LENDEMAIN DIFFICILE

Par Esmée

Daphnée, en se réveillant, se demanda où elle pouvait bien être. Elle avait mal au dos, à la tête et un goût affreux dans la bouche.

Le week-end d’inté’. Je suis au week-end d’inté’, se dit-elle. Mais sur quoi suis je allongée ? Et c'est quoi ce truc sur moi ? Une couverture de survie, merde.

Elle se redressa et le mal de tête empira. Elle réussit néanmoins à s’asseoir et se rendit compte qu’elle était sur une sorte de brancard ou de lit d’appoint. Elle regarda autour d’elle. Il y avait quelqu’un couché sur un autre lit à côté d’elle. Une sorte de géant qui sentait atrocement mauvais. Elle se rappelait vaguement avoir bu la veille dans le bungalow voisin avec Eléonore. Ensuite, elle ne se rappelait de rien.

Qu’est-ce qu’elle avait bien pu faire de la soirée ? C’était le matin, elle le voyait bien, la lumière perçait à travers le volet de la petite pièce où elle était. Mais qu’est-ce que je fous là ? pensa-t-elle. Où est Eléonore ? Elle vit une bouteille d’eau posée par terre à côté de son lit de fortune. Elle l’attrapa, provocant un nouvel élancement migraineux. Elle l’ouvrit et en bu de longues rasades. Elle réfléchit.

Bon, j’ai du être malade hier soir, je n’ai pas l’habitude de boire. J’espère que je n’ai rien fait d’inconvenant… Elle sentit une onde de stress la parcourir à cette perspective. Le garçon dans le lit voisin se retourna vivement, manquant de choir de sa couche qui était beaucoup trop étroite pour lui. Elle vit qu’il avait des tâches sur son pull et en déduisit l’origine de l’odeur nauséabonde : ce mec avait du se vomir dessus. Elle inspecta vivement son propre torse et fut soulagée de voir que ce n’était pas son cas. Elle imaginait la honte s’il en avait été de même la concernant. Et si quelqu’un l’avait filmée ou prise en photo ? Merde, cela ne lui ressemblait pas. Elle savait que la plupart des mecs trouvaient ça marrant de voir un de leur pote se vomir dessus, mais elle trouvait ça dégradant. Dire qu’elle s’était attendue à ce que ce soit Eléonore qui se laisse aller de la sorte pendant le week-end et qu’au final, c’est elle qui se rendait ridicule. Elle se promit de ne plus se laisser aller de la sorte.

Quelle heure était-il ? Elle chercha dans la poche kangourou de son sweat et y trouva son téléphone. Il était huit heures du matin. Elle avait un sms d’Eléonore : Quand t’as fini de cuver, rejoins moi au bungalow. Il y avait ce smiley qui faisait une tête étrange, avec un œil fermé et tirant la langue, à la fin du message. Heure d'envoi : quatre heures du matin. Daphnée rassembla son courage et se leva. Son compagnon d’infortune ouvrit un œil. Il la regarda et lui dit, visiblement peu étonné de voir une inconnue à son chevet : « Salut meuf. Il est quelle heure ? » 

Daphnée lui répondit rapidement, ayant hâte de fuir sa compagnie pestilentielle. Il referma l’œil en la remerciant et se retourna sur le côté, visiblement décidé à faire une grasse matinée. Daphnée ouvrit la porte et arriva dans une pièce où deux hommes en uniforme de la Croix-Rouge discutaient autour d’une tasse de café. A sa vue, ils cessèrent leur conversation.

« Alors, comment ça va ce matin ? » dit l'un d'eux. Daphnée rougit.

- « J’ai mal à la tête, mais ça va, merci. Je suis arrivée ici à quelle heure ?

- En début de soirée, vers vingt-trois heures. Tu as été notre premier cas ! On peut dire que tu n’as pas perdu de temps… Fais nous plaisir, pour la suite du week-end, tu te calmes. On ne veut pas te revoir ici, ok ?

