Un écureuil un peu perché !

Des énigmes, des jeux de piste… Que lui réservait exactement cette formation express par un écureuil ?

Tout cela ressemblait à un immense Escape game en plein air. Il regarda Panache et ne put réprimer un soupir de lassitude. Oui, il était fatigué à l’idée de devoir se coltiner ce petit prétentieux sur pattes. D’ailleurs, Panache semblait avoir oublié sa présence et brossait sa superbe queue comme s’il s’apprêtait avant un rendez-vous galant. L’enfant soupira aussi à l’idée de devoir « se trimbaler » Espéride  sur tout le trajet de retour au manoir. A moins qu’il ne faille la laisser au sommet du vénérable châtaignier, ce qui signifiait recommencer quotidiennement la longue ascension. Il blêmit à cette perspective.

Et s’il l’emportait : où allait-il la cacher ? Où trouverait-il le temps de s’entrainer alors qu’il devait se mettre en quête du masque magique de l’Enchanteur ?

Le rongeur daigna enfin le considérer. Merlin jugea que c’était le moment de l’interroger. L’animal d’un simple mouvement de griffe lui intima le silence. Il ferma alors les yeux et le garçon ne sut s’il méditait ou piquait un simple roupillon. Ses oreilles toujours en alerte semblaient exclure la dernière hypothèse. Cependant les sons qui s’échappaient de sa gorge laissaient Merlin perplexe. Un écureuil ronflait-il ? Le gardien balançait sa sublime queue comme une branche de palmier. Il jouait les divas en train de s’éventer.

Le jeune apprenti aurait pu en profiter pour quitter la scène, mais ce n’aurait pas été très poli. Il sentait qu'il aurait commis un impair. Alors, il décida de s’asseoir en tailleur et fit tourner lentement Espéride entre ses mains. Au bout de la première heure, il en connaissait le moindre détail, la moindre aspérité. Son contact lui était devenu familier. Au bout de la deuxième, il se laissa aller à caresser les ailes des oiseaux, poser son index sur le bec pointu du plus grand, suivre la forme des cercles et  celle de la queue des caméléons qui ornaient Espéride, comme si elles s'enroulaient et se déroulaient à sa guise. Certes, il ne l’avait pas apprivoisée, mais elle l’impressionnait moins. Au bout de la troisième, il tenta même de lui parler. Il chuchota son nom tout bas, comme une incantation. Le bâton demeura muet. Il faut croire qu’il ne possédait pas le don de parler aux objets magiques.

Rien de pire que de ne pas savoir combien de temps au juste cette attente durerait. Il était soumis au bon plaisir ce petit être déconcertant, à la fois familier et terriblement vaniteux. L'ennui le gagnait, mille pensées contradictoires l'assaillaient. Son ventre gargouillait. Il regrettait presque de ne pas avoir pris la poudre d'escampette.Enfin, Panache ouvrit un à un ses petits yeux vifs. Sa queue cessa de se balancer. Il la parcourut avec douceur de ses griffes agiles, comme un joueur de harpe, effleure avec délicatesse les cordes de son instrument. Merlin se demanda si ce manège allait durer longtemps.

« Bon, je crois que ça suffira pour aujourd’hui ! Fin de la leçon !  se décida enfin à dire le capricieux animal.

- Mais quelle leçon ?

- Celle que tu viens de recevoir : la patience, le silence et la discrétion ! »

Merlin en resta sans voix.

« Ca n’a l’air de rien, mais crois-moi gamin, ce sont trois vertus indispensables. L’impatience conduit bien souvent à l’imprudence. Les bavardages inutiles ne sont que perte de temps. Quant à ceux qui se pavanent, ils en perdent de vue l’essentiel. »

Voilà que le rongeur se prenait pour un vieux sage bouddhiste ! Merlin ne put s’empêcher de sourire en pensant que son maître depuis leur rencontre n’avait pas vraiment paru posséder ces fameuses vertus, surtout la dernière.

« Et sinon, qu’est-ce que je fais avec Espéride ? demanda-t-il embarrassé.

