Panache

Pas de doute. Il était enfin parvenu au sommet de l'arbre. Aucune nouvelle marche ne s’offrait à lui. Reprenant lentement son souffle, l'enfant massa ses jambes douloureuses. La lumière éclatante contrastait avec l’obscurité de l’arbre. Il ferma les yeux un instant, le temps de s’acclimater, puis les ouvrit lentement avec un brin de méfiance et deux pincées de curiosité. Il finit par les écarquiller en grand. 

Merlin se trouvait à des dizaines de mètres du sol, perché sur ce qui ressemblait à une grande nacelle immobile . C'était un peu comme si une montgolfière avait élu domicile au dernier étage du grand châtaignier, une montgolfière sans ballon, dissimulée entre les branches puissantes du plus vénérable des arbres. Personne ne pouvait deviner depuis la terre ferme, le secret qu'abritait le patriarche, car le feuillage cahait habilement ce poste d'observation. Le chant des oiseaux y semblait plus intense, les craquements plus perceptibles. Le garçon avait vraiment l'impression d’être  un guetteur. Il se demanda qui avait bien pu fabriquer une pareille construction. Elle était si étrange qu'il ne savait comment l'appeler.  Une cabane sans toît  ? Mieux :une hune poussant sur un mât végétal. C'était cela au fond, il se sentait pareil à un marin placé en vigie.

Le sol fait de terre et de brindilles était vaste, des lianes tressées solidement faisaient office de parapet. Impossible pourtant de scruter l'horizon depuis cette position élevée. Le soleil avait bien du mal à percer à travers l'épaisse frondaison. Merlin regretta même de ne pas avoir emporté sa lampe torche. Il faisait  assez sombre. Il décida néanmoins d’avancer. Après tout, le bâton n’allait pas lui apparaître simplement parce qu’il avait gravi toutes ces marches. Il se doutait bien, que cela allait être plus compliqué. Il buta et faillit s’étaler de tout son long. Heureusement, il retrouva son équilibre au dernier moment. Il avait manqué de chuter sur une curieuse racine qui sortait de ce plancher végétal. Une racine au sommet d’un arbre ! Cela n’avait pas de sens, pourtant c’était là sous son nez. Il continua de progresser vers le centre, mais avec prudence. C’est alors qu’une violente bourrasque de vent chassa les branches qui voilaient le soleil. Ces quelques secondes suffirent à l’enfant pour voir le prodige.

Au milieu de cette étrange plateforme prenait place un énorme tronc, un peu comme ceux que Merlin avait vus échoués sur une plage en été. Sa mère lui avait expliqué que c’était du bois flotté porté par les vagues. Il aimait ces trésors tout simples livrés par le bord de mer. Il repensa aux dizaines de petits coquillages blancs dont il remplissait ses poches, aux morceaux de verre dépolis qu’il offrait à sa mère, comme s’il s’agissait de pierres précieuses. Un vrai trésor de pirate. Le bois flotté, il l’avait caressé, attiré par sa surface lisse comme une belle page qui ne demande qu’à accueillir une histoire. Aussitôt, le garçon avait imaginé tout le périple de ces bouts de bois arrachés à leur terre avant de trouver le repos sur le sable d’un rivage inconnu. Bien sûr, aucune tempête n’avait pu conduire ce tronc à la cime du grand châtaignier. Bien sûr, un tel phénomène aurait dû intriguer Merlin. Pourtant, ce ne fut pas ce qui l’étonna le plus. Le plus extraordinaire c’est qu’en son centre un grand bâton argenté avait été planté.

Les branches avaient repris leur place initiale, comme un rideau tiré juste un instant. L’héritier l’apercevait  pourtant sans difficulté,  car désormais il brillait comme parcouru de mille étincelles. Etait-ce un appel ou une mise en garde ?

L’enfant s’approcha. Il devinait sans peine qu’il avait à portée de main l’objet de sa quête. Un autre aurait sans doute foncé, lui, s’assit en tailleur comme pour méditer. Il se concentra, histoire de trouver la conduite à tenir. Evidemment, ce spectacle lui rappelait l’épée du rocher, celle qui avait permis à  Arthur de prouver qui il était et du coup de trouver sa légitimité. Est-ce que d’autres que lui avaient tenté l’épreuve du « bâton dans le tronc » ? Suffisait-il de tirer dessus pour l’extraire ? En cas d’échec que lui arriverait-il ? Aucun indice. Pas même une inscription solennelle gravée en lettres dorée.

Le doute commençait à le gagner, lorsqu’un petit écureuil d’un roux éclatant lui vola la vedette. Celui-ci alla se poster sur le point le plus haut du bâton pour y déguster une pomme de pin qu’il avait dû dénicher dans le coin. Il observa d’un air amusé l’enfant. Ses petits yeux vifs le détaillaient, tandis que l’immense panache de sa queue se balançait élégamment.

