussi solennel, laisse-moi te présenter nos deux amis, Andrew et Shin. Ils parlent et comprennent le français, mais s'expriment aussi beaucoup en anglais. Andrew est d'ailleurs Anglais, et Shin nous vient du Japon. Andrew, Shin, voici Xavier Lusvardi, notre nouvel ami...s'il le veut bien.
- Bien sûr, que je le veux bien ! s'exclama joyeusement le jeune homme, qui retrouvait peu à peu son assurance.
Deux jours avaient à peine passé que Xavier avait déjà l'impression d'être à Polytechnique depuis toujours. Ce qui n'était pas le cas de Ludivine, qui reprochait aux journées d'être trop longues et de retarder le retour du jeune homme à la maison. Elle se demandait réellement si elle pourrait supporter cette absence de cinq jours par semaine pendant quatre ans. Xavier, de son côté, essayait de la réconforter par téléphone et lui promettait de ne pas l'oublier...malgré toutes les distractions que proposait le campus de Polytechnique.
Mercredi soir, après un bon repas chez Magnan, le restaurant scolaire, Xavier et ses nouveaux amis avaient décidé de boire un kâwa au BôBar et d'apprendre à mieux se connaître.
- Où termine l'intelligence ? Où commence la folie ? récita Andrew. Allez, dites-moi quelle matière vous rend fou !
- La mécanique ! répondit aussitôt Bastien, les yeux brillants. Mécanique, électronique, robotique... Bref, tout ce qui tourne autour de ça, quoi !
- La mécanique...répéta Bayan, perplexe. Pourquoi pas ? Moi, ce qui me fait planer, c'est l'économie et les sciences en général. Et même cette cochonnerie de politique.
- Aha...lança Xavier, tout sourire. Nous avons un futur ministre parmi nous !
- Un futur ministre qui s'est engagé pour servir la France au lieu du Liban...ironisa l'intéressé. Faut être con, hein ? Et toi, Xavier, qu'est-ce qui te rend fou ?
- Moi ? Les maths ! La physique ! Pénélope Cruz ! Ma copine ! Le théâtre ! La raclette !
- Je ne savais pas qu'on trouvait Pénélope Cruz à l'École Polytechnique, fit Bastien, pensif devant un tel enthousiasme.
- Ça serait bien beau...mais tu me demandes ce qui me rend fou... Je te réponds.
- Je crois savoir qu'il y a un binet Théâtre ici...affirma Andrew. Tu vas y aller Xavier ?
- Non.
Bastien et Bayan se jetèrent un regard entendu, mais n'ajoutèrent rien de plus, tandis que Shin s'exprimait sur sa passion pour la recherche et la biologie. Puis, les polytechniciens attaquèrent à nouveau Xavier sur une information qu'il avait laissée échapper plus tôt.
- Alors comme ça, Xavier, tu as une copine qui te rend fou ? taquina Bastien.
- Attention, ça risque de ne pas plaire aux deux filles qui sont derrière toi, et qui n'arrêtent pas de te mater depuis tout à l'heure...
L'ex-comédien se retourna et vit, en effet, deux jeunes femmes qui le scrutaient sans gêne. L'une était une belle brune à la peau noire qui lui révéla deux rangées de dents blanches dans un franc sourire. L'autre paraissait plus réservée et plus âgée, mais l'observait, les yeux brillants de malice derrière la monture cuivre de ses lunettes.
- Vous les connaissez ? demanda-t-il, mal à l'aise.
- La brune, c'est Naomi. La seconde, celle avec les cheveux longs, c'est Christelle. Elles font partie de notre promo...tu risques de devoir supporter leurs petits regards pendant quatre ans, mon frère ! lui apprit Bayan.
- Comment s'appelle ta copine ? voulut savoir Andrew.
- Ludivine.
- Tu l'as rencontrée où ?
- Dans mon ancienne école de théâtre. Elle est comédienne.
- Ah bon ? s'étonnèrent ses amis.
- Oui. On a tourné ensemble dans Charbon Rouge, d'Yvan Forestier.
C'est alors que Shin parut sortir de sa léthargie. Étrangement secoué, il regardait Xavier avec ses yeux bridés grands ouverts. Très vite, la stupeur avait fait place à l'admiration.
