Ne plus avoir l’armure sur le dos me donne la sensation de flotter, de marcher sur du coton. Ce qui ne me quitte pas, en revanche, c’est l’odeur de chair brûlée, et qui me marque, encore et toujours.
Le temps a beau passer, je ne me fais toujours pas aux attentats de Panoptès. J’abandonne quelque part dans ma cabine ma combinaison, pour me glisser sous la douche. Les cris d’agonies résonnent dans mon esprit avec une force qui me file encore des sueurs froides. J’ai beau augmenter la température de l’eau, la sensation d’être toujours sale ne me quitte pas.
Je devrais m’y faire, pourtant, à ces vies arrachées pour une idéologie que je trouve stupide. Je devrais, oui, mais je n’y parviens pas. Les yeux désespérément clos, je tente de chasser de mon esprit des images qui demeurent rémanente. Fais chier ! J’aimerais que toute cette merde se finissent bien vite ! Un soupir, un nouveau, s’échappe de mes lèvres, sans que je ne cherche à le retenir. Je suis seul dans ma cabine, qui pourrait être témoin de mes faiblesses ?
Personne. Pas même Eireann. Mes pensées tournent immédiatement vers ma jeune compagne dont les nouvelles se font rares depuis trois semaines. Nos conversations sont bien trop succinctes pour que je puisse réellement me faire une idée de son état d’esprit. Elle est toujours en alerte, comme une fille de l’air qui n’attend que l’ouverture d’une porte pour s’échapper. Et je sais qu’elle ne fait pas ça pour me fuir ; la vie à bord d’un SSAS est prenante. Cela étant, j’ose espérer que son intégration se passe vraiment bien.
La connaissant, quelque chose me dit qu’elle ne manquera certainement pas l’occasion de se faire remarquer. Je lui souhaite que ce soit le plus tard possible. Mais, ça ne va pas être aujourd’hui que j’aurai des nouvelles d’elle. Elle doit profiter des merveilleuses sources d’eau chaude vénusiennes. Et j’avoue, je l’envie. L’eau cesse de couler et je m’enroule dans une serviette blanche nouée à ma taille, quittant la pièce humide dans laquelle je ne parviens pas à trouver de refuge mental.
Alors la musique comblera les manques et forcera les cris à se taire. Les basses vibrent, mais la voix de la chanteuse, éraillée, hurle à plein poumons son désespoir de mourir dans les bras de celui qu’elle aime. Génial. Exactement le genre de mélodie qu’il convient pour réchauffer les cœurs, dites voir. Ca suffira pour le moment. Je ne vais pas chipoter.
Je bâille à m’en dévisser la mâchoire et plonge ma tête dans mon armoire, à la recherche de vêtements plus confortable. J’ai laissé le commandement à Vaatuiti, mon commandant en second. Je fais suffisamment confiance au Polynésien pour diriger le Tisiphone le temps que je me remette de cette mission éreintante. Une soirée devrait être suffisante. Le coton du t-shirt que j’enfile est un véritable délice. Rien à voir avec le tissu polymère qui se met automatiquement sous l’armure et qui finit par gratter à cause de la transpiration. Peu glamour, hein. J’inspire profondément et m’affale sur le lit. Mes muscles me remercient déjà, alors que je les sens se détendre les uns après les autres, à une vitesse folle. Mes paupières, lourdes, menacent de se fermer.
Seul un tintement strident me tire de mon engourdissement et j’éprouve toutes les difficultés du monde à baisser les yeux vers mon ICP. La petite lumière orange qui clignote – celle qui indique une communication entrante d’un proche – me donne suffisamment d’énergie pour m’assurer de l’identité de la personne qui ose me déranger.
Quand l’hologramme d’Eireann apparaît, tournoyant tranquillement sur lui-même, je me sens pire qu’un adolescent à me dépêcher de me glisser maladroitement dans un jogging. Nous vivons ensemble, et pourtant quand je suis à bord de mon vaisseau, j’ai cette bien étrange manie de vouloir paraître le plus présentable… même aux yeux de ma compagne.
