Jo, vêtu de son habituelle veste en cuir, sa canne à la main, n'attendit pas longtemps son ami avant de se diriger au pied de l'escalier de marbre. Les deux hommes l'admirèrent serpenter avec élégance vers les hauteurs de l'Opéra. Ils furent tiré de leur éblouissement face à la magnificence présente sous ces murs par un jeune homme leur demandant leur ticket. Après un bip retentissant, il leur indiqua :
- Premier balcon, prenez à gauche en haut de l'escalier et bon spectacle messieurs.
Jo et Max grimpèrent une à une les marches, leurs pas étouffés par le lourd tapis rouge qui les menait au sommet. Ils pénétrèrent dans la petite salle circulaire qu'ils n'avaient eu l'occasion de contempler que peu de fois. Prenant place côte à côte sur des sièges habillés par le même tissu que les marches, ils observèrent chaque recoin, émerveillés comme deux enfants.
Dans la fosse, bien visible d'où ils étaient, des instrumentistes se préparaient déjà à combattre les fausses notes qu'ils n'avaient sans doute plus aperçues depuis belle lurette. Au dessus de leur tête, de longs rideaux dégringolaient en casade, masquant la scène et les décors qui promettaient d'être somptueux. Jo leva le nez et remarqua que le plafond, lui aussi, participait à la beauté du lieu : des jeunes filles, paniers à la main, dansaient en ronde dans un champ de fleurs rouges et jaunes. Jo ne put s'empêcher d'imaginer comment le peintre avait put réaliser son oeuvre à un tel endroit et sourit.
À sa droite, Max ôta sa veste et fit tomber son ticket qui voltigea à ses pieds. Il le ramassa et lut à haute voix :
- Un bal masqué, opéra en trois actes de Giuseppe Verdi. J'ai lu l'argument tout à l'heure, je sens que ça va nous plaire ! Il y a même une voyante dedans !
Maison des tragédies et autres drames, l'Opéra s'était reclut dans le silence pendant plusieurs jours et n'avait plus accueilli de spectateurs depuis le décès d'Ollia Lehias. Le Maire et la directrice en avaient décidé ainsi par respect pour les victimes. Ce soir, l'Opéra ouvrait à nouveau ses portes, accueillant à bras ouvert le dernier spectacle de la saison.
Pour se faire pardonner d'avoir dérangé Jo lors de sa soirée au Haricot géant, Louise Sardan lui avait offert des places. Une aubaine pour lui qui ne songeait qu'à se changer les idées. Abattu par la mort inattendue d'Ollia Lehias, il avait broyé du noir pendant plusieurs jour. Il ne s'était pas attendu à ça, surtout pas de cette façon, devant Max et lui. Il s'en était voulu de n'avoir rien vu venir. Un bon flic aurait tout de suite remarqué l'ambiguïté de la personnalité d'Ollia Lehias. Il avait pensé à démissionner mais sans son boulot...
Jo et Max avaient eu l'occasion de parler et de faire le point sur ce qu'il s'était passé. D'après Max, Jo n'etait pas fautif, lui non plus n'avait pas prévu ce dénouement. Jo s'en voulait de ne pas avoir réagit à temps alors qu'Ollia était à portée de main sur le toit. Il avait finit par se faire une raison : vivre sans Elysa était impossible pour la jeune femme. Lorsque Jo l'avait appelée pour une nouvelle convocation, elle avait compris. Sa mise en scène sur le toit de l'Opéra n'était que son ultime tentative de retarder la fin qu'elle avait en tête depuis le début. Peut-être avait-elle attendu Jo pour soulager son âme en lui confiant tout, elle voulait que quelqu'un comprenne son dernier geste.
Et il comprenait. Lui aussi y avait pensé à la mort d'Anna mais n'avait pas pu. Il était trop lâche pour ça. Il avait décidé de vivre sans son amour, il en assumerait les conséquences. Facile de culpabiliser maintenant, de présenter Anna comme son Amour avec un grand A alors qu'ils ne se parlaient plus depuis... Depuis bien longtemps avant l'accident...