- Ludivine Maël is your girlfriend?!
- Yes, répondit Xavier, surpris. Where is the problem? Do you know her?
- Of course! Ludivine Maël is very famous in Japan... She came once in my country for the Premiere of "Prête-moi ton pull". In Japan, we love this French actress. And we love her mother too, Éva Maël.
- Oh ben ça alors...ne put s'empêcher de lâcher le petit-ami de Ludivine, plus étonné que jamais.
La sonnerie de son portable se fit entendre, faisant sursauter les cinq polytechniciens. Xavier se hâta de sortir l'appareil de sa poche, et jeta un coup d'œil à l'écran.
- Quand on parle du loup ! s'exclama-t-il, tout sourire en voyant l'identité de l'appelant, avant de décrocher. Oui ma Lulu ?
Il perdit aussitôt son sourire. Ludivine pleurait et le réclamait, avec une pluie torrentielle en fond musical. Il se rappela alors du jour de la rentrée, avant qu'il ne partît pour la première fois à Polytechnique. La petite blonde s'était accrochée à lui, les joues ruisselantes, n'arrivant pas à se faire à l'idée de ne voir Xavier que pour le week-end. Il en avait eu le cœur brisé.
- Quoi ?! T'es où ?
- À la porte ! brailla l'actrice populaire au pays du soleil levant. Il ne veut pas me laisser rentrer ! Le Monsieur, il dit qu'il est trop tard pour entrer dans l'École !
- À l'École ?! Mais qu'est-ce que tu fous là ?! Rentre à la maison !
- Tu me manques ! continua Ludivine, en pleurs. Ça fait deux nuits que je ne dors pas ! Viens me chercher ! J'ai froid et il pleut beaucoup dehors. Viens me chercher s'il te plait !
Sous les airs surpris de ses nouveaux amis, il raccrocha et se leva en panique pour enfiler son écharpe et sa veste.
- Tu nous plantes là ? s'étonna Bastien.
- Je reviens. Lulu poireaute depuis une demi-heure sous la pluie. Je ne te cache pas qu'elle risque de tomber sacrément malade si elle me fait ce coup-là pendant quatre ans !
Xavier détala comme un lapin, et Bastien, Bayan, Andrew et Shin collèrent leur nez à la vitre pour le regarder courir dans la nuit noire, vers le P5 (ou le bureau d'accueil), l'entrée officielle de l'École où Ludivine était en train de se bagarrer avec un militaire.
Quinze minutes après, le polytechnicien fit une entrée remarquable au BôBar, trempé jusqu'aux os, avec une petite chose jaune tremblante calée dans les bras. Naomi et Christelle ouvrirent des yeux ronds comme des soucoupes lorsqu'ils passèrent devant leur table.
- Cyril ! appela Xavier, exténué. Un chocolat très chaud s'il te plait, et une soupe bouillante pour Mademoiselle !
- Ça arrive ! répondit le serveur, tandis qu'une tête blonde émergeait de l'imperméable jaune.
Les amis de Xavier restèrent perplexes. Bastien se massait doucement le menton tout en détaillant Ludivine. Pour Shin, c'était stupéfiant. Il avait pensé que Ludivine Maël serait bien plus glamour que le visage bleu qui regardait timidement la table où les quatre polytechniciens s'étaient installés.
- T'es folle...gronda doucement Xavier, en la frictionnant avec une serviette qu'un serveur venait de lui tendre.
Elle leva sur lui des yeux suppliants. Sous ses paupières logeaient des cernes dus à deux nuits blanches. Sa bouche s'ouvrit légèrement et bientôt, un concert de dents claquantes résonna dans le bar. Dépité, Xavier reprit sa place aux côtés de Shin et attira Ludivine sur ses genoux. Il l'enlaça et la berça de façon à la réchauffer jusqu'à l'arrivée des chocolats chauds et de la soupe. Malgré cela, elle grelottait encore quand Cyril apporta la commande.
- Bois, ordonna Xavier, après avoir déposé un petit baiser sur sa joue.
Elle se pencha sur son bouillon et son regard s'y perdit en même temps qu'elle posait ses mains sur le bol fumant. Ses doigts glacés lui picotaient à cause du contact avec la céramique chaude. Lentement, elle porta le bol à ses lèvres et but une longue gorgée. Pensifs, les polytechniciens la regardaient faire, et lorsqu'elle reposa son bouillon sur la table, elle croisa le regard de Bastien, assis en face d'elle. Elle sembla alors réaliser leur présence.