- Mon gars, c’est comme si tu l’avais épousée pour le meilleur et pour le pire. Vous êtes en couple. Change ton statut facebook !»

Il gloussa. Décidément, ce maître avait un sens de l’humour qui n’appartenait qu’à lui.  

Merlin leva les yeux au ciel exaspéré par cet écureuil qui se croyait spirituel. L’animal poursuivit.

« Bref,  tu l’embarques au manoir du vieux fossile. Evidemment, tu évites …

Il dût marquer un temps d’arrêt en remarquant la mine offusquée du garçon.

« Ben quoi gamin, va falloir te décoincer, la mère Guenièvre n’est plus de la première jeunesse ou de la dernière marée si tu préfères, histoire de faire local. "

Il s'interrompit, histoire de guetter un rire de l'enfant. Celui-ci ne vint pas, alors il enchaîna un poil déçu par l'absence de réaction de son jeune public.

"J’ai entendu dire qu'avec ton paternel c'était pas non plus le gros crush. Tout le monde sait que la vieille n’est pas commode. Qu’est-ce que tu crois ? Le vent parle, les arbres chuchotent, et leurs feuilles bruissent d’indiscrétions sur le monde des humains. 

- Mais c’est la reine Guenièvre, bredouilla Merlin troublé par toutes ces révélations.

- Et alors, je suis pas un de ses sujets ! Le seul que j’ai juré de servir, c’est mon maître Merlin. Et entre nous, il la portait pas franchement dans son cœur. »

L'héritier se souvint que l’Enchanteur avait effectivement déconseillé à Arthur de l'’épouser, car il a avait vu que ses infidélités mettraient à mal l’unité du royaume.

« Je disais donc, reprit l’écureuil comme prêt à dispenser un cours magistral, qu’il fallait que tu évites d’en parler à papa maman, ça pourrait faire du grabuge ! Demain, on passe à la pratique. En attendant, tu te creuses les méninges pour mettre la main sur Naïa. C’est le moment de prouver que tes tests HPI, c’est pas du bidon !

La dernière phrase souffla le garçon. Cet écureuil en savait long sur lui et sa famille.

- Et c’est tout ? trouva-t-il le courage de protester.

- Je te préviens : j’ai pas signé pour les heures sup ! » rétorqua l’animal un brin agacé, un peu comme le maître qu’on retient alors que la sonnerie a retenti.

« Monsieur voudrait peut-être une médaille ?

- Juste un bâton de magicien moins encombrant, se révolta Merlin. »

Devant l’incompréhension de Panache, Merlin s’emballa.

« Prenez Percy Jackson, son épée se transforme en simple stylo qu’il peut glisser dans sa poche l’air de rien. Génial comme tenue de camouflage ! Et Harry Potter, sa baguette est légère et facilement transportable. 

- Parce que tu crois qu’on t’a attendu pour penser design et ergonomie ! Lance Espéride de toutes tes forces d’une main et présente la face de ton autre main grande ouverte !

Merlin hésita à suivre les consignes.

- Pour une fois contente-toi de suivre le mode d’emploi sans réfléchir ! s’exclama l’écureuil transformé en instructeur militaire inflexible."

L’enfant obéit à contre cœur, se demandant à quoi rimait cette étrange manœuvre. Il espérait que le bâton de magie si difficilement conquis n’allait pas basculer depuis le sommet du châtaignier et assommer le pauvre Sapristi ! Il lança Espéride  de sa main droite énergiquement. L'objet effectua alors un demi-cercle dans les airs et vint se lover au cœur de la paume de sa main gauche, qu’il referma instinctivement. C’était comme s’il avait tenu un aimant qui l’avait rappelée à lui. Il tenta de relâcher sa pression. Mais c’était désormais impossible. Il avait beau essayer de desserrer l’étreinte de ses doigts sur le métal, ceux-ci refusaient de lui obéir. Il eut à peine le temps de s’en émerveiller qu’il ressentit de petits picotements suivis d’une forte brûlure. Il grimaça.