J’inspire profondément, et finis par accepter la communication, choisissant évidemment le mode vidéo, afin de pouvoir profiter aussi d’elle, en plus de sa voix. Je projette son image sur le grand écran devant mon lit.
— Salut toi ! Tu ne devais pas être en mission sur Vénus ?
Mon salut à peine rendu, voilà qu’un premier silence s’installe. Silence qui fait démarrer mes alertes rouges personnelles. Quand elle agit comme ça, mon Eireann, c’est qu’elle a forcément quelque chose de déplaisant à m’annoncer.
— Si. Mais, en fait, non. Je me suis retrouvée en Amazonie.
Je me fige. L’Amazonie ? J’y envoie mes éléments les plus réfractaires pour les mettre au pas. Généralement, c’est une leçon suffisante pour les calmer. La forêt amazonienne est une zone de non-droit, où sévissent les pires malfaiteurs – en dehors de Panoptès. Je ne doute pas un seul instant qu’Eireann soit une affreuse tête de cochon… mais de là à se retrouver là-bas ?
— Qu’est-ce que tu as encore fait ? soupiré-je.
Son silence est éloquent. Je l’observe, avec attention, essaie de déceler sur son visage, mais je n’y vois qu’une colère bouillonner dans le fond de son regard.
— L’Amazonie, c’est censé être l’enfer et la seule chose que tu trouves à me demander c’est ce que j’ai encore fait.
— Eireann...
Ce n’était, évidemment, pas ce que je voulais. Malheureusement, parfois, entre mes mots et l’intention que je souhaite, il y a un fossé. Je secoue la tête, me masse la nuque avant de m’installer un peu mieux sur le lit. Je sens son regard sur chacuns de mes mouvements. À nouveau, je me demande contre qui cette colère que je perçois dans ses gestes parfois agités de soubresauts est réellement dirigée ? Nivens, oui, très certainement.
— Je suis désolé. Mais, tu comprendras qu’en tant qu’officier de bord, entendre qu’un soldat s’est retrouvé en Amazonie, on se demande automatiquement ce qu'il a fait, tu comprends ?
— Je sais, admet-elle. Et j’ai bien compris qu’en règle général, on envoyait les pires là-bas. Jusque là, pas de soucis.
— Mais… ?
Elle me regarde. Non, elle me dévisage comme si ce qu’elle s’apprêtait à me dire était l’évidence même. Sauf que rentrer dans la tête d’Eireann O’Brian, encore des années plus tard, reste un défi que je relève, avec panache, mais que je ne réussi pas forcément toujours.
— Je me suis battue. Avec un quartier-maître. J’pensais que je parviendrai à gérer ma colère...
Elle esquisse un sourire un peu peiné et la vague sensation de ne pas la reconnaître m’étreint à la gorge. Depuis quand semble-t-elle autant en proie à des difficultés à se contrôler ? Certes, Eireann n’a jamais été une championne à ce niveau-là, mais de là à en arriver à se battre ? Je laisse volontairement le silence s’installer. C’est à elle de reprendre la parole, à elle, peut-être, de me dire ce qui l’a poussé à en venir aux mains.
— Il a parlé de népotisme. J’sais que je ne mérite pas ma place dans la Confédération…
— Bien sûr que si !
Elle m’adresse un sourire amusé, cette fois. Elle ne me croit pas. Et pourtant, c’est bien ce que je pense. Elle est talentueuse, intelligente et je ne dis pas ça parce que je l’aime, mais bien parce que c’est la vérité. Seulement, son parcours a été ce qu’il a été.
— Je ne mérite pas ma place, répète-t-elle plus fermement. Et je sais que je suis ici seulement parce que ma mère est intervenue.
— Tu lui as demandé ?
— Ai-je vraiment besoin de le faire ? Ethan, je ne suis pas idiote. Jamais la Confédération n’aurait accepté de me laisser finir ma formation à bord de l’Alecto avec mon classement.