- Bonsoir, fit-elle, gênée.
De la buée s'échappa de sa bouche, et les amis de Xavier éclatèrent de rire.
- Salut ! s'exclamèrent les élèves, tout sourire.
- Je m'appelle Ludivine.
- On sait, on sait, Xavier nous a parlé de toi.
Ne sachant que dire de plus, elle replongea son museau dans son bol de soupe. Après une nouvelle gorgée, elle souffla de bien-être et s'étonna à nouveau devant la buée qui se forma dans l'air.
- C'est la condensation, expliqua Andrew, devant son air penaud.
- Pardon ? osa la petite blonde, polie.
- La condensation, c'est un changement d'état, continua Bayan. C'est quand un état dilué passe à un état condensé. Ta soupe est bouillante, sa température est plus élevée que l'air. Tu souffles, et l'humidité de l'air se transforme en petites gouttelettes blanches : c'est la buée, et c'est dû à la condensation... Tu ne savais pas ?
Aussitôt, Xavier lui jeta un regard de reproches, qui plongea le polytechnicien dans la culpabilité. Mais Ludivine ne parut pas être blessée par les propos du Libanais.
- Non, je ne savais pas. Je suis nulle en maths.
- Ah mais c'est pas des maths, ça, ne put s'empêcher de remarquer Bastien. C'est de la physique.
- C'est pareil, lança Ludivine.
- Euh...pas vraiment, fit Andrew. Il y a quand même une remarquable différence entre les maths et la physique.
- Pour moi, c'est pareil.
- Ce que veut dire Ludivine, intervint Xavier, de peur que ses amis ne jugent mal la petite blonde, c'est que pour elle, les maths et la physique entrent dans une même catégorie, la science.
Ses camarades hochèrent la tête en silence, peu convaincus. La discussion changea ensuite de cap, jusqu'à ce que Xavier décidât d'amener Ludivine se coucher. Le couple quitta donc leurs nouveaux amis et se dirigea dans la nuit noire vers le logement où dormait le jeune homme. Dans la bâtisse en briques, que Marylin Monroe décorait avec ferveur, au deuxième étage, la petite blonde découvrit une minuscule casert. Il n'y avait à l'intérieur de la place que pour un lit, un bureau, une chaise et une armoire encastrée dans le mur.
- Euh...fit-elle, mal à l'aise, en posant ses yeux sur le lit simple, collé au mur.
- C'est petit. On va devoir se serrer.
Un seul élément brisait le style très impersonnel de l'étroite pièce : le César du jeune espoir masculin, posé sur le bureau, à côté de l'ordinateur portable. Xavier n'avait pas pu se séparer de lui.
- Ça va être difficile de dormir ici tous les soirs...lâcha la comédienne en s'asseyant sur le petit lit.
- Tu ne comptes quand même pas dormir ici en permanence ?! s'exclama Xavier, stupéfait. C'est pas une maison de couple ! C'est un logement étudiant !
- T'avais qu'à m'épouser : on aurait eu droit à l'appartement pour les mariés sur le campus, grommela Ludivine. Et j'aurais eu le droit de rester avec toi !
- On ne va quand même pas se marier juste pour dormir ensemble !
Les grognements de Ludivine s'amplifièrent, et Xavier laissa échapper un soupire ennuyé. Il décida de ne rien ajouter, et l'aida à défaire le lit, et à la déshabiller. Elle se glissa dans le petit, et il chercha un moyen de l'imiter. Une minute plus tard, il ne trouva qu'une solution : dormir sur Ludivine. La petite blonde râla d'abord lorsqu'il l'écrasa de tout son poids, puis finit par consentir à le laisser dormir comme ça.
- Je ne veux pas que tu partes lundi...dit-elle au bout d'un moment en glissant son bras autour de son cou pour le serrer contre elle.
- Je n'ai pas le choix, Lulu...
- Deux mois, c'est très long. Ça va être dur.
