Épisode 6 : Le commando
Cryptage-décryptage
Il fallut six jours pour préparer l’expédition de retour vers Stadium. L’attente parut à Oxan une éternité, car chaque jour qui passait constituait un calvaire pour les pauvres esclaves, sans parler des risques d’éboulements dans les mines. Cependant, le délai s’avéra bénéfique. Touchées par la situation, les Galatims fournirent quelques fusils à rayons, deux exemplaires de l’automed dont Darwin rêvait, ainsi que des provisions et du matériel pour que le WOW puisse accueillir à bord cinq cents personnes, dans le cas où l’opération réussirait. Skull et Max Angel échangèrent également avec les autorités de la Communauté Galactique qui promit d’envoyer un bataillon armé dès que possible. Toutefois, compte tenu de la localisation de la base militaire la plus proche, le cisilduc atteindrait l’objectif quelques jours plus tôt. La journaliste mit son réseau à profit pour organiser l’accueil des rescapés sur des planètes sûres.
Enfin, le WOW quitta le système de Procyon.
L’intervention de sauvetage elle-même fut préparée durant les deux semaines de trajet. Le plan était simple : accepter le travail que les Stadiens avaient espéré leur faire exécuter lors du premier voyage, sous le prétexte que le chantier sur Galatim n’avait pas rapporté autant de crédits que prévu. Depuis le camp de bungalows où ils seraient logés, les hors-mondes rejoindraient facilement la mine d’argent à l’entrée de laquelle se trouvait la salle souterraine où les hikers étaient retenus la nuit. Il faudrait désactiver les bornes qui généraient le champ de force, déverrouiller l’accès de la salle, mais a priori, ce n’était rien qui puisse résister aux compétences combinées des hors-mondes. Il ne resterait plus qu’à convoyer les adolescents jusqu’au WOW à l’aide des bus de transport stadiens, et à décoller. En croisant les doigts pour que les renseignements fournis par la Communauté Galactique soient exacts et que Stadium ne possède pas de missiles sol-espace…
Honnêtement, Oxan trouvait cette stratégie un peu légère. Elle ne tenait aucun compte du fusil-laser que Diego avait vu entre les mains de Waï Jay et qui ne devait pas être le seul en possession des habitants, ni du faible nombre d’assaillants face à la population entière de la planète. Max Angel avait beau répéter que la paresse des Stadiens était un atout majeur — malgré leurs autres vices, ils n’avaient rien de combattants, sauf peut-être quelques exceptions comme le contremaître —, il restait beaucoup d’incertitudes que les connaissances de Billie et de la journaliste ne permettaient pas de couvrir. Cependant, Oxan avait confiance dans la force de frappe des hors-mondes ; eux seraient armés, capables d’improviser, et tous avaient à cœur de libérer les jeunes prisonniers. Et puis de toute façon, on ne pouvait pas faire autrement.
Les Stadiens accueillirent l’arrivée du WOW avec leur jovialité coutumière, comme si aucun conflit ne les avait jamais opposés. Apparemment, le chantier de terrassement et de réparation des bâtiments détruits par le séisme n’avait pas avancé d’un pouce depuis leur départ, aussi la proposition de Skull tombait-elle à pic. Oxan, Billie et les Sailors regardèrent avec appréhension l’équipage disparaître par lots de dix dans l’ascenseur de la passerelle. Malgré leurs protestations, Skull s’était montré intraitable : hors de question qu’ils participent à l’évasion. Ils devaient rester cachés dans le cargo jusqu’au retour des hors-mondes ou à l’arrivée des forces de la Communauté Galactique, sous la protection de Diego et de Livingstone. Pour les Stadiens, le vaisseau était parfaitement vide.
***
Quelques heures seulement s’étaient écoulées, mais Oxan sentait déjà peser sur elle l’immensité déserte du cisilduc. Diego était descendu apporter son dîner à Karl, toujours enfermé dans sa prison dont il ne voulait pas sortir. Livingstone et les garçons vérifiaient une dernière fois que les deux entrepôts aménagés en urgence pour les rescapés étaient prêts à les accueillir dans les meilleures conditions possibles. L’adolescente, quant à elle, avait rejoint la salle d’ultracom avec Billie pour guetter la moindre communication en provenance du bataillon de la Communauté Galactique ou des contacts de Max Angel. Pour le moment, les antennes du vaisseau tendues vers l’immensité de l’espace ne captaient rien d’autre que le silence radio le plus total. Ce qui ne faisait qu’augmenter l’angoisse d’Oxan.