Les pensées de Jo furent coupées par les premières notes de musique annonçant le début de l'opéra. Les deux rideaux rouges filièrent chacun de leur côté, révélant un homme corpulent assis à un bureau victorien, une plume pourpre à la main. Jo adorait quand les mise en scène étaient classiques. Les décors empruntés à un siècle passé ainsi que les costumes fidèles à leurs époques le faisaient voyager vers un ailleurs loin de lui.
Il était tant absorbé par la musique et ce qui s'offrait devant ses yeux, qu'il ne remarquait la présence de Max et se rappelait du nuage noir dans son esprit que lors des entractes, nombreuses vu le nombre de changement de décors. Son ami semblait apprécier tout autant que lui :
- J'ai jamais vu un truc pareil ! T'as vu le gars qui était tout en haut, dans sa salle de bain, il dégringole et on le retrouve en bas, derrière une porte cachée en un claquement de doigt !
- J'ai vu ça ! répondit Jo tout aussi émerveillé.
- Je sais qu'on peut faire des trucs de fou avec le cinéma mais on est à l'Opéra là ! Je pensais pas que ça serait comme ça !
- Je suis sûr que tu imaginais qu'on serait entourés de bourgeois et bourgeoises revêtant leurs plus beaux atours pour l'occasion.
- Pas faux... C'est pour ça que j'ai mis le costume ce soir mais bon... À ce que je vois, on s'en fou maintenant, comprit-il en désignant un groupe de jeunes, jeans troués et t-shirt rapiécé.
Jo et Max se jetèrent un coup d'oeil et rirent sans retenue, attirant les foudres des spectateurs alentours qui reprenaient leur place. La cloche annonçant la fin du troisième entracte retentit et la lumière baissa doucement pour laisser place à l'obscurité.
La fin du dernier acte, s'ouvrit sur un décor majestueux. Les pandrillons avaient été retirés et le fond de scène, ouvert sur les coulisses, donnait un effet de profondeur impressionnant. Le décor constituait en un alignement d'arches dorées les unes à la suite des autres dont la dernière, pleine, était ornée d'une scène de bal. Mise en abîme de cette peinture, les chanteurs et chanteuses arrivèrent sur scène vêtus de robes au tissu miroitant la lumière, de costumes noirs veloutés et de masques dorés sur les yeux.
Ces éléments ne furent pas sans rappeler à Jo la mort d'Elysa Lebon. Il espérait, si la mort n'était pas la fin de tout, que la jeune femme avait trouvé la paix et qu'elle pardonnait à Ollia ce qu'elle avait été contrainte de faire. Elysa avait fuit mais la solution d'Ollia en la voyant lui échapper, sa solution face à ce roc invincible qu'était la perfection de son frère, sa solution face à cette impasse, avait été de tuer.
Les mots d'Antoine au Haricot géant lui revinrent alors en tête : <<Parfois la seule solution pour s'en sortir c'est de faire quelque chose qui nous rend méchant aux yeux des autres. Ils nous voient alors comme un monstre mais pour nous, il n'y avait plus que ce moyen de nous en sortir.>> Ollia Lehias étaient devenue ce monstre en éliminant ce qui la privait de son bonheur et qui l'empêchait de vivre sereinement sa passion pour Elysa.
Anna aussi était apparue à Jo comme un monstre quand elle les avait précipité vers l'inconnu. Au Haricot géant, il s'était reproché la naissance de ce monstre. C'était de sa faute si elle en était arrivée là. Mais maintenant qu'il y repensait, ce n'est pas lui qui avait provoqué l'accident mais eux deux, Anna et lui.
Si le nous ne voulait pas s'en sortir, je n'aurais rien pu y faire, comprit Jo.
Le choeur costumé, s'arrêtant de valser, se place en milieu de scène et entonna :
La fièvre de l'amour et de la danse
Emplit ces joyeuses salles,
Où la vie n'est plus
Qu'un rêve merveilleux.
