« Réglo ? » Qu’est ce qu’il entendait au juste par là ? Et puis « zut », pensa l’enfant. Il n’avait rien à se reprocher. Cette aventure lui était tombée dessus sans crier gare, et il faisait du mieux qu’il pouvait. Alors, il avait bien envie d’envoyer sur les noisettes, cet écureuil qui le menaçait du haut de ses trente cinq centimètres. Pour une fois qu’un de ses adversaires n’avait pas l’avantage de la taille, il pouvait bien en profiter !
Pourtant, Merlin n’arrivait pas à se décider. Il sentait Panache se rapprocher dangereusement. Le garçon avait l’impression d’être la cible d’une armée de fléchettes prêtes à s’abattre sur lui au premier faux mouvement. Soudain, les feuilles s’agitèrent dans un doux murmure, qui contrastait avec son agitation intérieure. Il sentit que le grand châtaignier entonnait un chant d’encouragement, en laissant le vent jouer dans ses branches comme avec les cordes d’une immense harpe. Les notes l’enveloppaient et calmaient sa peur. Il se leva pour se diriger enfin vers le tronc. Il hésita, puis plaça ses mains autour du bâton.
« Et ben, c’est pas trop tôt, j’ai failli m’endormir ! », commenta Panache toujours moqueur.
Ce que cette bestiole pouvait être désagréable ! Merlin espérait qu’une fois le bâton extrait du tronc, elle aurait le bon goût de déguerpir. Après tout, c’était logique, l’écureuil n’aurait plus rien à surveiller.
Il rassembla toutes ses forces. Panache était à présent tout près de son visage.
« Pas très convaincant ! », lança le gardien.
Effectivement, le bâton n’avait pas bougé d’un millimètre malgré les efforts acharnés du petit garçon. Le pauvre continuait à tirer sur ses bras autant qu’il le pouvait. On aurait dit un jardinier qui voulait déterrer à tout prix un vieil arbre, qui se dérobait.
« Tu n’es peut-être pas celui que tu prétends être ! », remarqua Panache d’une voix grave et menaçante.
L'écureuil disait peut-être vrai. Il avait suffi à Arthur de poser sa main sur le pommeau de l'épée pour l'extraire de sa gangue de pierre. L'arme avait reconnu son maître banissant toute résistance. Rien de tel pour lui. Cela signifiait-il que c'était un imposteur ? Le contact du métal demeurait froid, les oiseaux continuaient à chanter indifférents au spectacle qui se jouait.
Et, puis on entendit une sorte de « clic », comme si on remontait une boite à musique. Le sol se mit à vibrer et les cercles sur le bâton à tourner. Ils devinrent deux étranges manèges enchantés. Ils projetèrent des éclats colorés dans les airs autour de Merlin. Ses craintes avaient définitivement disparu, il était simplement émerveillé par le spectacle qui s’offrait à lui. Les taches lumineuses ressemblaient à présent à de magnifiques vitraux. Dans le plus grand un oiseau prenait feu, puis revenait à la vie, dans les autres des chouettes et un aigle battaient des ailes. Le phénix disparut, un caméléon le remplaça. On aurait cru un spectacle son et lumière. L’énorme lézard passait du vert émeraude au rose fraise en un battement de cil. Sa queue immense s’enroulait et se déroulait à la même vitesse, et sa crête qui se hérissait lui donnait une allure de dragon.
Et puis, tout s’arrêta brutalement, comme si on avait débranché la prise. C’est alors que le bâton lâcha prise et céda aux assauts de Merlin. Celui-ci se retrouva projeté à terre, mais il le tenait fermement. La posture demeurait peu flatteuse. Lui, qui s'était imaginé un bref instant brandir fièrement sa conquête ! Un éclair retentit et la pluie vint s’abattre sur l’arbre. Elle célébrait en quelque sorte la victoire de l’héritier. L'épaisse frondaison du châtaignier protégea l’enfant, qui resta au sec.Cette soudaine averse avait dû cependant surprendre ceux qui n’étaient pas comme lui à l’abri. Panache baissa enfin son essaim de flèches et prit place sur le tronc, tel un professeur s’installant sur une estrade devant un élève.
« Alors, remis de tes émotions, gamin ? »
Après l’exploit qu’il venait d’accomplir et la démonstration qu’il était « réglo », Merlin s’attendait à davantage d’égards.
« Ta mission n’est pas finie ? » lui répondit le garçon avec un brin d’insolence. C’était la première fois qu’il s’essayait à ce ton là, mais cet écureuil commençait à sérieusement l’exaspérer avec son manque de tac et de bienveillance. Merlin entrevoyait désormais ce que son père éprouvait dès qu’Awena ouvrait la bouche.
« Finie ? Mon ptit gars, elle débute à peine ! »
Mauvaise nouvelle ! Comme auraient dit ses camarades, « l’écureuil avait décidé de taper l’incrust » !
« Tu penses pouvoir te barrer en emportant « Espéride » et ciao, fin de l’histoire ! »
- Espéride ? répéta Merlin surpris. "
Il fit tourner entre ses mains son précieux butin, mais il ne portait aucune inscription. Du moins aucune, visible à l'oeil nu.