Certes. Je préfère cependant recentrer notre discussion sur ce qui a été d’abord amené : son séjour en Amazonie.
— Donc, tu t’es battue avec un quartier-maître, Nivens t’a punie et t’a envoyée en Amazonie.
Jusque là, je suis parfaitement d’accord. J’aurais peut-être été un tout petit peu moins sévère, pour une simple bagarre, une mission d’une telle envergure me paraît disproportionnée. Sauf que Cameron Nivens n’est pas connu pour faire dans la demi-mesure.
J’attrape une bouteille d’eau, remplis ma bouilloire pour me préparer une infusion, sous le regard de ma compagne qui reste toujours assise sur sa chaise.
— Pour quelqu’un qui s’est retrouvé en Amazonie, par contre, je te trouve bien fraîche et dispo. T’es rentrée il y a combien de temps ?
— Il y a deux heures.
— Mais… Attend, je comprends pas, soufflé-je tout en démarrant la préparation de mon thé. T’as été en Amazonie pour une punition et t’es fraîche comme un bouton de rose ?
— Bah justement en parlant de fleurs, grogne-t-elle en agitant une collier de fleurs de jasmin. J’ai passé six heures au camp à faire ça sous le regard de ma nounou des forces spéciales française.
— Mais… Mais pourquoi ?
— Demande à Mikhaïlovna ! Elle m’a dit de faire des colliers de pâquerettes, mais penses-tu, des pâquerettes, en Amazonie, ça ne se trouve pas ! Du coup, j’ai fait un collier de jasmin.
Je reste coi, ma tasse entre les mains. Je connais mal l’équipage de l’Alecto, pourtant, mon petit doigt me dit qu’ils ne sont pas du genre à materner des soldats. Alors que Mikhaïlovna mette sur le banc Eireann reste aussi étrange qu’étonnant.
— Tu n’as pas eu accès au rapport ? l’intérrogé-je, placide. La raison d’une telle décision doit bien être inscrite...
Elle remue la tête, une de ses mèches s’échappe de son chignon. Elle détache enfin son armure, dévoilant le haut de son corps coincé dans cette combinaison moulante destinée à protéger la peau des plaques de métal.
— Non, parce que je suis restée au camp.
Son amertume résonne douloureusement en moi. Elle a beau dire que la Confédération ne l’intéresse pas, être laissée pour compte est la sensation la plus désagréable qui soit. Et la distance qui nous sépare, nos obligations diverses m’empêchent d’être près d’elle, alors qu’elle en a besoin. Je tente un sourire, pour la réconforter.
— Alors vois-y un signe ? Au moins, tu as été épargnée et…
— Comment tu veux que j’ai un seul instant ce foutu papier pour rentrer dans l’armée de l’air si on me laisse pas prouver ce dont je suis capable ? s’insurge-t-elle.
— Eireann… Peut-être que ce n’était juste pas ton heure de faire tes preuves.
Son regard, enfin, croise le mien et j’amène enfin ma tasse à mes lèvres. Mon thé est tiède, ça ne me dérange pas. Parce que l’éclat que je vois dans les yeux de ma compagne bien intrépide me ravie. Je ne sais si elle pense la même chose que moi en cet instant, mais peut-être que Mikhaïlovna, en fait, a outrepassé les ordres de Nivens parce qu’elle a jugé que ce n’était pas le moment pour Eireann de prouver ce dont elle était capable. Parce qu’on ne brille pas avec l’Amazonie.
Parce qu’au fond de moi, je sais qu’elle aura bientôt sa mission. Celle qui la fera s’élever au-dessus des autres, celle qui l’auréolera d’un prestige qui lui ouvrira les portes de toutes les armées qu’elle pourrait désirer.