- Euh… oui, c’est promis. » 

Elle sortit rapidement, honteuse. En passant devant les sanitaires, elle eut tout à coup le souvenir d’y être entrée la veille avec Eléonore, en lui disant qu’elle ne se sentait pas bien. Elle avait beau fouiller sa mémoire, elle ne se souvenait pas de la suite. Elle poursuivit jusqu’au bungalow, entra et se dirigea vers la salle de bains. Elle attrapa sa brosse à dents dans sa trousse de toilette et entreprit de tenter de chasser l’affreux goût qu’elle avait dans la bouche à grand renfort de dentifrice. Puis, elle prit un médicament pour lutter contre son mal de tête lancinant. Heureusement qu’elle avait toujours du paracétamol dans ses affaires. Un problème à la fois. Enfin, elle se déshabilla et prit une longue douche. En sortant de la cabine, elle se sentit toute ragaillardie. Elle se sécha et se rendit compte que ses habits étaient dans la chambre qu’elle partageait avec Eléonore. Elle sortit donc en serviette de bain, tenant à la main ses vêtements sales, pour rejoindre la chambre.

Assise sur l’espèce de banquette intégrée qui entourait la table de la pièce commune, une fille la regarda d’un air étonné. Daphnée l’avait rencontrée brièvement la veille au soir, elle partageait l’autre chambre de leur bungalow avec une fille appelée Ashley. Comment elle s’appelait déjà ? Elle fit un effort pour s’en souvenir. Amanda, elle s’appelait Amanda. Eléonore et elle s’étaient moquées de leurs prénoms américains.

« Tu es bien matinale », dit Amanda. Cette grande brune aux cheveux courts, avec de pétillants yeux verts, était un peu intimidante. Elle avait l’air très svelte, le genre de fille qui fait tout le temps du sport. Avec son tee-shirt d’un obscur groupe de musique, elle paraissait aussi à l’aise que dans son propre canapé. Daphnée ne souhaitait pas ébruiter sa mésaventure – elle espérait que personne n’était au courant. Elle choisit donc de conforter la théorie de sa colocataire : « Oui, je suis impatiente de voir les activités qui ont été préparées pour la journée. Pas toi ? » 

Amanda la regardait fixement et bizarrement, Daphnée eut subitement l’impression que sa serviette ne la couvrait plus. Sans attendra sa réponse, elle se dirigea vers sa chambre : « Tu m’excuseras, je vais m’habiller. » En fermant la porte, elle crut entendre une réponse qui la laissa pantoise : « Dommage… »  Daphnée se dit qu’elle avait dû mal comprendre.

Eléonore, en entendant la porte de la chambre s’ouvrir, se réveilla : « Ah meuf c’est toi ! Ça va mieux ?

- Oui, bien mieux. Il s’est passé quoi hier soir ? Je me rappelle pas ! » demanda Daphnée, impatiente de connaître la réponse.

Eléonore lui raconta ce qui s’était passé. Une fois rassurée de ne pas avoir commis de fautes qui auraient ternies sa réputation, Daphnée se sentit soulagée et n’écouta plus que d’une oreille en finissant de s’habiller. Eléonore avait visiblement craqué sur le mec qui l’avait aidée à la transporter au poste de secourisme. Elle racontait sa soirée : « Antoine a passé un moment au bar à discuter avec moi. On a parlé un peu de tout. Tu vois tout de suite qu’il est intelligent. Pas comme son pote, Rolph ! Lui c'est un gros relou. Il a fini au poste de secourisme lui aussi. Antoine m’a dit qu’il se mettait tout le temps des mines et qu’il essayait de limiter les dégâts. Ça nous fait déjà un point commun : on s’occupe de nos potes ivres morts… » 

Daphnée, vexée, répliqua : « Arrête tes conneries, c’est pas mon style ! Hier soir c’était la première fois que ça m’arrivait… et j’ai pas l’intention de recommencer. J’ai pas envie de passer pour une ivrogne. » Elle ajouta, d’un ton plus doux : « en tout cas merci de t’être occupée de moi, c’est vraiment sympa. 