Et, en effet, cela avait été très dur. Ce n'était pas la première fois qu'ils se séparaient géographiquement : par exemple, Ludivine était déjà allée au Japon et Xavier en Allemagne pour Matris. Mais ces séparations-là n'avaient pas été aussi longues que les deux mois à Barcelonnette où se trouvait Xavier. La petite blonde ne vivait presque plus chez elle. Elle allait manger chez Pierrick ou Aline, et dormir chez son parrain un soir sur trois. Bien sûr, ils s'appelaient tous les jours, ou plutôt, l'ex-comédien l'appelait quand il en avait le temps.
- Qu'est-ce que tu fais là-bas ? avait demandé un jour Ludivine.
- J'épluche des patates, avait répondu Xavier, tout sourire. Non, je déconne... Enfin, si, un peu les patates, c'est vrai. Mais j'apprends aussi des trucs qui me seront utiles si un jour je me décide à péter la gueule du voisin du dessous.
Le voisin « du dessous » et Xavier ne s'entendaient pas, et se reprochaient mutuellement d'être bruyants et gênants pour la vie commune dans un immeuble. Alors que la guerre était déclarée depuis trois ans entre eux, l'élève-officier se sentait désormais prêt à l'attaque.
- On fait de l'escalade, on s'amuse à faire des parcours de combattant, on joue à cache-cache dans la forêt, à saute-mouton, et au loup glacé. Ne t'inquiète pas ma chérie, c'est comme la colonie de vacances.
Quand Ludivine lui avait demandé s'il apprenait à se battre, il avait déclaré qu'il devait raccrocher et qu'il rappellerait dans le dos de son supérieur hiérarchique. Et quand elle rapportait sa conversation téléphonique à Romain, ce dernier éclatait de rire.
- Ah ah, il est excellent ton copain, Lulu ! Hélas, si c'était vrai, que l'armée soit une colonie de vacances ! Tout le monde s'y bousculerait !
Enfin, les deux mois arrivèrent à terme, et Ludivine fut la première à se rendre à la gare à attendre le train qui devait ramener Xavier. C'était au beau milieu de l'automne, mais elle avait ignoré le froid parisien, bien décidée à rester sur le quai plutôt que d'attendre gentiment à l'intérieur de la gare.
Puis, un long TGV apparut dans son champ de vision, ralentissant sur la fin de la ligne. Dans un soupir, le train s'immobilisa et les portes s'ouvrirent à la volée, laissant sortir une foule en délire de polytechniciens en uniforme militaire. Ils étaient tous plus excités les uns que les autres. Certains sautèrent au cou de leurs proches venus les attendre sur le quai, alors que d'autres se dirigeaient à grands pas vers l'intérieur, tirant leurs valises à roulettes et bavardant à voix forte.
Ludivine cherchait des yeux son rescapé du service militaire et désespérait de ne pas l'apercevoir, lorsque ce dernier l'attira en arrière pour la retourner et l'embrasser sauvagement.
- Mon Xa...essaya de dire la petite blonde, mais il était déterminé à ne pas la laisser parler.
- Beurk mais allez faire ça ailleurs ! s'écrièrent Naomi, Christelle, Sarah et Typhaine en passant devant le couple enlacé.
Dix minutes plus tard, ils n'avaient pas bougé, et s'embrassaient toujours avec la même fougue.
- Bordel mais prenez-vous un chambre ! pesta Bastien qui, accompagné de Bayan, se dirigeait nonchalamment vers la sortie.
Ils n'eurent encore aucune réaction, à l'exception lorsque le commandant passa devant eux, agacé.
- Lusvardi, vous croyez vraiment que c'est l'endroit idéal pour ça ?!
Xavier sursauta et se sépara aussi vite qu'il le put de Ludivine. Il se redressa et ôta aussitôt son béret, laissant découvrir ses cheveux coupés par l'armée. Honteux, il allait s'excuser mais son supérieur hiérarchique s'était déjà éloigné, visiblement désintéressé. Il reprit donc son assurance, et se retourna vers la petite blonde pour l'attraper par le cou.
- Ma...Lulu... Tu...m'as...manqué ! s'écria le jeune homme en séparant chaque mot d'un chaste baiser.
- Toi aussi ! brailla la comédienne, émue, les larmes aux yeux.