"Ben quoi ? Les épées auraient droit à un nom, et pas les bâtons de magicien ? Ils sont pourtant bien plus puissants. »
L’enfant ne trouva rien à redire. C’était vrai qu’Excalibur n’avait cessé de tirer la gloire à soi. Et puis appeler un objet magique par son petit nom, ça le rendait tout de suite plus sympathique, moins impressionnant.
« Je suis ton formateur ! » lança l’écureuil en bombant son ventre blanc, et se haussant sur ses petits pieds. Dans les dessins animés, Merlin trouvait très amusant de voir les gros balourds se faire damer le pied par des plus petits. Là, en revanche, il n’apprécia pas du tout le comique de la situation.
« J’assure le service après récupération. Le mode d’emploi, si tu préfères. »
Et le cours commença.
« Te voilà en possession d’une arme très convoitée. Plantée dans le sol, Espéride te permet de convoquer les puissances occultes du monde terrestre et souterrain. Brandie dans les airs, elle en appelle aux esprits invisibles comme les vents. Si tu entres en osmose parfaite avec elle, tu parviendras même à te délivrer du poids de ton corps.
- Je vais maigrir ! ne put s’empêcher de crier Merlin au comble de l’enthousiasme. »
« C’est pas possible, soupira Panache comme s’il se parlait à lui-même, le vieux avait complètement perdu la boule quand il a choisi ce mioche comme héritier. »
L’enfant devint rouge de honte, mais aussi de colère et de déception.
« Il ne s’agit pas d’un programme minceur, gamin, non avec Espéride, tu peux te transformer en oiseau pour accéder au monde céleste. En résumé, tu tiens entre tes mains la maîtrise de l’air et de la terre.
- Et les autres éléments ?, osa demander Merlin. »
L’écureuil eut un petit rire nerveux.
« Tu as raison de t’en inquiéter, il te reste peu de temps pour trouver Naïa. »
Une phrase, deux énigmes. Qui était cette Naïa ? Et pourquoi le temps pressait-il ?
Pour une fois, son formateur anticipa ses questions.
« Pour affronter les dangers, tu auras besoin de Naïa. Grâce à lui, l’eau t’obéira. »
Encore un bâton se dit Merlin, mais combien de mains lui faudrait-il pour manipuler toute la collection de gadgets magiques de Merlin ?
« Je doute qu’il soit à ta taille. »
Cette dernière remarque laissa Merlin perplexe. Etait-ce un pantalon magique ? Panache leva les yeux au ciel, comme s’il avait lu dans ses pensées.
« Il s’agit d’un masque de sorcier ! La légende raconte qu’une puissante naïade l’a dérobé à son père pour l’offrir en gage d’amour à l’Enchanteur. Il aurait été forgé au fond des Océans. Le maître l’a dissimulé pour que le jour venu son héritier le retrouve et en fasse bon usage pour combattre les forces du mal. »
J'ai beaucoup aimé ce chapitre. De belles descriptions et de l'humour. De nouvelles quêtes en perspectives ?
Merlin est égal à lui-même, et Panache ne déçoit pas, il est parfait.
Désolée, ce n'est pas très constructif.
A bientôt :)
Ne sois pas désolée, tes commentaires me sont très utiles, ils m'encouragent et me permettent de savoir si les éléments que j'introduis sont cohérents et intéressants pour le lecteur. Alors encore une fois un grand merci !
Un chapitre savoureux, plein d’humour et de jolies trouvailles. Panache ne me déçoit pas : impertinent et provocateur. Rien à redire, juste deux toutes petites remarques, histoire de pimenter mon commentaire !
Bravo !!!
- si on avait débranché la prise. C’est alors que le bâton lâcha prise : 2 fois « prise »
- C’était vrai qu’Excalibur n’avait cessé de tirer la gloire à soi : ou à elle, j’ai un doute ?
A très bientôt.
Merci beaucoup pour ton commentaire. Ravie que Panache te plaise. Je pense que je vais peut-être lui faire une place plus importante dans l'histoire du coup. Je prends en compte tes remarques. J'hésite aussi entre "tirer la gloire à soi" ou "à elle". A bientôt.
A bientôt
Merci pour tes retours réguliers et enthousiastes. J'espère pouvoir profiter des vacances pour écrire la suite. A bientôt.
Oui désolée, je n'ai pas collé le texte que je pensais avoir modifié... plutôt qu'une mauvaise version, j'ai préféré tout supprimer. J'espère pouvoir reprendre tout ça et cette fois penser à enregistrer les modifications. A bientôt.
J'ai bien aimé ce chapitre, notamment le fait qu'un magicien puisse aussi être un héros, comme un chevalier et que son bâton puisse aussi avoir un nom. J'ai hâte de voir cet objet en action. La scène lumineuse est intéressante. Les expressions "envoyer sur les noisettes", "le service après récupération" m'ont fait rire. On attend la suite, la découverte du masque et les dangers que pourraient rencontrer Merlin.
A bientôt !
Merci pour tes encouragements et tes retours réguliers, c'est réconfortant. Reste à trouver le temps et l'inspiration pour la suite. A bientôt.