« Dis donc, toi, tu es trop mignon pour être un espion ! », lui lança Merlin.  Il espérait que l’animal lui réponde, mais il se contenta de descendre sur la partie inférieure de l’objet magique. Celui-ci n’avait rien à voir avec un simple bâton. Il devait mesurer la taille de l’enfant, et présentait un étrange travail ornemental. A son sommet était perché un grand oiseau, puis juste en dessous prenait place un cercle de volatiles plus petits, enfin un dernier cercle représentait des caméléons. Tout cela devait avoir une signification. Il imaginait que pour un magicien se transformer en oiseau permettait de voyager entre le ciel et la terre, mais les caméléons laissaient Merlin perplexe.

« Ils symbolisent le monde souterrain et l'art de la métamorphose.»

Mais qui donc avait prononcé cette phrase ? Il était seul. Qui donc avait lu dans ses pensées ? Un être invisible l’observait-il ? Il fit un demi-tour sur lui-même pour inspecter l’endroit. Rien. Le grand châtaignier s'adressait-il  à lui ?

« Dis-donc toi, tu n’es pas très perspicace pour un héritier ! » s'exclama à nouveau l'inconnu. Sa voix jeune n'avait rien de grave ou solennel et prenait désormais un ton moqueur.

C’est alors qu’il s’aperçut que l’écureuil avait posé sa pomme de pin et le détaillait des pieds à la tête.

« C’est toi qui as parlé ? » demanda Merlin un peu abasourdi.

- Et qui d’autre veux-tu que ce soit petit malin ? » lui répondit l’animal du tac au tac.

Merlin se rappela alors qu’il possédait le don de comprendre toutes les créatures magiques, depuis qu’il avait lu la formule dans le grimoire de l’Enchanteur.

« Bon, tu te magnes gamin, ça fait des lustres que j’attends que tu daignes te manifester ! »

L’enfant resta muet de stupeur. Drôle de langage pour un écureuil enchanté, pensa-t-il.

« Vous avez subi une métamorphose comme Sapristi ? osa-t-il néanmoins demander.

- Une métamorphose, moi ! Je bondis de branche en branche depuis aussi loin que je me souvienne. Champion olympique de grimpette sur arbre. Evidemment, il m’a fallu renoncer à ma carrière sportive quand Merlin m’a choisi pour devenir le gardien de son bâton de magie. »

- Alors vous veillez sur lui  et …

- Pas de chichi entre nous, gamin, le coupa l’étrange bête, tu me tutoies et tu m’appelles « Panache ». »

Le garçon se dit que l'animal portait bien son nom, car c’était vrai que son immense queue effaçait presque le reste de son corps. Elle ressemblait à un immense feu d’artifice de poils bruns et dorés. Il le trouva aussi un peu imbu de sa menue personne, assez volubile, et particulièrement familier, bref il n'avait jamais eu à affaire à un gardien d'objet magique, mais il ne correspondait pas du tout à l'idée qu'il s'en faisait. Il ne tenait pas en place visiblement pressé ou nerveux.

« Si tu es le gardien, tu vas me poser une énigme ou alors …

- Une énigme ? Mais ma parole, tu m’as pris pour le sphinx ? »

Comme Merlin restait muet, il poursuivit.

«  Tu sors le bâton du tronc, et c’est plié. »

C’était donc aussi simple que ça ! Mais à quoi le petit rongeur servait-il donc ?

« Maintenant, si t’es pas le bon gamin, c’est une autre histoire ! »

C’est alors que notre héros constata avec horreur que ce qu’il avait pris pour un panache de poils longs et soyeux, n’étaient autres que des flèches. Des centaines plus pointues les unes que les autres ondulaient dans sa direction, et formaient ce plumeau majestueux loin d'être pacifique. Quant aux dents de l’animal, certes petites, elles semblaient très aiguisées surtout ses incisives. De vraies lames qui ne devaient pas servir qu'à décortiquer les noisettes. A l’extrémité de ses pattes, des griffes n’avaient rien à envier aux serres puissantes d’un aigle. Merlin blêmit. Il avait affaire à un monstre. Adieu gentil petit écureuil !

« Si t’es réglo, t’as pas à t’inquiéter ! » conclut Panache. Il s’agissait sans doute d’une sorte d’encouragement, mais le garçon restait paralysé par la peur, incapable du moindre acte de bravoure.