C'est sympa de retrouver le point de vue d'Ethan, tant pour le regard qu'il porte à Eireann que pour son propre vécu (les souvenirs de ses missions qui lui collent à la peau, notamment). J'ai quand-même été un peu surpris qu'il ne soit pas plus inquiet de ce qui a pu arriver à Eireann lors de sa mission, quand il apprend qu'elle a été en Amazonie (même si, forcément vu qu'il la voit, il sait qu'elle est vivante). Chouette chapitre en tout cas :)
J'ai constaté deux petit points négatifs dans un chapitre par ailleurs bien écrit et intéressant :
- Elle est fraîche comme une rose. Hors juste avant de partir pour l'Amazonie elle s'était battue et avait une lèvre éclatée et d'autres traces de coups. Ethan ne remarque pourtant rien.
- Quand Eireann enlève son armure, Ethan n'éprouve aucune émotion. Alors que le spectacle de la femme qu'il aime devrait en déclencher, même brièvement.
Je remarque que comme je suis ici depuis peu, je ne connais pas le passée de ton histoire (Les éphémérides je crois?) et j'imagine que tu en as parlé sur le forum où ailleurs?
Mais du coup, je vais rester dans cette optique, ça me permet de voir ton oeuvre comme toute fraîche, sans spoiler ! (et après j'irais voir le reste :p )
C'est toujours aussi bien, je remarque de plus en plus que tu es dans le détail des gestes, de ce qu'ils représentent, des sentiments qu'ils montrent, et c'est cool!
Une remarque, on dit "je reste couac", et non pas "je reste coït", parce que sinon il se passe des choses très étranges dans cette cabine xD
Omg oui c'est surtout "je reste coi" il faut vraiment que je le corrige genre maintenant mdr
Pour Ephémérides Astrales y'a pas tellement d'histoire c'est plus le nom de l'histoire en général (de la saga) c'est Le Raid de Mars le titre de l'histoire et tu comprendras l'histoire plus tard ♥
La scène est exactement comme j'imaginais quand tu en as parlé, du coup, je suis très contente de ce chapitre, et en plus, il nous tease sur la suite, alors que dire de plus à part Bravo !
Merci ♥ Je suis contente que ça ait bien transparu (bowdel j'ai tjs l'impression d'être ultra répétitive dans mes remerciements c'est atroce xD)
Je l'aime bien aussi, (même si je préfère Eireann ~)
J'adore suivre l'avancée d'Eireann sous le point de vue de personnages, je te l'ai déjà dit ? Non vraiment ça permet d'apporter à la fois plus de mystère, mais plus d'infos, de comprendre mieux leurs relation, comment ils la voient ... C'est géniale T-T
Je ne sais pas si c'est une coquille mais je crois que cette phrase n'est pas fini : "Sauf que rentrer dans la tête d’Eireann O’Brian, encore des années plus tard, j’ai "
Je sais pas du tout si c'est car je suis fatiguée mais je te la montre tout de même au cas où !
Sinon, quoi dire d'autres hormis qu'il s'agit encore d'un chapitre qui approfondie mon amour pour Éphémérides Astrale ? J'adore vraiment ton histoire T-T
Et bordel, Eireann : j'avais beau avoir été spoilé la réplique : "Bah justement en parlant de fleurs, grogne-t-elle en agitant une collier de fleurs de jasmin. J’ai passé six heures au camp à faire ça sous le regard de ma nounou des forces spéciales française. "
M'a fait pouffer, vraiment, et puis la manière dont c'est amené avec bouton de rose, les transitions sont exceptionnelles : je suis fan !
J'ai hâte de lire la suite ;; <3
Ils sont doux, motivants, chaleureux et brrr c'est un plaisir de te voir poper sur chacune de mes histoires !
Il va falloir que j'aille voir cette phrase (il se peut que j'ai encore oublié un bout de phrase ou alors il s'agit d'une construction malheureuse, mais je penche plus sur l'oubli de phrase haha"
Et puis, de lire ton amour grandissant pour EA alors que c'est mon projet pharaonique ohlala ça me fait trop plaisir ♥
Je suis contente que ça t'ait plu, que tu ais aimé le lire et que tu aies hâte de lire la suite ♥
(et je vais m'occuper des coquilles haha)