ESPRIT D'EQUIPE

Par Esmée

« Bon, les filles, on vous a réparties dans les équipes, mixité oblige, faîtes pas la gueule si vous êtes pas avec vos copines ! »

Amanda se pencha vers Daphnée : « C’est connu, on est hystériques, faut pas nous énerver, nous les meufs… » 

Daphnée lui sourit. Elle était totalement d’accord. Le respo’ « gaming » du BDE n’aurait jamais dit ça aux mecs… Elle regarda les autres filles autour d’elle. Toutes riaient ou souriaient à ce qui venait d’être dit. Elle se rendit compte que rire, c’était cautionner ce genre de propos. La présentation continuait : « Vous allez être en équipes avec vos parrains et marraines de deuxième année. Il va falloir trouver un nom pour votre équipe et devenir une vraie team, une famille, pour relever tous les défis de la journée. Je laisse Marina lire la composition des équipes ». 

Ladite Marina monta sur la pseudo estrade réalisée avec des caisses en plastique. Quelques sifflements dans l’assistance accompagnèrent le changement d’orateur. Amanda se pencha à nouveau vers Daphnée : « Typique, le mec parle en premier et laisse la meuf se contenter de lire la liste. C’est sans doute elle qui a fait toutes les équipes mais c’est le mec qui récolte l’honneur de présenter le travail… » 

Amanda lui répondit : « Oh, tu exagères un peu non ? Qu’est-ce que tu en sais ? Par contre, ces sifflements à la con quand c’est une fille qui parle… j’hallucine. Le pire c’est qu’ils sont persuadés que c’est un honneur qu’ils lui font ! »

Une voix masculine les interrompit en se tournant vers elles : « Faudrait peut-être arrêter de penser que tous les mecs sont des connards ! » Daphnée reconnut Greg, le garçon qui lui avait déjà exprimé sa consternation en TD face au mec qui ne parlait pas aux filles. Amanda lui rétorqua vertement : « Tant que tu te bouges pas pour leur dire de la fermer, c’est que t’es aussi con qu’eux ».

Greg la regarda avec un air ahuri. Visiblement il ne s’attendait pas à cette répartie. Le gars à côté de lui se pencha à son tour vers eux : « Vous allez la fermer là ? Je veux pas rater mon nom, ok ? » Le mec était immense, mieux valait ne pas trop l’énerver. Daphnée reconnut son compagnon d’infortune du poste de secourisme. Il semblait ne garder aucune trace de sa soirée agitée. Il était propre et fleurait une bonne odeur de parfum, dans son polo bleu marine. Un autre homme.

Amanda regarda Daphnée et leva les yeux au ciel : « Pourvu qu’on tombe pas dans une équipe avec des blaireaux… » Daphnée hocha la tête. Le géant fut appelé et manifesta bruyamment sa satisfaction. Il rejoignit le reste de son équipe. Eléonore se vit attribuer une place dans la troisième équipe. Elle était radieuse, avec son minishort rouge, son top à rayures bleues et blanches et ses espadrilles dorées. Elle avait fait une queue de cheval très haute, qui, dès qu’elle bougeait, fouettait indifféremment les personnes qui avaient l’audace de se tenir près d’elle. Daphnée fut sans doute la seule à capter le sourire de son amie quand Marina pria un certain Antoine de rejoindre les autres. Cette fille kiffe un mec, on est 200 et il est dans son équipe… Non mais c’est quoi la probabilité pour que ça arrive, honnêtement ? Elle a une chance de dingue. 

Elle fut soulagée de voir que c’était la quatrième équipe qui était désormais appelée, puis d’entendre son nom. Elle rejoignit sa marraine, Djamila et son parrain, Baptiste. D’emblée, iels lui parurent sympathiques. Iels avaient l’air proches, bien que bizarrement assortis. Baptiste avait tout du scout en camp nature : les chaussures bateau, le polo, le bermuda. Il ne lui manquait que le petit foulard autour du cou. Ce mec est catho à fond j’en suis certaine, pensa Daphnée. Quand il se pencha pour lui faire une accolade de bienvenue, elle vit, dans son encolure, la petite médaille de baptême argentée qui scintillait entre les poils de son torse.