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Félicien
Posté le 20/12/2022
Bonjour !
Ouf, quelle imagination tu as !
Je n'ai pas d'autre commentaire, mis à part trois adaptations :
- "le feuillage caChait habilement ce poste d'observation";
- "une cabane sans toit (pas de "^");
- "en lettres doréeS".
A bientôt,
JBa.
sifriane
Posté le 07/06/2022
Re,
J'ai bien aimé ce chapitre, surtout le personnage de l'écureuil. Déjà parce qu'un écureuil gardien d'objet magique c'est pas banal, et puis son caractère bien trempé contraste bien avec la magie du lieu, c'est bien trouvé je trouve. Comme l'a dit Claire, c'était bien d'avoir le point de vue d'Awena qui ne croit pas en lui.
A bientôt :)
Laure Imésio
Posté le 01/07/2022
Merci infiniment Sifriane de confier avec autant de régularité et de soin tes impressions de lecture. Panache va encore pointer le bout du museau puisqu'il semble remporter pas mal de suffrages. A bientôt.
Baladine
Posté le 22/03/2022
Belle scène de découverte du bâton de magie ! Au passage c'est intéressant d'avoir coupé cette scène d'initiation par le passage du point de vue d'Awena (qui doute que Merlin parvienne à être révélé alors qu'il est sur le chemin justement). L'apparition du personnage de l'écureuil en trois mouvements est bien amenée.
Quelques petites remarques :
- car le feuillage cahait habilement ce poste d'observation => manque une lettre
- une cabane sans toît => toit
- Il se doutait bien, que cela allait être plus compliqué => enlever la virgule ?
A bientôt
Laure Imésio
Posté le 06/05/2022
(re) bonjour,
Merci beaucoup pour tes remarques, je vais corriger. Je vais essayer de développer le personnage de l'écureuil. Après le chat, encore un animal... je vais finir par faire concurrence à Loup et ses comparses :) A bientôt.
Romanticgirl
Posté le 17/03/2022
Bonjour Laure,
J'ai beaucoup aimé le personnage de l'écureuil, d'abord mignon puis insolent et enfin redoutable ! La description des trésors de l'enfance était très belle et m'a donné envie de retrouver mes bouts de verre poli. L'évocation de l'arbre était intéressante mais je dois avouer que je me suis perdue. Je ne savais plus si Merlin était dans le tronc, sur des branches,... C'est une belle réinterprétation de l'épisode de l'épée et du rocher.
A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 17/03/2022
Bonsoir,
Merci infiniment pour ton commentaire. Je suis contente que le personnage de l'écureuil fonctionne; .J'avais des doutes. Grâce à tes conseils et à ceux d'Hortense, j'ai repris la description du début. J'espère que c'est plus clair. A bientôt.
Romanticgirl
Posté le 20/03/2022
Bonjour Laure,
J'ai relu le début de ton chapitre, c'est beaucoup plus clair grâce aux métaphores et aux comparaisons ;)
Laure Imésio
Posté le 20/03/2022
Merci beaucoup pour ta relecture et tes encouragements. J'espère que ce weekend pluvieux sera propice à la suite des aventures de ton héroïne. :) A bientôt
Hortense
Posté le 10/03/2022
Bonjour Laure,
Merlin a enfin atteint l’objet de sa quête, reste à s’en emparer. L’idée de l’écureuil gardien, qui s’avère un peu plus que cela est bien trouvée. Cette partie est bien menée jusqu’à la fin qui laisse planer un petit suspense… Mais, bon, on devine que Merlin réussira cette épreuve au mieux.
La première partie, est parfois un peu confuse et je n’ai pas tout compris immédiatement. Les descriptions, c’est souvent compliqué. Là, je te conseillerai de prendre le temps car chaque détail à son importance.
Quelques remarques et suggestions :
- Il garda un moment les yeux fermés, reprenant lentement son souffle, massant ses jambes douloureuses. Et puis, il les ouvrit lentement avec un brin de méfiance et deux pincées de curiosité. Il les écarquilla en grand, quand il fut accoutumé à la lumière.
La suite des actions ne me paraît pas tout à fait cohérente : il arrive en haut, il a mal aux jambes, il est ébloui, il ferme les yeux, les réouvre…
Suggestion : Reprenant lentement son souffle, il massa ses jambes douloureuses. La lumière éclatante contrastait avec l’obscurité de l’arbre. Il ferma les yeux un instant, le temps de s’acclimater, puis les ouvrit lentement avec un brin de méfiance et deux pincées de curiosité, avant de les écarquiller en grand ? ou quelque chose à ta sauce que tu sauras mieux exprimer !
- il n’apercevait pas la terre ferme depuis le poste qu’il avait atteint : pourtant la terre ferme demeurait invisible ?
- Le sol fait de terre et de brindilles était vaste : il est donc descendu de l’arbre ? Le sol couvert de brindilles s’étendait à l’infini ? Non ! j’ai compris en lisant la suite, en fait tu décris la surface plane et irrégulière sur laquelle il a débouché… mais c’est un peu difficile à comprendre.
- Il faut dire que le plus extraordinaire c’est qu’en son centre un grand bâton argenté avait été planté : le plus extraordinaire était, qu’en son centre, un grand bâton…
- comme un rideau tiré juste un instant : comme un rideau tiré à la fin de la représentation ?
- car désormais il brillait comme parcouru de mille étincelles : il brillait, parcouru de mille étincelles ?
- histoire de trouver la conduite à tenir : la meilleure conduite à adopter ?
- l’animal lui réponde : lui répondrait ?
À très bientôt
Laure Imésio
Posté le 13/03/2022
Bonsoir Hortense,
Merci infiniment pour ton commentaire précis et détaillé. Tu as raison, il va falloir que je reprenne la description et la découverte du lieu par Merlin, ainsi que sa progression. Tes suggestions me seront précieuses pour l'améliorer et la rendre plus cohérente. A très bientôt !
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