- Oh...c'était terrible : une fille pour cinq mecs ! Deux mois à Barcelonnette mélangées à la gent masculine, et elles sont déjà toutes maquées ! Je te laisse deviner le nombre de célibataires...ou de ceux qui, comme moi, n'avaient pas leur copine avec eux ! J'ai beaucoup souffert, Lulu...fit-il d'une voix meurtrie, comme s'il espérait qu'elle le câline pour le réconforter.
Incertaine, Ludivine le dévisagea un instant. Xavier portait l'uniforme militaire qui plaisait tant à Aline et aux femmes en général, et affichait véritablement la mine de l'homme qui avait souffert durant le service militaire...la plus grande souffrance étant celle de ne pas dormir dans le même lit qu'une femme, de toute évidence.
- Devine avec qui j'ai tourné une scène d'amour hier et avec qui je recommence demain ! s'exclama la comédienne, mutine et désireuse de tester les limites de Xavier.
Elle sembla avoir touché une corde sensible puisque l'élève-officier se renfrogna et son humeur dégringola.
- Vas-y... Dis-moi, que je l'arrange un peu.
- Gaspard Ulliel !
- Mouais... Pas la peine de prendre le ton de la folle amoureuse, je ne suis pas jaloux.
- Le vrai, le beau, le talentueux Gaspard Ulliel !
- Celui qui a une touffe pas croyable de cheveux ? Celui qui a une tête de con ? Il est bien ? Mieux que moi ? Je ne te crois pas !
- Il est tout à fait dans mon genre, rajouta Ludivine, en suivant Xavier qui avait décidé de prendre le chemin de la sortie. Il embrasse vraiment très bien. Très, très, très bien même.
- Pauvre type...marmonna le polytechnicien, blessé dans sa dignité.
Il continuait de longer le rail mais il s'étonnait de ne pas entendre Ludivine lui répondre. Il se retourna et la vit quelques mètres derrière lui, immobile et plongée dans ses rêves.
- Hey ! protesta Xavier, frustré. Ça va, c'est pas Brad Pitt, ton Gaspard Ulliel !
- Il a une cicatrice sur la joue...fit la petite blonde d'une voix fluette en le rejoignant. C'est très...
Le mot refusa de sortir de sa bouche, mais le jeune homme le devina aisément.
- Et est-ce qu'il est aussi merveilleux quand il simule l'amour ? railla Xavier.
Un coup d'œil sur la petite blonde l'exaspéra au plus haut point : elle était rouge pivoine et son regard s'était refait rêveur.
- Vous recommencez demain, c'est bien ça ?
- Oui...
- Et ben tiens, ça tombe à pic ! Tu pourras comparer ! Mais tu sais que je vaux bien mieux, Lulu... Même à notre première simulation, tu t'étais éclatée...
- Ça ne comptait pas pour de la simulation, répliqua Ludivine, embêtée. Je pensais que c'était vrai.
- Et c'est justement ça que j'ai de plus que ton Gaspard Ulliel... Avec moi, on croit toujours que c'est vrai ! Allez maintenant, grouille-toi Lulu, on a plein de choses à rattraper...
- Mais Xavier...on a d'abord rendez-vous avec la Section A !
Le jeune homme se raidit et s'immobilisa devant l'escalator qui descendait vers la station souterraine de métro. Ludivine, compatissante, le serra contre elle.
- Quoi ?!
- On a rendez-vous avec la Section A. Ils se sont tous libérés pour ton retour. Tu ne peux pas nous faire faux bond maintenant, mon Xavier.
- Ah Ludivine ! Vous ne pouvez pas me faire ça ! J'ai envie de toi, bordel !
Durant la première année du cycle polytechnicien, et une fois la formation militaire terminée, Xavier réalisa un stage de formation humaine, et un second stage de terrain dans l'armée de terre. Ludivine n'apprécia que trop peu les Corps de l'État dans lequel son petit-ami s'exécutait mais, au plus grand soulagement de Xavier, elle n'émit jamais un seul commentaire.
Dès le mois de mai, la formation humaine et militaire prit fin, et Ludivine fut la première à se réjouir de la reprise des cours. Xavier s'arma donc de ses lunettes et de sa calculette, et affronta avec ses camarades de promotion le tronc commun scientifique. Au programme : mathématiques, mathématiques appliquées, physique, informatique et économie.