- Tu aurais fait la même chose, j’en suis sûre. Et puis je dois te remercier aussi, car je n’aurais pas rencontré Antoine sans ça… Il est trop mignon, je t’assure. J’ai hâte de te le présenter.

- Attends, t’es déjà amoureuse là ? »

Eléonore se laissa retomber sur son oreiller en émettant un petit gloussement. Elle avait un sourire radieux. Ses cheveux tout emmêlés étaient encore à moitié pris dans le chignon qu’elle n’avait pas pris le temps de défaire en se couchant. Daphnée pensa : elle est vraiment belle, c’est dingue. Cette fille est canon même au réveil, en pyjama. Elle ajouta pour continuer à la taquiner, sachant combien elle tenait son apparence en importance : « Je te conseille de porter cette tenue pour la journée, à coup sûr, Antoine va craquer !

- T’es conne… Je ne sais pas quoi porter justement aujourd’hui. Tu penses qu’il faut mettre son maillot de bain sous ses vêtements s’il y a des activités piscine ?

- Je n’y avais pas pensé. »

 

                  Daphnée se regarda dans le miroir de la chambre. Elle venait tout juste de terminer de se préparer, elle avait la flemme de recommencer pour mettre son maillot. Elle portait un jean et un tee-shirt blanc qui faisaient ressortir son bronzage estival. Elle avait noué un foulard dans ses cheveux, façon sixties, une technique qui lui permettait d’avoir du style sans se coiffer. Mine de rien, à force de traîner avec Éléonore, elle passait de plus en plus de temps à se regarder dans le miroir…

 

« T’es mignonne comme ça, tu devrais arrêter de te cacher dans tes sweats ! » lança Éléonore.

- « Tant pis, s’il le faut, je repasserai au bungalow me changer », dit Daphnée, ignorant sa remarque. « Allez, habilles toi, je prépare le petit-déj pour te remercier d’hier soir ». Elle mit son portable en charge et ressortit dans la pièce commune. Ashley avait rejoint Amanda et elles discutaient… en anglais. OK… Elles sont vraiment américaines en fait ? J’ai même pas capté ça hier soir, pensa-t-elle. L’alcool est vraiment un amnésique puissant, ou alors c’est moi qui ne le supporte pas.

Elle ouvrit les placards pour prendre un bol. Le BDE avait distribué la veille à l’arrivée un sac à chaque bungalow qui comprenait quelques vivres indispensables à la préparation des petits déjeuners. Daphnée vit que les filles avaient déjà fait chauffer de l’eau pour le café. Elle se servit et s’installa en face d’elles sur la banquette. Ashley était assez impressionnante vue de si prés, avec son imposante chevelure rousse bouclée et les tâches de rousseur qui semblaient coloniser chaque centimètre de son corps.

« Vous êtes américaines en fait ? » Elle avait parlé en français, pas prête de bon matin à tenir une conversation dans la langue de Shakespeare.

Ce fut Ashley qui répondit : « Moi oui, je viens de Chicago. Je suis en France pour l’année, dans le cadre d’un échange universitaire. »  Elle parlait un français impeccable. 

- Tu parles trop bien notre langue ! » ne put s'empêcher de lui dire Daphnée d'un ton admiratif. 

- « Je l'étudie depuis que j'ai 15 ans. J'ai suivi un programme spécial avec l'Alliance Française. »

 

                  Daphnée se tourna vers Amanda : « Et toi ? On dirait que t’as pas d’accent ?

- Non, je suis belge. Je suis aussi en échange cette année ». Elle ajouta : « on parle anglais parce que j’ai fait un road trip aux States cet été et j’en profite pour pratiquer dès que j’ai l’occasion. Ashley et moi sommes dans la même classe.

- Un road-trip aux States ? La chance ! » Daphnée redoubla d'admiration. Ces filles devaient être intéressantes. Elle commença à poser plein de questions sur le voyage d’Amanda. Quand Éléonore les rejoignit, une dizaine de minutes plus tard, elles étaient déjà copines.

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