La puissance des chanteurs faisait frissonner Jo. Il se dégageait du groupe une communion, une harmonie qui ne demandait qu'à vous saisir le coeur. Jo regarda chacun d'eux un à un pour mieux se rendre compte qu'ils étaient tous animé par une passion dévorante. Ils chantaient avec leur âme comme si leur sort en dépandait.
Amelia et Riccardo, personnages éperdus de cet opéra, prirent placent devant eux, s'avouant ouvertment la force de leur amour interdit. Les mains jointes, les deux solistes entamèrent un duo saisissant. Les voix, pures et précises, propagèrent des vagues de chaleur et d'émotion à travers tout le monument. Même le dernier balcon parut trembler de stupeur.
Une ombre, pesant sur le couple depuis le début, apparut alors, d'abord visible que par le public. Renato, mari de la belle, ne pensait plus qu'à une chose : se venger de son ami lui ayant volé son amour. Il tira un couta de sa poche et, sans une hésitation, assassina le comte devant l'assemblée qui se pavanait. Les joies et distractions s'arrêtèrent net. Amelia s'effondra aux côtés de son amant secret, anéantie.
La salle entière retenait son souffle, attendant le dénouement.
Riccardo, à genoux, dans un dernier soupir, prononça :
Grâce pour tout le monde : je suis le maître ici,
Et j'accorde mon pardon à tout le monde
Jo en fut stupéfait. Cet homme accordait même le pardon à celui qui l'avait trahi et assassiné ? Celui pour qui il avait retenu l'explosion de ses sentiments pour Amelia ? Le pardon... Ce mot tournait en boucle depuis le debut de cette enquête. Si tel était le prix de sa délivrance, il s'y plierait. Mais pour que son pardon soit sincère, pour qu'il se l'accorde, pour qu'il l'offre à Anna, il ne lui manquait plus qu'une raison. Pas une raison de pardonner mais une raison d'enfin tourner la page.
Les lumières se rallumèrent progressivement, rescucitant avec elle le personnage principal. Les chanteurs s'alignèrent et saluèrent sous les applaudissements incessants. Jo et Max imitèrent les rangées devant eux, ils se levèrent et tentèrent de rivaliser avec leur voisin en tapant dans leurs mains le plus fort possible.
Jo balaya le public du regard. Les mines étaient réjouies, les yeux pétillaient et certaines joues brillaient encore d'avoir accueilli des larmes. Il finit par apercevoir Louise Sardan, un peu plus loin sur sa droite. Elle croisa son regard et afficha un sourire que Jo jugea d'emblée dangereux : la chaleur qu'il diffusait promettait un bien être dont Jo n'avait pas aperçu la couleur depuis bien longtemps.
Personnellement je trouve ce chapitre très bien, peut-être qu'après une relecture ou deux tu le trouveras mieux.
Juste un petit mot pour Jo, il se trompe lourdement. Choisir de vivre plutôt que de mourir n'est pas lâche, au contraire, c'est une forme de courage. C'est tellement plus dur de vivre mais ça en vaut toujours la peine.
C'est bien qu'il parle enfin d'Anna et de son accident, maintenant il lui faut enfin se pardonner et pardonner à Anna. Et quelque chose me dit que la directrice de l'Opéra pourrait bien l'aider ;)
Oh merci ! J'avais surtout des doutes sur les réaction de Jo. Il s'en veut de n'avoir rien vu venir pour Ollia mais je sais pas si le chapitre le dit assez.
Message transmis à Jo ;)
La directrice est un petit espoir qu'on peut deviner, oui ;)
Tout l'accident va s'éclaircir, je l'espère, dans quelques instants sous le prochain chapitre.
Ce chapitre permet de poser un peu de légèreté après la tension de l'enquête et la mort d'Ollia. Jo en garde en effet un goût amer mais a pas mal avancé dans ses réflexions persos.
À très vite pour la suite !