Que de réjouissances en perspective pour les amoureux des chiffres, d'autant plus que les polytechniciens fêtaient aussi comme il se devait la Science durant une semaine d'effervescence et d'adoration. Ludivine vit donc, à sa plus grande horreur, Xavier s'inscrire au Cross des Neurones. À cet instant, elle s'était demandé ce qu'elle avait trouvé d'attirant chez lui avant qu'elle ne sortît avec.
Mais leur couple en avait vu passer d'autres ! Ludivine redoutait juste que les intérêts de Xavier prissent le dessus sur leur relation, car depuis qu'il était entré à l'X, il ne parlait plus que de cela, et même ses deux meilleurs amis s'en lassaient parfois. Xavier avait parfois tendance à oublier que les comédiens détestaient parler sciences, économie, et politique.
Ludivine osait même penser qu'il oubliait parfois que lui aussi avait été comédien.
Il y avait à Palaiseau, dans un coin reculé de la ville, un centre universitaire où siégeaient les plus importants laboratoires du pays. Il y avait sur le campus de l'École Polytechnique une forêt.
L'endroit était frais et calme. Seuls les oiseaux et les petits animaux brisaient le silence pesant du lieu. Le vent et le soleil ne parvenaient pas à traverser les hauts arbres de cette forêt.
Deux personnes s'y promenaient tranquillement, main dans la main. Ils ne parlaient pas et préféraient écouter le silence. En cette fin de printemps, le feuillage de la végétation arborait un vert pur, et leurs pas bruissaient sourdement sur la terre ferme.
Le jeune homme portait un étrange uniforme noir, sur lequel étaient cousus douze boutons dorés, et brodés des fils d'or sur le col et les épaulettes. Il portait à ceinture une fine et longue épée qui se collait aux bandes « roujes » de son pantalon sans plis. La petite blonde à ses côtés qui portait une robe volante multicolore faisait contraste avec lui. Elle lançait des regards furtifs au bicorne orné d'une cocarde tricolore posé sur son crâne.
- Il y a un gars que j'ai rencontré à la fin de mon stage militaire, dit Xavier pour briser le silence de la forêt. Il était en dernière année du cycle Polytechnicien. Il ne sera plus là l'an prochain. Il m'a révélé un secret.
- Ta mère doit s'inquiéter, interrompit Ludivine, anxieuse. Elle se demande sûrement où nous sommes passés.
- Tu parles... Elle est trop occupée à vanter mes mérites à un de mes profs... Elle n'aura rien remarqué.
- Où est-ce qu'on est ?
- J'allais te le dire. On est dans la forêt qui borde le campus. Le gars dont je te parlais m'a révélé un passage secret. Ce passage secret, aucun prof de l'École ne le connait...à moins qu'ils aient été un jour polytechnicien, eux aussi. Je crois même que mon Directeur Général ne... Ah non. Il le connait, c'est évident, il a étudié ici.
Ludivine, ne l'écoutant que d'une oreille, regarda autour d'elle, la mine inquiète. Les forêts désertes n'étaient pas ce qui la rassurait le plus.
- Comme le mec du bureau d'accueil est sur le point d'aller se plaindre à la Direction sur ton sujet...reprit Xavier, amusé, j'ai pensé qu'il valait mieux que je te montre le passage dans la forêt.
- Il va aller se plaindre ? Mais j'ai rien fait ! brailla Ludivine, dont la voix fit fuir un écureuil au-dessus de sa tête blonde.
- Non, bien sûr, tu n'as rien fait...se moqua le jeune homme. Tu viens juste à l'École trois fois par semaine ; et quand il refuse de te donner un énième laissez-passer, tu m'appelles à la rescousse et je suis contraint de faire des pieds et des mains pour qu'il te laisser entrer.
- J'ai le droit de venir ! Tout le monde a le droit, d'abord ! Pourquoi pas moi ?!
- Il y a des limites Ludivine. Les familles qui habitent loin ont le droit de passer quelques jours ici. Que tu viennes un jeudi...à la limite... Mais quand tu pointes ton nez les mardis, mercredis et jeudis...il est normal que le militaire de garde se pose quelques questions !
- Mais y'en a des « comme moi » qui passent leur vie ici, et on leur dit rien !
- On en a déjà parlé Lulu...ces gens-là sont mariés et ont leur propre logement sur le campus.