« Ce n’est que le début du processus d’appropriation, commenta Panache, tu devrais t’en sortir sans t’évanouir. Ne dit-on pas qu'on garde le meilleur pour la fin. »

Ca se confirmait cet écureuil avait un sens de l'humour très douteux. D'ailleurs, comme si ça ne suffisait pas , il crut bon d'ajouter à la manière d'un PS, à la fin d'un courrier: "Au fait, si au cours de cette opération, tu préférais te barrer ou si d'aventure tu étais blessé voire pire, le formateur que je suis décline toute responsabilité. "

Merlin voulut s'insurger, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Sa douleur ne cessait de grandir.

" Sois rassuré si le pire devait arriver ta grassouillette carcasse serait néanmoins restituée à tes parents, nous ne sommes pas des monstres !"

L'enfant blêmit et manqua de défaillir. Il ne sut si c'était à cause des paroles du rongeur ou des lames qui semblaient transperser sa main et son bras.Il hurla, mais l'épais feuillage étouffa son cri.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Félicien
Posté le 24/01/2023
Bonjour
Quelle imagination ! Et quel maintien de l'intrigue !
j'ai (encore) relevé qu'il manquait un "de" dans la phrase où il est dit : "... soumis au bon plaisir DE ce petit être déconcertant".
Amicalement,
F.
Romanticgirl
Posté le 11/07/2022
Bonjour Laure,
Je reprends la lecture des aventures de Merlin ! L'écureuil est toujours aussi drôle. J'ai plaisir à le retrouver tout comme ton style comique et percutant. J'ai bien aimé la chute, après l'attente de Merlin, sur le thème de la leçon. J'avais un peu de mal à intégrer le bâton dans ma représentation de l'histoire. Ce chapitre me permet de le faire. Le lecteur et Merlin s'approprient peu à peu cet objet.
A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 02/08/2022
Bonsoir Romanticgirl,
Heureuse de te retrouver. Merci pour tes commentaires bienveillants et encourageants. A bientôt.
sifriane
Posté le 09/06/2022
Bonjour,
A la fin du chapitre précédent, je me faisais la réflexion que tu pouvais rendre Panache encore plus insolent et méchant. Eh bien là, j'ai pas été déçu. J'ai trouvé drôle qu'il soit plus à la page que que Merlin.
C'est toujours aussi savoureux, bravo.
A bientôt :)
Laure Imésio
Posté le 20/07/2022
Coucou Sifriane,
Désolée, j'ai été longue à te répondre. Merci pour tes impressions positives, c 'est très encourageant. J'espère que tu apprécieras autant la suite. A bientôt.
Hortense
Posté le 24/05/2022
Bonjour Laure,
toujours un grand plaisir de suivre les aventures du petit Merlin. J'aime ton humour qui tombe toujours à propos et donne du piquant au texte.
Rien à signaler de particulier, Claire est déjà passée par là.
A bientôt
Laure Imésio
Posté le 25/05/2022
Bonsoir Hortense,
Merci de poursuivre ta lecture avec toujours autant d'intérêt et d'enthousiasme. Tes commentaires judicieux et encourageants m'apportent beaucoup. A bientôt.
Baladine
Posté le 18/05/2022
Salut ! c'est toujours un plaisir de suivre les aventures de Merlin ! l'écureuil est amusant avec sa leçon de patience et d'humilité, un vrai maitre jedi ! J'ai hâte de savoir si Merlin va finir par défaillir (niark niark), et si l'épée magique va se transformer en stylo à bille ou en spatule en bois.
Deux petites remarques :
- car il a avait vu que ses infidélités => un petit "a" égaré
- Ca se confirmait cet écureuil avait un sens de l'humour très douteux => une ponctuation après confirmait ?
A très vite !
Claire
Laure Imésio
Posté le 23/05/2022
Merci Claire. C'est aussi toujours un plaisir de lire tes commentaires réguliers et précis et de découvrir tes impressions de lecture. J'espère que l'absence de spatule en bois à ce stade de l'histoire ne te décevra pas trop, mais l'idée est très amusante. A bientôt.
Vous lisez