– Bon ! dit-elle soudain. Il faut que je m’occupe un peu, sinon je vais devenir dingue avant ce soir !
– D’ac ! approuva vivement Billie qui entamait l’ongle de son pouce droit après avoir rongé à ras ceux de la main gauche.
– Mmmmh, comme il vaut mieux qu’on reste ici, je me disais que je pourrais mettre en pratique ce que j’ai appris sur Galatim. Je pourrais essayer de décoder les fameux messages cryptés, tiens ! Victor a laissé tomber depuis la mort de Blacky, puisqu’on sait maintenant que c’est lui qui les envoyait. Ça me fera donc un très bon exercice pratique.
– Mouais… J’pige qu’dalle à tes machins, j’va faire aut’chose. Ah ! J’reviens !
Billie sortit en courant de la pièce, sous le regard perplexe d’Oxan. Après un haussement d’épaules, celle-ci commença à pianoter sur la console de l’ultracom.
Les connaissances acquises sur Galatim lui donnaient une tout autre vision des messages, mais rien ne certifiait qu’elle parviendrait à les déchiffrer. Après tout, Victor s’y était cassé les dents pendant plusieurs semaines. Pourtant, lorsque Billie revint munie d’une boîte pleine de pièces mécaniques et de composants électroniques qu’elle déversa sur la table, Oxan avait déjà progressé de manière très encourageante.
En écoutant l’un des messages cryptés à plusieurs reprises, elle se rendit compte qu’en plus d’être incompréhensible, il changeait à chaque fois. Elle en déduisit qu’il contenait un programme qui brouillait les données pendant la lecture selon une fréquence différente à chaque fois, probablement choisie au hasard. Il se cryptait lui-même ! Elle avait d’abord cru que le destinataire connaissait à l’avance la fréquence à utiliser, mais c’était impossible dans ces conditions. En revanche, il devait posséder un mot de passe qui ordonnait au programme de s’autodécrypter. Il lui suffisait donc de craquer le mot de passe !
Elle oublia les cliquetis métalliques et les grommellements produits par sa compagne, ses craintes pour l’équipage et les hikers, l’absence de nouvelles des soldats de la CG pour se concentrer uniquement sur le code affiché sur son écran. Elle isola les métadonnées d’un des messages datés d’environ une semaine après le départ de la Terre, y dénicha le programme de cryptage, puis le parcourut à la recherche d’un paramètre correspondant à un mot de passe. En vain. Rien ne ressemblait à ce qu’elle attendait.
Ses épaules étaient si contractées qu’elles commençaient à lui faire mal. À force de chercher encore et encore, cependant, elle finit par repérer une séquence étrange. Le programme testait cinq fois de suite le placement du curseur sur la barre de défilement du message. Si la séquence correspondait à celle attendue, le message se décryptait. Oxan sentit qu’elle touchait au but. Elle lança la lecture, puis positionna fébrilement le curseur sur chacune des valeurs de la séquence : 1’03’’/0’46’’/1’54’’/1’15’’/0’29’’. Le message resta brouillé. Non seulement un pic de frustration lui traversa la nuque devant l’absence de résultat, mais un « MIAOUUUUU » synthétique et grinçant faillit la faire tomber de son siège.
– S’cuse, marmonna Billie. J’vais diminuer l’volume, sinon l’pauv’ Dragon voudra pas d’son copain.
Bouche bée, Oxan contempla le petit robot en forme de chat que la hikeuse avait créé en à peine une heure. On aurait difficilement pu le prendre pour un vrai et la réaction de Dragon en découvrant son compagnon pour la première fois vaudrait sûrement de l’or ; cependant, l’animal métallique reproduisait la marche du félin, son ronronnement et il se léchait même le bout de la patte. Billie était très douée !