- Mais nous, c'est comme si on était mariés !
- Je sais... Cependant, aux yeux de l'administration, nous ne le sommes pas.
Ludivine poussa un grognement, mais s'arrêta net lorsqu'un craquement de feuilles suspect parvint à ses oreilles.
- C'était quoi ? Un sanglier ?! s'exclama-t-elle, paniquée, en s'agrippant au bras de Xavier.
- N'importe quoi ! Il n'y a pas de sanglier ici, Ludivine !
- Tu peux me dire tout ce que tu veux, mais je ne prendrais jamais ce chemin pour venir te voir ! Moi, je rentre par l'entrée principale...de gré ou de force !
- Continue comme ça, et un jour, tu vas sortir de force... Il y aura toujours un militaire ravi de traîner Ludivine Maël par la peau du cou jusqu'à la sortie ! Tu vois, les escaliers là-bas ?
La comédienne put apercevoir une légère montée entre une rangée d'arbres, sur laquelle avaient été posées des dalles de pierre pour former un long escalier. Le chemin continuait sur une centaine de mètres, et disparaissait derrière un rocher et du champ de vision des deux amoureux.
Ils prirent les escaliers et suivirent les taches sombres devant eux, formées par les marches de pierre. Dix minutes de marches silencieuses passèrent, et arrivés au bout de l'escalier, le décor changea radicalement. Ce n'était plus qu'une vaste plaine, où tous les bâtiments du campus se dressaient. Au milieu, se trouvait le Grand Hall et son immense cylindre qui n'était autre que le fameux amphithéâtre Poincaré. Derrière, la Cour d'Honneur et la Cour des Cérémonies sur lesquelles Ludivine s'était déjà perdue, et enfin, le lac.
De là où ils étaient, ils percevaient l'agitation qui régnait sur le campus : aujourd'hui avait lieu la cérémonie de remise des bicornes et tangentes à la promotion de Xavier, qui permettait aux X2010 de recevoir leurs accessoires symboliques des mains de leur parrain.
- Ludivine, si un jour tu passes par là... Il te suffit de descendre de la forêt... Juste en bas, tu reconnais... - Marylin Monroe, termina aussitôt la petite blonde.
Marylin Monroe abritait la casert de Xavier, et bien sûr, c'était le bâtiment auquel Ludivine portait le plus d'intérêt. Elle regrettait seulement que les douches et les toilettes soient communes...
- T'inquiète pas pour moi, mon Xavier. Je rentrerai de gré ou de force. Et si on me vire, je reviendrai encore et toujours !
- Je n'en doute pas...observa l'ex-comédien, taquin.
Elle lui sourit en retour puis commença à descendre la petite colline sans l'attendre. Xavier s'étonna de cette bataille en retraite et eut tôt fait de la rattraper pour la retenir d'aller plus loin. Il l'emprisonna dans ses bras et elle se pelotonna du mieux qu'elle put contre lui. Durant un petit moment, elle s'amusa en silence avec les boutons dorés de son uniforme.
- Je te sens nerveuse en ce moment...remarqua alors Xavier, en la berçant doucement. Qu'est-ce qui se passe ?
Ludivine haussa les épaules et pointa l'École Polytechnique derrière elle pour éclairer la lanterne de son petit-ami.
- C'est cette chose... Elle me fait peur. C'est tellement différent de ce que tu as été...et puis...
- Je t'aime Ludivine, coupa Xavier. Et ce n'est ni l'X, ni nos différences, ni autre chose qui se mettra entre nous, d'accord ?
- Hmm, répondit la petite blonde, en tripotant un bouton d'un air absent.
Oh, et puis tant pis.
Au diable l'École Polytechnique !
De toute manière, une chose de sûre : comédien un jour, comédien toujours.
Que de surprises, dans ce chapitre ! Bon, Ludivine, fidèle à elle-même, ne change pas d'un yota, célébrité ou non, elle est la même. Xavier, lui, persiste à expérimenter cette grande école -qu'au passage, je découvre avec ton histoire. J'espère que tout ça est juste, sinon, je vais m'en faire des idées. LOL- ce qui rend la vie du couple particulièrement difficile. Une question m'est venue dans ce passage : pourquoi alors ne se marieraient-ils pas ? Qu'est-ce qui fait que ça ne semble pas toucher Xavier comme étant une solution acceptable pour eux deux et leurs projets ?