Djamila était aussi petite que Baptiste était grand. Elle portait un tee-shirt à manches longues et un pantalon. On sentait qu’elle n’était pas du genre à dévoiler un centimètre carré de son anatomie. Alors elle, c'est une musulmane pratiquante, c’est sûr, pensa Daphnée. Ou alors elle fait une allergie au soleil. Elle s’auto-mortifia : arrête avec tes clichés Daphnée ! Prends les gens comme ils viennent et pas comme tu les imagines. Tant qu'ils ne font pas de prosélytisme, peu t'importe à qui ils adressent leurs prières, s’admonesta-t-elle.

Elle en était là de ses réflexions quand elle vit Greg les rejoindre. Elle était un peu gênée mais il la mit à l’aise : « Ça fait plaisir de connaître au moins une personne ! » Elle lui sourit. Visiblement, il ne lui tenait pas rigueur des propos d’Amanda. Ça serait sympa si elle était dans mon équipe, se dit-elle. Non, une chance pareille, ça n’arrive qu’à une Eléonore, pas à une Daphnée.

Ashley, par contre les rejoignit. Daphnée fit les présentations avec Greg. Le reste de l’équipe se composait d’une d’étudiant·es que Daphnée ne connaissait pas. Elle se fit une réflexion tout à coup : il n’y avait aucun·e étudiant noir-e. Quelques étudiant·es avaient le teint mat, il y avait même deux  asiatiques, mais la mixité s’arrêtait là. Il lui semblait bien pourtant qu’à l’école il y avait une grande proportion d’étudiant·es internationaux, notamment d’origines africaines. En amphi iels étaient bien visibles, mais ici, personne. Le coût peut-être ? pensa-t-elle. Non, elle savait que celles et ceux qui faisaient des études supérieures à l’étranger faisaient partie de l’élite. Ils doivent juger ce genre d’activités futiles et inutiles alors. Pourvu que cette journée ne leur donne pas raison.

Djamila avait prit la parole et les entraînait plus loin,  pour laisser la place aux autres équipes en formation. Elle se présenta. Elle était algérienne, à l’école depuis l’an dernier et était rédactrice en chef du journal de l’école. Baptiste prit la suite, il venait de Chartres. Il était président de la junior entreprise, la J2E. Il expliqua brièvement qu’il s’agissait d’une association qui avait un statut particulier puisqu’elle fonctionnait comme son nom l’indiquait, comme une entreprise, exécutant des contrats et rapportant de l’argent. 

« La classe... » chuchota Ashley à Daphnée. « Il est carrément BG non ? »

Daphnée haussa les épaules. 

« Il nous faut réfléchir à un nom pour notre équipe avant de commencer la première épreuve, annonça Djamila.

- Difficile de choisir comme ça, il faudrait un nom qui parle à tous, non ? dit Greg.

- On y a réfléchi, répondit Baptiste en se tournant vers Djamila. On vous propose de choisir entre 2 noms qu’on a présélectionné. Est-ce que ça vous va ? » 

Il regarda à la cantonade. Il y eut des hochements de tête et des approbations sonores. En même temps, je vois mal qui oserait contester, pensa Daphnée.