Après cinq minutes de pause pour admirer les capacités de l’engin, Oxan retourna à son poste plus sereine. Cette fois, elle exécuta la séquence des temps sans lancer la lecture. Aussitôt le curseur placé sur la dernière position, le message se mit à défiler de lui-même. Une voix grave qu’elle ne reconnut pas s’éleva dans la salle radio :
« Les containers sont bien à bord. On ne sait pas encore où exactement, mais on devrait pas tarder à les localiser. De votre côté, vous avez intérêt à être prêts. Donnez-vous donc un peu de mal, pour une fois ! »
– C’pas l’voix d’Blacky, si ? demanda Billie. J’m’en souviens pas que d’trop, mais j’dis qu’l’est pas comme ça.
Oxan ne répondit pas. Le timbre profond ne correspondait pas à celui du terrien, en effet, mais ça devait pourtant bien être lui. Peut-être que le cryptage-décryptage altérait un peu les sons ?
« Il y aura un bonus. À bord du cargo, il y a cinq enfants séparés de leurs parents. Ils sont plus jeunes que ceux qu’on vous amène d’habitude, mais on va pas cracher sur une opportunité pareille ! J’en ai scanné un, ils n’ont pas d’implant identitaire. Blacky devrait pouvoir vous les livrer sur un plateau ! »
Oxan sentit un long frisson remonter le long de son dos tandis qu’elle croisait le regard effrayé de Billie. La dernière phrase ne laissait plus de place au doute : ce n’était pas Blacky qui parlait.
À toute vitesse, l’adolescente tapa une recherche sur la console de l’ultracom.
– Il y a eu un autre message, souffla-t-elle, envoyé il y a seulement cinq jours. Mais alors…
La porte ouverte à la volée l’interrompit. Un Ulys survolté bondit dans la pièce, les yeux écarquillés.
– On a perdu la communication avec Skull et les hors-mondes ! Tous les proxcoms sont désactivés, même les nôtres !
Bon écoute ce n'est effectivement pas facile à suivre tout le côté informatique mais ça ne m'a pas gêné. Ce n'est pas trop lourd et c'est normal qu'il y ait un peu de ça en SF. (en tout ça se retrouve souvent). Ca fonctionne car on comprend l'essentiel.
Cette communication est vachement intéressante. Elle amène très fortement à croire que Blacky avait un complice a bord du WOW.... Voilà qui est super intéressant, ça amène à se méfier davantage de tous les membres de l'équipage.
Très curieux de la suite du coup !
A bientôt (=
Et en effet, ça relance l'intrigue qui était un peu tombée depuis la mort de Blacky !
Alors je n'ai pas tout compris, mais ce que je retiens est la dernière partie où l'on commence à se poser des questions plutôt inquiétantes! J'en ai eu des frissons ! Un complice de Blacky serait donc encore à bord du WOW? Oh là là, quelle angoisse... Serait-ce la personne qui a désactivé les proxcoms ? Dans tous les cas, j'aime bien ce retournement !
Et en effet, il fallait bien relancer un peu le suspense pour la fin !
Mais c'est compensé par ce qu'elle découvre ! Ça me fait croire que Victor n'a pas vraiment essayé de déchiffrer le message et a seulement fait semblant, il savait peut-être ce qui s'y trouvait...
Elles ne reconnaissent pas la voix du message ?
La fin avec Ulys laisse présager un tournant assez excitant à cette histoire :D
Très bonne hypothèse sur Victor ! ;)
Et non, elles ne reconnaisse pas la voix. Pourtant c'est forcément quelqu'un qui se trouve à bord.
J'ai essayé de rendre ça excitant, en effet : à partir de maintenant, il va y avoir beaucoup d'action (enfin ! XD)
Alors il y aurait peut-être un autre vilain sur le WOW ? En tout cas, il semble y avoir une autre voix dans le message…
Détails
En capacité d’improviser : comme cette expression m’a fait tiquer, j’ai cherché : http://www.academie-francaise.fr/en-charge-de-en-responsabilite-de-en-capacite-de
Les Stadiens accueillirent l’arrivée du WOW : accueillirent le WOW ?
Un autre message, souffla-t-elle, envoyé il y a cinq jours. Mais alors… : ça, c’est peut-être un peu rapide comme indication. Comment trouve-t-elle ce message ?
Oui, c'est bien la conclusion du chapitre : il y a un autre traître à bord, en plus de Blacky.
Ok pour tes remarques de détails, je vais regarder ça quand j'en serai arrivée là de mes corrections (déjà 2 épisodes corrigés !).
Merci pour ta lecture et tes retours !