Ensuite, pour revenir en arrière, j'ai bien aimé aussi l'épisode d'Aline et Léonard. Huhu ! La sauvageonne est difficile à dresser et il faut savoir s'y prendre. La persévérence de Léo et le flair très juste de son ami Xavier ont eu raison de son entêtement. Bravo, les gars ! Fallait la faire craquer, la tigresse !
La petite anecdote rigolote aussi que j'ai bien aimé c'est l'apparation de Gaspard..... lol .... le beau Gaspard chéri qui fait concurrence à Xavier. Trop drôle. Même pas inquiété, le Xav' ! Ils s'aiment trop pour ça.
Ne t'en fais pas, Clo', si je te laisse des reviews c'est que ce n'est pas un effort pour moi, mais un plaisir de commenter mes impressions à la lecture d'une histoire que j'aime bien. Ça me fait très plaisir de me divertir avec ça et n'y voit rien de laborieux ou d'obligé pour moi.
Biz
Vef'
Bon, bon, bon, par quoi je commence, hmm ? Xavier ? Alors Xavier, lorsque j'ai commencé l'écriture de cette histoire, n'était pas censé mettre de toute sa vie un pied à l'école Polytechnique. Mais entre temps, j'ai découvert cette école et sa culture, je m'y suis intéressée de très près, et j'ai appris énormément de choses (donc tout ce que tu as pu lire est vrai). Puis en y repensant, c'était son rêve d'intégrer dans cette école. Est-ce le bon choix ? Le dernier chapitre le dira.
Ta question sur le mariage est intéressante, et Xavier y répond lui-même à la fin du dernier chapitre. Ils n'ont pas vraiment besoin de se marier, et de plus, Xavier n'a pas envie d'un "mariage pratique" juste pour obtenir un logement de couple. Mais la fin de l'histoire est ouverte, avec quelques sous-entendus insérés par Pierricl, et chacun peut imaginer leur futur. (Dans ma tête, perso, c'est un mariage). Bref, tu verras par toi-même ! ;)
Quant à Aline, c'est que du bon qui lui arrive, et elle le mérite bien, la pauvre ! XD C'est ce qui me plait le plus dans la fin, je crois.
Bref, encore un énorme merci à toi Vefree !
Bien des bisous.
On retrouve la fraîcheur de ton de nos Graines de Comédiens, on pénètre les coulisses de leur nouveau quotidien. Je suis ravie par cette amorce sur Pierrick, Aline et Léo : ils sont tous les trois (même si je connais Léo depuis peu) des personnages qui valent le détour et dont j'aurais été trop triste de ne pas avoir de nouvelles.
L'épilogue a cette originalité qu'il ne conclut pas le chemin tout tracé de nos comédiens mais balance un coup de tonnerre : la décision de Xavier. Décision qui apporte un environnement complètement nouveau, hyper bien documenté et jubilatoire : l'Ecole Polytechnique. J'ai appris plein de trucs oO !
Mais surtout, cette "révolution" crée une tension latente, un dilemne entre la vie d'avant et la vie qui suivra cette nouvelle direction. Xavier va-t-il oublier ce qu'il a été et s'éloigner malgré lui de Lulu ? Ou, une réconciliation entre ces deux unviers est-elle possible ?
Moralité : vivement l'acte II !!!
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Hum...je n'avais pas pensé à cette allusion au chemin tracé dans la forêt... Mais maintenant que tu le dis... Pourquoi pas ? ;)
Pour la prochaine fois, je vais essayer de donner le plus de nouvelles possibles de tous les personnages, mais ça promet d'être serré...et puis, cet épilogue...à la fin, 8 ans se seront écoulés depuis la fin de la Section A...ça laisse à méditer de mon côté...
Sinon...comme tu dis, "l'acte II" sera déterminant pour Xavier qui ne sait plus qui il est. Je ne pense pas qu'il arrivera à concilier les deux univers, mais Ludivine est la seule qui le rattache à sa vie d'avant.
Bref, ne te fais pas trop de souci ma Cricri. Je te fais bien des bisous, et encore une fois merci ! MOUWAAAAAK !