                  « Ok, alors, puisque la mascotte de l’école est un guépard, on vous propose comme premier choix GPD. » Il avait prononcé les trois lettres à l’anglaise, Ashley leva les yeux au ciel et dit à Daphnée : « Mais pourquoi vous vous croyez toujours obligés de tout angliciser ? C’est ridicule… » 

Un mec un peu débraillé lança d’un ton qui se voulait humoristique : « Euh… Vous trouvez pas que ça fait un peu tapette comme nom ? » Un silence gêné s'abattit sur le groupe. Djamila s’avança vers lui. Il la dominait de deux têtes, mais quand elle prit la parole d’une voix ferme, en le toisant d’un regard mauvais, c’est lui qui eut l’air d’un petit garçon : « Si tu as peur de passer pour une tapette, c’est que tu as un problème mal placé avec ta virilité. Les tapettes, ça n’existe pas. Il y a des êtres humains et si ça ne te convient pas, tu dégages du groupe. » 

Le mec était devenu écarlate. Il cherchait des yeux un soutien autour de lui, mais les personnes les plus proches s’étaient imperceptiblement décalées pour marquer leur désaccord. Il s’indigna : « Si on peut plus rigoler ! » 

Djamila poursuivit : « Sauf que comme tu l’as constaté, personne n’a ri. Si ça ne te convient pas, tu peux toujours changer d’équipe. » Visiblement, il n'avait pas envie de se faire virer de l'équipe, mais il n'en pensait pas moins. Se faire remettre à sa place par une fille ne devait guère lui plaire. Daphnée avait souvent constaté que sexisme et homophobie étaient comme un package indissociable pour les abruti·es. 

Baptiste enchaîna, dissipant le malaise : « Le deuxième nom, c’est les Bédouins. On l’a choisi car les Bédouins sont des peuples nomades, qui viennent de plusieurs pays et qui voyagent beaucoup, comme nous seront amenés à le faire nous mêmes durant notre scolarité. Nous comptons sur vous pour former une famille soudée, qui nous donne de quoi être fier pour toute l’année. » Il parlait d’un ton un peu trop grandiloquent. On sentait qu’il avait l’habitude de prendre la parole en public. Daphnée constata que les autres étaient plutôt réceptifs à ce discours. Iels ont besoin d’un leader. C’est vrai qu’il a de la prestance, s’avoua-t-elle. Ashley, particulièrement, buvait ses paroles d'un air béat. Il continua : « Bien sûr, nous sommes ouverts à toute proposition si aucune des deux ne vous convient. » 

Un petit brun avec une grosse mèche s’écria : « Moi je vote pour les Bédouins ! » D’autres renchérirent. Djamila leva la main pour les calmer : « Faisons un vote à main levée. Qui est pour les Bédouins ? » Toutes les mains se levèrent. Daphnée se joignit au mouvement. Elle se moquait pas mal du nom de leur « famille ». Elle doutait que ces étudiant·es au regard tout excité puissent un jour devenir quelque chose qui s’apparenta, de près ou de loin, à une famille.

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Malivz
Posté le 15/01/2021
Les personnages se rapprochent de plus en plus, j'ai hâte de voir comment ils vont s'entendre les uns avec les autres. J'avoue que j'avance très lentement, mais je n'abandonne pas ma lecture ^^
J'ai juste deux commentaires à faire :

-Paragraphe 6 : c'est "arrêter" et pas "arrêtez"

-Tu utilises le pronom Iels pour parler d'un groupe mixte et j'aime beaucoup cet petit geste. j'adorerai qu'il soit intégré dans la langue française, mais malheureusement ce n'est pas le cas. Il serait donc plus correct d'écrire Ils. Après, c'est ton texte et tu fait ce que tu veux et, personnellement, le Iels ne me dérange pas.

Voilà !
Esmée
Posté le 23/01/2021
Bonjour Malivz, merci de ce commentaire. Le pronom iel est utilisé en écriture inclusive. J'ai décidé d'appliquer l'écriture inclusive à mon histoire, car j'ai pris conscience que pour changer les mentalités, le langage est un outil de prime importance. Le langage éduque la pensée comme me l'a justement fait remarquer une autre lectrice de mon histoire. J'applique donc l'écriture inclusive dans la narration, mais pas dans les dialogues, puisqu'à l'oreille ce n'est pas audible.
Malivz
Posté le 24/01/2021
Je viens de découvrir l'écriture inclusive grâce à toi donc merci ! Et je suis totalement d'accord ave ton point de vue et celui de la lectrice !
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